CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 16 mars 2018, n° 16/25730
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Sail Innovation (SAS), Phantom International (SAS)
Défendeur :
NC Raceboats (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Renard, Mme Lehmann
Avocat :
Selarl Lexavoue Paris-Versailles
M. Martin F. indique être docteur en dynamique des fluides et architecte naval de renommée internationale spécialiste des voiliers multicoques de compétition. La société NC Raceboats aurait notamment pour objet la gestion des droits et prestations de M. F..
La société SAS Sail Innovation inscrite au registre du commerce et des sociétés de Saint Malo depuis le 22 décembre 2003 a été créée en 2003 par son président M. Alexandre U. et a pour activité la création et l'exploitation de tous les produits relatifs aux embarcations à voile. Elle indique être spécialisée dans la création et la fabrication de voiles de bateaux de haute performance et, plus précisément, dans le design des voiles pour des petits catamarans de sport.
La société SAS Phantom International inscrite au registre du commerce et des sociétés de Saint Malo depuis le 13 janvier 2014, a notamment pour activité toutes prestations relatives à la navigation de plaisance, la voile et les sports d'eau et notamment la conception, la fabrication et la commercialisation de bateaux. Elle a pour président M. Iskandar U..
Après un rapprochement entre M. F. et M. U., un voilier dénommé « PHANTOM 18 » et un second voilier dénommé « FLYING PHANTOM » ont été construits et commercialisés par la société Sail Innovation pour le PHANTOM 18 et par la société Phantom International pour FLYING PHANTOM.
Estimant être l'auteur des plans d'architecte de ces voiliers et considérant n'avoir perçu aucune rémunération et après discussions entre les parties n'ayant pas abouti à un accord et mise en demeure en date du 15 mai 2015 de leur avocat, M. F. et la société NC Raceboats ont fait assigner le 9 septembre 2015 M. Alexandre U. en son nom personnel et les sociétés Sail Innovation et Phantom International devant le tribunal de grande instance de Paris.
Par jugement contradictoire en date du 2 décembre 2016, le tribunal de grande instance de Paris a :
- déclaré M. Martin F. et la société NC Raceboats irrecevables en leur action dirigée contre M. Alexandre U.,
- déclaré la société NC Raceboats irrecevable en ses demandes,
- rejeté les fins de non-recevoir invoquées par les sociétés Sail Innovation et Phantom International au titre du défaut de titularité et d'originalité de l'oeuvre de M. Martin F. constituée par les plans d'architectures des voiliers PHANTOM 18 et FLYING PHANTOM,
- débouté M. Martin F. de ses demandes en contrefaçon du voilier PHANTOM 18 par la société Phantom International,
-dit qu'en fabricant et en commercialisant les voiliers PHANTOM 18 et FLYING PHANTOM sur la base des plans d'architectures de M. F., les sociétés Sail Innovation et Phantom International s'agissant du voilier FLYING PHANTOM et la société Sail Innovation s'agissant du voilier PHANTOM 18, ont commis des actes de contrefaçon aux droits d'auteur de M. Martin F.,
En conséquence :
- interdit aux sociétés Sail Innovation et Phantom International de fabriquer et de commercialiser des voiliers PHANTOM 18 et FLYNG PHANTOM sur la base des plans d'architecture élaborés par M. Martin F.,
- condamné in solidum les sociétés Sail Innovation et Phantom International à payer à M. Martin F. la somme de 84 228 euros, outre pour la société Sail Innovation la somme de 5990 euros, l'ensemble avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement,
- ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière à compter du 9 septembre 2015 conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil,
- ordonné la publication du communiqué judiciaire suivant dans le magazine mensuel «Voiles & voiliers», aux frais des sociétés Sail Innovation et Phantom International sans que le coût de cette insertion ne puisse être supérieur à 3 500 euros HT : « Par décision en date du 2 décembre 2016, le tribunal de grande instance de Paris (chambre de la propriété intellectuelle) a notamment jugé que les sociétés Sail Innovation et Phantom International ont commis des actes de contrefaçon de droits d'auteur au préjudice de Monsieur Martin F. en fabriquant et en commercialisant les voiliers PHANTOM 18 et FLYING PHANTOM sur la base des plans d'architecture de Monsieur Martin F. et a condamné ces sociétés à l'indemniser en réparation des préjudices subis. »,
- condamné in solidum les sociétés Sail Innovation et Phantom International à payer à M. Martin F. la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties pour le surplus de leurs demandes,
- condamné les sociétés Sail Innovation et Phantom International aux entiers dépens, avec distraction au profit de Maître Jean-Chales S., Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile,
- rejeté la demande d'exécution provisoire.
