Livv
Décisions

Cass. com., 9 juin 2022, n° 21-13.588

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rémery

Rapporteur :

Mme Brahic-Lambrey

Avocat :

SCP Delamarre et Jehannin

Paris, du 21 janv. 2021

21 janvier 2021

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 janvier 2021), la société Centre médico-chirurgical de [7] (la société CMC [7]) a été dirigée par M. [B] et, après la démission de celui-ci, par M. [A] à compter du 4 février 2011. M. [T], embauché le 30 avril 2010 en qualité de directeur gestionnaire de la clinique CMC [7], avec le statut de cadre dirigeant, a été nommé directeur général de cette société à la suite d'une assemblée générale du 1er août 2011. M. [A] a été remplacé le 14 novembre 2011 par M. [W]. M. [T] a démissionné de ses fonctions de directeur général le 21 novembre 2011.

2. La société CMC [7] a été mise en liquidation judiciaire le 1er mars 2012, la date de cessation des paiements étant fixée au 1er septembre 2010 et la société Fides, anciennement dénommée EMJ, étant désignée liquidateur.

3. Le liquidateur a recherché la responsabilité pour insuffisance d'actif des dirigeants et a demandé leur condamnation à des sanctions personnelles.

Examen des moyens

Sur les premier et troisième moyens, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

5. M. [T] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la société Fides, ès qualités, la somme de 1 500 000 euros au titre de sa responsabilité dans l'insuffisance d'actif, et de le condamner à une interdiction de gérer d'une durée de sept ans, alors :

« 1°/ que la qualité de dirigeant de fait ne saurait être reconnue qu'à ceux qui exercent, en toute indépendance, des actes positifs de gestion et de direction ; que l'accomplissement d'actes positifs de direction est caractérisé par la réalisation d'actes précisément identifiés, à l'égard des tiers ou des salariés, et qui démontrent la prise de contrôle et la direction de la société ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, pour qualifier M. [T] de dirigeant de fait, s'est bornée à constater, par motifs propres et adoptés, qu'il disposait des plus grands pouvoirs en vertu d'une délégation de pouvoirs étendue qui s'exerçait dans les domaines social, médical, comptable et financier ; qu'elle a encore retenu que la lettre de licenciement que lui a adressée M. [W] indiquait "qu'il assur(ait) la direction en totale autonomie, et énumère les décisions qu'il a prises durant ces fonctions" ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à établir l'existence d'actes précis et positifs de direction de la société CMC [7], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 651-2 et L. 653-1 du code de commerce ;

2°/ que la qualité de dirigeant de fait ne saurait être reconnue qu'à ceux qui exercent, en toute indépendance, des actes positifs de gestion et de direction ; qu'un salarié disposant d'une délégation de pouvoirs n'exerce en toute indépendance des actes positifs de direction et de gestion qu'à la condition qu'excédant les pouvoirs qui lui avaient été délégués et dépassant les limites de sa mission de salarié, il prenne en fait le contrôle de la société ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, pour qualifier M. [T] de dirigeant de fait, s'est bornée à constater, par motifs propres et adoptés, qu'il disposait des plus grands pouvoirs en vertu d'une délégation de pouvoirs étendue qui s'exerçait dans les domaines social, médical, comptable et financier ; qu'elle a encore retenu que la lettre de licenciement que lui a adressée M. [W] indiquait "qu'il assur(ait) la direction en totale autonomie, et énumère les décisions qu'il a prises durant ces fonctions" ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à établir que M. [T] aurait excédé les limites de sa mission de salarié et de sa délégation de pouvoirs et aurait ainsi agi en toute indépendance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 651-2 et L. 653-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 651-2 et L. 653-1, 2° du code de commerce :

6. Le dirigeant de fait est celui qui exerce en toute indépendance une activité positive de gestion et de direction de la personne morale.

7. Pour condamner M. [T] en qualité de dirigeant de fait de la société CMC [7] au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif et prononcer son interdiction de gérer, l'arrêt relève, par motifs propres, que celui-ci, en sa qualité de directeur gestionnaire salarié de la société CMC [7] disposait des plus grands pouvoirs pour l'engager en vertu d'une délégation de pouvoirs qui lui avait été consentie et se réfère à une lettre du 13 janvier 2012 de M. [W], président, lui notifiant son licenciement précisant qu'il « assur(ait) la direction en totale autonomie » et énumérant les décisions qu'il avait prises durant ses fonctions, dont il déduit qu'il disposait réellement des pouvoirs les plus étendus exercés en toute autonomie, caractérisant une gestion de fait. Il relève, par motifs adoptés, que la délégation que M. [T] avait signée lui avait conféré pleines prérogatives notamment en matière de ressources humaines, et en matière médicale et comptable et financière et retient que, quand bien même M. [T] prétendrait ne pas en avoir usé, il avait incontestablement les pouvoirs complets d'un gérant de société, réalisant ainsi quotidiennement des actes positifs de gestion en toute indépendance.

8. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir l'exercice, en toute indépendance, par M. [T], d'actes positifs précis de gestion et direction de la société CMC [7], excédant les limites de sa mission de directeur gestionnaire salarié de cette société et accomplis avant le 1er août 2011, date de sa désignation en qualité de dirigeant de droit, la cour d'appel, qui a imputé à M. [T] des fautes de gestion antérieures à cette date, a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le quatrième moyen du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en ses seules dispositions concernant M. [T], l'arrêt rendu le 21 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.