CA Rennes, 1re ch. A, 21 octobre 2008, n° 07/04489
RENNES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Ville de Nantes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Arnaud
Conseillers :
Mme Teze, Mme Mallet
Avoués :
SCP Gauvain & Demidoff, SCP Castres, Colleu, Perot & Le Couls-Bouvet
Avocats :
Me Thiebaut, Me Réveau
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Selon acte en date du 27 Juillet 1927, la Ville de NANTES a donné à bail à M L., traiteur, pour 75 ans, un terrain sur lequel ce dernier a construit, comme il s'y était engagé, un immeuble à usage de café restaurant.
Pour son exploitation, a été constituée en 1929 une société en commandite par actions, laquelle a été transformée en société en commandite simple par actions en 1970, Mme Jeanne R. épouse L., étant gérante associée tandis que M Pierre L. et Mme Jacqueline L. épouse F. étaient associés commandités. Cette société a été transformée le 16 octobre 1997 en société à responsabilité limitée.
Par ordonnance du 23 Janvier 1997, le Président du Tribunal de Grande Instance de NANTES a ordonné à la requête de la Ville de NANTES une expertise aux fins d'évaluer les travaux de remise en état de l'immeuble, lequel était inexploité depuis 1996.
Au vu du rapport d'expertise, la Ville de NANTES a obtenu par jugement du 7 Juillet 1999 du Tribunal de Grande Instance de NANTES, confirmé par arrêt de cette Cour du 22 Novembre 2000, la résiliation du bail pour inexécution par le preneur de ses obligations contractuelles ainsi que la condamnation de la SARL LOQUET à lui payer 1 185 000 F TTC avec indexation sur l'indice INSEE du coût de la construction.
Mme Jeanne R. veuve L. est décédée le 18 août 2004 et M Pierre L. le 24 août 2004.
Exposant qu'elle avait vainement poursuivi la société et que les associés avaient organisé leur insolvabilité en consentant des donations à leurs enfants ou petits-enfants, la Ville de NANTES a assigné Mme Michèle C., veuve de Pierre L., leurs trois enfants, Mme Françoise L., M Jacques L., Mme Annie L. ainsi que Mme Jacqueline L. épouse F. et ses quatre enfants, Mme Danièle F., Mme Annick F., Mme Muriel F. et Mme Maryse F. pour obtenir, sur le fondement de l' article L 222-1 du Code de Commerce, leur condamnation solidaire à lui payer les sommes dues par celle-ci ainsi que, sur le fondement de l'article 1167 du Code Civil, l'annulation des donations.
Par jugement du 7 Mars 2007, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de Grande Instance de NANTES a :
- condamné solidairement les défendeurs à payer à la Ville de NANTES :
* 184 410 € avec indexation sur l'indice INSEE du coût de la construction
* 4 573,47 €,
* 3 048,98 €
* 4 637,70 €
Le tout avec intérêts au taux légal à compter du 10 Juin 2005,
- condamné les défendeurs à payer à la Ville de NANTES 2500 € en remboursement de ses frais irrépétibles,
- rejeté les autres demandes,
- condamné les défendeurs aux dépens.
Appel de cette décision a été interjeté par Mme Michelle C. veuve L.. La Ville de NANTES a intimé les autres consorts L. et les procédures ont été jointes par ordonnance du 8 Septembre 2008.
Les consorts L. soulèvent à titre principal la prescription de l'action en application de l'article L 110-4 du Code de Commerce, plus de dix ans s'étant écoulé entre l'assignation, en date du 10 Juin 2005, et le fait générateur du dommage, lequel se situe selon la Ville de NANTES elle-même en 1987.
Subsidiairement, ils soutiennent que la condamnation prononcée le 7 mars 2007 est dépourvue de
cause et que seule la SARL LOQUET est débitrice des sommes réclamées.
Ils sollicitent en conséquence la restitution de la somme de 211 670,79 € versée dans le cadre de l'exécution provisoire, la main levée des inscriptions d'hypothèque et la condamnation de la Ville de NANTES à leur payer 20 000 € à titre de dommages et intérêts.
A titre extrêmement subsidiaire, ils demandent à la Cour de dire que la somme de 184 410 € fixée par le jugement s'entend indexation comprise et que seul l'intérêt au taux légal courra à compter du 7 mars 2007.
Ils réclament 6 000 € en remboursement de leurs frais irrépétibles.
La Ville de NANTES conclut à la confirmation du jugement, sauf à préciser que l'indexation doit s'appliquer à compter du 7 Juillet 1999 jusqu'à parfait paiement sur la somme de 184 410 € et que les intérêts au taux légal doivent courir sur la somme de 4 573,47 € à compter du 7 Juillet 1999 et du 20 Novembre 2000 pour celles de 3 048,98 € et 4 637,70 € et à lui accorder deux sommes de 6 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Elle conteste que son action soit prescrite en soutenant que s'agissant d'une action en recouvrement d'une condamnation résultant d'une décision de justice, elle est soumise à la prescription trentenaire ou subsidiairement, en admettant que la prescription tirée de l'article L 110-4 du Code de Commerce puisse lui être opposée, qu'elle n'a commencé à courir qu'après ses vaines tentatives d'exécution de l'arrêt du 22 Novembre 2000 à l'encontre de la société.
Elle approuve le Tribunal d'avoir considéré que la dette étant née avant la transformation de la société en société à responsabilité limitée, les associés commandités demeurent tenus de son paiement.
Pour plus ample exposé des faits et de la procédure, il est renvoyé aux dernières conclusions des parties respectivement en date des 18 juillet et 19 Août 2008 ainsi qu'à leurs notes en délibéré reçues les 24 et 29 Septembre 2008 et 3 Octobre 2008 en réponse à la demande d'explications de la Cour en date du 16 Septembre 2008.
