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Décisions

Cass. com., 3 mai 2016, n° 13-27.655

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Avocats :

Me Le Prado, SCP Ortscheidt

Bordeaux, du 22 avr. 2013

22 avril 2013

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 22 avril 2013), que la société Hassan Ali Rice Export Company (la société Harec), établie au Pakistan, a vendu à la société Ovlas Trading une certaine quantité de riz qui a été revendue à la société Royal Bow Co Ltd (la société Royal Bow), établie au Ghana, puis transportée par navire du Pakistan au Ghana ; que les autorités ghanéennes ayant interdit l'importation de la marchandise, la société Royal Bow a obtenu du président du tribunal de commerce de Bordeaux la désignation en référé d'un expert, qui a conclu que les denrées ne présentaient pas les caractéristiques convenues et que des désordres étaient survenus au cours du déchargement ; que les sociétés Ovlas Trading et Royal Bow ont assigné la société Harec afin d'obtenir l'indemnisation de leur préjudice ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Ovlas Trading et la société Royal Bow font grief à l'arrêt de déclarer l'action de la société Ovlas Trading irrecevable pour défaut d'intérêt à agir alors, selon le moyen, que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action et l'existence d'un préjudice, ou d'un droit invoqué par le demandeur, n'est pas une condition de recevabilité de son action mais de son succès ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 31 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant relevé que la société Ovlas Trading, qui avait revendu à la société Royal Bow le riz acheté à la société Harec, n'en était plus propriétaire et ne justifiait pas d'une réclamation de la société Royal Bow ou du versement à celle-ci d'une indemnité, la cour d'appel en a exactement déduit, sans subordonner son intérêt à agir à la démonstration préalable du bien-fondé de son action, qu'elle ne rapportait pas la preuve de son intérêt à agir contre la société Harec ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la société Ovlas Trading et la société Royal Bow font grief à l'arrêt de déclarer inopposable à la société Harec le rapport d'expertise du 3 mars 2008 et de rejeter les demandes de la société Royal Bow à l'encontre de la société Harec alors, selon le moyen :

1°/ qu'en se prononçant comme elle l'a fait, motif pris que la facture relative à la vente de riz en date du 18 février 2005 entre la société Ovlas Trading et Royal Bow mentionnait des sacs de 25 kg, de sorte qu'il s'agissait d'un riz provenant d'un autre vendeur que la société Harec, après avoir pourtant relevé, d'une part, que le connaissement relatif à la marchandise litigieuse mentionnait comme expéditeur la société Harec et comme destinataire la société Royal Bow, le sous-acquéreur et, d'autre part, que le Bureau Véritas, après inspection de la marchandise lors des opérations de chargement à Karachi, avait délivré 3 certificats datés du 21 février 2005 attestant de la qualité, la quantité et du poids des marchandises, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1134 du code civil ;

2°/ que le juge peut se fonder sur une expertise judiciaire ordonnée en référé, et à laquelle une des parties à l'instance n'a pas été appelée, à partir du moment où elle a été régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire des parties ; qu'en refusant de prendre en considération le rapport d'expertise de M. Z... en date du 3 mars 2008, rendu dans le cadre de l'instance de référé à laquelle la société Harec n'était pas partie, motif pris que celle-ci ne lui était pas opposable, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

3°/ qu'en refusant de se fonder sur le rapport d'expertise Z... en date du 3 mars 2008, issu de la mesure d'instruction décidée par la juridiction de référé à laquelle la société Harec n'était pas partie, sans rechercher s'il était corroboré par le message du Ghana Standars Board à Royal Bow, en date du 20 avril 2005, qui indiquait que la marchandise n'était pas de qualité acceptable, par le reçu des autorités ghanéennes du 25 avril 2005 déclarant la marchandise inacceptable, par le rapport d'expertise menée par le cabinet JBL Expertises en date du 18 mai 2005, confirmant un taux de brisure trop élevé, et par le rapport d'analyse de Laboratoriz, établissant également un taux de brisure trop élevé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 16 du code de procédure civile ;

4°/ que le juge est tenu de trancher le litige conformément aux règles qui lui sont applicables ; qu'en refusant de prendre en considération le rapport de la société JLB Expertises, missionné par les assureurs facultés, motif pris que la société Harec n'avait pas été appelée aux opérations techniques et notamment aux prélèvements effectués à l'arrivée du navire transportant la marchandise au Ghana, sans préciser sur quelle règle de droit elle fondait sa décision, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir constaté que M. Z... avait été désigné par un juge français pour effectuer une expertise au Ghana, l'arrêt retient que ce juge, en l'absence d'une convention d'entraide judiciaire en matière civile et commerciale applicable, devait, par application des articles 733 et suivants du code de procédure civile, procéder par voie de commission rogatoire internationale, ce qui n'avait pas été le cas ; que par ces seuls motifs, non critiqués, desquels elle a déduit que l'expertise de M. Z... n'était pas régulière, la cour d'appel, abstraction faite de tous autres motifs surabondants, a légalement justifié sa décision d'écarter cette expertise ;

