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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 14 septembre 2022, n° 21/18068

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Suisse, Monsieur Le Directeur Général De L'institut National De La Propriété Industrielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douillet

Conseillers :

Mme Barutel, Mme Bohée

Avocats :

Me Pecnard, Me Capely

INPI, du 16 sept. 2021, n° OPP21-1136

16 septembre 2021

Vu la décision du 16 septembre 2021 par laquelle le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) a rejeté l'opposition formée le 11 mars 2021 par la société de droit suisse CARTIER INTERNATIONAL à l'encontre de la demande d'enregistrement n° 4 715 491 déposée par M. [S] [L] portant sur le signe verbal 'FUTPANTHER ' ;

Vu le recours formé le 15 octobre 2021 contre cette décision par la société CARTIER INTERNATIONAL ;

Vu l'avis adressé le 23 novembre 2021 par le greffe à la société CARTIER INTERNATIONAL pour lui demander de faire signifier sa déclaration de recours à M. [S] [L], celui-ci n'ayant pas constitué avocat ;

Vu la convocation à l'audience du 24 mai 2022 adressée par le greffe au directeur général de l'INPI, à la société CARTIER INTERNATIONAL et au ministère public le 23 novembre 2021 ;

Vu les observations écrites du directeur général de l'INPI transmises le 9 février 2022 ;

Vu les dernières conclusions numérotées 2 transmises par la société CARTIER INTERNATIONAL le 6 mai 2022 ;

Vu l'absence de constitution d'avocat de M. [S] [L] à qui la société CARTIER INTERNATIONAL a fait signifier, le 13 décembre 2021, son acte de recours, l'acte de signification contenant les informations prévues à l'article R. 411-26 du code de la propriété intellectuelle et la signification ayant été faite à personne ;

La société CARTIER INTERNATIONAL et la représentante de l'INPI entendues en leurs observations orales reprenant leurs écritures ; le ministère public entendu en ses réquisitions ;

SUR CE :

M. [S] [L] a déposé, le 23 décembre 2020, la demande d'enregistrement n° 4 715 491 portants sur le signe verbal 'FUTPANTHER', destiné à distinguer les produits suivants en classe 25 : 'Vêtements ; chaussures ; chapellerie ; chemises ; vêtements en cuir ; ceintures (habillement) ; fourrures (vêtements) ; gants (habillement) ; foulards ; cravates ; bonneterie ; chaussettes ; chaussons ; chaussures de plage ; chaussures de ski ; chaussures de sport ; sous-vêtements'.

Le 11 mars 2021, la société CARTIER INTERNATIONAL a formé opposition à l'enregistrement de cette marque sur la base de sa marque complexe internationale 'PANTHERE', enregistrée le 4 juin 1984, régulièrement renouvelée sous le n° 486 170 et désignant la France, sur le fondement du risque de confusion. Cette marque couvre notamment les produits suivants en classe 3 : 'Parfumerie, cosmétiques, à savoir lotions et crèmes pour le corps'.

Pour rejeter l'opposition de la société CARTIER INTERNATIONAL, le directeur général de l'INPI a estimé notamment que le signe verbal contesté était faiblement similaire à la marque complexe antérieure et que les produits concernés par l'un et l'autre signe n'étaient pas similaires, n'ayant pas les mêmes nature, fonction et destination, ne répondant pas aux mêmes besoins et ne visant pas la même clientèle, et, qu'en conséquence, il n'existait pas de risque de confusion entre les signes.

La société CARTIER INTERNATIONAL demande à la cour :

- de la déclarer recevable et bien fondée en son recours ;

- d'annuler la décision du 16 septembre 2021 rendue par le directeur général de l'Institut National de la Propriété Industrielle, en ce qu'elle a rejeté son opposition formée à l'encontre de la demande d'enregistrement de marque verbale française « FUTPANTHER » n° 4 715 491 dont est titulaire M. [L], déposée le 23 décembre 2020 et publiée le 15 janvier 2021, pour des produits de « Vêtements ; chaussures ; chapellerie ; chemises ; vêtements en cuir ; ceintures (habillement) ; fourrure (vêtements) ; gants (habillement) ; foulards ; cravates ; bonneterie ; chaussettes ; chaussons ; chaussures de plage ; chaussures de ski ; chaussures de sport ; sous-vêtements » en classe 25 ;

