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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 13 octobre 2022, n° 21/01263

GRENOBLE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

[U] [T], [D] [T] née [L]

Défendeur :

[C] [I], [G] [I] épouse [H], [A] [I] épouse [R]

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Madame Marie-Pierre FIGUET

Conseillers :

Mme Marie-Pascale BLANCHARD, M. Lionel BRUNO

Avocats :

Me Cécile GABION, Me Thierry GAUTHIER

VIENNE, du 24 Déc. 2020

24 décembre 2020

EXPOSÉ DU LITIGE :

Suivant acte authentique reçu le 24 octobre 2006, Monsieur et Madame [I] ont donné à bail commercial pour une durée de 9 ans à compter du 25 octobre 2006 à Monsieur et Madame [T] sur la commune de [Localité 9] un immeuble comprenant au rez de chaussée un magasin, un laboratoire pâtisserie, un laboratoire boulangerie, un coin cuisine, trois pièces à usage de réserves, au premier étage, quatre pièces, WC, salle de bains et grenier, à usage exclusif d'exploitation d'un fonds de commerce de boulangerie, pâtisserie, confiserie, chocolat, traiteur, et ce moyennant un loyer annuel hors taxes de 7 920 euros.

Suivant acte sous seing privé en date du 30 mars 2015, Monsieur et Madame [T] ont régularisé un compromis de vente de leur fonds de commerce au prix de 168 000 euros sous différentes conditions suspensives dont celle de l'obtention par le cessionnaire de l'agrément du bailleur et de son accord pour un nouveau bail commercial de 9 années ou de son accord formel de renouvellement du bail commercial à l'issue de celui en cours, sous les mêmes charges et conditions.

Après avoir régularisé le 6 mai 2015 une procuration à Maitre [Y], avocat, aux fins d'autoriser la cession du fonds de commerce et de donner leur accord sur la régularisation d'un nouveau bail commercial de 9 années à compter de la prise de possession par l'acquéreur, Monsieur et Madame [I] lui ont fait savoir par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 17 juillet 2015 qu'ils révoquaient cette procuration faisant ainsi échec à la cession du fonds de commerce.

Par acte d'huissier délivré le 5 août 2015 à Monsieur et Madame [I], Monsieur et Madame [T] ont sollicité le renouvellement du bail pour 9 ans à compter du 1er novembre 2015. Par acte d'huissier délivré le 20 octobre 2015, Monsieur et Madame [I] leur ont fait savoir qu'ils n'entendaient pas renouveler le bail et qu'ils offraient de verser l'indemnité d'éviction prévue par l'article L145-4 du code de commerce.

Saisi par Monsieur [T], le juge des référés du tribunal de grande instance de Vienne a, par décision en date du 19 mai 2016, ordonné une mesure d'expertise au contradictoire de Monsieur et Madame [I] afin notamment de recueillir tous éléments permettant de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction à laquelle le preneur peut prétendre du fait du non renouvellement du bail.

L'expert, Monsieur [W], a déposé son rapport le 10 mai 2017.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 27 juin 2017, Monsieur [T] a mis en demeure Monsieur et Madame [I] de lui régler sous huit jours la somme de 173 292 euros au titre de l'indemnité d'éviction conformément au chiffrage proposé par l'expert.

Monsieur et Madame [T], qui ont quitté les lieux le 9 octobre 2017, ont fait délivrer le 11 octobre 2017 à Monsieur et Madame [I] un commandement de payer la somme de 173 690,16 euros au titre de l'indemnité d'éviction majorée des frais d'huissier.

Par acte d'huissier délivré le 17 octobre 2017, Monsieur [T] a fait assigner Monsieur [C] [I] et Madame [E] [N] épouse [I] devant le tribunal de grande instance de Vienne sur le fondement de l'article L145-14 du code de commerce et sous le bénéfice de l'exécution provisoire aux fins d'obtenir leur condamnation à lui verser la somme de 173 292 euros au titre de l'indemnité d'éviction.

Madame [T] est intervenue volontairement à la procédure.