Les sociétés Sail Innovation et Phantom International ont interjeté appel de la décision par déclaration au greffe en date du 20 décembre 2016.
Par acte d'huissier en date du 19 juin 2017, M. F. et la société NC Raceboats ont assigné en appel provoqué devant la cour d'appel de céans M. Alexandre U., en son nom personnel.
Par leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 18 décembre 2017, M. U. et les sociétés Sail Innovation et Phantom International demandent à la cour de :
- Déclarer les sociétés Sail Innovation et Phantom International recevables et bien fondées en leur appel et y faisant droit :
In limine litis : sur l'irrecevabilité à agir à l'encontre de Monsieur Alexandre U.
- Constater que les conditions de recevabilité de l'assignation en appel provoquée ne sont pas remplies dans la mesure où Monsieur Martin F. et NCR ne justifient pas d'un droit ou d'un intérêt à agir à l'encontre de Monsieur Alexandre U. ;
En conséquence,
- Déclarer irrecevable l'assignation en appel provoquée à l'encontre de Monsieur Alexandre U..
In limine litis : sur l'irrecevabilité à agir de NCR
- Constater que NCR est dépourvue de qualité à agir ;
En conséquence,
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il en ce qu'il a constaté que NCR ne justifiait pas être titulaire ou cessionnaire des droits d'auteur revendiqués par Monsieur Martin F. ;
- statuant de nouveau, dire et juger que NCR est irrecevable en son action.
In limine litis : sur l'irrecevabilité à agir de Monsieur Martin F. à l'encontre de Phantom International au titre du « Phantom 18 »
- Constater que Phantom International est étrangère à la conception et à la commercialisation du « Phantom 18 » ;
En conséquence,
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté que la société Phantom International est étrangère à la conception et à la commercialisation du « Phantom 18 » ; - statuant de nouveau, que l'action initiée à ce titre à l'encontre de Phantom International est irrecevable.
A titre principal : sur le travail de M. Martin F. ne portant pas sur l'intégralité des plans des catamarans
- Constater que Monsieur Martin F. ne démontre pas avoir participé à la création de l'intégralité des bateaux mais uniquement à la création des coques et accessoirement des appendices du « Phantom 18 » ;
En conséquence,
- Réformer le jugement en ce qu'il a considéré que Monsieur Martin F. apporte la preuve de sa titularité sur les plans d'architecture qui ont permis de construire les voiliers « Phantom 18 » et « Flying Phantom » ;
- Statuant de nouveau, dire et juger que Monsieur Martin F. s'est limité à contribuer à la création des coques et accessoirement des appendices du « Phantom 18 ».
A titre principal : sur l'absence d'originalité
- Constater que les éléments revendiqués par Monsieur Martin F. sont antériorisés ;
- Constater que les éléments revendiqués par Monsieur Martin F. sont exclusivement fonctionnels ;
En conséquence,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que la coque des voiliers «Phantom 18» et «Flying Phantom» constitue une oeuvre originale portant l'empreinte de la personnalité de Monsieur Martin F. ;
Statuant de nouveau,
- Dire et juger que les éléments revendiqués ne sont pas originaux ;
- Débouter Monsieur Martin F. de toutes ses demandes, fins et conclusions.
A titre subsidiaire : en tout état de cause : sur l'absence de la qualité d'auteur de Monsieur Martin F.
