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Décisions

CJUE, 3e ch., 12 décembre 2013, n° C-443/12

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ilešič

Juge :

M. Jarašiūnas

Avocat général :

M. Jääskinen

Avocats :

M. Meade, Mme Jamal, Mme Balleny, M. Alexander, M. Moore , Mme Rich

CJUE n° C-443/12

11 décembre 2013

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3 du règlement (CE) no 469/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 6 mai 2009, concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments (JO L 152, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Actavis Group PTC EHF et Actavis UK Ltd (ci-après, ensemble, «Actavis») à Sanofi et Sanofi Pharma Bristol-Myers Squibb SNC (ci-après, ensemble, «Sanofi») au sujet de la validité du certificat complémentaire de protection (ci-après le «CCP») obtenu par Sanofi pour le médicament CoAprovel.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Les considérants 4 et 5 ainsi que 9 et 10 du règlement no 469/2009 se lisent comme suit:

«(4) À l’heure actuelle, la période qui s’écoule entre le dépôt d’une demande de brevet pour un nouveau médicament et l’autorisation de mise sur le marché [ci-après l’‘AMM’] dudit médicament réduit la protection effective conférée par le brevet à une durée insuffisante pour amortir les investissements effectués dans la recherche.

(5) Ces circonstances conduisent à une insuffisance de protection qui pénalise la recherche pharmaceutique.

[…]

(9) La durée de la protection conférée par le certificat devrait être déterminée de telle sorte qu’elle permette une protection effective suffisante. À cet effet, le titulaire, à la fois d’un brevet et d’un certificat, doit pouvoir bénéficier au total de quinze années d’exclusivité au maximum à partir de la première [AMM], dans la Communauté, du médicament en question.

(10) Néanmoins, tous les intérêts en jeu, y compris ceux de la santé publique, dans un secteur aussi complexe et sensible que le secteur pharmaceutique devraient être pris en compte. À cet effet, le certificat ne saurait être délivré pour une durée supérieure à cinq ans. La protection qu’il confère devrait en outre être strictement limitée au produit couvert par l’autorisation de sa mise sur le marché en tant que médicament.»

4 L’article 1er de ce règlement, intitulé «Définitions», prévoit:

«Aux fins du présent règlement, on entend par:

a) ‘médicament’: toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines […];

b) ‘produit’: le principe actif ou la composition de principes actifs d’un médicament;

c) ‘brevet de base’: un brevet qui protège un produit en tant que tel, un procédé d’obtention d’un produit ou une application d’un produit et qui est désigné par son titulaire aux fins de la procédure d’obtention d’un certificat;

d) ‘certificat’: le [CCP];

[…]»

5 L’article 3 dudit règlement, intitulé «Conditions d’obtention du certificat», dispose:

«Le certificat est délivré, si, dans l’État membre où est présentée la demande visée à l’article 7 et à la date de cette demande:

a) le produit est protégé par un brevet de base en vigueur;

b) le produit, en tant que médicament, a obtenu une [AMM] en cours de validité conformément à la directive 2001/83/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO L 311, p. 67)] […];

c) le produit n’a pas déjà fait l’objet d’un certificat;

d) l’autorisation mentionnée au point b) est la première [AMM] du produit, en tant que médicament.»

6 Aux termes de l’article 4 du même règlement, intitulé «Objet de la protection»:

«Dans les limites de la protection conférée par le brevet de base, la protection conférée par le certificat s’étend au seul produit couvert par l’[AMM] du médicament correspondant, pour toute utilisation du produit, en tant que médicament, qui a été autorisée avant l’expiration du certificat.»

7 L’article 5 du règlement no 469/2009, relatif aux «[e]ffets du certificat», énonce:

«Sous réserve de l’article 4, le certificat confère les mêmes droits que ceux qui sont conférés par le brevet de base et est soumis aux mêmes limitations et aux mêmes obligations.»

8 L’article 13 de ce règlement, intitulé «Durée du certificat», prévoit notamment que «[l]e certificat produit effet au terme légal du brevet de base pour une durée égale à la période écoulée entre la date du dépôt de la demande du brevet de base et la date de la première [AMM] dans la Communauté, réduite d’une période de cinq ans».