Par jugement du 24 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Vienne a :

- déclaré recevable l'intervention volontaire de Madame [T],

- condamné Monsieur et Madame [I] à verser à Monsieur et Madame [T] à titre d'indemnité d'éviction la somme de 8 295 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 9 octobre 2017,

- ordonné la capitalisation annuelle des intérêts,

- rejeté la demande de Monsieur et Madame [T] de condamnation de Monsieur et Madame [I] à leur verser la somme 168 000 euros diminuée de l'indemnité d'éviction obtenue,

- fixé l'indemnité d'occupation due par Monsieur et Madame [T] à Monsieur et Madame [I] à compter du 1er novembre 2015 et jusqu'à leur départ effectif des lieux à la somme mensuelle de 830 euros ht,

- condamné solidairement Monsieur et Madame [T] à verser à Monsieur et Madame [I] la somme de 721,44 euros ttc correspondant au solde restant dû au titre de l'indemnité d'occupation précitée,

- rejeté la demande de condamnation formée par Monsieur et Madame [I] à hauteur de 63 758 euros au titre des travaux de remise en état,

- rejeté la demande de dommages et intérêts formée par Monsieur et Madame [I],

- ordonné la compensation entre les différentes sommes dont les parties sont débitrices l'une envers l'autre,

- dit qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de condamnation formée par Monsieur et Madame [T] au titre de leurs frais irrépétibles,

- condamné Monsieur et Madame [I] aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise,

- ordonné l'exécution provisoire.

Par déclaration du 12 mars 2021, Monsieur et Madame [T] ont interjeté appel du jugement du 24 décembre 2020 en ce qu'il a :

- condamné Monsieur et Madame [I] à verser à Monsieur et Madame [T] à titre d'indemnité d'éviction la somme de 8 295 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 9 octobre 2017,

- rejeté la demande de Monsieur et Madame [T] de condamnation de Monsieur et Madame [I] à leur verser la somme 168 000 euros au titre de leur refus de consentement à la cession du droit au bail, diminuée de l'indemnité d'éviction obtenue,

- fixé l'indemnité d'occupation due par Monsieur et Madame [T] à Monsieur et Madame [I] à compter du 1er novembre 2015 et jusqu'à leur départ effectif des lieux à la somme mensuelle de 830 euros ht,

- condamné solidairement Monsieur et Madame [T] à verser à Monsieur et Madame [I] la somme de 721,44 euros ttc correspondant au solde restant dû au titre de l'indemnité d'occupation précitée,

- ordonné la compensation entre les différentes sommes dont les parties sont débitrices l'une envers l'autre,

- dit qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de condamnation formée par Monsieur et Madame [T] au titre de leurs frais irrépétibles, en intimant Monsieur [C] [I] en son nom personnel et en qualité d'héritier de Madame [E] [N] épouse [I], Madame [G] [I] épouse [H] et Madame [A] [I] épouse [R] en leur qualité d'héritières de Madame [E] [N] épouse [I].

Prétentions et moyens de Monsieur et Madame [T] :

Dans leurs dernières conclusions remises le 10 juin 2022, Monsieur et Madame [T] demandent à la cour de :

- réformer partiellement le jugement,

- déclarer recevable et fondée la demande de Monsieur [U] [T] contre les consorts [I] en leur qualité de bailleurs,

- dire et juger que les consorts [I] sont tenus de verser aux époux [T] une indemnité d'éviction du fait de leur refus de renouvellement du bail commercial,

- condamner solidairement les consorts [I] à verser aux époux [T] la somme de 173.292 euros au titre de l'indemnité d'éviction, telle que chiffrée par Monsieur [W], expert judiciaire, et l'assortir des intérêts au taux légal à compter du 27 juin 2017, date de la mise en demeure et ordonner la capitalisation des intérêts,

Subsidiairement, pour le cas où la cour ne ferait pas droit aux demandes de condamnation des bailleurs à verser une indemnité d'éviction ou n'y ferait droit que partiellement,

- dire et juger qu'en raison d'un refus de consentir à la cession du droit au bail et du fonds de commerce, sans motif légitime, les consorts [I] ont privé les époux [T] d'une chance de percevoir un prix de cession du fonds de commerce fixé à 168.000 euros,

