CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 15 juin 2022, n° 20/03271
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
D'application des Méthodes Modernes d'Eclairage Electrique (Sté)
Défendeur :
Airfal International S.L (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Douillet
Conseillers :
Mme Barutel, Mme Bohée
Avocats :
Me Grappotte-Bénétreau, Me Monégier Du Sorbier, Me Kong Thong, Me Leloup
EXPOSÉ DES FAITS ET DU LITIGE
La Société d'Application des Méthodes Modernes d'éclairage Electrique ([P]), est une entreprise fondée en 1927, qui conçoit et commercialise des luminaires techniques à destination de l'industrie et des équipements publics et collectifs.
Elle expose que ses luminaires équipent notamment le métro parisien, la Bibliothèque nationale de France, ou encore la Cour de justice de l'Union européenne.
En 1966, la société [P] a conçu un luminaire tubulaire doté d'embouts en inox poli brillant, d'une platine en acier laqué supportant la lampe et de bandeaux de fixation en inox poli-brillant.
Elle a déposé ce luminaire tubulaire à titre de marque tridimensionnelle française le 9 septembre 2004 sous le n° 3 311 926 en classes 11, 37, 40 et 42 pour désigner les « Appareils d'éclairage, luminaires. Services d'installation, de réparation d'appareils et de luminaires, informations et renseignements dans ces domaines. Traitement de matériaux, à savoir, réalisation (coulage) de pièces destinées aux appareils d'éclairage et luminaires et l'information y relative. Services d'éclairage, à savoir conception et étude technique d'appareils d'éclairages et de luminaires dans tous les domaines et en particulier dans le domaine industriel, technique, commercial, architectural, résidentiel, paysagiste et individuel ».
La société Airfal International Sl (Airfal) est une société de droit espagnol spécialisée dans l'éclairage technique et industriel.
Courant 2016, la société [P] s'est aperçue que la société Airfal commercialisait sur son site internet à l'adresse Airfal.fr des luminaires tubulaires reproduisant, selon elle, les caractéristiques de la marque tridimensionnelle française n° 3 311 926, ce qu'elle a fait constater par un huissier de justice le 1er juin 2016.
C'est dans ces conditions que la société [P] a assigné le 31 mai 2017 la société Airfal devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de marque.
Par jugement du 17 octobre 2019 rectifié par jugement du 16 janvier 2020 dont appel, le tribunal de grande instance de Paris a rendu la décision suivante :
- Déclare nulle la marque tridimensionnelle française n° 3 311 926 dont est titulaire la société [P] ;
- Ordonne, une fois passée en force de chose jugée, la transmission de la présente décision à l'initiative de la partie la plus diligente à l'INPI aux fins de transcription sur le registre national des marques ;
- Dit qu'en commercialisant en France la gamme de luminaires tubulaires Rinox, Chemicals, Mustang, Range et Oven, la société Airfal a commis des actes de parasitisme au préjudice de la société [P] ;
- Condamne la société Airfal à payer à la société [P] la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice résultant des actes de parasitisme ;
- Rejette les demandes d'interdiction, de retrait et de publication ;
- Condamne la société Airfal à payer à la société [P] la somme de 10 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision.
La société [P] a interjeté appel de ces jugements le 13 février 2020.
