CA Rennes, 3eme ch. com., 22 octobre 2019, n° 16-02432
RENNES
Arrêt
FAITS ET PROCEDURE :
Au mois de juillet 2010, M. G. et Mme P. son épouse se sont adressés à la société Conseil Habitat dans le cadre d'un projet de construction d'une maison d'habitation.
M. et Mme G. n'ont pas retenu l'offre de la société Conseil Habitat et se sont adressés à une société concurrente pour les accompagner dans leur projet et déposer une demande de permis de construire.
Estimant que la demande de permis de construire déposée par les époux G. reprenait ses propres plans et principes de construction, la société Conseil Habitat les a assignés en dommages-intérêts pour contrefaçon.
Par jugement du 8 février 2016, le tribunal de grande instance de Rennes a :
- Déclaré recevable l'action en contrefaçon introduite par la société Conseil Habitat à l'encontre de M. et Mme G.,
- Au fond, l'en a déboutée,
- Débouté également les époux G. de leurs demandes reconventionnelles, tant en dommages-intérêts qu'au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné la société Conseil Habitat aux dépens.
La société Conseil Habitat a interjeté appel le 25 mars 2016.
La société Conseil Habitat, en liquidation amiable, a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 11 avril 2017. Par ordonnance du 4 février 2019, le juge des requêtes du tribunal de commerce de Rennes a ordonné la nomination de la société AJAssociés, prise en la personne de M. B. (la société AJA) en qualité de mandataire chargé de représenter la société Conseil Habitat dans le cadre de l'instance pendante devant la cour d'appel.
Les dernières conclusions de la société AJA, ès qualités, sont en date du 3 juillet 2019. Les dernières conclusions de M. et Mme G., qui visent bien la société AJA, ès qualités, sont en date du 6 février 2019.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 juillet 2019.
PRETENTIONS ET MOYENS :
La société AJA, ès qualités, demande à la cour de :
- Déclarer la société Conseil Habitat recevable en son appel,
- Confirmer le jugement et déclarer la société Conseil Habitat , représentée par la société AJAssociés, recevable en son action,
Réformer le jugement en ce qui l'a déboutée de ses demandes,
- Juger que la société Conseil Habitat a établi des planches et plans originaux, 'uvre de l'esprit,
- Juger que les époux G. ont fait déposer une demande de permis de construire reproduisant les plans et planches conçus par la société Conseil Habitat qui les leur avait remis,
- Juger que les époux G. ont méconnu le droit moral et les droits patrimoniaux de la société Conseil Habitat sur cette 'uvre,
- Juger en conséquence qu'ils sont responsables de la reproduction illicite des planches et plans de la société Conseil Habitat,
- Confirmer le jugement et débouter M. et Mme G. de l'ensemble des leurs demandes, fins et conclusions dirigées contre la société Conseil Habitat représentée par la société AJAssociés,
En conséquence :
- Les condamner solidairement, sauf à parfaire, au paiement d'une somme de 16.513 euros avec intérêts au taux légal qui seront capitalisés conformément aux dispositions des articles 1153 et 1154 du code civil de la date de la mise en demeure jusqu'à parfait règlement,
- Débouter M. et Mme G. de leur appel incident et de leurs demandes,
- Les condamner solidairement, au paiement d'une somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance et d'appel.
M. et Mme G. demandent à la cour de :
A titre principal,
- Réformer le jugement en ce qu'il a dit la société Conseil Habitat recevable en son action,
- Dire et juger la société Conseil Habitat irrecevable en ses demandes, fins et conclusions,
Subsidiairement,
- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Conseil Habitat de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
En tout état de cause,
- Réformer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de M. et Mme G.,
- Condamner la société Conseil Habitat à verser aux époux G. la somme de 5.000 euros en réparation de leur préjudice moral,
- Condamner la société Conseil Habitat à verser aux époux G. la somme de 6.000 euros au titre des frais irrépétibles,
- Condamner la société Conseil Habitat aux entiers dépens de première instance comme d'appel.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.
Sur la recevabilité des demandes de la société Conseil Habitat de droits d'auteur :
Une personne morale ne peut avoir la qualité d'auteur.
