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Décisions

CA Bourges, ch. civ., 6 janvier 2022, n° 20/01133

BOURGES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Zanni (SCP), CMPG (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Waguette

Conseillers :

M. Perinetti, Mme Ciabrini

Avocat :

SCP Gérigny et Associés

TJ Bourges, du 23 nov. 2020

23 novembre 2020

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon jugement rendu le 28 octobre 2019, la SCI CMPG, dont les deux associés co-gérants sont Mme X et M. Y, a été placée en redressement judiciaire.

Par requête en date du 20 août 2020, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bourges a sollicité l'éviction de M. Y sur le fondement des articles L. 631-19-1 et R. 631-34-1 du code de commerce, demandant ainsi au tribunal de désigner un expert pour déterminer le prix de cession de ses parts sociales.

Par jugement rendu le 23 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Bourges a prononcé l'éviction de M. Y de ses fonctions de gérant de la SCI CMPG, ordonné la cession des parts sociales détenues par celui-ci dans le capital de ladite société, dit que le prix de cession serait établi à dire d'expert et a désigné ainsi Monsieur Z pour ce faire.

M. Y a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée le 7 décembre 2020.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 26 juillet 2021, l'appelant demande à la cour de :

Vu les articles L. 631-19 et suivants du Code de commerce,1851 du Code Civil et l'article 41 alinéa 4 de la loi du 29 juillet 1881,

Le déclarer recevable et fondé en son appel,

Infirmer le jugement rendu le 7 décembre 2020 par le Tribunal Judiciaire de Bourges en l'ensemble de ses dispositions,

Et, en conséquence,

In limine litis,

Voir écarter des débats les messages et supprimer les écrits dans les conclusions adverses injurieuses et diffamatoires,

Débouter Monsieur W et Madame X de leur demande d'éviction de M. Y de son statut de co-gérant de la SCI, CMPG et l'obligeant à céder ses parts sociales déterminées. en valeur sur désignation d'un expert immobilier ;

Condamner Mme X tant au paiement d'un article 700 du Code de Procédure Civile à devoir à Monsieur Y à concurrence de la somme de 1.500 €, ainsi qu'aux entiers dépens.

Au soutien de son appel, il fait essentiellement valoir que contrairement à ce que retient le premier juge, il a participé aux charges pour des sommes non négligeables, qu'il occupe légitimement l'immeuble qui a toujours constitué son domicile conformément aux statuts et qu'il ne peut être soutenu que sa séparation d'avec Mme X démontre la perte de l'affectio societatis.

Il en déduit qu'il n'existe aucune cause légitime, au sens de l'article 1851 du code civil, pour le voir destitué de son mandat de co-gérant

Par dernières conclusions signifiées le 24 septembre 2021, Mme X, la SCI CMPG , ainsi que la Selarl AJ UP et la SCP Olivier ZANNI agissant respectivement en qualité de mandataire et d'administrateur au redressement judiciaire de la SCI CMPG, demandent à la cour de :

Dire l'appel de Monsieur Y mal fondé et l'en débouter,

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Bourges le 23 novembre 2020 (RG 20/00851) et notamment en ce qu'il a :

« PRONONCÉ l'éviction de Monsieur Y de ses fonctions de gérant de la SCI CMPG immatriculée au RCS de Bourges sous le numéro 822388229 dont le siège social se situe <adresse> ;

Ordonné la cession des parts sociales détenues par Monsieur Y dans le capital de ladite société ;

DIT que le prix de cession sera établi à dire d'expert ;

DÉSIGNE Monsieur Z <adresse> pour y procéder » ;

Condamner Monsieur Y au paiement de la somme de 3.000,00 titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile au bénéfice de la SCI CMPG, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.

Ils prétendent pour l'essentiel que les rapports de l'administrateur judiciaire en cours de période d'observation démontrent la disparition de l'affectio societatis entre les co-gérants qui ont acquis l'immeuble, au travers de la SCI, dans le but d'un usage commun statutairement prévu mais devenu impossible et sans que M. Y ne respecte son obligation de participer pour moitié aux charges, s'opposant par principe aux solutions proposées notamment au plan de redressement dont la mise en oeuvre suppose incontestablement l'éviction de M. Y qui continue à occuper seul et gracieusement l'immeuble de la SCI en contradiction manifeste avec ses statuts.

