CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 19 octobre 2022, n° 19/18314
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
[I] [L]
Défendeur :
SCI M3B
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gilles BALAY
Conseiller :
M. Douglas BERTHE
Avocats :
Me Ayse ERILERI, Me Isabelle VEYRIE DE RECOULES
FAITS ET PROCÉDURE
Par l'effet d'une cession de fonds de commerce du 10 mars 2003, Monsieur [L] [I] est devenu preneur d'un local appartenant depuis le 25 janvier 2013 à la SCI M3B et dépendant d'un immeuble situé [Adresse 1]. Le bail a été renouvelé à compter du 1er janvier 2013 pour se terminer le 31 décembre 2022 moyennant un loyer de 18 000 € HT HC outre une provision sur charges mensuelle de 150 €.
Saisi par la SCI M3B, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a, par ordonnnance du 18 février 2015, condamné le preneur à payer la somme de 5 940 €, lui accordant des délais suspensifs de l'acquisition de la clause résolutoire résultant des effets d'un commandement du 7 mai 2014.
Par exploit du 1er juin 2017, la SCI M3B a fait assigner à comparaître M. [L] [I] devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins notamment de voir prononcer la résiliation du bail et le voir condamner au paiement d'une somme de 7 920€ au titre de sa dette locative arrêtée au mois de mai 2017 inclus, outre diverses indemnités.
Par jugement du 17 septembre 2019, le tribunal de grande instance de Paris a condamné [I] [L] à payer à la SCI M3B la somme de 983 € au titre de sa dette locative, comprenant les loyers et charges, arrêtés au mois de juillet 2018 inclus outre les intérêts au taux légal à compter du 03 octobre 2018 ; débouté la SCI M3B de sa demande en paiement de la somme de 1 572,04 € à titre de pénalités de retard pour avril 2013 à mai 2018 inclus ; condamné M. [I] [L] à payer à la SCI M3B la somme de 5 940 € au titre du loyer contractuel et des charges dus à compter du mois d'août 2018 jusqu'au mois d'octobre 2018 inclus ; débouté la SCI M3B de sa demande tendant à voir condamner M. [I] [L] à lui payer la somme de 1 327,40 € au titre des taxes foncières des années 2014, 2016 et 2017 ; condamné M. [I] [L] à payer à la SCI M3B la somme de 1 € au titre des clauses pénales prévues au bail ; débouté la SCI M3B du surplus de sa demande au titre d'indemnités forfaitaires de frais de contentieux de 10 % portant sur les sommes de 792 € et 12 072,06 € ; l'a déboutée de sa demande tendant à voir dire que le dépôt de garantie lui sera acquis ; l'a déboutée de sa demande tendant à voir condamner M. [I] [L] à lui payer la somme de 398,40 € au titre des frais associés aux retards de paiement ; prononcé la résiliation judiciaire du bail du 26 décembre 2012 aux torts de M. [I] [L] ; ordonné, à défaut de restitution volontaire des lieux dans les quatre mois de la signification du présent jugement, l'expulsion de M. [I] [L] et de tout occupant de son chef des lieux loués avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d'un serrurier ; statué sur le sort des meubles ; réduit comme manifestement excessive le montant de l'indemnité d'occupation prévue au contrat de bail et fixé cette indemnité au montant du loyer contractuel outre les charges ; condamné M. [I] [L] à payer à la SCI M3B à compter du présent jugement et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, une indemnité d'occupation égale au montant du loyer contractuel, outre les charges tels qu'ils auraient été dus en cas de poursuite du bail ; rappelé que tous les règlements effectués par M. [I] [L] après le 1er aout 2018 devront s'imputer sur les sommes dues ; débouté M. [I] [L] de sa demande de délais de paiement ; l'a débouté de sa demande subsidiaire de délais de paiement suspensifs de la résiliation du bail ; débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ; ordonné l'exécution provisoire de la présente décision ; rejeté les autres demandes ; condamné M. [I] [L] aux entiers dépens, lesquels comprendront les frais de levée de l'état des privilèges et nantissements mais ne comprendront pas le coût des commandements délivrés par la SCI M3B, et ce, avec distraction au profit de maître I. Veyrie de Recoules, avocat en application de l'article 699 du code de procédure civile.
