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Décisions

Cass. com., 21 septembre 2004, n° 02-15.435

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tricot

Nîmes, 1re ch. civ. A, du 16 avr. 2002

16 avril 2002

Sur le moyen unique, pris en ses sept branches :

Attendu, selon l'arrêt déféré (Nîmes, 16 avril 2002), que le syndicat des propriétaires viticulteurs de Châteauneuf du Pape (le syndicat local) titulaire du droit d'auteur sur une bouteille de type bourguignonne portant en relief dans le verre les armes pontificales entourées de l'inscription en caractères gothiques "Châteauneuf du Pape", déposée à titre de modèle le 3 juin 1936, et le Syndicat intercommunal de défense viticole et de l'appellation d'origine contrôlée "Châteauneuf du Pape" (le syndicat intercommunal) se sont réunis pour former la fédération des syndicats de producteurs de Châteauneuf du Pape (la fédération) ; que fin 1995 ou début 1996, le syndicat intercommunal a quitté la fédération ; que le 8 janvier 1996, le syndicat local a déposé auprès de l'Institut national de la propriété industrielle la marque complexe reprenant le graphisme figurant en relief sur le modèle de bouteille pour désigner en classe 33 des vins bénéficiant de l'appellation d'origine contrôlée "Châteauneuf du Pape" ; que le 29 juillet 1996, le syndicat local et la fédération ont signé un

contrat de licence pour l'exploitation de cette marque ; que ce syndicat local et la fédération ayant fait connaître au syndicat intercommunal qu'il ne bénéficiait plus de l'autorisation d'exploiter la marque, celui-ci les a assignés en nullité de l'enregistrement de la marque et du contrat de licence ;

Attendu que le syndicat intercommunal fait grief à l'arrêt d'avoir dit que le syndicat local était créateur de la bouteille écussonnée, oeuvre artistique collective et d'avoir en conséquence rejeté ses demandes, alors, selon le moyen ;

1 / que la cour d'appel a deux reprises se réfère aux "pièces versées aux débats" ; que cette référence aux pièces sans autres précisions même si certaines sont évoquées et analysées ne permet pas au juge de cassation de savoir par un examen des conclusions elles-mêmes et des bordereaux de communication si l'ensemble des pièces retenues par la juridiction et visé de façon générique a été effectivement communiqué ; qu'en l'état, la Cour de Cassation n'est pas à même de vérifier si ont été satisfaites les exigences de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile, ensemble celles d'un procès à armes égales au sens de l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2 / que l'article 10 du décret du 15 mai 1936, modifié, créant l'appellation contrôlée "Châteauneuf du Pape"a été modifiée en 1937 et précise que "la bouteille spéciale (bourguignonne portant en relief sur le verre les armes pontificales et l'inscription Châteauneuf du Pape contrôlé, propriété du Syndicat des propriétaires viticulteurs de Châteauneuf du Pape et déposée le 2 juin 1937 sous le n° 41 au greffe du tribunal d'Orange, ne peut être utilisée que pour les vins de Châteauneuf du Pape à appellation contrôlée à l'exclusion de tous autres" ; que cette disposition a été reprise par l'article 10 du décret du 2 novembre 1966 ; qu'ainsi, qu'en avait jugé à bon droit les premiers juges, il est de principe constant que la dénomination constituant une appellation d'origine ne peut être valablement déposée à titre de marque (fut-ce une marque complexe collective) que les dispositions d'ordre public relatives aux appellations d'origine ont pour objet de permettre à tous les bénéficiaires de l'appellation de pouvoir en tirer tous les droits en découlant, et notamment en l'espèce, l'usage de la bouteille écussonnée expressément et intrinséquement associée à cette appellation dans le décret constitutif ;

qu'en jugeant le contraire pour infirmer le jugement entrepris et débouter le Syndicat intercommunal de défense viticole et de l'appellation d'origine contrôlée Châteauneuf du Pape de l'ensemble de ses demandes, la cour d'appel viole l'article L. 711-4 par refus d'application et l'article L. 711-1 par fausse application du Code de la propriété intellectuelle ;