Ils soutiennent que M. Y profite de l'état de faiblesse de Mme X, souffrant d'un cancer, se répand en calomnies auprès de Mme X sur son avocat et continue à refuser toute proposition sans en formuler aucune autre, manifestant ainsi l'absence de tout affectio societatis.

Par conclusions écrites du 4 octobre 2021, dont les parties ont eu communication par le RPVA, le ministère public a conclu à la confirmation de la décision faisant valoir qu'il est acquis qu'il n'existe plus à cette société d'affectio societatis, que seule Madame X a présenté un plan de redressement et a participé au paiement des charges courantes, tandis que Monsieur Y présente une attitude de blocage se manifestant notamment par le refus de ce dernier de faire visiter le bien immobilier par les agences immobilières saisies du dossier.

Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux conclusions des parties ci-avant évoquées pour plus ample informé des prétentions et moyens qu'ils développent.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 octobre 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur les demandes liminaires de M. Y.

M. Y sollicite liminairement voir écarter des débats les messages échangés entre les parties qui seraient détournés de leur contexte, voire faussés en n'en produisant qu'une partie.

Cependant il suffit de lire les messages versés aux débats pour comprendre que non seulement ils ne sont pas hors contexte mais au contraire suffisamment explicites sur le contexte conflictuel qui pouvait exister et qu'encore ils ne sont pas plus produits partiellement puisque chacun se termine soit par une signature soit par une formule démontrant que le message est terminé.

Il n'y a donc pas lieu d'écarter ces pièces des débats.

M. Y prétendait encore à la suppression de partie des conclusions adverses en ce qu'elles contiennent des termes injurieux, outrageants ou diffamatoires tels que "détraqué intellectuel, harceleur, pervers et auteur d'abus de faiblesse sur la personne de Mme X".

La cour renvoie à la lecture des nombreux messages envoyés à Mme X, atteinte d'un cancer, par M. Y pour expliquer les termes employés dans les conclusions et citera en exemple :

- Message du 17 septembre 2019 : X, comme tu me sembles plutôt accroc aux procédures je vais t'en sortir une nouvelle. Je ne peux pas porter plainte pour abus de faiblesse contre ton conseil car seules les victimes peuvent le faire, mais rien ne m'interdit de le signaler au Procureur de la République de Clermont et je ne vais pas m'en priver, il aura donc deux enquêtes aux fesses...

- Message du 22 juillet 2019 : Ma pauvre X j'ai pris des renseignements sur ton conseil...celui qui a un nom de J... industrielle italienne. Eh oui, je n'aime pas les macaronis...mais rien d'exceptionnel puisque je suis homophobe, raciste, antisémite, macho etc...

- Message du 25 juillet 2019 avec pour sujet Message d'outre-tombe : Bien que tu sois morte, je vais continuer à faire ce que font beaucoup de gens dans les cimetières, je vais te parler sur ta tombe.... Demain ou plus tard, je t'enverrai un doc. que je trouve très drôle destiné à tous les confrères de M. J... concernant sa nouvelle activité de Conseiller conjugal. J'imagine que les avocats de Clermont, qui ne l'apprécient pas, 100%, vont bien rigoler. Toi aussi - Biz à un fantôme.

- Message du 25 juillet 2019 envoyé 7 minutes après le précédent : Beurk, ce n’est pas agréable de faire une bise à une morte, c'est tout glacé !

- Message du 10 août 20219 : Je te confirme mon message téléphonique de ce matin. J'exige d'avoir des exemples d'invectives que j'aurais proférées à ton encontre sous 48h00. Si lundi 12h00, tu n'as pas voulu daigner me répondre, je déposerai plainte pour diffamation. J'utilise à dessin le même français approximatif et lourdingue que ton conseil pour bien me faire comprendre. S'il est vraiment avocat, je me pose la question, ce sera pour lui une circonstance aggravante.