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 22 novembre 2021 par la société [P], appelante et intimée incidente, qui demande à la cour, de :
- Rejeter l'appel incident et l'ensemble des prétentions de la société Airfal International ;
- Infirmer les jugements du 17 octobre 2019 et 16 janvier 2020 dont appel, sauf en ce qu'ils ont jugé que la société Airfal International a commis des actes de parasitisme au préjudice de la société [P] ;
Statuant à nouveau,
- Condamner la société Airfal International au titre de la contrefaçon de la marque tridimensionnelle n° 3 311 926 dont [P] est titulaire, du fait de la commercialisation en France des luminaires tubulaires incriminés, présentant les références Rinox, Chemical, Mustang, Oven, Glassex, Ipex, Farm, Farm Led, Frozen et Range,
- Condamner la société Airfal International au titre du parasitisme, au titre du parasitisme du fait de la commercialisation en France des luminaires tubulaires incriminés, présentant les références Rinox, Chemical, Mustang, Oven, Glassex, Ipex, Farm, Farm Led, Frozen et Range ;
- Interdire à la société Airfal International de détenir, distribuer, importer, commercialiser, utiliser en France les luminaires tubulaires incriminés sous les références Rinox, Chemical, Mustang, Oven, Glassex, Ipex, Farm, Farm Led, Frozen et Range, ainsi que sous toute référence qui leur serait substituée, sous quelque forme, de quelque manière et à quelque titre que ce soit, directement ou indirectement, par toute personne morale ou physique interposée, et ce sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- Ordonner à la société Airfal International de produire tous les documents indiquant le nombre de produits incriminés fabriqués, importés, achetés, reçus, commandés, vendus en France, ainsi que les prix de vente et d'achat de ces produits, et ce sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard, passé un délai de 8 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- Ordonner la confiscation et la remise à la société [P], dans les 8 jours de la signification de l'arrêt à intervenir et ce, sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard, des produits incriminés actuellement détenus par la société Airfal International ou par toute autre entité sur le territoire français, en vue de leur destruction sous contrôle d'huissier et aux frais de la société Airfal International,
- Ordonner la confiscation et la remise à la société [P], en vue de leur destruction sous contrôle d'huissier aux frais de la société Airfal International, de tout document, papier commercial, publicité, etc. portant une reproduction des produits incriminés ou une référence à ceux-ci et se trouvant entre les mains de la société Airfal International, ou de ses représentants ou de ses préposés sur le territoire français, et ce sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard, dans les 48 heures de la signification de l'arrêt à intervenir,
- Ordonner le retrait de toutes références et images reproduisant les produits incriminés sur tout site Internet exploité par la société Airfal International, et ce sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard, dans les 48 heures de la signification de l'arrêt à intervenir,
- Ordonner à la société Airfal International de rappeler des circuits commerciaux l'ensemble des luminaires tubulaires incriminés, et ce sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard, dans les 48 heures de la signification de l'arrêt à intervenir,
Et pour les préjudices causés,
Pour la contrefaçon de marque :
- condamner la société Airfal International à verser à la société [P] la somme 150.000 euros, à parfaire, en réparation du préjudice économique,
- condamner la société Airfal International à verser à la société [P] la somme de 100.000 euros, à parfaire, au titre du préjudice moral, soit un total de 250.000 euros, à parfaire.
Pour le parasitisme :
- condamner la société Airfal International à verser à la société [P] la somme de 3.508.038 euros, en réparation des actes distincts de parasitisme, à parfaire.
En tout état de cause,
- Ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans trois revues ou journaux au choix de la société [P] et aux frais de la société Airfal International, sans que le coût global de ces insertions puisse excéder la somme de 20.000 euros hors taxes,
- Ordonner la publication de l'arrêt à intervenir sur la page d'accueil de tout site Internet exploité par la société Airfal International pendant une durée ininterrompue de trois mois, et ce sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard dans les 48 heures de la signification de l'arrêt à intervenir,
- Dire que la cour se réservera la liquidation des astreintes ordonnées,
- Condamner la société Airfal International à verser à la société [P] la somme de 95.000 euros, quitte à parfaire, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner enfin la société Airfal International en tous les dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Anne Grappotte-B énétreau, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 21 janvier 2022 par la société Airfal, intimée et appelante incidente, qui demande à la cour de :
- Dire et juger la société [P] mal fondée en son appel ; l'en débouter ;
- Confirmer les jugements des 17 octobre 2019 et 16 janvier 2020 en ce qu'ils ont déclaré nulle la marque française tridimensionnelle n° 3.311.926 dont se déclare titulaire la société [P], et
- Ordonner la transmission de la décision, à l'initiative de la partie la plus diligente, à l'INPI aux fins de transcription sur le registre national des marques,
Recevant la société Airfal International SL en son appel, la déclarer bien fondée et y faire droit :
- Réformer les jugements du 17 octobre 2019 et 16 janvier 2020 en ce qu'ils ont cru devoir condamner la société Airfal International pour parasitisme au détriment de la société [P].
Statuant à nouveau sur ce point,
- Dire et juger que la société Airfal International par la diffusion de ses produits Rinox, Chemicals, Mustang, Range et Oven, n'a commis aucun acte de parasitisme au détriment de la société [P],
- Ordonner la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir, à la charge de la société Airfal dans trois journaux ou revues paraissant en France sans que le coû t de chacune des publications ne puisse dépasser la somme de 10.000 € HT,
- Condamner la société [P] à verser à la société Airfal International la somme de 100 000 euros par application aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la société [P] en tout dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés en application de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 mars 2022.
MOTIFS DE L'ARRÊT
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.