- Constater que les bateaux ont été créés à l'initiative de Sail Innovation ;
- Constater que les bateaux ont été créés sur les instructions de Sail Innovation et sont le fruit d'un travail collectif ;
- Constater que les bateaux ont été divulgués par Sail Innovation ;
En conséquence,
- Réformer le jugement en ce qu'il a considéré que les deux voiliers « Phantom 18 » et « Flying Phantom » ne constituent pas une oeuvre collective au sens de l'article L. 113-2 du Code de propriété intellectuelle ;
Statuant de nouveau,
- Dire et juger que les deux voiliers « Phantom 18 » et « Flying Phantom » constituent une oeuvre collective ;
- Débouter Monsieur Martin F. de toutes ses demandes, fins et conclusions.
A titre infiniment subsidiaire : sur la réparation du préjudice subi par Monsieur Martin F. au titre de la prétendue contrefaçon
- Constater que les demandes de Monsieur Martin F. au titre de la réparation du préjudice subi ne sont fondées ni dans leur principe, ni dans leur quantum ;
- Constater que les demandes de Monsieur Martin F. au titre de la résistance abusive ne sont fondées ni dans leur principe, ni dans leur quantum ;
En conséquence,
- Réformer le jugement en ce qu'il a condamné in solidum Sail Innovation et Phantom International à payer à Monsieur Martin F. la somme de 84.228 euros, outre pour la société Sail Innovation la somme de 5.990 euros, l'ensemble avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;
- Débouter Monsieur Martin F. et NCR de toutes leurs demandes, fins et conclusions. A titre reconventionnel : sur la condamnation de Monsieur Martin F. pour procédure abusive et préjudice moral
(i) Sur le caractère abusif de la procédure mise en oeuvre
- Constater que Monsieur Martin F. a commis un abus dans l'exercice de son droit d'agir en justice à l'encontre de Sail Innovation et Phantom International ;
En conséquence,
- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Sail Innovation et Phantom International de leurs demandes reconventionnelles pour procédure abusive ;
- Statuant de nouveau, Condamner Monsieur Martin F. à verser :
o La somme de 15.000 euros à Sail Innovation pour procédure abusive ;
o La somme de 15.000 euros à Phantom International pour procédure abusive ;
(ii) Sur le préjudice moral causé par Martin F. :
- Constater que Monsieur Martin F. a causé un préjudice moral à Sail Innovation et Phantom International en raison de l'atteinte à leur image ;
En conséquence,
- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Sail Innovation et Phantom International de leurs demandes reconventionnelles pour procédure abusive et préjudice moral ;
- Statuant de nouveau, condamner Monsieur Martin F. à verser :
- La somme de 15.000 euros à ail Innovation au titre du préjudice moral résultant d'une atteinte à son image ;
- La somme de 15.000 euros à Phantom International au titre du préjudice moral résultant d'une atteinte à son image.
- En tout état de cause
- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné Sail Innovation et Phantom International d'avoir à verser à Monsieur Martin F. la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné Sail Innovation et Phantom International aux dépens ;
En conséquence,
- Condamner Monsieur Martin F. à verser aux appelantes la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner Monsieur Martin F. aux entiers dépens.
Par leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 14 décembre 2017, M. F. et la société NC Raceboats demandent à la cour de :
- Déclarer Sail Innovation SAS, Phantom International SAS et M. Alexandre U., irrecevables et en tout cas infondés, en l'ensemble de leurs demandes et conclusions, les en débouter,
- Confirmer le jugement en ce qu'il a :
-Dit et juger qu'en fabricant et en commercialisant les voiliers PHANTOM 18 et FLYING PHANTOM sur la base des plans d'architecture de Monsieur F., les sociétés Sail Innovation et Phantom International s'agissant du voilier FLYING PHANTOM et la société Sail Innovation s'agissant du voilier PHANTOM 18, ont commis des actes de contrefaçon aux droits d'auteurs de Monsieur Martin F.
Et qu'en conséquence, il a :
- Interdit aux sociétés Sail Innovation et Phantom International de fabriquer et de commercialiser des voiliers PHANTOM 18 et FLYING PHANTOM sur la base des plans d'architecture élaborés par M. Martin F..