Elle peut cependant être titulaire de droits d'auteurs :
Article L113-2 du code de la propriété intellectuelle :
Est dite de collaboration l'oeuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques.
Est dite composite l'oeuvre nouvelle à laquelle est incorporée une oeuvrepréexistante sans la collaboration de l'auteur de cette dernière.
Est dite collective l'oeuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé.
Article L113-5
L'oeuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée.
Cette personne est investie des droits de l'auteur.
Ainsi, l'exploitation non équivoque d'une 'uvre par une personne physique ou morale, sous son nom et en l'absence de revendication du ou des auteurs, fait présumer à l'égard du tiers recherché pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l''uvre, qu'elle soit ou non collective, du droit de propriété incorporelle de l'auteur.
La présomption de la titularité des droits d'exploitation dont peut se prévaloir à l'égard du tiers poursuivis en contrefaçon la personne qui revendique être titulaire de droits d'auteur, suppose, pour être utilement invoquée, que soit rapportée la preuve d'actes d'exploitation, divulgation ou publication.
La divulgation est le droit pour l'auteur de porter son 'uvre à la connaissance du public. Il n'est pas justifié que les plans et esquisses en question ici aient été portés à la connaissance du public ou qu'ils aient été publiés. La société Conseil Habitat ne justifie pas non plus avoir exploité ces plans et esquisses auprès de tiers.
Elle se prévaut tout au plus d'un envoi de ces plans aux époux G..
Contrairement à ce que soutiennent les époux G., il apparaît à l'examen des copies d'échanges de courriels produits devant la cour d'appel qu'ils utilisaient les deux adresses internet [...] et [...]. Ils font cependant valoir ne pas avoir reçus les messages des 12 janvier 2011 et 1er mars 2011 dont se prévaut la société Conseil Habitat. Les copies d'écran imprimées produites par la société Conseil Habitat sont insuffisantes à établir que les époux G. ont bien reçu les messages en question. Le message de leur part en date du 17 mars 2011 selon lequel ils auraient bien reçu les messages de la société Conseil Habitat ne permet pas d'établir qu'ils aient bien reçu tel ou tel message en particulier.
En outre, le message du 1er mars 2011 ne vise qu'un descriptif de construction, à l'exception de tout plan ou esquisse. Le message du 12 janvier 2011 fait état de pièces jointes correspondantes à des plans et perspectives 3D, mais il n'est pas justifié quels sont les plans et perspectives qui auraient été ainsi joints et encore moins qu'il se soit agit des plans et esquisses pour lesquels la société Conseil Habitat revendique la titularité d'un droit d'auteur. Il n'est donc pas justifié d'une exploitation de ces plans et esquisses.
En l'absence de la preuve d'actes d'exploitation, divulgation ou publication, la société Conseil Habitat ne peut, en tout état de cause, pas être titulaire des droits d'auteur qu'elle revendique.
Cette absence de titularité de tels droits n'est pas une cause d'irrecevabilité de l'action de la société Conseil Habitat mais conduit au rejet de ses demandes.
Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral :
Il n'est pas justifié que la société Conseil Habitat ait agi en justice dans un but autre que celui de faire valoir ses droits en justice. Les photographies de la propriété G. produites en justice concernent avant tout la maison en construction et ne comportent aucun élément afférent à leur vie privée. Les époux G. ne justifient par ailleurs pas du préjudice moral qu'ils invoquent.
Les demandes de dommages-intérêts présentées par les époux G. seront rejetées.
Sur les frais et dépens :
Il y a lieu de condamner la société Conseil Habitat aux dépens d'appel et à payer à M. et Mme G. la somme globale de 6.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour :
- Confirme le jugement,
Y ajoutant :
- Condamne la société AJAssociés, prise en la personne de M. B., en sa qualité de mandataire de la société Conseil Habitat, à payer à M. et Mme P. son épouse la somme globale de 6.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne la société AJAssociés, prise en la personne de M. B., en sa qualité de mandataire de la société Conseil Habitat, aux dépens d'appel.