- Sur la validité de la marque
Sur le caractère distinctif de la marque :
La société [P] soutient que le juge de première instance s'est livré à une appréciation segmentée du signe en analysant le caractère courant de la forme tubulaire, d'une part, et de certains éléments pris individuellement, d'autre part ; que la société Airfal ne démontre pas qu'au moment du dépôt de la marque en 2004 l'impression d'ensemble du signe, produite par l'agencement revendiqué des différentes caractéristiques le constituant, était dépourvue de caractère distinctif, n'ayant versé aux débats aucun document démontrant cette absence de distinctivité ; que la forme de sa marque tridimensionnelle n'est pas exclusivement fonctionnelle ; qu'elle ne revendique pas, en soi et à titre de marque, la forme tubulaire d'un appareil d'éclairage, mais une combinaison particulière de caractéristiques, qui distingue ses produits de ceux de la concurrence et ne cherche pas à s'approprier les éléments, pris isolément, qui composent la marque tridimensionnelle invoquée ; que sa marque tridimensionnelle présente une unité hétérogène qui confère au luminaire [P] une apparence particulière et reconnaissable par le public et constitue dès lors un signe distinctif au sens du droit des marques ; que c'est à tort que la société Airfal invoque une décision de l'OHMI relative à la partie communautaire de sa marque Internationale n°854085 dès lors que cette décision ne concerne pas la marque n° 3 311 926, mais un autre enregistrement de marque ayant une portée différente ; qu'elle ne revendique pas à titre de marque la protection de l'invention couverte par le brevet français n°1 538 568 invoqué par la société Airfal, mais une marque qui porte sur un objet différent.
La société Airfal fait valoir que la marque communautaire refusée comme dépourvue de distinctivité par la chambre de recours de l'OHMI, par sa décision de du 7 juin 2007, est la marque invoquée au soutien des prétentions de la société [P] et soutient que les moyens retenus par l'office sont parfaitement transposables à la marque française. Elle fait valoir que la forme tubulaire n'a rien de distinctif pour des luminaires et demande la confirmation du jugement qui a déclaré nulle la marque tridimensionnelle.
L'article L. 711-1 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version applicable à l'espèce, énonce que peuvent constituer une marque 'les signes figuratifs tels que : (...) les formes, notamment celles du produit ou de son conditionnement (...)'
L'article L. 711-2 du même code, dans sa version applicable à l'espèce, énonce que 'le caractère distinctif d'un signe de nature à constituer une marque s'apprécie à l'égard des produits ou services désignés' et que 'Sont dépourvus de caractère distinctif :
(...)
c) les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle.
Le caractère distinctif peut, sauf le cas prévu au c), être acquis par l'usage'.
Le caractère distinctif d'une marque signifie que cette marque est apte à identifier le produit pour lequel est demandé l'enregistrement comme provenant d'une entreprise déterminée et donc à distinguer ce produit de ceux d'autres entreprises.
Il doit être apprécié à la date de son dépôt par rapport à chacun des produits ou services visés par l'enregistrement et à la perception qu'en a le public auquel la marque est destinée.
La Cour de justice, dans son arrêt Henkel C-456/01 du 29 avril 2004 (considérant 38 et 39), après avoir dit que les critères d'appréciation du caractère distinctif des marques tridimensionnelles constituées par la forme du produit lui-même ne sont pas différents de ceux applicables aux autres catégories de marques, a toutefois rappelé que, dans le cadre de l'application de ces critères, la perception du public pertinent n'est pas nécessairement la même dans le cas d'une marque tridimensionnelle, constituée par la forme et les couleurs du produit lui-même ; qu'en effet, les consommateurs moyens n'ont pas pour l'habitude de présumer l'origine des produits en se fondant sur leur forme ou celle de leur emballage, en l'absence de tout élément graphique ou textuel, et que seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et, de ce fait, remplit sa fonction essentielle d'origine n'est pas dépourvue de caractère distinctif.
En l'espèce, le public pertinent est le consommateur, particulier achetant des luminaires pour éclairer son logement, vendus dans les magasins de bricolage, de lampes et de design, ou le professionnel, architecte, industriel ou commerçant, à la recherche d'éclairage sans toutefois être un spécialiste du secteur des luminaires. Il s'agit donc d'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.
La cour constate, comme le tribunal, que la forme de luminaire déposée, ne présente pas, à la date du dépôt, des caractéristiques suffisamment inhabituelles et étrangères au domaine en cause pour frapper particulièrement l'attention du consommateur visé, un luminaire en forme de tube étant très courant depuis les 'tubes au néon' du début du 20ème siècle de sorte que le consommateur la perçoit comme l'une des formes habituelles de luminaires. Les bandeaux de fixation apparaissent comme des éléments utilitaires pour la saisie, l'installation et la fixation, et les deux embouts circulaires métalliques présentant un rebord saillant, qui ont une fonction de protection du luminaire, sont tout à fait utilitaires. Il s'ensuit que ce signe, pris dans son ensemble, constitué d'une forme imposée par la nature et la fonction du produit, et qui confère au produit sa valeur substantielle, ne diverge pas de manière suffisamment significative des luminaires tubulaires habituels pour permettre au consommateur de le percevoir comme une indication d'origine des produits.