- Message du 12 août 2019 :... La plainte est signée, il va donc falloir que tu apportes à Marcel les preuves de tes allégations. Mais là ce n'était que le premier tout petit missile. J'en ai énormément en réserve. Quand je déciderai de déclencher le feu nucléaire, ton conseil se retrouvera en slip et tout grillé comme une merguez oubliée sur un BBQ SERAIT-CE une nouvelle invective''''' Conserve, elle a te servir. Je suis certain d'amuser le juge, bien que leur sens de l'humour ne soit pas leur qualité première...

- Message du 9 décembre 2019 : ... er qqs euros dans une affaire de merde - Il est probablement à la rue. Tu ne te rends pas compte que tu te fais arnaquer - Nous irons en prison tous les deux, pas grave pour moi ça me fera des vacances.

- Message du 26 octobre 2020 : A mettre dans les messages de harcèlement. Un de plus ou de moins... Si j'avais su dans quelle galère je m'embarquais avec toi, comme tout le monde me le dit autour de moi, j'aurais mieux fait de me casser une jambe plutôt que de te rencontrer. Au moins je serais guéri. Je savais que tu étais borderline mais à ce point ! Pas grave, tu as mis le sujet devant les tribunaux, je ferai tout pour que tu le regrettes. Rappelle-toi Bordas ! Tu as la mémoire courte...

- Message du 6 août 2019 : Eh oui Doudou, sur ton lit de mort tu te diras je l'ai bien fait chier ce gros connard ! Tu vas en retirer quoi ? Tu n'es pas immortelle, personne. Tu vas te complaire longtemps dans les conflits. J'y répondrai, avec beaucoup de regrets, mais tout ça te mène où ? Vers la tombe comme tout le monde ! Vis, ne t'emmerde pas, avec qui tu veux, sans moi, je le regrette mais VIS !!! Tu pues la mort...

- Message du 9 décembre 2019 : ta perruque est très moche ! Si j'avais été là pour te conseiller...

- Message non daté : Le combat devant les tribunaux continue et je vais tout gagner ! Prends soin de toi et surtout, surtout, n'arrête jamais ton traitement ! Ce qui est la prochaine étape de ton lavage de cerveau... N'hésite pas à envoyer mes messages à Mercier, le plus nul des avocats de Bourges, totalement sous alcool, mégalomane, je me suis renseigné ! Je me suis aussi renseigné sur son cursus universitaire. Il a redoublé quasi toutes les années à la fac de Clermont. Pour autant il ne savait pas qu'une SCI ne pouvait posséder de biens meubles. Ce mec est une bête en droit.

Au regard des propos tenus dans ces divers messages à l'égard d'une femme atteinte d'un cancer et en situation de faiblesse ainsi qu'à l'égard de ses conseils, il n'apparaît pas que les termes employés dans les conclusions pour décrire l'auteur de tels messages soient diffamatoires, injurieux ou outrageants.

La demande de M. Y sera rejetée.

Sur l'éviction du gérant.

Il sera liminairement fait observer que le fondement juridique de l'éviction du gérant ne repose pas sur les articles 1851 et 1844-7 5° du code civil dont se prévaut M. Y, mais uniquement sur les dispositions de l'article L. 631-19-1 du code de commerce qui sont spécifiques aux procédures collectives et dérogatoires du droit commun.

Aux termes de l'article L. 631-19-1 du code de commerce lorsque le redressement de l'entreprise le requiert, le tribunal, sur la demande du ministère public, peut subordonner l'adoption du plan au remplacement d'un ou plusieurs dirigeants de l'entreprise.

Ainsi, le seul critère devant justifier et motiver l'éviction du dirigeant est celui de sa nécessité pour permettre le redressement de l'entreprise.

En l'espèce, Mme X, co-gérante de la SCI avec M. Y, a été la seule à déclarer la cessation des paiements ce que lui reproche l'appelant en prétendant qu'elle n'était pas nécessaire, ce qui justifierait son désintérêt pour la procédure et ses effets que Mme X devrait supporter seule.