- Condamner in solidum les sociétés Sail Innovation et Phantom International à verser à M. F. des dommages et intérêts en réparation de son préjudice,
- Ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière à compter du 9 septembre 2015 conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil,
- Ordonner la publication du communiqué judiciaire suivant dans le magazine mensuel « Voiles et Voiliers » aux frais des sociétés Sail Innovation et Phantom International Réformer le jugement en ce qu'il a :
- déclaré M. Martin F. et la société NC Raceboats irrecevables en leur action dirigée contre M. Alexandre U.,
- déclaré la société NC Raceboats irrecevable en ses demandes contre M. Alexandre U., Sail Innovation SAS et Phantom International SAS,
- débouté M. Martin F. de ses demandes en contrefaçon du voilier PHANTOM 18 par la société Phantom International
- débouté M. Martin F. et la société NC Raceboats du surplus de leurs demandes
En conséquence :
- Juger que NC Raceboats est recevable en son action contre M.Alexandre U., Sail Innovation SAS et Phantom International SAS,
- Juger que M. Martin F. et la société NC Raceboats sont recevables en leur action et demandes dirigées contre M. Alexandre U. à titre personnel,
- Juger que M. Martin F. et la société NC Raceboats sont recevables en leur demandes en contrefaçon du voilier PHANTOM 18 par la société Phantom International,
- Condamner in solidum les sociétés Sail Innovation et Phantom International et M. Alexandre U. à verser à M. F. et à NC Raceboats en réparation de leur préjudice la somme de 258 000 euros avec intérêts à compter du 9 septembre 2015 conformément à l'article 1154 du Code civil et ordonner la capitalisation des intérêts,
- Juger que M. Alexandre U., Sail Innovation SAS et Phantom International SAS ont commis une faute en adoptant une position constante de refus absolu de reconnaître la propriété intellectuelle de M. Martin F. sur les plans d'architecture, et au plus fort, de s'en attribuer indument la paternité,
- Condamner solidairement M. Alexandre U., Sail Innovation SAS et Phantom International SAS à M. Martin F. et à NC Raceboats la somme de 40 000 euros pour résistance abusive avec intérêts à compter de la mise en demeure du 9 septembre 2015 conformément à l'article 1154 du Code Civil et ordonner la capitalisation des intérêts.
En tout état de cause :
- Condamner solidairement Alexandre U., Sail Innovation SAS et Phantom International SAS au paiement de la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamner solidairement Alexandre U., Sail Innovation et Phantom International SAS aux entiers dépens, distraits au profit de Maître Jean-Charles S., Avocat, conformément aux dispositions de l'article 696 du Code de procédure civile,
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 21 décembre 2017.
Sur l'irrecevabilité à agir à l'encontre de M. U.
M. F. et la société NC Raceboats sollicitent l'infirmation du jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable leur action formée à l'encontre de M. U. en son nom personnel.
M. U. sollicite la confirmation de la décision d'irrecevabilité de l'action prononcée à son égard.
La cour relève que le litige initié par M. F. et la société NC Raceboats vise à faire juger qu'en fabricant et en commercialisant les voiliers PHANTOM 18 et FLYING PHANTOM sur la base des plans d'architecture de M. F., les sociétés Sail Innovation et Phantom International s'agissant du voilier FLYING PHANTOM et la société Sail Innovation s'agissant du voilier PHANTOM 18, ont commis des actes de contrefaçon aux droits d'auteurs de Monsieur Martin F..
M. F. et la société NC Raceboats invitent la cour à constater le rôle déterminant de M. U. à titre personnel dans la commercialisation des voiliers contrefaisants séparable de ses fonctions de dirigeant de la société Sail Innovation et de fondateur de la société Phantom International.
Une telle demande est parfaitement recevable, une personne physique ayant commis des actes de contrefaçon en dehors de son mandat social pouvant être retenue responsable des conséquences dommageables de ses actes.
Le débat sur le bien-fondé des demandes formées à l'encontre de M. U. relève cependant du fond et non de la recevabilité.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur l'irrecevabilité à agir de NC Raceboats
Par de justes et exacts motifs que la cour adopte, le tribunal a retenu que seul est recevable à agir en contrefaçon de droits d'auteur celui qui se prétend titulaire ou cessionnaire des droits d'auteur.
Or, en l'espèce, il est constant que la société NC Raceboats ne justifie ni même n'allègue être titulaire ou cessionnaire des droits d'auteur revendiqués par M. F..