- condamner en conséquence solidairement les consorts [I] à verser aux époux [T] la somme de 168.000 euros, sauf à déduire le montant de l'indemnite d' éviction que la cour aurait par ailleurs octroyé,

En toute hypothèse,

- condamner les consorts [I] à restituer aux époux [T] la somme de 1.980 euros au titre du dépôt de garantie,

- condamner solidairement les consorts [I] à verser aux époux [T] la somme de 6.000 euros par application de 1'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement les consorts [I] aux entiers dépens d'instance, en ce compris les frais d'expertise judiciaire avancés par les époux [T] pour le chiffrage de l'indemnité d'éviction,

- rejeter toutes prétentions contraires des consorts [I], notamment au titre de leur appel incident.

Ils exposent, s'agisssant de l'indemnité d'occupation, que :

- le local de remplacement offert au locataire doit correspondre aux besoins de celui-ci et à défaut, le bailleur doit verser une indemnité d'éviction égale à la valeur totale du fonds de commerce perdu,

- en l'espèce, le local de remplacement proposé en cours d'expertise par le bailleur était d'une superficie inférieure (93 m² au lieu de 138 m² complété par un silo de 20 m²) et ne comportait aucune partie susceptible d'être affectée à une occupation occasionnelle à titre de logement, étant relevé que Monsieur [T] pouvait loger occasionnellement dans les locaux loués en raison de ses horaires très matinaux,

- le premier juge n'a fait aucune analyse des besoins réels du locataire,

- le bailleur a reconnu lui-même en cours d'expertise qu'une indemnité de perte de logement pouvait être versée au locataire ce qui démontrait ce besoin de logement occasionnel,

- il doit donc être fixé une indemnité de non-remplacement,

- leur départ des lieux a été contraint et forcé en raison de l'état déplorable des locaux loués, les propriétaires reconnaissant au demeurant que l'état de l'immeuble nécessitait des travaux importants impliquant une démolition puis une reconstruction,

- le préjudice des époux [T] justifie l'allocation d'une indemnité d'éviction de 173.292 euros correspondant aux chiffres de l'expert.

Sur la demande d'indemnisation au titre du refus des bailleurs de consentir à la cession du fonds de commerce, ils soulignent que :

- leur demande est recevable comme se rattachant par un lien direct avec la demande initiale,

- après avoir donné procuration aux fins de contresigner l'acte de cession du fonds de commerce, les consorts [I] ont retiré brutalement et sans raison particulière leur accord à la cession ce qui caractérise un abus leur ayant fait perdre la chance de céder leur fonds.

Sur les demandes reconventionnelles des consorts [I], ils relèvent que :

- les bailleurs ont facturé la somme de 965,94 € par mois qui a été réglée,

- l'ajustement sollicité par les bailleurs n'est pas justifié,

- il n'est pas tenu compte de la durée exacte de présence,

- le constat d'huissier de justice établi le 3 novembre 2017 plus d'un mois après leur départ des lieux ne permet pas de démontrer un état des locaux imputable aux locataires,

- les photographies et chiffrages effectués par un cabinet d'expertise, sollicité par le bailleur, plus de trois mois après la sortie des lieux faisant état d'une rénovation complète des locaux ne peuvent qu'être rejetés,

- l'état de vétusté a été reconnu par les bailleurs qui ont été sollicités à plusieurs reprises pour des problèmes de toiture et de fuites d'eau,

- les consorts [I] n'ont jamais eu l'intention de relouer les locaux envisageant leur démolition en vue de reconstruire des logements.

Prétentions et moyens de Monsieur [C] [I] pris en son nom personnel et en qualité d'héritier de Madame [E] [N] épouse [I], de Madame [G] [I] prise en qualité d'héritier de Madame [E] [N] épouse [I] et de Madame [A] [I] prise en qualité d'héritier de Madame [E] [N] épouse [I] :

Dans leurs dernières conclusions remises le 12 avril 2022, ils demandent à la cour de :

- dire non fondé l'appel des époux [T],

- les débouter de toutes leurs prétentions,

- accueillir au contraire l'appel-incident des bailleurs et réformer en conséquence le jugement du tribunal judiciaire de Vienne du 24 décembre 2020,