3 / qu'il est constant que le dépôt du modèle effectué le 3 juin 1937 et quel qu'en fût l'auteur, n'a pas été renouvelé à l'expiration du délai de protection de 25 ans et qu'en conséquence le modèle déposé le 3 juin 1937 devait être considéré comme étant tombé dans le domaine public ; qu'en jugeant le contraire aux motifs erronés, que le Syndicat intercommunal a été pendant plus de trente ans, de 1963 à janvier 1996, membre de la Fédération des syndicats de producteurs de Châteauneuf du

Pape et que pendant toute cette période l'utilisation de la bouteille écussonnée a toujours nécessité l'accord de cette Fédération, bénéficiant des droits du Syndicat local, la cour d'appel viole l'article 7 de la loi du 14 juillet 1909 telle que modifiée par la loi du 26 novembre 1990, ensemble l'article L. 513-1 du Code de la propriété intellectuelle ;

4 / que la fraude corrompt tout ; que dans ses conclusions circonstanciées du 17 janvier 2002, le Syndicat intercommunal de défense viticole et de l'appellation d'origine contrôlée "Châteauneuf du Pape" insistait sur la circonstance que la situation voulue par la Fédération des syndicats de producteurs de Châteauneuf du Pape et le Syndicat des producteurs viticulteurs de Châteauneuf du Pape avait été parfaitement orchestrée car le 8 janvier 1996, le Syndicat des propriétaires viticulteurs de Châteauneuf du Pape avait fait procéder au dépôt de la marque collective n° 96/605.136 contestée, le 15 janvier 1996 le Syndicat intercommunal avait été radié des membres de la fédération ; que le 3 mars 1996 le réglement d'usage de la marque collective litigieuse était pris ; que le 29 juillet 1996 un contrat de licence d'exploitation avait été consenti à la Fédération des syndicats de propriétaires de Châteauneuf du Pape excluant ce faisant les 190 adhérents du Syndicat intercommunal qui exploite 1700 hectares sur les 3200 de l'aire d'appellation et qui produisent 53,66 % du volume total de l'appellation dont 47 % des AOC blancs et 44,30 % des AOC rouges, d'où l'éviction de tous les adhérents du Syndicat intercommunal s'agissant de l'utilisation de la bouteille écussonnée "symbole de l'AOC Châteauneuf du Pape" dont il faisait depuis des décennies usage et sans cotisation spécifique au bénéfice soit du Syndicat des propriétaires viticulteurs de Châteauneuf du Pape, soit de la Fédération des syndicats de propriétaires de Châteauneuf du Pape ;

que les premiers juges avaient relevé que les actions entreprises par le Syndicat local des Fédérations des producteurs apparaissent bien comme ayant eu pour objet de frauder les droits de ceux qui peuvent prétendre au bénéfice de l'appellation dans tous ses attributs qu'en n'examinant pas le litige sous l'angle, la cour d'appel méconnaît les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, ensemble celles d'un procès à armes égales au sens de l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

5 / que la fraude corrompt tout, la marque déposée l'ayant été en fraude des droits des utilisateurs d'un attribut essentiel d'une appellation d'origine contrôlée, à savoir la bouteille écussonnée symbole de l'AOC Châteauneuf du Pape, la cour d'appel ne pouvait faire produire le moindre effet à la marque collective déposée le 8 janvier 1996 sous le n° 96.605.136 ; qu'en décidant le contraire, pour infirmer le jugement entrepris à la faveur des motifs inopérants, la cour d'appel méconnaît le principe selon lequel "la fraude corrompt tout" ;