- de condamner M. [L] aux dépens, qui seront recouvrés par Me Camille PECNARD du cabinet LAVOIX en application de l'article 699 du code de procédure civile, et à lui verser la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La requérante fait valoir que les produits en présence sont similaires dès lors qu'ils ont tous (i) la même fonction, ces produits se retrouvant sous les mêmes marques, étant vendus par les mêmes canaux en boutique ou en ligne et selon les mêmes réseaux par les mêmes fabricants, de nombreuses entreprises proposant en effet sous les mêmes marques vêtements, accessoires vestimentaires, cosmétiques et parfums, (ii) la même destination, relevant du secteur de la mode et s'adressant à la même clientèle soucieuse de son apparence physique et olfactive, l'INPI ayant distingué à tort, de façon artificielle, d'une part les « personnes désireuses de se vêtir ou parer » et d'autre part les « personnes souhaitant sentir bon, entretenir ou améliorer leur aspect physique ». Elle argue par ailleurs que, le terme PANTHERE étant distinctif alors que le terme FUT, qui désigne un pantalon en argot, ne l'est pas pour les produits en cause, les signes sont eux aussi similaires, que ce soit au plan visuel (l'absence de E dans le signe contesté étant peu visible), phonétique ou conceptuel, faisant tous deux référence au même félin, de sorte que le public français sera amené à penser que la demande d'enregistrement contestée 'FUTPANTHER' désignant des vêtements et accessoires vestimentaires constitue une déclinaison de la marque antérieure 'PANTHERE' désignant des produits similaires de parfums, cosmétiques, bijouterie, joaillerie et horlogerie. Elle ajoute que sa marque antérieure 'PANTHERE' est emblématique, comme le démontre notamment la campagne de publicité actuelle massive dans les rues de [Localité 7], et que la décision contestée de l'INPI est en contradiction avec d'autres décisions de cet institut ayant reconnu l'existence d'un risque de confusion entre les signes 'DARK PANTHER', 'AFRICAN PANTHER' et 'BLACK PANTHER' et sa marque antérieure 'PANTHERE' en cause en l'espèce.

Le directeur général de l'INPI observe que l'opposition de la société CARTIER INTERNATIONAL n'a été formée que pour les 'Parfumerie, cosmétiques, à savoir lotions et crèmes pour le corps' et non pour les autres produits visés à l'enregistrement de la marque antérieure, notamment les bijoux ; que les produits ne sont pas similaires dès lors que ceux visés par la demande d'enregistrement, majoritairement en textile ou en cuir, destinés à protéger ou parer le corps et à le vêtir, distribués principalement dans les magasins d'habillement et de prêt-à-porter et chez les chausseurs, n'ont pas la même nature que les parfums et cosmétiques, et particulièrement les lotions et crèmes pour le corps, qui relèvent des articles pour l'entretien et la beauté du corps; que tous ces produits ne possèdent pas non plus les mêmes fonctions (se vêtir et se chausser / se parfumer, nettoyer et hydrater le corps) et, ne répondant pas aux mêmes besoins, n'intéressent pas la même clientèle ; qu'en outre, tous ces produits ne sont pas issus des mêmes industries (industries de la confection et du prêt-à-porter / parfumeurs et industrie cosmétique) et empruntent des circuits de distribution distincts (magasins d'habillement et de prêt-à-porter, chausseurs / parfumeries, parapharmacies, rayons cosmétiques des grandes surfaces) ; que les différences sont encore plus flagrantes s'agissant des 'chaussures de plage ; chaussures de ski ; chaussures de sport' visées par la demande d'enregistrement, au regard de leurs usages et fonctions (marche sur le sable et pratique sportive) et de leurs circuits de distribution (magasins de sport). Il fait valoir que la thèse de la requérante selon laquelle l'ensemble des produits relève du secteur de la mode et partage une même fonction esthétique et de parement, s'adressant à une même clientèle soucieuse de son apparence physique, ne peut être suivie dès lors qu'elle retient une catégorie trop large (le domaine de la mode), en contradiction avec le principe de spécialité, et que si les consommateurs sont habitués au fait que certains opérateurs commercialisent tous les produits concernés, encore faut-il, pour qu'ils croient à leur origine commune, qu'ils soient revêtus de signes strictement identiques ou quasi-identiques, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Ceci étant exposé, en ce qui concerne la comparaison des produits en cause, il y a d'abord lieu de constater, avec l'INPI, que la société CARTIER INTERNATIONAL n'a invoqué dans le cadre de son opposition que les seuls produits 'Parfumerie, cosmétiques, à savoir lotions et crèmes pour le corps', à l'exclusion des 'Métaux précieux et leurs alliages et objets en ces matières ou en plaqué (excepté coutellerie, fourchettes et cuillers) ; joaillerie, pierres précieuses ; horlogerie et autres instruments chronométriques' également couverts par sa marque et qu'elle mentionne à tort à l'appui de son argumentation.

Par ailleurs, la similitude des produits visés par l'enregistrement de la marque antérieure et par la demande contestée doit s'apprécier en tenant compte de tous les facteurs pertinents qui caractérisent le rapport entre ces produits, en particulier leur nature, leur destination, leur utilisation ainsi que leur caractère concurrent ou complémentaire. Des produits (ou services) peuvent être similaires notamment quand ils répondent aux mêmes besoins, qu'ils ont la même destination ou finalité, lorsqu'ils sont vendus dans les mêmes lieux ou sont utilisés en complément l'un de l'autre dans le cadre d'habitudes de consommation.