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Par déclaration du 30 septembre 2019, M. [I] [L] a interjeté appel partiel du jugement.
Par conclusions déposées le 07 août 2020, la SCI M3B a interjeté appel incident partiel du jugement.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 29 juin 2022.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Vu les dernières conclusions déposées le 30 décembre 2019, par lesquelles M. [L] [I], appelant à titre principal et intimé à titre incident, demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du bail à ses torts, et statuant à nouveau, débouter la SCI M3B, de sa demande de résiliation du bail et la condamner aux dépens de la procédure d'appel.
Vu les dernières conclusions déposées le 17 mai 2022, par lesquelles la SCI M3B, intimée à titre principal et appelante à titre incident, qui demande à la Cour de:
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du bail, ordonné l'expulsion du preneur, statué sur le sort des meubles, condamné M. [L] [I] aux entiers dépens de première instance, rejeté la demande de délais de ce dernier, l'a condamné à lui payer la somme de 5 940 € au titre du loyer contractuel d'août à octobre 2018, et la somme de 983 € au titre de la période de février 2018 à juillet 2018;
- infirmer le jugement rendu en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de fixation à la somme de 3 960 € par mois l'indemnité d'occupation due par M. [L] [I] à compter du jugement et jusqu'à parfaite libération des lieux et restitution des clefs, sans préjudice des réparations locatives qui seraient éventuellement dues à cette date ; l'a déboutée de sa demande de condamnation du preneur à lui payer la somme de 12 072,06€ à titre d'indemnité forfaitaire, des frais contentieux de 10 % pour la période d'avril 2013 à mai 2018 inclus ; l'a déboutée de sa demande de condamnation du preneur à lui payer la somme de 398,40 € à titre de frais associés aux retards de paiement ; l'a déboutée de sa demande de condamnation du preneur à lui payer le dépôt de garantie à titre d'indemnité; l'a déboutée de sa demande de condamnation du preneur sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
et statuant à nouveau, fixer à la somme de 3 960 € par mois l'indemnité d'occupation due par le preneur à compter du jugement et jusqu'à parfaite libération des lieux et restitution des clefs, sans préjudice des réparations locatives qui seraient éventuellement dues à cette date ; condamner le preneur à lui payer la somme de 3 960 € par mois à compter du jugement à intervenir ; le condamner à lui payer la somme de 1 327,40 € à titre de taxes foncières 2014, 2016 et 2017 ; le condamner à lui payer la somme de 792 € à titre d'indemnité forfaitaire de frais contentieux de 10 % (échéances de mars, avril, mai, juin 2018) ; le condamner à lui payer la somme de 1 572,04 € à titre de pénalités de retard pour la période du titre d'avril 2013 à mai 2018 inclus ; dire que le dépôt de garantie lui restera acquis à titre d'indemnité ;
- condamner le preneur à lui payer la somme de 6 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et d'appel ; condamner le preneur aux entiers dépens de l'instance d'appel avec application de l'article 699 du même code.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
Cependant, pour une meilleure compréhension du présent arrêt, la position des parties sera succinctement résumée.
Le preneur, M. [L] [I], conteste le prononcé de la résiliation judiciaire du bail et affirme que la SCI bailleresse a commis plusieurs manquements. Il expose que le compte locataire actualisé par la SCI ne permet pas d'expliquer le montant de la somme qu'elle sollicite au regard des échéances intervenues et des paiements effectués. Il prétend que les clauses pénales sont manifestement excessives au regard de la situation de l'espèce. Il ajoute que la SCI réclame les taxes foncières des années 2014, 2016 et 2017 alors qu'elle a déjà facturé ces taxes en janvier 2015, décembre 2016 et décembre 2017.
