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Décisions

CA Paris, 3e ch. B, 15 novembre 2007, n° 05/19850

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Fédération des Industries Mécaniques et Transformatrices des Métaux, Conseil du Commerce de France, Fédération Française de la Papeterie, Fédération de la Plasturgie, Fédération Française de la Franchise, Entreprises de Taille Humaine Indépendantes et de Croissance (Association), Chambre professionnelle de la Boulangerie et de la Boulangerie Patisserie de Paris et de la Région Parisienne

Défendeur :

Siacar (Sté), Sifac (Sté), New England International Surety (Sté), Omne Reinsurance (Sté), Fonds de Garantie des Dépôts

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Monin-Hersant

Conseillers :

Mme Jourdier, M. Loos

Avoués :

Me Couturier, SCP Grappotte-Benetreau, SCP Regnier - Sevestre-Regnier - Lamarche-Bequet Regnier-Aubert, Me Bodin-Casalis, SCP Monin – d'Auriac de Brons, SCP Lagourgue - Olivier, SCP Petit-Lesenechal, SCP Taze-Bernard - Broquet, Me Teytaud, SCP Bernabe - Chardin - Cheviller, SCP Bourdais-Virenque - Oudinot, SCP Fanet - Serra

Avocats :

Me Maier, Me Pennec, Me Flambard, Me Silve, Me Delhomme, Me Papeloux, Me Hyest, Me Maintrieu-Frantz, Me Cholay, Me Le Bourgeois, Me Binder, Me Guez, Me Ottaway, Me Gregoire Sainte Marie, Me Regnier, Me Busson, Me Bensouda, Me Baret

T. com. Bobigny, 3e ch., du 28 sept. 200…

28 septembre 2005

EXPOSÉ DES FAITS ET DU LITIGE

La société MUTUA EQUIPEMENT été créée en 1956 sous le nom de SICAMA; c'était une société interprofessionnelle ayant pour objet l'organisation du crédit aux petites et moyennes entreprises du commerce et de l'industrie; elle apportait à ses sociétaires sous forme de cautionnement ou d'aval sa garantie pour leurs opérations professionnelles; c'est pourquoi la plupart de ses administrateurs étaient des organisations professionnelles, comme la Fédération de la franchise ou le syndicat patronal de la boulangerie; la société SICAMA, par exemple, contre garantissait des prêts octroyés par la Caisse Nationale des Marchés de l'Etat qui par la suite avec deux autres organismes (Crédit Hôtelier commercial et industriel et groupement interprofessionnel des PME) donna naissance au C.E.P.M.E..

A partir de 1984 la loi a soumis les sociétés de caution mutuelle à la réglementation des établissements de crédit, et notamment au contrôle de la Commission bancaire.

En octobre 1990, la société SICAMA qui adoptait la dénomination MUTUA EQUIPEMENT, créait une filiale à 99%, dénommée MUTUA SERVICES, pour développer une activité de prestations de services financiers; celle-ci négociait, étudiait et mettait en place les cautionnements octroyés par sa société mère. La SNC MUTUA SERVICES a eu pour gérant Monsieur Patrick B. du 22 octobre 1990 au 24 mars 1997.

A la même époque la société MUTUA EQUIPEMENT développait la contre garantie de prêts bancaires à hauteur de 50% (produit dénommé MUTUA CREDIT).

Le 4 avril 1991 Monsieur Patrick B. était désigné comme directeur général de la société MUTUA EQUIPEMENT. Le 17 juillet 1991 Monsieur Yves LE N. était nommé président du conseil d'administration.

En 1994 un rapport de la Commission bancaire soulignait le dynamisme mais aussi la fragilité de MUTUA EQUIPEMENT.

Pour faire face à une conjoncture de plus grande concurrence, la société MUTUA EQUIPEMENT allait développer de nouvelles activités, notamment dans le domaine de la construction: cautions aux maîtres d'ouvrage pour garantir le paiement de ses travaux à l'entrepreneur, cautions aux constructeurs de maison individuelle (dits: CMI) en faveur de leur client (pour les garanties prévues par l'article L.231-6 du Code de la construction et de l'habitation).

Elle entrait en relation avec la société SIFAC exerçant une activité d'interfaces entre les assureurs et les entreprises de CMI. Des conventions ont été conclues en 1995 entre MUTUA EQUIPEMENT, SIFAC représentée par Monsieur Jean-Claude P. et un réassureur de droit belge OMNE REINSURANCE.

Une nouvelle enquête de la Commission bancaire, en novembre et décembre 1996, révélait des dysfonctionnements graves et des prises de risques inconsidérés: Monsieur Patrick B. était alors révoqué en janvier 1997, et remplacé par Monsieur Michel D..

Parallèlement Monsieur Yves LE N. démissionnait et était remplacé par Monsieur L. puis le 20 février 1997 par le vice-président, Monsieur Jean G..

Après avoir vainement mis MUTUA EQUIPEMENT en demeure de constituer une provision supplémentaire de plus de 64 M de F, la Commission bancaire engageait la procédure disciplinaire le 14 mars 1997, avec la suspension des dirigeants le 19 juin 1997 et la nomination d'un administrateur provisoire, Monsieur de P..