Le droit du Royaume-Uni

9 La section 60 de la loi du Royaume-Uni sur les brevets de 1977 (UK Patents Act 1977), relative à la «[d]éfinition de la contrefaçon», est libellée comme suit:

«1) Conformément aux dispositions de la présente section, viole un brevet d’invention quiconque, alors que le brevet est en vigueur, accomplit l’un des actes suivants, et seulement l’un de ces actes, au Royaume-Uni, en relation avec l’invention, sans le consentement du titulaire du brevet:

a) si l’invention est un produit, fabriquer le produit, disposer du produit, offrir d’en disposer, l’utiliser, l’importer ou le conserver que ce soit pour en disposer ou autrement;

[…]

2) Conformément aux dispositions suivantes de la présente section, viole également un brevet d’invention, quiconque (autre que le titulaire du brevet), alors que le brevet est en vigueur et sans le consentement du titulaire, fournit ou offre de fournir au Royaume-Uni à un tiers autre que le titulaire d’une licence ou que toute autre personne habilitée à travailler l’invention les moyens, quels qu’ils soient, portant sur un élément essentiel de l’invention, destinés à mettre en œuvre l’invention, sachant ou devant normalement savoir, compte tenu des circonstances, que ces moyens sont adaptés et destinés à la mise en œuvre de l’invention au Royaume-Uni.»

 

Les faits au principal et les questions préjudicielles

10 Sanofi est titulaire du brevet européen EP 0454511 (ci-après le «brevet de Sanofi»). Il ressort de la description de ce brevet que l’invention qu’il couvre a notamment pour objet une famille de composés à laquelle appartient l’irbésartan, principe actif antihypertenseur. Elle vise également des compositions pharmaceutiques contenant plusieurs principes actifs en association, dont l’un est un composé selon l’invention et le ou les autres peuvent être un composé bêtabloquant, un antagoniste calcique, un diurétique, un anti-inflammatoire non stéroïdien ou un tranquillisant.

11 Les revendications 1 à 7 de ce brevet de base portent sur l’irbésartan seul, ou sur l’un de ses sels. La revendication 20 dudit brevet porte sur une composition pharmaceutique composée de l’irbésartan en association avec un diurétique. Aucun diurétique particulier n’est toutefois nommément désigné dans cette revendication dudit brevet de base ni dans la description de ce dernier.

12 Ce brevet a fait l’objet d’une demande, le 20 mars 1991, auprès de l’Office européen des brevets et a été délivré le 17 juin 1998. Ledit brevet a expiré le 20 mars 2011.

13 Sur le fondement du même brevet de base et des AMM qui ont été délivrées le 27 août 1997 pour le médicament Aprovel contenant l’irbésartan en tant que principe actif unique et indiqué principalement dans le traitement de l’hypertension essentielle, Sanofi a obtenu, le 8 février 1999, un premier CCP pour ce principe actif. Ce certificat a expiré le 14 août 2012.

14 Toujours sur le fondement de son brevet de base, mais cette fois-ci sur celui des AMM qui ont été délivrées le 15 octobre 1998 pour le médicament CoAprovel, consistant en une combinaison de l’irbésartan avec un diurétique, en l’occurrence l’hydrochlorothiazide, indiqué dans le traitement de l’hypertension essentielle, Sanofi a obtenu un second CCP portant sur la composition irbésartan-hydrochlorothiazide. Celui-ci a été délivré le 21 décembre 1999 et a expiré le 14 octobre 2013.

15 Il ressort du résumé du rapport européen public d’évaluation (EPAR) de l’Agence européenne des médicaments que «[l]’association des deux principes actifs a un effet additif et réduit la tension artérielle plus que l’un ou l’autre de ces médicaments en monothérapie». Il en résulterait que les propriétés curatives de cette composition de principes actifs correspondraient à la somme des effets thérapeutiques qui seraient autrement obtenus au moyen d’une administration séparée du médicament Aprovel et de l’hydrochlorothiazide. À cet égard, il est indiqué dans ce résumé que «[l]es études menées sur […] Aprovel administré en association avec l’hydrochlorothiazide sous la forme de comprimés séparés ont été utilisées pour justifier l’utilisation du CoAprovel», de sorte que cette composition n’induirait pas un effet thérapeutique nouveau par rapport aux effets obtenus au moyen d’une administration séparée des deux principes actifs.