En toute hypothèse, il prétend s'être acquitté de la « quasi totalité » des échéances réclamées par le bailleresse au moment de l'assignation et affirme être à jour de sa dette locative et du règlement des loyers courant depuis le prononcé du jugement déféré. Il fait grief au Tribunal d'avoir prononcé la résiliation judiciaire et expose que cette décision est sévère dès lors que le seul retard de paiement des loyers ne constitue pas un manquement suffisamment grave pour entraîner la résiliation du bail et qu'elle ne tient pas compte essentiellement des difficultés économiques et du rapport inégalitaire des relations contractuelles. Il insiste sur les conséquences économiques qu'emporterait la résiliation du bail sur son activité et fait valoir sa bonne foi.
La bailleresse, la SCI M3B, affirme que le résiliation judiciaire est justifiée et expose que le preneur n'a pas régularisé sa situation au regard de la fourniture de l'attestation d'assurance, n'a pas réglé les sommes mises à sa charge par cinq commandements de payer et ne cesse de payer ses loyers en retard.
La bailleresse affirme que les taxes foncières de 2014, 2016 et 2017 n'ont pas été réglées pour des montants de 383 €, 475,20 € et 469,20 € et sollicite le paiement de la somme de 1 327,40 €.
Elle fait grief au Tribunal d'avoir jugé que l'article 16-3 du bail était une clause excessive, alors qu'il résulte de l'historique des règlements que les paiements hors échéance étaient habituels depuis 2013.
Elle lui fait également grief en ce qu'il a refusé de faire droit à la condamnation au paiement de la somme de 398,40 € à titre de frais associés aux retards de paiement alors que le preneur n'avait pas contesté cette demande, de même que pour sa demande en acquisition du dépôt de garantie par application de l'article 16-4 du bail.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur la résiliation du bail :
Le bail convenu entre les parties le 26 septembre 2012 stipule que le loyer est payable le 1er de chaque mois. Le preneur s'est en outre engagé à souscrire une assurance et à en justifier à la bailleresse.
Il résulte de l'arrêté de compte du locataire, fourni par la bailleresse, que depuis l'année 2013, [L] [I] n'a payé le loyer au terme convenu qu'à cinq reprises et a réglé la majorité de ses échéances de loyers avec retard. Il a en outre remis en paiement à la bailleresse huit chèques sans provisions.
En conséquence, [L] [I] s'est vu délivrer par la SCI M3B :
- un commandement de payer en date du 9 décembre 2013 pour un montant de 8191,66 €,
- un commandement de payer en date du 7 mai 2014 pour un montant de 8975,97 €,
- un commandement de payer en date du 11 octobre 2016 pour un montant de 6707,92 €,
- un commandement de payer en date du 6 mars 2017 pour un montant de 8895,09 €,
- un commandement de payer en date du 5 mai 2017 pour un montant de 8895,09 €,
l'ensemble de ces commandements visant la clause résolutoire.
En outre et par courrier avec accusé de réception du 18 avril 2017, la bailleresse a sollicité la fourniture de l'attestation d'assurance de son locataire, demande restée depuis sans réponse.
Eu égard à ces manquements graves et répétés, il convient de confirmer le jugement entrepris en ses dispositions relatives à la résiliation judiciaire des baux, la libération des lieux, l'expulsion des occupants et le sort des meubles s'y trouvant.
Sur le constat que [I] [L] est à jour du règlement de sa dette locative :
Il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes aux fins de voir 'constater' qui ne constituent pas des prétentions alors qu'elles ne sont en réalité que le rappel de moyens invoqués.
