Cass. com., 4 novembre 2021, n° 19-25.451
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
Mme Lefeuvre
Avocats :
SCP Alain Bénabent, SCP Boutet et Hourdeaux, SCP Bouzidi et Bouhanna
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble,12 septembre 2019), la société Simcad, aux droits de laquelle vient la société Square habitat Sud Rhône Alpes, a, par un acte du 30 janvier 2008, acquis la totalité des actions composant le capital des sociétés Agence immobilière Dechaux et ID gestion. Les comptes annuels de ces deux sociétés au titre de l'exercice 2007 ont été révisés et présentés par le cabinet d'expertise comptable de l'Isère (la société Cecie) puis approuvés par l'assemblée générale annuelle des associés. Préalablement à la cession, les associés des sociétés Agence immobilière Dechaux et ID gestion, qui étaient des sociétés à responsabilité limitée, avaient décidé de les transformer en sociétés par actions simplifiées. M. [X], qui avait été désigné commissaire à la transformation, a déposé ses deux rapports, un pour chacune des sociétés concernées, le 26 décembre 2007.
2. Invoquant des anomalies comptables découvertes en 2008, la société Simcad a, le 23 novembre 2010, assigné les sociétés Cabinet [V] et [X], Cabinet [L] [X] et Cecie en responsabilité. Elle a assigné M. [X], commissaire aux comptes, aux mêmes fins le 2 mars 2012.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable l'action de la société Simcad contre les sociétés Cabinet [V] & [X] et Cabinet [L] [X] et de rejeter ses demandes contre la société Cecie
3. Les motifs critiqués ne fondent pas la disposition attaquée. Le moyen est donc irrecevable.
Sur le second moyen, pris en sa seconde branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable l'action de la société Simcad contre les sociétés Cabinet [V] & [X] et Cabinet [L] [X] et de déclarer prescrite son action contre M. [X]
4. Les motifs critiqués ne fondent pas la disposition attaquée. Le moyen est donc irrecevable.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de déclarer prescrite l'action de la société Simcad contre M. [X]
Enoncé du moyen
5. La société Square habitat Sud Rhône Alpes fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement ayant déclaré prescrite l'action de la société Simcad contre M. [X], alors « qu'elle faisait valoir que la responsabilité du commissaire à la transformation est distincte de celle du commissaire aux comptes et qu'elle se prescrit dans les conditions du droit commun et non selon les règles spéciales des articles L. 822-18 et L. 225-254 du code de commerce applicables aux actions en responsabilité contre les commissaires aux comptes ; qu'elle en déduisait que l'action dirigée contre M. [X] en sa qualité de commissaire à la transformation, selon assignation du 2 mars 2012, n'était pas prescrite au regard du fait dommageable constitué par la rédaction des rapports du 26 décembre 2007 ; qu'en retenant que l'action est irrecevable comme étant prescrite, motif pris que c'est en sa qualité de commissaire aux comptes que M. [X] a été désigné commissaire à la transformation pour remplir les missions obligatoires de contrôle prévues par les articles L. 223-43 et L. 224-3 du code de commerce, que le régime dérogatoire de la prescription triennale devant s'appliquer à l'action en responsabilité engagée à l'encontre des commissaires aux comptes à l'occasion de toute mission légale de contrôle et la société Simcad se fondant sur le caractère erroné des éléments chiffrés figurant dans les rapports établis par M. [X], son action devait être introduite dans le délai de trois ans à compter du fait dommageable que constitue la rédaction des rapports le 26 décembre 2007, sans que la société Simcad puisse prétendre à un report du point de départ de la prescription en l'absence de dissimulation démontrée du fait dommageable, quand la mission du commissaire à la transformation ne relève pas des missions légales de contrôle propre aux commissaires aux comptes, la cour d'appel a violé par fausse application les articles L. 822-18 et L. 225-254 du code de commerce, ensemble et par refus d'application l'article 2224 du code civil ;
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 822-18 et L. 225-254 du code de commerce :
6. Aux termes du premier de ces textes, les actions en responsabilité contre les commissaires aux comptes se prescrivent dans les conditions prévues à l'article L. 225-254.
7. Selon le second, l'action en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général, tant sociale qu'individuelle, se prescrit par trois ans, à compter du fait dommageable ou s'il a été dissimulé, de sa révélation.
8. Le délai de prescription de trois ans s'applique aux actions engagées contre des commissaires aux comptes à l'occasion de toute mission légale de contrôle.
9. Pour déclarer prescrite l'action de la société Simcad contre M. [X], l'arrêt retient que c'est en sa qualité de commissaire aux comptes que ce dernier a été désigné commissaire à la transformation pour remplir les missions obligatoires de contrôle prévues par les articles L. 223-43 et L. 224-3 du code de commerce. Il retient encore que le régime dérogatoire de la prescription triennale devant s'appliquer à l'action en responsabilité engagée contre des commissaires aux comptes à l'occasion de toute mission légale de contrôle et la société Simcad se fondant sur le caractère erroné des éléments chiffrés figurant dans les rapports établis par M. [X], l'action de celle-ci devait être introduite dans le délai de trois ans à compter du fait dommageable que constitue le dépôt des rapports le 26 décembre 2007, sans que la société Simcad puisse prétendre à un report du point de départ de la prescription en l'absence de dissimulation démontrée du fait dommageable.