16 Actavis envisage d’introduire sur le marché des versions génériques du médicament Aprovel et du médicament CoAprovel. Dans la mesure où le médicament générique correspondant au médicament CoAprovel violerait la protection conférée à la composition de principes actifs irbésartan-hydrochlorothiazide par le second CCP accordé à Sanofi, Actavis a introduit devant la juridiction de renvoi un recours tendant à contester la validité de ce CCP.

17 À l’appui de son recours, Actavis fait valoir, premièrement, que le second CCP obtenu par Sanofi pour la combinaison de l’irbésartan avec de l’hydrochlorothiazide n’est pas valable, dans la mesure où cette combinaison ne serait pas protégée par le brevet de base au sens de l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009, puisqu’une telle composition de principes actifs ne serait pas expressément spécifiée ou mentionnée dans le libellé de l’une des revendications de ce brevet. À cet égard, Sanofi soutient, au contraire, qu’une telle spécification ou mention figure dans la revendication 20 du brevet de Sanofi, qui prévoit que ce brevet concerne une combinaison de l’irbésartan avec un diurétique. Or, l’hydrochlorothiazide serait précisément un diurétique.

18 Deuxièmement, Actavis soutient que le second CCP n’est pas valable au regard de l’article 3, sous c), du règlement no 469/2009, étant donné que le «produit» au sens de cette disposition aurait déjà fait l’objet d’un premier CCP. En revanche, Sanofi fait notamment valoir qu’il n’y a pas eu violation de ladite disposition, dès lors que le premier CCP et les AMM pour le médicament Aprovel ont été obtenus pour le principe actif unique irbésartan, tandis que le second CCP et les AMM pour le médicament CoAprovel ont été obtenus pour un produit différent, à savoir la combinaison de l’irbésartan et de l’hydrochlorothiazide.

19 La juridiction de renvoi relève que ces arguments soulèvent des questions d’interprétation, d’une part, de l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009 et, d’autre part, de l’article 3, sous c) et d), de ce règlement, lesquelles ont été abordées par la Cour dans ses arrêts du 24 novembre 2011, Medeva (C-322/10, Rec. p. I-12051), et Georgetown University e.a. (C-422/10, Rec. p. I-12157), ainsi que dans ses ordonnances du 25 novembre 2011, Yeda Research and Development Company et Aventis Holdings (C-518/10, Rec. p. I-12209), University of Queensland et CSL (C-630/10, Rec. p. I-12231), et Daiichi Sankyo (C-6/11, Rec. p. I-12255).

 20 Cependant, la juridiction de renvoi estime que ces précédents ne lui permettent pas de trancher le litige au principal.

21 En effet, d’une part, elle considère que, dans le cadre des réponses apportées par la Cour auxdits précédents, lesquelles portaient notamment sur le point de savoir quels étaient les critères permettant de déterminer si un produit est protégé par un «brevet de base» au sens de l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009, la Cour n’a pas fourni un critère clair applicable à des faits tels que ceux en cause au principal.

22 Selon la juridiction de renvoi, cette analyse est confirmée par les divergences entre les décisions de plusieurs juridictions nationales relatives à des affaires analogues à celle au principal. Ainsi, dans sa décision du 10 août 2012 rendue dans l’affaire Sanofi/Sandoz, le tribunal de grande instance de Paris (France) a considéré, à l’instar d’Actavis dans l’affaire en cause au principal, que la revendication 20 du brevet de Sanofi ne spécifiait ou ne mentionnait pas l’hydrochlorothiazide en combinaison avec l’irbésartan. En revanche, le Landgericht Düsseldorf (Allemagne) et le Rechtbank ’s-Gravenhage (Pays-Bas) ont considéré qu’une telle combinaison figurait dans la revendication 20 du brevet de Sanofi. Pour la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Patents Court), qui propose une réponse à cette question, l’élément déterminant devrait être celui de savoir si le principe actif ou la combinaison de principes actifs en cause constitue l’activité inventive centrale du brevet de base.

