Cass. com., 9 janvier 2019, n° 17-23.223
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Avocats :
SCP Delvolvé et Trichet, SCP Ohl et Vexliard
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 juin 2017), que les titres de la société H... C..., devenue Foncière Paris Nord (la société), ayant pour objet la gestion d'actifs immobiliers, sont cotés sur le compartiment C d'Eurolist Paris ; qu'au 1er janvier 2009, le capital de la société était détenu par M. Y... et la société Lado, à hauteur respectivement de 0,06 % et 37,64 %, le premier étant l'actionnaire de référence de la seconde ; qu'en 2008 et 2009, M. X... était le président-directeur général de la société, M. Y... étant membre du conseil d'administration ; que le 31 août 2009, la société a informé le marché du départ d'un locataire de ses bureaux, avec lequel elle réalisait près de 25 % de son chiffre d'affaires, ainsi que des conséquences produites sur le taux de vacance de ses locaux et la perte de son chiffre d'affaires ; que le 27 janvier 2010, après l'ouverture par le secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers (l'AMF) d'une enquête sur « l'information financière et le marché du titre H..., et de tout titre qui lui serait lié, à compter du 1er décembre 2008 », les enquêteurs de l'AMF se sont rendus au siège de la société H..., ont remis à M. X... une liste de personnes dont ils souhaitaient recueillir les messageries électroniques et ont mis sous séquestre les messageries des personnes visées ; que le 24 février 2010, ils ont procédé à la saisie des messages obtenus par le biais de recherches par mots-clés et sondages dans les messageries électroniques mises sous scellés ; qu'à l'issue de l'enquête, suivie d'une notification de griefs par le collège de l'AMF, la Commission des sanctions de cette Autorité a, par une décision du 5 juin 2013, prononcé des sanctions pécuniaires contre la société et MM. X... et Y... ; que parallèlement à la procédure de sanction, la société et M. X..., soutenant que les visites et saisies diligentées les 27 janvier et 24 février 2010 au siège de la société constituaient des voies de fait, ont, le 30 avril 2012, assigné l'AMF en annulation de ces visites et saisies ainsi que des actes d'enquête subséquents, et en restitution des pièces saisies ; que M. Y... est intervenu volontairement à l'instance à titre principal ;
Sur le second moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches :
Attendu que la société et MM. X... et Y... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes alors, selon le moyen :
1°/ que constitue une voie de fait l'usage fait d'un droit de communication, tel celui prévu par l'article L. 621-10 du code monétaire et financier, dans des conditions de nature à porter atteinte aux droits de la défense et notamment au droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination ; que portent atteinte à cette liberté, garantie dès le stade de l'enquête, l'accès à des locaux professionnels et la communication de documents dans des conditions qui n'excluent pas que la personne visitée contribue à sa propre incrimination ; que ne disposent pas du droit effectif de s'opposer à l'accès aux locaux professionnels et de refuser de communiquer aux enquêteurs et contrôleurs, tout document, quel qu'en soit le support, les personnes qui encourent pour ces faits d'opposition et de refus une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à deux ans, ainsi qu'une sanction pécuniaire pouvant atteindre la somme de 300 000 euros ; qu'en retenant néanmoins, pour juger que le droit de ne pas s'auto-incriminer n'avait pas été méconnu lors de la mise en oeuvre du droit de communication, qu'aucune contrainte n'avait pesé sur M. X... lorsqu'il avait permis aux enquêteurs d'accéder aux locaux, ainsi que d'avoir accès aux documents contenus dans des supports informatiques, dès lors qu'il conservait le droit de s'opposer aux demandes des enquêteurs, la cour d'appel, qui s'est déterminée au regard d'un droit rendu illusoire par les menaces de sanctions, a violé l'article L. 621-10 du code des marchés financiers, ensemble les articles 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 48 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
2°/ que constitue une voie de fait l'usage fait d'un droit de communication, tel celui prévu par l'article L. 621-10 du code monétaire et financier, dans des conditions de nature à porter atteinte aux droits de la défense et notamment au droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination ; qu'aux termes de l'article L. 642-2 du code monétaire et financier, les sanctions attachées au délit d'entrave sont prononcées à raison du seul comportement consistant à « mettre obstacle à une mission de contrôle ou d'enquête de l'Autorité des marchés financiers » ; qu'en retenant que la menace de sanctions légalement prévues pour ces faits ne constituait pas une contrainte de nature à priver la personne visitée de la possibilité de s'opposer aux demandes d'accès et de communication des enquêteurs dans la mesure où de telles sanctions étaient prononcées au terme d'une appréciation portée par le juge pénal sur les éléments constitutifs et le prononcé des sanctions encourues, la cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant, privant sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-10 du code des marchés financiers, ensemble les articles 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 48 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