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré la société NC Raceboats irrecevable en son action.
Sur les droits d'auteurs revendiqués par M. F.
L'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial.
Le droit de l'article sus-mentionné est conféré, selon l'article L.112-1 du même Code, à l'auteur de toute oeuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.
Il revient à celui qui se prévaut d'un droit d'auteur dont l'existence est contestée de définir et d'expliciter les contours de l'originalité qu'il allègue.
Seul l'auteur est en mesure d'identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole, et le défendeur doit pouvoir, en application du principe de la contradiction, connaître précisément les caractéristiques qui fondent l'atteinte qui lui est imputée et contester l'originalité alléguée.
Selon l'article L. 112-2 12°, les "plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, la topographie, l'architecture et aux sciences" sont considérés comme oeuvres de l'esprit au sens de la disposition précité.
Les dispositions de l'article L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle protègent par les droits d'auteur toutes les oeuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination, pourvu qu'elles soient des créations originales.
L'originalité d'une oeuvre doit s'apprécier de manière globale de sorte que la combinaison des éléments qui la caractérise du fait de leur agencement particulier lui confère une physionomie propre qui démontre l'effort créatif et le parti pris esthétique portant l'empreinte de la personnalité de l'auteur.
Sur les plans réalisés par M. F.
M. F. revendique des droits d'auteurs sur les plans d'architecte qu'il a réalisés pour la création des voiliers PHANTOM 18 et FLYING PHANTOM.
Il indique qu'en 2010, M. U. en sa qualité de président de la société Sail Innovation lui a demandé de dessiner un catamaran de sport de type « F18 » dénommé PHANTOM 18 dans un premier temps, puis de développer dans un deuxième temps une version à foils, le FLYING PHANTOM avec pour projet de les construire en série et de les commercialiser dans le monde entier via sa société Sail innovation puis une nouvelle société créée ad hoc Phantom International.
Il précise que bien que le PHANTOM 18 et le FLYING PHANTOM soient dotés de formes architecturales strictement identiques, ce dernier a pour particularité d'avoir été élargi et de pouvoir naviguer au-dessus de l'eau sur l'appui de ses appendices dénommés « foils », d'où l'appellation de « Flying Phantom ».
Il dit qu'au-delà des échanges purement techniques, M. U. donnait quelques directives générales sur ce qu'il souhaitait mais insistait tout particulièrement à son égard sur l'esthétique du dessin à réaliser en lui demandant « 'pour le côté esthétique, il faudrait faire un truc vraiment sexy' » en faisant notamment référence à un de ses précédents dessins « Personnellement je trouve le Capricorne sublime' » et « Ce que je trouve magnifique sur le Capricorne c'est la ligne longitudinal du pont qui fait un « S ».
Il indique avoir réalisé les plans d'architecture des voiliers complets en « 3 D » sous forme de fichiers électroniques IGS, STEP et 3DM, et les avoir transmis par fichiers électroniques à M. U. et au constructeur des moules HEOL COMPOSITES, notamment en date des 6 décembre 2010, 3, 5, 6, 30 janvier et 14 février 2011.
La cour constate cependant que les plans eux-mêmes qui étaient joints à des mails qui seuls sont produits ne sont pas communiqués aux débats.
Or les mails ne font état que de «coques», d'«inserts pour le bubble», de «foils», d'«étraves» de «dérive» et de «safran», c'est à dire de plans de la coque et de ses appendices mais non de l'intégralité du voilier.
Si les mails auxquels ces plans devaient être joints rappelaient expressément la propriété des plans de M. F. et l'interdiction de leur reproduction et qu'une rémunération sous forme de royalties devait nécessairement être discutée entre les parties, rien ne permet d'affirmer que les plans portaient sur l'intégralité des voiliers.
M. F. reconnaît d'ailleurs dans ses écritures que le développement technique de ces voiliers a été confié à une équipe de coureurs de haut niveau engagés par M. U..
Le PHANTOM 18 et le FLYING PHANTOM faisaient tout deux l'objet d'une construction en série et d'un lancement commercial pour lesquels cependant la notoriété, l'image et le nom de M. F. en sa qualité d'architecte étaient mis en avant et exploités tant dans la documentation commerciale des sociétés Sail innovation et Phantom International que dans les médias et les journaux dédiés à la voile.