6 / qu'une contestation portait sur le créateur de la bouteille écussonnée ; que pour dire que le Syndicat des propriétaires viticulteurs de Châteauneuf du Pape était le créateur de ladite bouteille, oeuvre artistique à laquelle a contribué le Baron Z... Le Roy de Boiseaumarie, la cour d'appel affirme qu'il résulte d'aucune des piéces produites que comme l'a relevé le tribunal dans son jugement du 5 septembre 2000, le Syndicat local n'est pas l'auteur du modéle litigieux créé par Sabatier en 1930 et Souchon Neuvesel le 5 mai 1937 ; que pour affirmer que l'auteur d'une ceuvre artistique était en droit de la faire protéger par le dépôt d'une marque collective, la cour d'appel se contente de relever qu'il ne serait fait allusion au nom de Sabatier que dans un courrier adressé par la Société verrerie Souchon Neuvesel au Baron Le Roy de Boiseaumarie le 7 février 1951, qu'il n'est à aucun moment précisé la nature exacte de l'inscription en saillie sur une bouteille en verre et que la bouteille écussonnée qui présente un caractère original constitue bien une oeuvre artistique protégée, créée en 1937 par le Syndicat local ; que ces motifs qui procèdent par des affirmations inopérantes ne caractérisent pas en quoi et pourquoi le Syndicat des propriétaires viticulteurs de Châteauneuf du Pape était bien l'auteur du graphisme en cause cependant que le Syndicat intercommunal insistait sur le fait qu'au cours des derniers mois de l'année 1936, la verrerie Souchon Neuvesel avait conçu le modèle de bouteilles, dont le dernier soumis avait été la convenance du Baron Le Roy , président du syndicat local et que le 5 mai 1937 c'est la verrerie Souchon Neuvesel qui avait déposé un modèle de bouteille en verre avec "inscriptions en saillie" au conseil de prud'hommes de Lyon sous le n° 951 et qu'à son tour le 3 juin 1937 M. Le Roy de Boiseaumarie président du syndicat unique des propriétaires viticulteurs de Châteauneuf du Pape avait à nouveau déposé le modéèe de bouteilles conçu et réalisé par Souchon Neuvesel au greffe du tribunal d'Orange sous le n° 41 ; qu'en l'état de cette contestation circonstanciée, la cour d'appel ne pouvait statuer comme elle l'a

fait, sur l'auteur et le créateur du dessin stylisé figurant sur les bouteilles Châteauneuf du Pape bénéficiant de l'appellation d'origine contrôlée ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel ne justifie pas légalement son arrêt au regard des articles L. 111-1, L. 113-1 et L. 113-2 du Code de la propriété intellectuelle, violés ;

7 / que ce qui est devenu un véritable emblème d'une appellation d'origine contrôlée, ce qui est intrinsèque à ladite appellation et en constitue le corollaire indispensable, à savoir la bouteille écussonnée Châteauneuf du Pape notoirement connue et rattachée l'appellation de façon indivisible ne peut faire l'objet de la moindre appropriation que ce soit au titre du droit d'auteur ou au titre du droit de marque lorsque, comme en l'espèce, la législation elle-même sur les appellations d'origine a intégré la bouteille écussonnée comme faisant partie indivisible de l'appellation elle-même étant de plus observé qu'en toute hypothèse le modèle initial est tombé dans le domaine public si bien qu'en statuant comme elle l'a fait, par toute une série de motifs inopérants, la cour d'appel viole l'article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle par refus d'application, L. 111-1, L. 113-1 et L. 113-5 du Code de la propriété intellectuelle par fausse application et L. 715-1 du même Code toujours par fausse application ;

Mais attendu, en premier lieu, que le moyen manque par le fait sur lequel il prétend s'appuyer, dès lors que les pièces analysées par la cour d'appel figurent dans le bordereau de communication de pièces annexé aux conclusions récapitulatives de la fédération et du syndicat local produit à l'appui du mémoire en défense ;

Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant relevé que l'appellation d'origine contrôlée "Châteauneuf du Pape" avait été incorporée dans une marque complexe dont les éléments figuratifs présentaient un caractère original et distinctif, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ;

Attendu, en troisième lieu, qu'ayant retenu que la bouteille écussonnée constituait une oeuvre artistique sur laquelle le syndicat local bénéficiait des droits d'auteur, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait, peu important le non renouvellement du dépôt du modèle ;

Attendu, en quatrième lieu, qu'ayant relevé par une décision motivée que le syndicat local était titulaire des droits d'auteur sur la bouteille écussonnée, la cour d'appel a retenu à bon droit que le syndicat intercommunal ne pouvait, après avoir quitté la fédération, revendiquer plus de droits que n'en avaient les non adhérents ;

D'où il suit que le moyen, inopérant en sa première branche, n'est pas fondé en ses autres branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.