DISCUSSION
Attendu que selon l' article L 222-1 du Code de Commerce, les associés commandités ont le statut des associés en nom collectif ; que selon l'article L 221-1 alinéa 1 du même code, les associés en nom collectif ont tous la qualité de commerçants et répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales ;
Attendu dès lors que les associés commandités peuvent se prévaloir des dispositions de l'article L 110-4 du Code de Commerce selon lesquelles les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants et non commerçants se prescrivent par dix ans si elles ne sont soumises à des prescriptions plus courtes ;
Attendu que si les consorts L. prétendent que dans la mesure où l'inexécution de ses obligations contractuelles reprochée à la société remonte à 1987, ce qui n'est pas contesté, l'action diligentée à leur encontre, par acte du 10 Juin 2005, est prescrite, la Ville de NANTES objecte à bon droit qu'en application des articles L 222-1 et L 221-1 deuxième alinéa du Code de Commerce, elle ne pouvait poursuivre le paiement des dettes sociales qu'après avoir vainement mis en demeure la société par acte extra judiciaire ;
Attendu qu'il résulte des pièces produites aux débats que la Ville de NANTES a obtenu par ordonnance de référé du 23 Janvier 1997 la désignation d'un expert à l'effet de rechercher si l'immeuble avait fait l'objet d'un bon entretien et dans la négative de décrire et chiffrer les travaux propres à assurer ce bon état ; que selon acte du 19 Octobre 1998, elle a assigné la société pour solliciter sa condamnation au paiement de 2 355 000 F, somme arrêtée par l'expert ; qu'ensuite de l'arrêt du 22 Novembre 2000, confirmant le jugement 98/05986 du 7 Juillet 1999 en ce qu'il avait prononcé la résiliation du bail pour inexécution par le preneur de ses obligations contractuelles et condamné la société à lui payer la somme de1 185 000 F TTC indexée sur l'indice du coût de la construction à compter du dit jugement, elle a procédé à la signification par acte du 5 Janvier 2001, a adressé une demande en paiement le 2 Mars 2001, puis un rappel le 12 Juin 2001 et a délivré 19 Mars 2002 un commandement de payer et une mise en demeure le 30 Septembre 2002 ;
Attendu dès lors que moins de dix ans s'étant écoulé entre l'assignation délivrée vainement à la société le 19 octobre 1998 et celle délivrée aux associés, le 10 juin 2005, l'action est recevable ;
Attendu ensuite que par des motifs pertinents que la Cour adopte, le Tribunal a considéré à bon droit que le fait générateur de la dette, c'est à dire le non-respect par la société de ses obligations d'entretien, se situant à une époque où elle était constituée sous forme de société en commande simple, ses associés commandités devaient en répondre, solidairement et indéfiniment, nonobstant sa transformation ultérieure en SARL ;
Attendu qu'au vu des jugements du 7 Juillet 1999 et de l'arrêt du 22 Novembre 2000, le jugement sera toutefois réformé et Mme Jacqueline L. épouse F., Mme Michelle C. veuve L., Mme Françoise L., M Jacques L. et Mme Annie L. seront seuls condamnés solidairement à payer à la Ville de NANTES :
* 180 652,09 € indexés sur l'indice INSEE du coût de la construction à compter du 7 Juillet 1999 et jusqu'à parfait paiement,
* 3 048,98 €, outre intérêts au taux légal à compter du 22 Novembre 2000,
* 2 805, 92 €, outre intérêts au taux légal à compter du 22 Novembre 2000 ;
Attendu qu'en effet, Mmes Danièle, Annick, Muriel et Maryse F. ne viennent pas aux droits des associés commandités décédés ;
Attendu qu'il sera précisé que si des sommes d'un montant supérieur à celles allouées ont été payées dans le cadre de l'exécution provisoire, elles seront restituées avec intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt ;
Attendu qu'il sera donné acte à la Ville de NANTES de ce qu'elle ne maintient pas son action paulienne ;
Attendu que l'équité ne commande pas de majorer en appel la condamnation prononcée au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Attendu que non déterminée, la demande de la Ville de NANTES visant à voir inclure dans les dépens les frais d’hypothèque judiciaires ne peut prospérer ;
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
Statuant dans les limites des appels et réformant partiellement,
Condamne solidairement Mme Michelle C. veuve L., Mme Françoise L., M Jacques L., Mme Annie L. et Mme Jacqueline L. épouse F. à payer à la Ville de NANTES :
* 180 652, 09 € indexés sur l'indice INSEE du coût de la construction à compter du 7 Juillet 1999 et jusqu'à parfait paiement,
* 3 048,98 €, outre intérêts au taux légal à compter du 22 Novembre 2000,
* 2 805, 92 € outre intérêts au taux légal à compter du 22 Novembre 2000, outre 2 500 € en remboursement de ses frais irrépétibles
Dit que si des sommes d'un montant supérieur à celles allouées ont été payées en vertu de l'exécution provisoire, elles seront restituées avec intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt,
Donne acte à la Ville de NANTES de ce qu'elle ne maintient pas son action paulienne,
Condamne Mme Michelle C. veuve L., Mme Françoise L., M Jacques L., Mme Annie L. et Mme Jacqueline L. aux dépens d'instance et d'appel, à l'exception de ceux relatifs à la mise en cause de Mmes Danièle, Annick, Muriel et Maryse F., qui demeureront à la charge de la Ville de NANTES et dit que la SCP CASTRES pourra recouvrer ceux d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.