23 D’autre part, la juridiction de renvoi estime que la question de savoir si, dans ses arrêts précités Medeva ainsi que Georgetown University e.a., la Cour a opéré un revirement de jurisprudence en ce qui concerne l’interprétation de l’article 3, sous c), du règlement no 469/2009 n’est pas tranchée. En effet, elle considère que ces arrêts ne permettent pas de déterminer si la Cour considère désormais que cette disposition s’oppose à ce qu’il soit octroyé plus d’un CCP par «brevet de base» au sens de l’article 1er de ce règlement, indépendamment du nombre de produits couverts par ce brevet, ou si elle continue de considérer qu’il convient d’octroyer un CCP par «brevet de base» et par «produit» comme dans ses arrêts du 23 janvier 1997, Biogen (C-181/95, Rec. p. I-357), et du 3 septembre 2009, AHP Manufacturing (C-482/07, Rec. p. I-7295).

24 À cet égard, la juridiction de renvoi relève que, tandis que l’Office des brevets néerlandais a adopté l’interprétation des arrêts précités Medeva ainsi que Georgetown University e.a., selon laquelle l’octroi de plus d’un CCP par brevet, indépendamment du nombre de produits couverts par ce dernier, est interdit, l’Office des brevets du Royaume-Uni a, dans l’affaire au principal, estimé possible de délivrer à Sanofi deux CCP sur la base d’un seul «brevet de base» au sens dudit article 1er, dès lors que ces deux CCP correspondaient à deux produits distincts couverts par ce type de brevet.

25 C’est dans ces conditions que la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Patents Court) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Quels sont les critères permettant de déterminer si ‘le produit est protégé par un brevet de base en vigueur’ au sens de l’article 3, sous a), du règlement [no 469/2009]?

2) Dans une situation où de nombreux produits sont protégés par un brevet de base en vigueur, le règlement [no 469/2009], et en particulier son article 3, sous c), s’oppose-t-il à ce que le titulaire du brevet obtienne un certificat pour chacun des produits protégés?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la seconde question

26 Par sa seconde question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, dans des circonstances telles que celles au principal où, sur le fondement d’un brevet protégeant un principe actif novateur et d’une AMM d’un médicament contenant celui-ci en tant que principe actif unique, le titulaire de ce brevet a déjà obtenu un CCP pour ce principe actif, l’article 3, sous c), du règlement no 469/2009 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, sur le fondement du même brevet, mais d’une AMM d’un médicament différent contenant ledit principe actif en composition avec un autre principe actif, lequel n’est pas, en tant que tel, protégé par ledit brevet, le titulaire de ce même brevet obtienne un second CCP portant sur cette composition de principes actifs.

27 Certes, la Cour a déjà jugé, dans une situation où un «produit» au sens de l’article 1er du règlement no 469/2009 est protégé par plusieurs brevets de base détenus, le cas échéant, par des titulaires différents, qu’il s’agisse de brevets sur ce produit, de brevets sur des procédés d’obtention de celui-ci ou de brevets portant sur une application dudit produit, que, conformément à l’article 3, sous c), de ce règlement, chacun de ces brevets est susceptible d’ouvrir droit à un CCP, mais qu’il ne saurait être délivré plus d’un certificat pour un brevet de base (voir arrêts précités Biogen, point 28; ainsi que AHP Manufacturing, points 22 et 23). Dans une telle situation, les types de brevets appartenant, le cas échéant, à chacun de ces titulaires auront, à cet égard, des conséquences sur la protection pouvant être obtenue par l’octroi de CCP puisque, pour un brevet protégeant un produit en tant que tel, la protection conférée par le CCP couvrira ce produit, tandis que, pour un brevet portant sur un procédé d’obtention d’un produit, cette protection portera uniquement sur le procédé d’obtention de ce produit ou, si le droit applicable à ce brevet le prévoit, éventuellement sur le produit directement obtenu par ce procédé (voir ordonnance University of Queensland et CSL, précitée, point 39) et, pour un brevet portant sur une application thérapeutique nouvelle d’un principe actif, connu ou non, la protection conférée par le CCP pourra couvrir non pas le principe actif en tant que tel, mais uniquement l’utilisation nouvelle de ce produit (arrêt du 19 juillet 2012, Neurim Pharmaceuticals (1991), C 130/11, point 25).