Le tribunal doit donc être approuvé en ce qu'il a dit que le consommateur moyen de ce type de produits et services de luminaires ne peut percevoir le luminaire comme provenant nécessairement de la société Sanmode et qu'en conséquence cette marque tridimensionnelle est dépourvue de caractère distinctif.
Sur l'acquisition du caractère distinctif par l’usage :
La société [P] soutient que sa marque tridimensionnelle n'est pas exclusivement constituée par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, de sorte que le dernier alinéa de l'article L.711-2 du code de la propriété intellectuelle ne lui est pas applicable ; que le signe caractérisant la marque n° 3 311 926, du fait de son usage, est immédiatement perçu comme identifiant une origine commerciale déterminée, à savoir la société [P] ainsi que cela résulte de plusieurs articles de presse qui évoquent ce luminaire et non seulement la société [P] comme l'a relevé à tort le tribunal, ainsi que du sondage réalisé en 2016 par l'institut GECE aux termes duquel la photographie de la lampe évoque la société [P] pour 42% des personnes interrogées.
En réponse, la société Airfal soutient que la marque, constituée uniquement par la forme imposée par la nature même du produit ne peut acquérir la distinctivité par l'usage.
La cour rappelle qu'en application de l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version applicable au litige, les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle sont dépourvus de caractère distinctif, et que dans ce cas, et à titre d'exception, le caractère distinctif ne peut pas être acquis par l'usage.
En l'espèce, ainsi qu'il a été dit, le signe litigieux est constitué d'une forme imposée par la nature et la fonction des luminaires, qui confère au produit sa valeur substantielle, ses caractéristiques techniques et utilitaires étant prépondérantes dans le choix de l'acheteur qui se détermine à 95 % sur les caractéristiques techniques du luminaire (taille, forme et type de lampe, robustesse …) ainsi que le révèle le sondage versé au débat par la société [P].
Le tribunal a en conséquence jugé à juste titre que l'acquisition du caractère distinctif était en ce cas exclue.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré nulle la marque tridimensionnelle n° 311 926 dont est titulaire la société [P].
Sur les actes de parasitisme :
La société Airfal fait valoir qu'il existe des différences entre les fermetures, le système de fixation du châssis et du plateau extractible intérieur des luminaires Airfal, d'une part, et [P], d'autre part, et que ces différences excluent tout parasitisme. Elle ajoute que les investissements allégués par la société [P] sont relatifs à la totalité de ses frais de recherche et de commercialisation ; qu'ils ne sont pas sur le même marché, [P] étant sur l'ornemental tandis que la société Airfal travaille dans le secteur de l'énergie. Elle demande en conséquence l'infirmation du jugement de ce chef.
La société [P] fait valoir que la notoriété de ses produits résulte de la mise en œuvre de son savoir-faire et des investissements financiers, humains et industriels qui y sont consacrés ; qu'elle a investi depuis 1993, plus de 40 millions d'euros dans la conception, le développement, la commercialisation et la promotion de ses produits ; qu'elle estime à 23 millions d'euros la part investie dans ses luminaires tubulaires sur cette même période; que la société Airfal décline ses luminaires de manière à obtenir une gamme quasi identique à la gamme de luminaires tubulaires [P], agissements aggravés en cours de procédure par l'apparition de six nouvelles références. Elle conclut que la société Airfal détourne ainsi à son profit ses investissements, ses succès commerciaux de luminaires tubulaires et sa clientèle en proposant ses produits à des prix très bas, en pratiquant des remises atteignant plus de 60% sur les prix affichés, les rendant ainsi faussement compétitives.
La cour rappelle que le seul fait de commercialiser des produits identiques à ceux distribués par un concurrent n'est pas fautif, et que le parasitisme consiste pour un opérateur économique à tirer profit d'une valeur économique d'autrui lui procurant un avantage concurrentiel injustifié, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements, en se plaçant dans son sillage et en profitant indûment de la notoriété acquise ou des investissements consentis.
L'existence d'une situation de concurrence directe et effective entre les sociétés considérées n'est pas une condition de l'action en concurrence parasitaire qui exige seulement l'existence de faits fautifs générateurs d'un préjudice.