3°/ qu'à la supposer réelle, la garantie résultant du droit, pour les personnes sollicitées, de s'opposer aux demandes de communication fondées sur l'article L. 621-10 du code monétaire et financier n'est effective qu'à la condition de leur avoir été préalablement notifiée et qu'elles aient été en mesure de l'exercer ; qu'en retenant, pour considérer que les investigations menées par les enquêteurs ne portaient pas atteinte, dans leur mise en oeuvre, aux droits de la défense des personnes sollicitées et notamment à leur droit de ne pas contribuer à leur propre incrimination, qu'aucune disposition légale n'imposait aux enquêteurs d'informer la personne concernée de son droit de ne pas communiquer les pièces sollicitées, la cour d'appel a violé les articles 6, § 1 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Mais attendu que le droit reconnu aux enquêteurs et contrôleurs de se faire communiquer tous documents, quel qu'en soit le support, prévu par les dispositions de l'article L. 621-10 du code des marchés financiers, tend à l'obtention non de l'aveu de la personne contrôlée, mais de documents nécessaires à la conduite de l'enquête de l'AMF ; qu'ayant retenu que les deux visites s'étaient limitées à la remise de documents électroniques et n'avaient donné lieu à aucune audition, la cour d'appel en a exactement déduit qu'il n'avait pas été porté atteinte au droit de M. X... et de la société de ne pas contribuer à leur propre incrimination ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur ce moyen, pris en ses neuvième et dixième branches :
Attendu que la société et MM. X... et Y... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes alors, selon le moyen :
1°/ que constitue une voie de fait l'usage fait d'un droit de communication, tel celui prévu par l'article L. 621-10 du code monétaire et financier, dans des conditions de nature à porter atteinte aux droits de la défense et notamment le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, au respect de la vie privée et au secret des correspondances ; que les enquêteurs de l'AMF ne peuvent se faire communiquer tous documents que pour les nécessités d'une enquête définie, sauf à porter une atteinte disproportionnée aux droits de la défense, au principe du respect de la vie privée et du secret des correspondances ; qu'ainsi que le faisaient valoir M. X... et la société Foncière Paris Nord dans leurs conclusions d'appel, l'objet de l'enquête pour les besoins de laquelle le droit de communication avait été mis en oeuvre portait sur « l'information financière et le marché du titre H... C..., et de tout autre titre qui lui serait lié, à compter du 1er décembre 2008 », de telle sorte que les enquêteurs ne pouvaient appréhender de documents portant sur une période antérieure à celle précisée par l'objet de l'enquête tel que communiqué aux personnes sollicitées ; qu'en jugeant néanmoins régulière la remise de documents portant sur une période antérieure au 1er décembre 2008, la cour d'appel a consacré une atteinte disproportionnée aux droits de la défense et au principe de loyauté des preuves, au principe du respect de la vie privée et du secret des correspondances, violant ainsi les articles 6 § 1 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
2°/ que constitue une voie de fait l'usage fait d'un droit de communication, tel celui prévu par l'article L. 621-10 du code monétaire et financier, dans des conditions de nature à porter atteinte aux droits de la défense et notamment au droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, au respect de la vie privée et au secret des correspondances ; qu'ainsi que le faisait valoir M. X... et la société Foncière Paris Nord dans leurs conclusions d'appel, l'objet de l'enquête pour les besoins de laquelle le droit de communication avait été mis en oeuvre portait sur « l'information financière et le marché du titre H... C..., et de tout autre titre qui lui serait lié, à compter du 1er décembre 2008 », de telle sorte qu'à supposer que M. X... eût donné son consentement à la remise de documents le 27 janvier 2010, ce consentement ne pouvait porter sur des documents antérieurs au 1er décembre 2008 qui n'en avaient pas moins été appréhendés par les enquêteurs ; qu'ainsi, en retenant que M. X... avait consenti de manière non équivoque à la remise de ces documents pourtant non inclus dans le périmètre de l'enquête tel que porté à la connaissance de la personne sollicitée, la cour d'appel méconnu droits de la défense et le principe de loyauté des preuves, ainsi que le principe du respect de la vie privée et du secret des correspondances, violant ainsi les articles 6 § 1 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Mais attendu que l'arrêt énonce à bon droit que la date portée sur l'ordre de mission des enquêteurs permet de déterminer le point de départ de la période pendant laquelle les manquements sont pris en compte, mais non la date des éléments qui permettent d'en rapporter la preuve, et que les enquêteurs sont en droit d'exploiter les documents ainsi obtenus qui se révèlent utiles à leur mission, dès lors qu'ils ont un rapport avec l'objet de l'enquête, lequel avait été porté à la connaissance des personnes concernées ; qu'il retient que les pièces antérieures à la période des manquements invoqués, que les enquêteurs avaient recueillies, étaient en rapport avec l'objet de l'enquête en ce qu'elles concernaient les ordres du jour du comité de direction dénommé « Acanthe » dont la société faisait partie, qu'entre 2008 et 2009, les sociétés foncières H..., ADC et Acanthe étaient gérées par le même groupe de personnes, dont MM. X... et Y..., et que ce comité de direction commun se réunissait une à trois fois par mois pour évoquer les questions relatives à la gestion de leurs portefeuilles immobiliers ; que la cour d'appel en a exactement déduit qu'il ne pouvait être reproché aux enquêteurs une atteinte au principe de loyauté ni aux autres droits et principes invoqués par le moyen ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen ni sur le second moyen, pris en ses quatrième, cinquième, sixième, septième et huitième branches, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.