Ainsi les appelants qui ne contestent pas la réalisation par M. F. des plans relatifs à la coque et à ses appendices lui contestent à juste titre la paternité de l'intégralité des plans des deux catamarans.
Ils dénient en outre l'originalité des plans de la coque et de ses appendices réalisés par M.F..
Ils ajoutent à titre subsidiaire que les bateaux ont été créés à l'initiative de la société Sail Innovation et sur ses instructions, qu'ils ont été divulgués sous son nom et doivent ainsi qualifiés d'oeuvres collectives.
Sur l'originalité des coques et de leurs appendices revendiquées par M. F.
M. F. soutient que les plans des voiliers qu'il a réalisés sont originaux en raison de la forme des coques des voiliers qu'il a dessinées en ce qu'elles comportent, et ce point n'est pas contesté, des étraves inversées et une ligne de pont en « S ».
Comme l'a justement retenu le tribunal, par des motifs que la cour adopte, il verse de manière pertinente aux débats de nombreuses attestations de personnes issues de l'univers de la voile corroborant le fait que s'agissant des voiliers, la combinaison de ces deux caractéristiques constitue l'empreinte de sa personnalité de M. F..
Ainsi les attestations de M. Pierre-Marie B., journaliste, M. Didier R., journaliste, M. Alan B. rédacteur en chef de « Sailing Anarchy », M. James B., journaliste, M. Franck C., navigateur, M. Yves L., ancien champion olympique de catamaran et architecte naval, M. Thomas C., navigateur, M. Andrew M., consultant, M. G., de Groupama, M. Daniel A. architecte naval, M. Martin D., architecte naval, Christian F., fabriquant designer, M. Michel K., ingénieur et M. Guillaume V., architecte naval qui sont partiellement reprises et détaillées dans les conclusions des intimés permettent d'établir sans conteste que ces deux caractéristiques d'étraves inversées et de ligne de pont en « S » sont bien présentes sur les coques des voiliers PHANTOM 18 et le FLYING PHANTOM et signent l'empreinte de la personnalité de M. F..
Les appelants soutiennent que la création revendiquée ne se dégage pas d'une manière suffisamment nette et significative des bateaux construits antérieurement et produisent aux débats des voiliers et notamment le VENTILO M2 élaboré par M. Christian F., des bateaux de guerre et même un kayak.
Pour autant, il doit être rappelé que la recherche d'antériorité ne suffit pas à détruire l'originalité et observé qu'en tout état de cause aucune de ces antériorités ne présente à la fois la combinaison de ces deux caractéristiques.
De même il n'est pas justifié d'un caractère purement fonctionnel des choix opérés en adoptant la combinaison originale de ces deux caractéristiques.
Sur le caractère d'oeuvre collective argué par les appelants
Les appelants demandent à la cour à titre subsidiaire, dans la mesure où elle retiendrait l'originalité des plans revendiqués par M. F. de dire qu'il ne pourrait pas pour autant «prétendre à la qualité d'auteur de ceux-ci dans la mesure où il s'agit d'oeuvres collectives.»
En application de l'article L. 113-2 du Code de la propriété intellectuelle, l'oeuvre collective est celle qui est créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé.
Or, comme l'a retenu le tribunal par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte, le travail et l'oeuvre de M. F. sont parfaitement identifiables s'agissant des plans des coques comme ci-dessus précisé et ce dernier n'a pas agi sous la directive de quiconque et notamment pas des appelants.
Ainsi, il r essort de l'ensemble de ces éléments que les défendeurs ne peuvent soutenir que les deux voiliers pour lesquels M. F. apporte la preuve être à l'origine des plans initiaux constituent une oeuvre collective.
Le jugement sera dès lors confirmé en ce qu'il a reconnu à M. F. des droits d'auteurs mais seulement sur les plans des coques et appendices qu'il a réalisés en vue de la construction des voiliers PHANTOM 18 et le FLYING PHANTOM.
Sur l'action en contrefaçon
Aux termes de l'article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en va de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ».
