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Décisions

Cass. crim., 25 mai 2022, n° 21-83.437

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme de la Lance

Avocat :

SCP Lyon-Caen et Thiriez

Paris, du 25 mai 2021

25 mai 2021

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. A l'issue d'une enquête préliminaire portant sur des irrégularités dans l'attribution des marchés publics de l'Office public de l'habitat (OPH) de [Localité 3], Mme [F], directrice de l'OPH, et M. [E], directeur des services techniques, ont été cités devant le tribunal correctionnel des chefs de favoritisme concernant dix-sept marchés publics conclus entre 2009 et 2012, et de corruption passive.

3. Par un jugement en date du 21 novembre 2019, le tribunal correctionnel les a relaxés.

4. Le ministère public a relevé appel de la décision.

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième, troisième moyens et cinquième moyen pris en ses deuxième et troisième branches

5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le quatrième moyen et le cinquième moyen pris en sa première branche

Enoncé des moyens

6. Le quatrième moyen critique l'arrêt en ce qu'il a déclaré Mme [F] coupable de corruption passive et l'a condamnée pénalement, alors :

« 1°/ que la corruption passive résulte du fait de solliciter ou d'agréer, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour elle-même ou pour autrui, soit pour accomplir ou avoir accompli, pour s'abstenir ou s'être abstenue d'accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat ; que l'avantage doit être reçu en contrepartie d'un tel acte ou d'une telle abstention relevant des fonctions de l'agent public et en exécution d'un accord à cette fin ; que pour retenir Mme [F], directrice de l'office public d'habitat, dans les liens de la prévention, la cour d'appel relève que la prévenue a accepté un voyage en Chine qui lui était offert par M. [I] [J], directeur général de la société [1], société avec laquelle l'office public d'habitat avait contracté et que « les « gestes commerciaux » adressés à des agents publics chargés de contracter au nom de l'OPH sont bien constitutifs de corruption dès lors qu'ils s'inscrivent, ce qui n'est pas réellement contesté, dans une « rétribution » de la préférence accordée par le passé et susceptible d'être renouvelée à l'avenir » ; qu'en n'expliquant pas ce qui permettait de considérer que la prévenue était ainsi rétribuée pour une préférence antérieurement accordée à la société [1], quand elle la relaxait par ailleurs pour les faits de favoritisme au profit de cette société, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 432-11 1° du code pénal et 593 du code de procédure pénale.

2°/ qu'en outre, en estimant que l'avantage était susceptible de rétribuer par avance une préférence, quand elle ne constatait aucun indice d'un accord en ce sens, improbable dès lors que Mme [F] allait prendre sa retraite, comme cette dernière l'avait indiqué, ni pratique similaire antérieure de nature à étayer ce qui dès lors n'était qu'une hypothèse, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 432-11, 1°, du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'en ne recherchant si, comme Mme [F] le soutenait, le voyage lui avait été offert pour se rendre à une manifestation destinée à célébrer la reconnaissance de la valeur de la réalisation d'un projet architectural par la société [1], réalisation menée en coordination avec l'office public de l'habitat, ce qui était de nature à exclure tout lien de causalité avec la rétribution d'une quelconque préférence accordée ou à venir à ladite société, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 432-11, 1°, du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »

7. Le cinquième moyen, en sa première branche, critique l'arrêt en ce qu'il a déclaré M. [E] coupable de corruption et l'a condamné pénalement, alors :

« 1°/ que la corruption passive résulte du fait de solliciter ou d'agréer, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour elle-même ou pour autrui, soit pour accomplir ou avoir accompli, pour s'abstenir ou s'être abstenue d'accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat ; que l'avantage doit être reçu en contrepartie d'un tel acte ou d'une telle abstention relevant des fonctions de l'agent public et en exécution d'un accord à cette fin ; qu'en estimant que le voyage offert à M. [E] était la « rétribution d'une préférence » accordée à la société [2], sans constater quel acte ou omission en rapport avec ses fonctions avait été accompli par M. [E] au profit de cette société, qui expliquerait cette rétribution, M. [E] ayant été relaxé pour les faits de favoritisme de ladite société, la cour d'appel n'a pas caractérisé le pacte de corruption en violation des articles 432-11, 1°, du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

8. Les moyens sont réunis.

Vu l'article 432-11, 1°, du code pénal, dans sa rédaction applicable aux faits de la cause :

9. Il résulte de ce texte qu'est constitutif du délit de corruption passive le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public, ou investie d'un mandat électif public, de solliciter ou d'agréer, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour elle-même ou pour autrui, pour accomplir ou s'abstenir d'accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat.

10. D'une part, pour déclarer coupable Mme [F] de corruption passive à raison d'un voyage en Chine que lui avait offert la société [1], attributaire d'un marché public visé à la prévention au titre du favoritisme, l'arrêt relève que les « gestes commerciaux » adressés à des agents publics chargés de contracter au nom de l'OPH sont constitutifs de corruption dès lors qu'ils s'inscrivent dans une rétribution de la préférence accordée par le passé et susceptible d'être renouvelée à l'avenir.

11. D'autre part, pour déclarer coupable M. [E] de corruption passive à raison d'un voyage au Sénégal que lui avait offert la société [2], attributaire d'un marché public visé à la prévention au titre du favoritisme, l'arrêt relève que les « gestes commerciaux » adressés à des agents publics chargés de contracter au nom de l'OPH sont constitutifs de corruption dès lors qu'ils s'inscrivent dans une rétribution de la préférence accordée par le passé et susceptible d'être renouvelée à l'avenir.

12. En statuant ainsi, alors qu'elle a confirmé la relaxe prononcée par le tribunal correctionnel à l'égard d'une part de Mme [F] pour les faits de favoritisme commis au bénéfice de la société [1], et d'autre part de M. [E] pour les faits de favoritisme commis au bénéfice de la société [2], et qu'elle n'a caractérisé à la charge des prévenus l'existence d'aucun acte de la fonction que ceux-ci, par ailleurs, auraient accompli, se seraient abstenus d'accomplir, auraient accepté d'accomplir ou de s'abstenir d'accomplir au bénéfice desdites sociétés, et dont les voyages offerts constitueraient la contrepartie, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés.

13. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 25 mai 2021, mais en ses seules dispositions relatives à la déclaration de culpabilité de Mme [F] pour corruption passive et à la peine, ainsi qu'à la déclaration de culpabilité de M. [E] pour corruption passive concernant l'acceptation d'un voyage offert par la société [2] et à la peine, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-cinq mai deux mille vingt-deux.