28 L’affaire au principal concerne toutefois une situation différente. En effet, elle concerne la situation où un même brevet de base pourrait être considéré comme protégeant plusieurs produits au sens de l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009, et soulève ainsi une question, distincte de celles ayant été posées notamment dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts précités Biogen et AHP Manufacturing, en l’occurrence celle de savoir si un tel brevet peut permettre à son titulaire d’obtenir plusieurs CCP.

29 À cet égard, un brevet protégeant plusieurs «produits» distincts peut certes permettre en principe d’obtenir plusieurs CCP en lien avec chacun de ces produits distincts, pour autant notamment que chacun de ceux-ci soit «protégé» en tant que tel par ce «brevet de base» au sens de l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009, lu en combinaison avec l’article 1er, sous b) et c), de celui-ci (arrêt du 12 décembre 2013, Georgetown University, C 484/12, point 30).

30 Cependant, dans des circonstances telles que celles en cause au principal et même à supposer que la condition posée à cet article 3, sous a), soit par ailleurs remplie, en vue de l’application de l’article 3, sous c), dudit règlement, il ne saurait être admis que le titulaire d’un brevet de base en vigueur puisse obtenir un nouveau CCP, éventuellement assorti d’une durée de validité plus étendue, à chaque fois qu’il met sur le marché d’un État membre un médicament contenant, d’une part, le principe actif, protégé en tant que tel par son brevet de base et constituant, selon les constatations de la juridiction de renvoi, l’activité inventive centrale de ce brevet, et, d’autre part, un autre principe actif, lequel n’est pas protégé en tant que tel par ledit brevet.

31 En effet, le CCP ne vise qu’à rétablir une durée de protection effective suffisante du brevet de base en permettant à son titulaire de bénéficier d’une période d’exclusivité supplémentaire à l’expiration de son brevet destinée à compenser, au moins partiellement, le retard pris dans l’exploitation commerciale de son invention en raison du laps de temps qui s’est écoulé entre la date du dépôt de la demande de brevet et celle de l’obtention de la première AMM dans l’Union européenne (arrêt du 11 novembre 2010, Hogan Lovells International, C-229/09, Rec. p. I-11335, point 50; ainsi que arrêt Georgetown University, précité, point 36).

32 Or, dans l’affaire au principal, le brevet de Sanofi, protégeant en tant que tel le principe actif irbésartan au sens de l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009, a déjà permis l’octroi à son titulaire d’un CCP portant sur ce principe actif. Par ailleurs, il n’est pas contesté que l’hydrochlorothiazide, principe actif relevant de la catégorie des diurétiques, n’est pas protégé en tant que tel par ce brevet ni, d’ailleurs, par un autre brevet.

33 À cet égard, conformément à l’article 5 du règlement no 469/2009, un CCP délivré en lien avec un produit confère, à l’expiration du brevet de base, les mêmes droits que ceux qui étaient conférés par ce brevet de base à l’égard de ce produit, dans les limites de la protection conférée par ledit brevet telles qu’énoncées à l’article 4 de ce règlement. Partant, si le titulaire de ce même brevet pouvait, pendant la période de validité de celui-ci, s’opposer, sur le fondement de son brevet, à l’utilisation ou à certaines utilisations de son produit sous la forme d’un médicament consistant en un tel produit ou contenant celui-ci, le CCP délivré à l’égard de ce même produit lui conférera les mêmes droits pour toute utilisation du produit, en tant que médicament, qui a été autorisée avant l’expiration dudit certificat (voir arrêts précités Medeva, point 39, et Georgetown University e.a., point 32, ainsi que ordonnances précitées University of Queensland et CSL, point 34, et Daiichi Sankyo, point 29).

34 Ainsi, dans l’affaire au principal, dans la mesure où il est constant que, pendant la période de validité du premier CCP, Sanofi pouvait s’opposer, sur le fondement de son brevet de base, à l’utilisation ou à certaines utilisations de l’irbésartan sous la forme d’un médicament consistant en un tel produit ou contenant celui-ci, le CCP désormais expiré, qui avait été délivré pour ce même produit, lui conférait également les mêmes droits pour toute utilisation du produit, en tant que médicament, qui avait été autorisée avant l’expiration dudit certificat.