- dire qu'il y a lieu en l'espèce de retenir l'indemnité de transfert et ce conformément aux conclusions de l'expert [W],

- dire cependant que l'indemnité de transfert n'est due qu'en cas de réinstallation effective des preneurs et de la poursuite de leur activité,

- constater que tel n'est pas le cas en l'espèce,

- réformer le jugement du 24 décembre 2020 en ce qu'il a condamné les bailleurs au paiement de la somme de 8 295 euros au titre de l'indemnité d'éviction et décharger en conséquence les bailleurs concluants de toute condamnation à ce titre,

- déclarer irrecevable, non fondée et injustifiée la demande subsidiaire des époux [T] tendant au paiement de la somme de 168 000 euros,

- fixer l'indemnité d'occupation due par les époux [T] à compter du 1er novembre 2015 jusqu'à leur départ des lieux en octobre 2017 à 1035,42 euros hors taxes par mois,

- réformer le jugement du tribunal judiciaire de Vienne du 24 décembre 2020 en ce qu'il a limité la condamnation des époux [T] au paiement de l'indemnité d'occupation à 721.44 euros TTC,

- constater en conséquence que les époux [T] sont débiteurs, au titre de l'indemnité d'occupation, d'un solde TTC de 6 637,54 euros et les condamner solidairement au paiement de cette somme,

- accueillir la demande reconventionnelle des concluants,

- réformer le jugement du tribunal judiciaire de Vienne du 24 décembre 2020 en ce qu'il a débouté les bailleurs de leur demande en paiement de la somme de 63.758,00 euros au titre des travaux de remise en état,

- accueillir l'appel-incident des bailleurs de ce chef,

- condamner en conséquence solidairement les époux [T] au paiement de la somme de 63.758,00 euros correspondant au coût hors taxes des travaux de remise en état des lieux,

- ordonner la compensation entre les sommes dont sont débitrices les parties,

- condamner en conséquence solidairement les époux [T] à payer aux bailleurs concluants la somme de 63.758,00 euros,

- réformer le jugement du tribunal judiciaire de Vienne du 24 décembre 2020 en ce qu'il a débouté les bailleurs concluants de leurs demandes en paiement de 10 000 euros à titre dommages-intérêts,

- accueillir l'appel-incident des concluants de ce chef et condamner en conséquence solidairement les époux [T] au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts,

- réformer également le jugement de première instance en ce qu'il a dit que les dépens seraient mis à la charge des époux [I],

- dire que les dépens seront partagés par moitié,

- confimer le jugement du tribunal judiciaire de Vienne du 24 décembre 2020 en ce qu'il a débouté les époux [T] de leurs demandes en paiement de la somme de 168.000 euros, sauf à considérer que cette demande était irrecevable,

- dire n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeter toutes demandes contraires,

- dire que les dépens de première instance, comprenant les frais d'expertise seront supportés par moitié par les parties,

- condamner solidairement les époux [T] au paiement des dépens d'appel.

Sur l'indemnité d'éviction, ils font valoir qu'un local de remplacement, voisin du fonds loué, a été proposé aux locataires ; que l'expert a considéré que l'activité n'était pas perturbée par ce transfert ; que l'indemnité de transfert a été fixée par l'expert à la somme de 105.637 euros ; que toutefois, cette indemnité ne peut être exigée par le locataire que s'il justifie du transfert effectif du fonds et de la poursuite de l'activité ; qu'en l'espèce, Monsieur [T] ne s'est pas réinstallé et a cessé son activité de boulanger-pâtissier; qu'il ne peut donc prétendre à la moindre indemnité.

Sur la demande de dommage et intérêts au titre du refus de consentir à la cession, les consorts [I] soulèvent l'irrecevabilité de cette demande en vertu de l'article 70 du code de procédure civile au motif qu'elle est sans lien avec la demande d'indemnité d'éviction. Ils ajoutent que sur le fond, cette demande est totalement injustifiée ; que l'accord des propriétaires n'était pas nécessaire aux termes du bail ; que les bailleurs ne pouvaient dire que le bail allait être renouvelé pour 9 ans alors qu'aucune demande de renouvellement n'avait été formée et que les époux [T] savaient que le renouvellement allait être refusé ; que les acquéreurs potentiels n'auraient pas acquis un fonds en sachant qu'ils allaient être mis fin au bail.