En l'espèce, ainsi que l'a relevé le tribunal, la société [P] justifie de ses efforts en matière de communication pour faire connaître son savoir-faire et ses produits, dont les luminaires en litige, par une abondante revue de presse relevant notamment 'le luminaire incontournable et intemporel qui fait la renommée de la marque [P]', 'modèle qui fait aujourd'hui sa renommée mondiale', 'les 50 ans de son tube emblématique', par des catalogues de présentation de ses produits et de ses réalisations, ainsi que par sa présence lors de salons, foires d'exposition et évènements. Ces éléments, auxquels s'ajoute la production d'un sondage réalisé en 2016 par l'institut GECE, qui révèle que la société [P] est connue et reconnue par un nombre significatif d'acteurs et de prescripteurs du marché, architectes, constructeurs, distributeurs (62 % de notoriété assistée, et 36 % de notoriété spontanée), établissent une valeur économique individualisée.
La cour constate en outre, comme le tribunal, que les luminaires Rinox, Chemical, Mustang, Range et Oven de la société Airfal ont une apparence quasiment identique aux différents modèles Einstein, Pascal et Pauli de la société [P], qu'ils sont déclinés dans les mêmes formats et que les gammes sont présentées de la même manière, et ce alors que la société Airfal ne justifie pas de ses investissements pour concevoir et promouvoir ses gammes de produits, et qu'elle ne bénéficie d'aucune notoriété sur le marché, seules 5 personnes soit 0,8% des 601 professionnels interrogés par l'institut de sondage, ayant déclaré connaître la société Airfal.
La société Airfal allègue enfin vainement que les sociétés en cause ne sont pas sur le même marché, alors que la concurrence directe n'est pas une condition du parasitisme, et qu'il est établi que les sociétés en cause ont les mêmes distributeurs ainsi qu'il résulte notamment du courrier de la société Lyrep, ancien agent commercial de la société [P] proposant désormais les luminaires Airfal.
Il s'ensuit que le tribunal a pertinemment jugé qu'en commercialisant les luminaires tubulaires Rinox, Chemicals, Mustang, Range et Oven la société Airfal s'était immiscée dans le sillage de la société [P] afin de bénéficier de la notoriété que cette demière tire de son savoir-faire particulier et de ses investissements, et avait donc commis des actes de parasitisme.
Le jugement doit donc être confirmé de ce chef.
Il ne sera pas fait droit en revanche à la demande de la société [P] d'étendre cette condamnation à d'autres références de luminaires commercialisées par la société Airfal à savoir, Glassex, Hipex, Farm, Farm Led, Frozen et Range, s'agissant d'autres modèles, d'autres couleurs qui ne sont pas déclinés dans une gamme et dont il n'est pas justifié de la présentation, et pour lesquels ne sont pas démontrés les éléments intentionnels fautifs de nature à caractériser le parasitisme.
- Sur les demandes de réparation
La société [P] demande la condamnation de la société Airfal à lui verser une somme correspondant à 15 % des investissements réalisés pour la conception, la promotion et la commercialisation des luminaires, soit la somme de 3 508 038 euros.
Elle sollicite en outre des mesures d'interdiction, de retrait et de publication.
La cour observe que la société [P] justifie du montant de ses investissements par une attestation de son expert-comptable commissaire aux comptes, qui ne précise pas cependant la part relevant spécifiquement des luminaires Einstein, Pascal et Pauli.
Au vu des éléments produits, le tribunal a justement apprécié à la somme de 50 000 euros le montant dû par la société Airfal au titre du préjudice économique et d'image subi par la société [P] du fait des actes de parasitisme de la société Airfal.
Il doit être également approuvé en ce qu'il a dit que cette somme répare suffisamment le préjudice, et en ce qu'il a rejeté en conséquence les mesures d'interdiction, de retrait et de publication. Ces mesures, qui sont à nouveau sollicitées en appel, seront rejetées, tout comme les mesures de confiscation, d'injonction de produire des documents et de rappel des circuits.
- Sur la demande de publication de la société Airfal
Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de publication judiciaire de la société Airfal, alors que sa condamnation sur le fondement du parasitisme a été confirmée en appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme le jugement du 17 octobre 2019 rectifié par le jugement du 16 janvier 2020 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute la société [P] de ses nouvelles demandes en appel sur le fondement du parasitisme ainsi que de ses demandes de retrait, de publication, d'injonction de communication et de confiscation,
Déboute la société Airfal de sa demande de publication judiciaire,
Condamne la société [P] aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile, et vu l'article 700 du même code, la condamne à payer à la société Airfal la somme de 6 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.