35 Il s’ensuit que ce premier CCP permettait à Sanofi de s’opposer à la commercialisation d’un médicament contenant de l’irbésartan en combinaison avec de l’hydrochlorothiazide et ayant une indication thérapeutique analogue à celle du médicament Aprovel, de sorte que, si un concurrent de ce laboratoire pharmaceutique avait commercialisé un médicament analogue au CoAprovel, pour des indications thérapeutiques similaires, Sanofi aurait pu s’opposer à une telle commercialisation en invoquant à cet égard son CCP portant sur l’irbésartan (voir, en ce sens, s’agissant de l’utilisation du principe actif valsartan avec de l’hydrochlorothiazide, ordonnances du 9 février 2012, Novartis, C 442/11, point 23, et Novartis, C 574/11, point 20).

36 Or, dans une telle situation, l’article 13 du règlement no 469/2009 commande que, à l’expiration d’un tel premier CCP, le titulaire de ce dernier ne puisse plus s’opposer, en lien avec le brevet de base ayant servi de fondement à sa délivrance, à la commercialisation par des tiers du principe actif ayant fait l’objet de la protection conférée par ce CCP, ce qui implique que, après cette date, ces tiers doivent avoir la possibilité de mettre sur le marché non seulement des médicaments consistant en ce principe actif anciennement protégé, mais également tout médicament contenant ledit principe actif en composition avec un autre principe actif non protégé en tant que tel par ce brevet de base ni par un autre brevet.

37 Par ailleurs, s’agissant du second CCP octroyé dans l’affaire au principal, il n’est pas exclu que, en application d’un droit national prévoyant une certaine protection contre une contrefaçon indirecte, un CCP portant sur la composition irbésartan-hydrochlorothiazide puisse permettre à son titulaire de s’opposer à la commercialisation d’un médicament contenant le principe actif irbésartan, seul ou en composition. Or, dans une telle configuration, ce second CCP est en réalité susceptible de conférer à son titulaire, quoique partiellement et indirectement, une nouvelle protection de l’irbésartan, prolongeant, de fait, celle dont il a déjà bénéficié par l’octroi du premier CCP portant sur ce principe actif, et ce dans les conditions rappelées au point 35 du présent arrêt. Compte tenu ainsi des conséquences que sa délivrance entraîne en termes d’étendue de protection, cet aspect confirme qu’un CCP, tel que le second CCP en cause au principal, ne saurait être délivré.

38 De la même manière, si, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, le médicament CoAprovel avait obtenu une AMM avant le médicament Aprovel, ce qui aurait permis à son titulaire d’obtenir un CCP soit, eu égard au point 34 de l’arrêt Medeva, précité, sur l’irbésartan seul, soit sur la composition irbésartan-hydrochlorothiazide, l’obtention ultérieure d’une AMM pour le médicament Aprovel n’aurait pas pu permettre l’octroi d’un second CCP pour l’irbésartan, compte tenu de la condition posée à l’article 3, sous c), du règlement no 469/2009.

39 S’agissant de l’argument de Sanofi selon lequel la mise sur le marché d’un médicament tel que le CoAprovel entraîne pour le titulaire du brevet des coûts supplémentaires de recherches ainsi que d’essais pré-cliniques et cliniques, justifiant l’octroi d’un second CCP sur la composition irbésartan-hydrochlorothiazide, cette circonstance n’est pas de nature à remettre en cause l’interprétation retenue dans le présent arrêt.

40 En effet, au regard de l’objectif du règlement no 469/2009, tel que rappelé au point 31 du présent arrêt, à savoir compenser le retard pris par le titulaire d’un brevet de base dans l’exploitation commerciale de son invention par une durée supplémentaire d’exclusivité, d’une part, l’octroi d’un premier CCP sur le principe actif unique irbésartan a déjà permis à son titulaire de bénéficier d’une telle compensation et, d’autre part, l’objectif de ce règlement n’est pas de compenser intégralement les retards pris dans la commercialisation de son invention ni de compenser de tels retards en lien avec toutes les formes de commercialisation possibles de ladite invention, y compris sous la forme de compositions déclinées autour du même principe actif.