Sur l'indemnité d'occupation, ils font remarquer que l'expert a chiffré la valeur locative à la somme de 1035,42 euros ht par mois ; que depuis le 1er novembre 2017, les époux [T] n'ont réglé que la somme de 804,95 euros par mois; qu'ils sont donc redevables du complément; que le tribunal a retenu à tort un abattement pour précarité.

S'agissant de la remise en état des lieux, ils soulignent que les preneurs sont présumés avoir reçu les locaux en bon état de réparations locatives ; que l'expertise corroborée par le procès-verbal dressé par l'huissier fait apparaître des travaux de remise en état de 63.758 euros ht ; que les bailleurs n'ont pas à justifier du devenir du local après le départ des époux [T].

Ils appuient leur demande d'allocation de la somme de 10.000 euros sur les accusations graves et diffamatoires contenues dans les conclusions des époux [T].

Pour le surplus des demandes et des moyens développés, il convient de se reporter aux dernières écritures des parties en application de l'article 455 du code de procédure civile.

L'instruction de la procédure a été clôturée le 16 juin 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1) Sur l'indemnité d'éviction :

En application de l'article 145-14 du code de commerce, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement. Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que les frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

Lorsque le locataire peut se réinstaller à proximité, sans perte de clientèle et sans avoir besoin d'acheter un nouveau fonds, l'indemnité d'éviction consiste en une indemnité de déplacement ou de transfert.

Il en est ainsi lorsque le propriétaire offre des locaux répondant aux besoins du locataire, excluant toute perte de clientèle et présentant les mêmes avantages juridiques que les anciens locaux.

Le bailleur a offert un local commercial situé au [Adresse 3], propriété de Monsieur [J] [I] qui a donné son accord pour le louer à destination d'un commerce de boulangerie.

L'expert a relevé que le local proposé est situé à proximité du local loué, localisé au [Adresse 2] ; que les deux locaux se trouvent du même côté de la voie publique et que seule une petite rue les sépare. En raison de cette proximité, l'expert en a justement déduit que la clientèle ne sera pas perturbée par le transfert d'activité et que la plus grande partie suivra le locataire dans le nouveau local proposé.

Il résulte de l'expertise que si le local proposé présente une surface utile de 110 m² dont 17 m² à titre privé tel que prévu dans le projet, soit 93m² d'exploitation, alors que le local, objet de l'éviction, a une surface de 138 m² dont 23 m² d'annexe privé et 20 m² de silo en étage, les lieux du local d'origine sont mal distribués avec des superficies perdues et sont situés pour partie en étage. Cette légère différence de surface est donc compensée par la distribution plus optimale du local proposé et ne se trouve pas de nature à modifier et perturber l'exploitation du fonds.

S'agissant du besoin du locataire de loger occasionnellement à la boulangerie en raison d'horaires très matinaux, la cour observe que le bail décrivait les lieux loués comme étant au rez de de chaussée un magasin, un laboratoire pâtisserie, un laboratoire boulangerie, un coin cuisine, trois pièces à usage de réserves, au premier étage, quatre pièces, WC, salle de bains et grenier, à usage exclusif d'exploitation d'un fonds de commerce de boulangerie, pâtisserie, confiserie, chocolat, traiteur sans mentionner l'existence d'un local d'habitation, ni la possibilité d'y habiter.

Si l'expert a décrit le 1er étage comme étant constitué d'un salon, trois chambres, bains, grenier, il relève aussi que cet espace n'est plus utilisé et qu'il subit de nombreuses infiltrations par toiture incompatibles avec un usage d'habitation. Il doit être considéré selon l'expert comme une annexe au local commercial pour un moment de repos et non comme un lieu d'habitation.

En conséquence, le local proposé est équivalent à celui objet de l'éviction et le tranfert peut s'effectuer sans perte de clientèle.