Et attendu, en second lieu, que, sous le couvert de griefs non fondés de manque de base légale et de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à remettre en cause, devant la Cour de cassation, le pouvoir souverain des juges du fond qui, appréciant la valeur probante du rapport de la société JLB Expertise, des avis des autorités du Ghana et du résultat des analyses du laboratoire Laboratoriz, et sans tirer de conséquence légale des mentions de la facture de la société Ovlas sur l'emballage des denrées, ont estimé qu'il n'était pas établi que le riz examiné était celui vendu par la société Harec à la société Ovlas, la société Harec n'ayant jamais été appelée aux opérations techniques ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le troisième moyen :

Attendu que la société Ovlas Trading et la société Royal Bow font grief à l'arrêt de les condamner chacune à payer à la société Harec des dommages-intérêts pour procédure abusive alors, selon le moyen :

1°/ que la cassation à intervenir du chef de l'arrêt attaqué ayant déclaré inopposable le rapport d'expertise Vissière à la société Harec et débouté la société Royal Bow de toutes ses demandes entraînera, par voie de conséquence, celle de l'arrêt en ce qu'il a prononcé la condamnation de des sociétés Royal Bow et Ovlas Trading à payer chacune à la société Harec les sommes de 20 000 euros pour procédure abusive et 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en application de l'article 624 du code de procédure civile ;

2°/ qu'une action en justice ne peut, sauf circonstances particulières, qu'il appartient alors au juge de spécifier, constituer un abus de droit, lorsque sa légitimité a été reconnue par la juridiction du premier degré, malgré l'infirmation dont sa décision a été l'objet en appel ; qu'en statuant comme elle l'a fait, après avoir infirmé le jugement de première instance qui condamnait la société Harec à leur verser des dommages-intérêts, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé les circonstances particulières caractérisant un abus de ces dernières dans l'exercice de leur droit d'agir en justice, a violé l'article 1382 du code civil ;

3°/ que le caractère infondé d'une action en justice ne constitue pas un abus du droit d'agir en justice ; qu'en considérant que les sociétés Ovlas Trading et Royal Bow avaient abusé de leur droit d'agir en justice, motif pris qu' « en engageant, en mars 2006, à l'encontre de Harec, une procédure judiciaire qui n'était pas fondée », la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

4°/ que la longueur de la procédure ne constitue pas un abus du droit d'agir en justice ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motif pris que les sociétés Ovlas Trading et Royal Bow avaient obligé la société Harec « à subir cette procédure pendant plusieurs années », la cour d'appel a encore violé l'article 1382 du code civil ;

5°/ que les juges ne peuvent méconnaître les termes du litige ; qu'en l'espèce, aucune des parties ne faisait valoir que les sociétés Ovlas Trading et Royal Bow avaient volontairement tenu à l'écart de la procédure d'expertise judiciaire la société Harec de sorte qu'en déduisant l'abus du droit d'agir en justice des sociétés Ovlas Trading et Royal Bow de ce qu'elles l'avaient « volontairement tenue à l'écart de la procédure expertale », la cour d'appel a méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que le premier moyen ayant été rejeté, le second moyen, qui invoque une cassation par voie de conséquence, est sans portée ;

Et attendu, en second lieu, que l'article 1382 du code civil n'exclut pas qu'une cour d'appel, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, condamne à des dommages-intérêts pour procédure abusive une partie à la demande de qui il avait été fait droit en première instance, à condition de spécifier les circonstances particulières qui le justifient ; que l'arrêt retient que les sociétés Ovlas Trading et Royal Bow ont engagé à l'encontre de la société Harec, qu'elles avaient tenue à l'écart de la procédure préalable d'expertise, une procédure dépourvue de fondement en la contraignant à la subir pendant sept ans et à engager d'importants moyens humains et financiers pour y répondre ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, sans méconnaître l'objet du litige a, contrairement à l'allégation du moyen, spécifié les circonstances particulières justifiant la condamnation de la société Ovlas Trading et de la société Royal Bow à des dommages-intérêts pour procédure abusive et ainsi légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.