41 Il faut à cet égard rappeler que l’objectif fondamental du règlement no 469/2009 est de compenser le retard pris dans la commercialisation de ce qui constitue le cœur de l’activité inventive faisant l’objet du brevet de base, à savoir, dans l’affaire au principal, l’irbésartan. Or, eu égard à la nécessité rappelée au considérant 10 du règlement no 469/2009 de prendre en compte tous les intérêts en jeu, y compris ceux de la santé publique, admettre qu’ouvriraient le droit à l’octroi de multiples CCP toutes les mises sur le marché successives de ce principe actif avec un nombre illimité d’autres principes actifs, non protégés en tant que tels par le brevet de base, mais simplement désignés dans le libellé des revendications du brevet sous des termes génériques tels que, dans celui en cause au principal, «composé bétabloquant», «antagoniste calcique», «diurétique», «anti-inflammatoire non stéroïdien» ou «tranquillisant», serait contraire à la mise en balance devant être faite, s’agissant de l’encouragement de la recherche dans l’Union au moyen de CCP, entre les intérêts de l’industrie pharmaceutique et ceux de la santé publique.

42 Il en résulte que, dans une telle situation, l’article 3, sous c), du règlement no 469/2009 s’oppose à ce qu’un même brevet de base permette à son titulaire d’obtenir plusieurs CCP en lien avec l’irbésartan, dès lors que ces CCP seraient en réalité, partiellement ou totalement, en lien avec le même produit (voir en ce sens, à propos des produits phytopharmaceutiques, arrêt du 10 mai 2001, BASF, C-258/99, Rec. p. I-3643, points 24 et 27). En revanche, si une composition constituée d’un principe actif novateur ayant déjà bénéficié d’un CCP et d’un autre principe actif, lequel n’était pas protégé en tant que tel par le brevet en cause, fait l’objet d’un nouveau brevet de base au sens de l’article 1er, sous c), dudit règlement, ce dernier brevet, en ce qu’il couvrirait une innovation pleinement distincte, pourrait ouvrir droit à un CCP pour cette composition nouvelle ultérieurement mise sur le marché.

43 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question posée que, dans des circonstances telles que celles au principal où, sur le fondement d’un brevet protégeant un principe actif novateur et d’une AMM d’un médicament contenant celui-ci en tant que principe actif unique, le titulaire de ce brevet a déjà obtenu, pour ce principe actif, un CCP lui permettant de s’opposer à l’utilisation dudit principe actif seul ou en combinaison avec d’autres principes actifs, l’article 3, sous c), du règlement no 469/2009 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, sur le fondement du même brevet, mais d’une AMM ultérieure d’un médicament différent contenant ledit principe actif en composition avec un autre principe actif, lequel n’est pas, en tant que tel, protégé par ledit brevet, le titulaire de ce même brevet obtienne un second CCP portant sur cette composition de principes actifs.

Sur la première question

44 Compte tenu de la réponse apportée à la seconde question, en application de laquelle un second CCP, tel que celui en cause au principal, ne pouvait pas être délivré à Sanofi pour la composition irbésartan-hydrochlorothiazide, et ce indépendamment du point de savoir si cette composition était protégée en tant que telle par le brevet de base au sens de l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009, il n’y a pas lieu de répondre à la première question posée.

Sur les dépens

45 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

 Dans des circonstances telles que celles au principal où, sur le fondement d’un brevet protégeant un principe actif novateur et d’une autorisation de mise sur le marché d’un médicament contenant celui-ci en tant que principe actif unique, le titulaire de ce brevet a déjà obtenu, pour ce principe actif, un certificat complémentaire de protection lui permettant de s’opposer à l’utilisation dudit principe actif seul ou en combinaison avec d’autres principes actifs, l’article 3, sous c), du règlement (CE) no 469/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 6 mai 2009, concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, sur le fondement du même brevet, mais d’une autorisation de mise sur le marché ultérieure d’un médicament différent contenant ledit principe actif en composition avec un autre principe actif, lequel n’est pas, en tant que tel, protégé par ledit brevet, le titulaire de ce même brevet obtienne un second certificat complémentaire de protection portant sur cette composition de principes actifs.