L'indemnité d'éviction doit donc correspondre à une indemnité de transfert ou déplacement ainsi que retenu de façon pertinente par le premier juge. La demande d'une indemnité de remplacement à hauteur de 173.292 euros par les époux [T] ne peut dès lors être accueillie et le moyen selon lequel ils ont été contraints de quitter les lieux en raison de leur mauvais état n'est pas de nature à changer la nature de l'indemnité d'éviction allouée.

L'expert détaille l'indemnité de transfert de la façon suivante :

perte du droit au bail d'origine8.925 euros

coût du transfert 94.769 euros

trouble commercial1.273 euros

perte logement accessoire1.300 euros

Total 105.637 euros.

Néanmoins, le bailleur qui justifie d'un préjudice inférieur aux estimations de l'expert judiciaire en relevant l'absence de réinstallation avérée de la locataire peut échapper aux indemnités accessoires envisagées par l'expert en raison de cette réinstallation.

En l'espèce, il est constant que Monsieur et Madame [T] qui ont quitté les lieux le 9 octobre 2017 ne se sont pas réinstallés alors que cinq années se sont écoulés depuis ce départ.

Dès lors, c'est de façon justifiée que le premier juge n'a pas retenu les indemnités accessoires liées à une réinstallation effective, soit le coût du transfert, le trouble commercial et la perte du logement accessoire.

Contrairement à ce que soutiennent les consorts [I], ils demeurent néanmoins tenus de régler l'indemnité principale correspondant à la perte du droit au bail d'un montant de 8.925 euros.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a condamné Monsieur et Madame [I] à verser à Monsieur et Madame [T] à titre d'indemnité d'éviction la somme de 8 295 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 9 octobre 2017 sauf à préciser que Monsieur [C] [I], Madame [G] [I] et Madame [A] [I] viennent aux obligations de Madame [E] [N] épouse [I] en leur qualité d'héritiers.

2) Sur l'indemnisation du préjudice lié au refus de consentir à la cession du droit au bail et du fonds de commerce :

A) Sur la recevabilité de la demande :

Selon l'article 70 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

En l'espèce, la demande originaire des époux [T] est une demande en indemnité d'éviction. La demande tendant à l'indemnisation du préjudice lié au refus de consentir à la cession du droit au bail et du fonds de commerce est pour partie additionnelle puisqu'elle est aussi formée au cas où il ne serait fait droit que partiellement au versement de l'indemnité d'éviction réclamée.

Comme relevé par le premier juge, les demandes de Monsieur et Madame [T] tendent toutes deux à l'indemnisation de la perte de la valeur financière que représentait leurs fonds de commerce.

La cour ajoute que ces demandes procèdent toutes deux du bail commercial.

En conséquence, comme retenu par le premier juge, cette demande est recevable.

B) Sur le fond de la demande :

Par courrier du 24 juillet 2015 adressé au conseil en charge de la cession du fonds de commerce, Monsieur et Madame [I] lui ont rappelé qu'il est indispensable de faire un état des lieux par un expert agréé avant la prise de possession, les locaux présentant une vétusté importante. Ils indiquaient ne pouvoir prendre une décision qu'après la visite de l'expert mandaté et après en avoir parlé avec l'acquéreur. Ils recommandaient une extrème prudence pour la suite de l'affaire.

Par courrier de la même date, le notaire mandaté par les époux [I] faisait part au conseil en charge de la cession du fonds de commerce des craintes de Monsieur [I] sur l'état de l'immeuble, sur l'ampleur des travaux à effectuer de nature à impliquer une reconstruction et sur l'impossibilité de poursuivre le bail en raison de la vétusté. Il l'informait de la désignation d'un expert géomètre pour établir un rapport sur l'état du bâti et du risque à passer la vente sans avoir le rapport de l'expert. Il proposait une réunion pour faire un point sur le dossier.

Comme relevé par le tribunal, Monsieur et Madame [T] ne contestent pas la vétusté des locaux dont ils arguent au demeurant pour contester le montant des frais de remise en état et ne s'expliquent pas sur la suite donnée à la proposition d'une réunion relativement à la cession envisagée.

Ainsi que noté par le premier juge, la difficulté ne portait pas sur l'agrément du candidat à l'acquisition mais sur l'engagement à signer un nouveau bail commercial ou à renouveler le bail commercial compte tenu de l'état des locaux, étant rappelé que la cession du fonds de commerce était conditionnée à un nouveau bail commercial de 9 années ou à un accord formel de renouvellement du bail commercial à l'issue de celui en cours.