En l'espèce, il ressort des éléments qui précédent que les voiliers PHANTOM 18 et FLYING PHANTOM ont été réalisés et commercialisés sur la base des plans d'architecture de M. F. tels que retenus ci-dessus sans que celui-ci ait d'une part été rémunéré pour ce travail et ait, d'autre part, expressément consenti à l'exploitation de ces plans.
Il convient en conséquence de considérer que la contrefaçon à ses droits d'auteur est caractérisée.
Il sera dès lors fait droit à la demande de confirmation formée par M. F. des mesures d'interdiction et de publicité telles que précisées au dispositif de l'arrêt.
L'article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle prévoit que «Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1° Les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte aux droits.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.»
M.F. estime avoir subi un préjudice du fait des actes de contrefaçon des défendeurs, constitués par la construction et la commercialisation des voiliers PHANTOM 18 et FLYING PHANTOM sans son consentement. Il considère que les plans d'architecte des voiliers étant le fruit d'un travail de création et d'investissements de plus de vingt ans largement reconnu au plan international, ils revêtent une valeur patrimoniale déterminante pour lui. Il ajoute que les appelantes exploitent son image pour la commercialisation des bateaux litigieux et qu'à ce jour, il n'a perçu aucune rémunération. Il estime le temps de son travail cumulé à près de 900 heures et évalue le nombre de ventes à 21 unités pour le PHANTOM 18 au prix unitaire estimé de 20.800 euros HT et à 100 unités pour le FLYING PHANTOM au prix unitaire estimé de 40.100 euros HT. Il demande un taux de redevance de 9,82% pour le PHANTOM 18 et de 5,36% pour le FLYING PHANTOM.
Sur la base de ces données, il évalue son préjudice aux sommes suivantes :
- PHANTOM 18 : (21 unités x 20 800) x 9,82 % = 42 983,76 euros
- FLYING PHANTOM : (100 unités x 40 100) x 5,36% = 214 936 euros
soit au total : 257 919,80 euros arrondi à 258 000,00 euros
Les sociétés Sail Innovation et Phantom International contestent ces éléments et communiquent des attestations comptables faisant état de la vente de seulement 8 voiliers PHANTOM 18 pour un prix moyen de 14.975 euros et 84 voiliers FLYING PHANTOM pour un prix moyen de 29.802 euros pour l'année 2014 et de 37.047 euros pour l'année 2015. Elles indiquent qu'il n'est produit aucune pièce justifiant du temps de travail réel et contestent l'application de la marge telle que proposée par M. F..
Elles font valoir que le taux de redevances accordé ne saurait excéder ce que M. F. avait clairement accepté, soit un intéressement à hauteur de 350 euros Hors Taxes par bateau vendu et concluent que les sommes auxquelles il pourrait prétendre seraient les suivantes :
- Pour le PHANTOM 18 : 8 x 350 euros, soit la somme de 2.800 euros HT
- Pour le « Flying Phantom » : 84 x 350 euros, soit la somme 29.400 euros HT
Soit au total de 32.200 euros HT.
Au vu de ces éléments la cour est en mesure de fixer à la somme 5.000 euros le préjudice subi par M. F. du fait de l'utilisation contrefaisante des plans de la coque et des appendices dont il est l'auteur pour la fabrication et la commercialisation du PHANTOM 18 et à la somme de 60.000 euros s'agissant de la fabrication et la commercialisation du FLYING PHANTOM.
Le jugement sera dès lors infirmé sur le quantum des condamnations retenues.
C'est en revanche à juste titre que le tribunal a retenu qu'il n'était pas justifié par les éléments versés par les parties de la participation de la société Phantom International dans la fabrication ou la commercialisation du PHANTOM 18, de sorte qu'elle ne sera condamnée in solidum avec la société Sail Innovation qu'au paiement de la somme de 60.000 euros, la société Sail Innovation étant en outre condamnée à la somme supplémentaire de 5.000 euros.
Les condamnations ci-dessus prononcées porteront intérêts, en vertu de l'article du Code civil, à compter du 2 décembre 2016, date du jugement, et la capitalisation des intérêts dus sur ces sommes pour une année entière sera ordonnée, par application des articles 1231-7 et 1343-2 du Code civil.