Sur l'indemnité d'occupation :
Il résulte de l'article 16.5 du bail commercial conclu le 26 décembre 2012 que l'indemnité d'occupation à la charge du preneur en cas de non délaissement des locaux après résiliation de plein droit ou judiciaire ou expiration du bail sera établie forfaitairement sur la base du double du loyer global de la dernière année de location. Le bail a fait l'objet d'une résiliation judiciaire assortie de l'exécution provisoire le 17 septembre 2019, le tribunal ayant accordé à [L] [I] un délai de quatre mois pour quitter les lieux. Ce dernier a obtenu du juge de l'exécution (jugement du 9 juin 2021), un délai supplémentaire jusqu'au 9 décembre 2021 pour quitter les lieux qu'il occupe pourtant toujours actuellement. Le loyer de la dernière année de location s'élevant à 1980 €.
La fixation par le contrat d'une indemnité d'occupation au double du montant du loyer s'analyse en une clause pénale. L'indemnité d'occupation de 3960 € par mois apparaît excessive au regard de la valeur locative initialement convenue entre les parties et elle doit être modérée. Compte tenu de la résistance injustifiée du locataire et du préjudice résultant de l'indisponibilité du local pour le bailleur, il convient d'arrêter l'indemnité d'occupation à la somme de 2500 €.
Sur les autres clauses pénales :
Il résulte de l'article 16-3 du bail du bail commercial conclu le 26 décembre 2012 qu'à défaut de paiement de loyer, les sommes dues seront automatiquement majorées de 10% à titre d'indemnité forfaitaire de frais contentieux, indépendamment de tous frais de commandement et de recette et indépendamment des intérêts de retard d'ores et déjà fixés à un taux égal au taux légal majoré de 6 points. Par ailleurs, l'article 16-4 du bail prévoit que le dépôt de garantie restera acquis à la bailleresse à titre d'indemnité, en cas de résiliation du bail. Toutefois, en application de l'article 1152 du code civil et à raison de l'ancienneté des relations entre les parties et du montant du loyer, il y a lieu de confirmer la modération de ces pénalités sollicitées au montant global de 1€ qui a été fixé par le tribunal.
Sur les frais de retard de paiement :
Comme l'indique justement le premier juge, à l'appui de sa demande en paiement de la somme de 398,40 € au titre des frais associés aux retards de paiement, la bailleresse se contente de produire un tableau sommaire sans produire aucun justificatif. La réalité de ces frais n 'étant pas établie, la décision de débouté du tribunal sur ce point sera confirmée.
Sur les dépens et frais irrépétibles :
Vu les articles 696, 699 et 700 du code de procédure civile,
Les demandes de [L] [I] n'ayant pas prospéré, il y a lieu de le condamner à payer à la SCI M3B la somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile pour les frais exposés en première instance et en cause d'appel.
En outre, il y a lieu de condamner [L] [I] aux entiers dépens de l'instance d'appel étant précisé que Maître Nathalie LE SENECHAL, avocat au Barreau de Paris, pourra les recouvrer directement conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire en dernier ressort,
INFIRME PARTIELLEMENT le jugement rendu le 17 septembre 2019 par le tribunal de grande instance de Paris,
Le réforme en ce qu'il a fixé le montant de l'indemnité d'occupation au montant du loyer contractuel outre les charges, et condamné M. [I] [L] à payer à la Sté SCI M3B à compter du jugement et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, une indemnité d'occupation égale au montant du loyer contractuel, outre les charges tels qu'ils auraient été dus en cas de poursuite du bail,
Statuant à nouveau de ce seul chef,
CONDAMNE M. [I] [L] à payer à la Sté SCI M3B la somme de 2500 euros par mois outre les charges qui auraient été dues en cas de poursuite du bail, à titre d'indemnité d'occupation à compter du jugement du 17 septembre 2019 et ce jusqu'à parfaite libération des lieux et restitution des clefs,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions,
Y ajoutant,
CONDAMNE [L] [I] à payer à la SCI M3B la somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE [L] [I] aux entiers dépens de l'instance d'appel et autorise Maître Nathalie LE SENECHAL, avocat au Barreau de Paris, à recouvrer directement ceux dont il a fait l'avance sans recevoir de provision.