Toutefois, d'une part Mme X n'a fait que déclarer la cessation des paiements et c'est le tribunal qui a pris la décision d'ouvrir le redressement judiciaire de la SCI CMPG après avoir constaté l'insuffisance de son actif disponible pour faire face au passif exigible.

Les déclarations de créances ultérieures démontrent la réalité de la situation de cessation des paiements.

D'autre part, si M. Y estimait qu'une telle décision n'était pas justifiée, il lui appartenait de la contester en régularisant un appel, ce dont il s'est pourtant abstenu.

Le rapport de l'administrateur judiciaire de la SCI, en date du 9 juin 2021, et les pièces versées aux débats démontrent que :

- Mme X a seule déposé un projet de plan de redressement de la société, ce dont M. Y ne disconvient pas en le justifiant par le fait qu'il ne serait pas concerné puisque l'ouverture de la procédure ne résultait que de la seule initiative de Mme X.

M. Y oublie qu'en sa double qualité d'associé à 50 % et de co-gérant de la SCI il se trouvait nécessairement concerné par son devenir.

- Durant la période d'observation, il a été demandé aux deux associés de participer à due concurrence aux charges de fonctionnement de la SCI et si Mme X a bien effectué des versements, M. Y s'est opposé à ces demandes à l'exception du paiement d'une quote-part de taxe foncières et, s'il prétend avoir payé seul les factures du couvreur et du chauffagiste, il ne verse cependant aux débats aucune pièce en justifiant.

- M. X, bien qu'ayant exprimé un accord pour la vente amiable de l'immeuble propriété de la SCI, n'a jamais donné suite aux demandes des agences immobilières pour faire visiter les lieux renvoyant vers Mme X le soin de prendre en charge seule les démarches liées à la procédure dont elle est à l'origine. Pourtant M. Y occupe seul l'immeuble de la SCI et le ressentiment qu'il exprime par ses SMS ou courriels envers Mme X ne laisse absolument pas supposer qu'il lui aurait permis d'effectuer une quelconque visite.

- M. X occupe seul et gratuitement l'immeuble de la SCI en se prévalant, à tort, des statuts de la société qui le lui permettraient.

En effet, si l'article 2 des dits statuts prévoient qu'' à titre exceptionnel les associés bénéficieront de la jouissance gratuite du logement détenu par la société constituant la résidence principale de ces derniers', M. X fait une mauvaise interprétation du texte en considérant qu'il peut seul bénéficier de la clause, alors que tant la nature de la SCI, à vocation familiale, que le libellé et l'esprit de l'article 2 démontrent que seule une occupation conjointe par les deux associés était possible et non pas une occupation exclusive et gratuite d'un seul des associés qui aurait pour effet de léser l'autre.

La survie de la SCI supposait soit la vente de son immeuble soit sa libération aux fins éventuelles de le louer pour en tirer des revenus permettant l'adoption d'un plan de redressement, or il s'évince de ce qui précède que M. Y s'oppose manifestement à la vente en refusant les visites préalables et s'oppose tout autant à une location en arguant à tort de son droit d'occuper gratuitement l'immeuble.

En outre, il apparaît clairement des pièces versées aux débats que M. Y se désintéresse de la SCI, empêche son redressement par son inaction et n'est plus animé d'aucun affectio societatis, son seul objectif étant l'occupation gratuite de l'immeuble de la SCI.

Sa qualité de co-gérant et d'associé égalitaire constitue dès lors une entrave au redressement qui justifiait l'éviction prononcée par le tribunal et ses conséquences.

La décision entreprise sera donc confirmée en toutes ses dispositions et, y ajoutant, M. Y sera condamné aux dépens de l'instance d'appel ainsi qu'à payer à la SCI la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirmes-en toutes ses dispositions le jugement entrepris rendu le 23 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Bourges,

Y ajoutant :

Déboute M. Y de toutes ses demandes,

Condamne M. Y aux dépens de l'instance d'appel ainsi qu'à payer à la SCI CMPG la somme de 3.000 euros par application, en cause d'appel, des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.