Par ailleurs la cour constate que c'est par des motifs exacts et pertinents que le tribunal a retenus que la preuve n'était pas rapportée de l'existence de fautes personnelles et détachables de ses fonctions de dirigeant de la société Sail Innovation commises par M. U. dans les actes de contrefaçons ci-dessus retenus.
Dès lors M. F. sera débouté de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de M. U..
Sur les autres demandes
L'exercice d'une action en justice constitue par principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur équipollente au dol.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. F. de sa demande de dommages et intérêts liée à une résistance supposée abusive des appelants.
Au vu des termes de cet arrêt et de la reconnaissance d'actes de contrefaçons imputables aux sociétés Sail Innovation et Phantom International, ces sociétés seront déboutées de leurs demandes liées à un préjudice d'atteinte à leur image.
Le jugement sera également confirmé en ses condamnations des sociétés Sail Innovation et Phantom International aux dépens de la procédure de première instance et sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il sera ajouté une condamnation de ces sociétés, qui succombent partiellement dans leur appel, aux dépens de la procédure d'appel et aux frais irrépétibles engagés en appel par M. F. dans la mesure qui sera précisée au dispositif en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Les autres demandes des parties fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile seront rejetées.
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a :
- déclaré la société NC Raceboats irrecevable en ses demandes,
- débouté M. Martin F. de ses demandes en contrefaçon du voilier PHANTOM 18 par la société Phantom International,
- condamné in solidum les sociétés Sail Innovation et Phantom International à payer à M. Martin F. la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné les sociétés Sail Innovation et Phantom International aux entiers dépens, avec distraction au profit de Maître Jean-Chales S., Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- interdit aux sociétés Sail Innovation et Phantom International de fabriquer etde commercialiser des voiliers PHANTOM 18 et FLYNG PHANTOM sur la base des plans d'architecture élaborés par M. Martin F.,
Y substituant et y ajoutant :
- Dit recevable mais mal fondée l'action dirigée contre M. Alexandre U.,
- Dit M. Martin F. titulaire des droits d'auteurs sur les plans des coques et de leurs appendices des voiliers PHANTOM 18 et FLYING PHANTOM,
- Dit qu'en fabricant et en commercialisant le voilier PHANTOM 18 et en fabricant et en commercialisant le voilier FLYING PHANTOM, les sociétés Sail Innovation et Phantom International ont commis des actes de contrefaçon aux droits d'auteur de M. Martin F.,
- Interdit aux sociétés Sail Innovation et Phantom International de fabriquer et de commercialiser des voiliers PHANTOM 18 et FLYNG PHANTOM sur la base des plans d'architecture relatifs aux coques et appendices élaborés par M. Martin F.,
- Condamne la société Sail Innovation à payer à M. Martin F. la somme de 5.000 euros,
- Condamne in solidum les sociétés Sail Innovation et Phantom International à payer à M. Martin F. la somme de 60.000 euros,
- Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 2 décembre 2016 et que ces intérêts seront capitalisés conformément à l'article 1343-2 du Code civil,
- Ordonne la publication du communiqué judiciaire suivant dans le magazine mensuel «Voiles & voiliers», aux frais des sociétés Sail Innovation et Phantom International sans que le coût de cette insertion ne puisse être supérieur à 3 500 euros HT : «Par décision en date du 16 mars 2018, la cour d'appel de Paris a notamment jugé que les sociétés Sail Innovation et Phantom International ont commis des actes de contrefaçon de droits d'auteur au préjudice de Monsieur Martin F. en fabriquant et en commercialisant les voiliers PHANTOM 18 et FLYING PHANTOM sur la bases de plans d'architecture des coques et appendices de M. Martin F. et a condamné ces sociétés à l'indemniser en réparation des préjudices subis.»,
- Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
- Condamne in solidum les sociétés Sail Innovation et Phantom International à payer à M. Martin F. la somme de 5 000 euros pour ses frais irrépétibles d'appel au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamne les sociétés Sail Innovation et Phantom International aux dépens de la procédure d'appel, avec distraction au profit de Maître Jean-Chales S., Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.