Comme jugé par le tribunal, compte tenu de la vétusté des locaux et de l'importance des travaux à engager, le refus de la part des époux [I] de donner leur accord sur la régularisation d'un nouveau bail commercial de 9 années à compter de la prise de possession par l'acquéreur ou sur le renouvellement du bail commercial à l'issue de celui en cours ne peut être considéré comme fautif ou abusif.

En conséquence, le jugement sera complété en ce que la demande d'indemnisation du préjudice lié au refus abusif s'agissant de la cession du droit au bail et du fonds de commerce doit être déclarée recevable et confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de Monsieur et Madame [T] de condamnation de Monsieur et Madame [I] à leur verser la somme 168 000 euros diminuée de l'indemnité d'éviction obtenue à titre de dommages et intérêts pour refus abusif.

3) Sur l'indemnité d'occupation :

En application de l'article 145-28 du code de commerce, le locataire qui peut prétendre à une indemnité d'éviction bénéficie d'un droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Toutefois, l'indemnité d'occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections VI et VII, compte tenu de tous éléments d'appréciation.

Il est constant que Monsieur et Madame [T] se sont maintenus dans les lieux du 1er novembre 2015 au 9 octobre 2017. Ils sont donc redevables d'une indemnité d'occupation pour cette période.

L'expert judiciaire a retenu un montant de 830 euros ht au titre de l'indemnité d'occupation. Il a tenu compte du fait que cette occupation est précaire dès lors que l'occupant ne peut pas faire de projets à long terme et ne peut réaliser aucun investissement dans les locaux puisqu'il va les quitter.

L'indemnité d'occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections VI et VII, mais compte tenu de tous éléments d'appréciation qui peuvent être constitués par la précarité de l'occupation.

La valeur retenue par l'expert n'est pas sérieusement contestée.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement s'agissant des dispositions relatives à l'indemnité d'occupation.

4) Sur la demande au titre de la remise en état des locaux :

Il convient d'adopter les motifs pertinents du premier juge. La cour ajoute en outre que le rapport d'expertise dressé par JM Expertises de façon non contradictoire à la seule demande du bailleur n'est complété par aucun autre élément s'agissant du chiffrage des travaux.

La cour confirme que tant l'expertise que le constat d'huissier ont été effectués plusieurs semaine après le départ des époux [T] des locaux, départ dont ils avaient informé le bailleur en temps utile avec une proposition de procéder à un état des lieux contradictoire, proposition que le bailleur n'a pas retenue. Ces pièces ne peuvent donc venir attester de l'état des lieux à la sortie des preneurs.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté les consorts [I] au titre des travaux de remise en état.

5) Sur la demande de dommages et intérêts des consorts [I] :

Les consorts [I] sollicitent des dommages et intérêts au motif que les époux [T] ont tenu des propos graves et diffamatoires à leur égard.

Toutefois, ils ne reprennent pas dans leurs conclusions les propos qu'ils considèrent comme diffamatoires et se contentent de dire que les propos [T] multiplient les contradictions, contre-vérités et inepties.

Dès lors, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur et Madame [I] de leur demande de dommages et intérêts.

6) Sur les mesures accessoires :

Monsieur et Madame [T] qui succombent dans leur appel seront condamnés aux dépens d'appel et seront déboutés de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Les consorts [I] qui succombent dans leur appel incident seront aussi déboutés de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Vienne le 24 décembre 2020 en toutes ses dispositions soumises à la cour sauf à préciser que Monsieur [C] [I], Madame [G] [I] épouse [H] et Madame [A] [I] épouse [R] viennent aux droits et obligations de Madame [E] [N] épouse [I] en leur qualité d'héritiers.

Le complétant,

Déclare recevable la demande d'indemnisation du préjudice lié au refus abusif s'agissant de la cession du droit au bail et du fonds de commerce.

Y ajoutant,

Condamne Monsieur [U] [T] et Madame [D] [T] aux dépens d'appel.

Déboute les parties de leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Signé par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.