En l'espèce, la société requérante produit (sa pièce 2) des extraits des sites internet des sociétés MANGO, H&M, ZARA, CHLOE, SANDRO, DIOR, CHANEL, LOUIS VUITTON, SEZANNE, CLAUDIE PIERLOT, DIESEL, BURBERRY, DOLCE & GABBANA, CALVIN KLEIN et KENZO montrant que toutes ces enseignes proposent, notamment sur internet, à la fois des produits de prêt-à-porter (vêtements), des chaussures, des sous-vêtements et des accessoires de mode, comme des sacs, des écharpes, des gants, des bonnets et des casquettes, et également des parfums et des produits de cosmétiques (crèmes, y compris pour le corps, et maquillage).

Cette diversification de leur offre par les opérateurs de la mode, qui proposent, sous une même marque, dans les mêmes espaces de vente (espaces physiques ou sur internet), des articles d'habillement et de parure mais aussi des produits de parfumerie et de cosmétique, à suffisance démontrée par les pièces produites par la requérante, et ce quel que soit le secteur considéré - luxe (DIOR, CHANEL...), moyen de gamme (SEZANNE, CLAUDIE PIERLOT, DIESEL...) ou 'fast fashion' (MANGO, H&M, ZARA) - est désormais bien connue des consommateurs.

Les produits visés par les deux signes, s'ils présentent une nature différente, relèvent tous néanmoins globalement du secteur de la mode, ont la même fonction esthétique - assurer la parure et un surcroît de séduction pour la femme et l'homme -, sont destinés à la même clientèle, soucieuse de son apparence dans son ensemble, peuvent être commercialisés, sous les mêmes marques, par les mêmes réseaux, en boutique ou en ligne, et provenir des mêmes entreprises, fabriquantes ou distributrices. Les produits sont ainsi similaires, le public étant fondé à leur attribuer une origine commune.

En ce qui concerne la comparaison des signes, le signe contesté n'étant pas la reproduction à l'identique de la marque invoquée, faute de la reproduire sans modification ni ajout en tous les éléments la composant, il convient de rechercher s'il existe entre les signes en présence un risque de confusion, incluant le risque d'association, qui doit être apprécié globalement à la lumière de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce. Cette appréciation globale doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par les marques, en tenant compte notamment des éléments distinctifs et dominants de celles-ci.

Visuellement, la marque antérieure est composée d'un élément complexe composé d'épaisses lettres majuscules noires alors que le signe contesté est purement verbal. Les signes ont en commun la séquence de 7 lettres PANTHER qui constitue la quasi-intégralité de la marque antérieure et une partie du signe contesté qui comprend 10 caractères. Ils se distinguent par la présence de la lettre finale E dans la marque antérieure et de la séquence d'attaque FUT dans le signe contesté. Cependant, comme le souligne la société requérante, la dernière lettre E de la marque antérieure est d'importance mineure, comme la séquence FUT du signe contesté qui est faiblement distinctive pour les produits d'habillement visés par ce signe, un FUT (ou FUTE ou FUTAL) étant aisément compris comme un pantalon en langage argotique (pièce 3 de l'INPI et pièce 3 de la requérante). Dans le signe contesté, le terme FUT ne vient au demeurant que qualifier le terme PANTHER et n'est pas de nature à altérer son caractère essentiel au sein du signe. La séquence commune PANTHER, distinctive pour les produits considérés, est donc prédominante.

Au plan phonétique, les signes se distinguent par leur sonorité d'attaque (PAN / FUT) et leur longueur (2 temps / 3 temps), mais ont en commun les sonorités dominantes de la séquence PANTHER qui composent (phonétiquement) l'intégralité de la marque antérieure.

Conceptuellement, ils renvoient tous deux au même félin.

L'INPI a donc à juste titre retenu dans sa décision que les deux signes présentent, pris globalement, une certaine similitude.

Les produits concernés par ces deux signes étant similaires, à tout le moins par leur fonction, leur destination et leur provenance, la similarité existante entre les signes pourra amener le consommateur moyen de la catégorie des produits en cause, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à penser que les produits qui en sont revêtus ont la même origine ou proviennent d'entreprises économiquement liées. Le risque de confusion est ainsi caractérisé.

Il y a lieu, en conséquence, d'annuler la décision du directeur général de l'INPI.

La procédure de recours contre une décision du directeur général de l'INPI ne donne pas lieu à condamnation aux dépens et à l'application de l'article 699 du code de procédure civile.

L'équité ne commande pas en l'espèce de faire droit à la demande formée par la société CARTIER INTERNATIONAL à l'encontre de M. [L] fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire,

Annule la décision du directeur général de l'INPI du 16 septembre 2021,

Rejette la demande formée par la société CARTIER INTERNATIONAL sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que le présent arrêt sera notifié par le greffe aux parties et au directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle par lettre recommandée avec accusé de réception.