10. En statuant ainsi, alors qu'en application de l'article L. 224-3 du code de commerce, M. [X] avait été désigné commissaire à la transformation non pas en sa qualité de commissaire aux comptes des sociétés Agence immobilière Dechaux et ID Gestion, qui en étaient dépourvues, mais en raison de son inscription sur la liste réglementaire des commissaires aux comptes, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le second moyen, pris en sa seconde branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter les demandes de la société Simcad contre la société Cecie
Enoncé du moyen
11. La société Square habitat Sud Rhône Alpes fait grief à l'arrêt de rejeter les demandes de la société Simcad contre la société Cecie, alors « qu'elle faisait valoir la faute commise et reconnue par la société Cecie constatée par l'expert judiciaire M. [F], à l'origine de son préjudice tel qu'il a été évalué dans ce rapport ; qu'il résultait des conclusions de la société Cecie, expert-comptable, que la comptabilité de la société Agence Immobilière Dechaux a toujours été établie en comptabilisant les compromis de vente et non les actes définitifs passés devant notaire, qu'un pourcentage de l'ordre de 4 à 5 % était rendu caduc postérieurement à la clôture de l'exercice du fait de la non réalisation des ventes et qu'une compensation était faite du fait des annulations d'un exercice sur l'autre, qu'elle reconnaissait qu'au titre de l'année 2007, suite à la crise des subprimes les annulations des compromis comptabilisés ont représenté 18 %, ce qui modifiait d'autant les chiffres retenus pour l'année 2006 et minorait l'actif sur la base duquel cette société a été valorisée, ajoutant encore que "ainsi les ventes de l'année 2006 ont pu être majorées de compromis passés au cours de cet exercice et dont on ignorait que certains seraient annulés en 2007?" ; qu'elle invitait la cour d'appel à constater l'aveu de la société Cecie ; qu'après avoir notamment relevé que "l'expert [F] a constaté dans les comptes annuels de cette société arrêtés au 30 juin 2007, que des commissions sur ventes avaient été comptabilisées avant la date d'arrêté des comptes, dès la signature des compromis, alors que conformément aux normes professionnelles, elles auraient dû l'être après la levée des conditions suspensives et que ces compromis avaient été annulés postérieurement" et conclut qu' "il résulte des constatations de l'expert [F] que la société Cecie a manqué à ses obligations et commis une faute en établissant et certifiant des comptes de résultat dont elle connaissait les irrégularités" et que ces régularisations comptables peuvent avoir affecté le patrimoine de la société Simcad "en ce qu'elles amoindrissent la valeur des sociétés concernées et donc de leurs parts sociales", la cour d'appel qui, pour la débouter de ses demandes à l'encontre de l'expert-comptable retient que "si le préjudice peut résulter de la majoration du prix de cession fixé sur une valorisation erronée des sociétés dès lors qu'elle a été calculée sur les chiffres d'affaires de chacune d'elles, il résulte du protocole d'acquisition du 30 janvier 2008 que la valorisation des sociétés du groupe Dechaux a été déterminée sur les chiffres d'affaires réalisés au titre de l'exercice clos en 2006 et non celui clos en juin et septembre 2007, dont seuls les comptes sont critiqués et ont été examinés par l'expert [F]", n'a pas tiré les conséquences légales s'évinçant de ses constatations dont il ressortait que les régularisations opérées au titre de l'année 2007 affectaient les résultats de l'année 2006 sur la base desquels le prix de vente a été fixé, et a violé l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable à l'espèce. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
12. La société Cecie conteste la recevabilité du moyen, comme étant nouveau et mélangé de fait et de droit.
13. Cependant, ce moyen, qui est né de la décision attaquée, est recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
14. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
15. Pour rejeter les demandes de la société Simcad contre la société Cecie, l'arrêt retient que si son préjudice résultait de la majoration du prix de cession fixé sur une valorisation erronée des sociétés dès lors qu'elle avait été calculée sur les chiffres d'affaires de chacune d'elles, il résultait du protocole d'acquisition du 30 janvier 2008 que la valorisation des sociétés du groupe Dechaux avait été déterminée sur les chiffres d'affaires réalisés au titre de l'exercice clos en 2006 et non celui clos en juin et septembre 2007, dont seuls les comptes étaient critiqués et avaient été examinés par l'expert judiciaire.
16. En statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que l'expert avait constaté, dans les comptes annuels de la société arrêtés au 30 juin 2007, que des commissions sur ventes avaient été comptabilisées avant la date d'arrêté des comptes, dès la signature des compromis, cependant que conformément aux normes professionnelles, elles auraient dû l'être après la levée des conditions suspensives et que ces compromis avaient été annulés postérieurement, et retenu qu'il résultait des constatations de cet expert que la société Cecie avait manqué à ses obligations et commis une faute en établissant et certifiant des comptes de résultat dont elle connaissait les irrégularités, ces régularisations comptables pouvant avoir affecté le patrimoine de la société Simcad en ce qu'elles amoindrissaient la valeur des sociétés concernées et donc de leurs parts sociales, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constations dont il ressortait que les régularisations proposées par l'expert judiciaire au titre de l'exercice 2007 traduisaient une surélévation du chiffre d'affaires de l'exercice 2006 sur la base duquel le prix de vente avait été fixé, a violé le texte susvisé.
Mise hors de cause
17. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause M. [X] et les sociétés Cabinet [V] & [X] et Cabinet [L] [X], d'une part, et la société Cecie, d'autre part, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevable l'action de la société Simcad contre les sociétés Cabinet [V] & [X] et Cabinet [L] [X], l'arrêt rendu le 12 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
DIT n'y avoir lieu de mettre hors de cause M. [X] et les sociétés Cabinet [V] & [X] et Cabinet [L] [X] et la société Cabinet d'expertise comptable de l'Isère ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.