Voyant que le redressement était impossible, la Commission bancaire prenait le novembre 1997 la décision de radier la société MUTUA EQUIPEMENT de la liste des établissements de crédit agréés, ce qui a conduit l'administrateur provisoire à effectuer au tribunal de commerce de BOBIGNY en novembre 1997 une déclaration de cessation des paiements de la société MUTUA EQUIPEMENT et de sa filiale la SNC MUTUA SERVICES.

Par jugements du 2 décembre 1997, le tribunal de commerce de BOBIGNY a ouvert une procédure de redressement judiciaire distincte pour chacune des deux sociétés. Ces procédures ont été converties en liquidation judiciaire par jugements du 16 décembre 1997 qui ont désigné Maître Jacques M. en qualité de liquidateur. Les deux procédures de liquidation judiciaire ont été jointes par jugement du 3 février 1998.

A la demande du liquidateur, une ordonnance de référé du 29 septembre 1998 a désigné deux experts, Messieurs B. et L., experts-comptables, pour rechercher l'origine des difficultés financières des deux sociétés et leurs causes.

Après diverses péripéties, la Cour d'appel de PARIS dans un arrêt du 28 janvier 2000, a confirmé l'organisation de cette expertise et son extension à un certain nombre de personnes concernées par la gestion de MUTUA EQUIPEMENT.

Les experts judiciaires ont déposé leur rapport le 12 juillet 2002.

Entre-temps, en décembre 2000, Maître Jacques M. avait assigné les personnes concernées pour voir prononcer des sanctions pécuniaires et des sanctions personnelles.

C'est ainsi que par jugement du 28 septembre 2005, le tribunal de commerce de BOBIGNY a ouvert le redressement judiciaire de Monsieur Patrick B., ancien directeur général, de Monsieur Yves LE N., ancien président du conseil d'administration, et de Monsieur Jean-Claude P. retenu comme dirigeant de fait, leur reprochant des fautes de gestion.

Le tribunal a également prononcé contre les mêmes des condamnations en comblement de passif, à savoir une condamnation de 300.000 € à l'encontre de Monsieur Patrick B. et de Monsieur Yves LE N. et une condamnation de 500.000 € à l'encontre de Monsieur Jean-Claude P., et des condamnations contre toute une série de dirigeants ou d'administrateurs (50.000 € pour les personnes physiques et 150.000 € pour les personnes morales), leur reprochant à tous diverses fautes de gestion ayant concouru à l'insuffisance d'actif, qui s'élèverait à plus de 286 millions d'euros.

La plupart des parties ont formé appel de ce jugement du 28 septembre 2005; les appels ont été joints.

Au cours de la mise en état et à la requête de Monsieur Yves LE N., a été ordonnée une consultation médicale, dont le rapport a été déposé en janvier 2007.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 31 mai 2007.

SUR CE, LA COUR,

Vu les dernières conclusions déposées par les personnes suivantes, appelantes et intimées:

- Maître Jacques M., ès qualités de liquidateur judiciaire des sociétés MUTUA EQUIPEMENT et MUTUA SERVICES, du 30 avril 2007,

- Monsieur Yves LE N., du 2 février 2007,

- Monsieur Patrick B., du 9 mai 2007,

- Monsieur Jean-Claude P., du 23 mai 2007,

- Monsieur Claude C., du 24 mai 2007,

- la Fédération de la Plasturgie et Monsieur Jacques N., du 21 mai 2007,

- la Fédération française de la Papeterie, du 10 mai 2007,

- Monsieur Louis A. de C., du 27 septembre 2006,

- le Conseil du Commerce de France, du 4 mai 2007,

- Monsieur Jean-Paul B., du 29 décembre 2006,

- l'Association E.T.H.I.C., du 16 mars 2007,

- la Fédération Française de la Franchise, Monsieur Michel M., et Monsieur Daniel M., du 27 septembre 2006,

- la Chambre professionnelle de la boulangerie de la région parisienne et Monsieur Gérard D., du 4 août 2006,

- la Fédération des Industries Mécaniques et transformatrices des métaux et Messieurs Jean-Pierre B. et Jean-Pierre L., du 31 août 2006,

- Monsieur Jean G., du 19 avril 2007,

- Monsieur Michel D., du 20 décembre 2006,

- Monsieur Jacques L., du 27 septembre 2006,

Vu les dernières conclusions déposées par les personnes suivantes, autres intimées:

- Maître Alain B., ès qualités de liquidateur bancaire de la société MUTUA EQUIPEMENT, du 4 octobre 2006,

- le Fonds de Garantie des Dépôts, du 12 avril 2006,

Vu les dernières conclusions déposées par Maître Bernard H., ès qualités de mandataire ad litem avec mission d'exercer les fonctions de représentant des créanciers de Messieurs P., B. et LE N., du 22 septembre 2006, assigné en intervention forcée,

Vu les assignations délivrées aux intimés n'ayant pas constitué avoué, à savoir:

- la S.C.P. B. D. ès qualités de liquidateur judiciaire des sociétés SIAFAC et SIACAR (actes des 24 février 2006, 12 juillet 2006, 21 juillet 2006, 10 août 2006),

- les sociétés SIAFAC et SIACAR (actes des 20 avril 2006, 27 et 28 juillet 2006),

- la société de droit belge OMNE REINSURANCE et Maître Anicet B. ès qualités de curateur à la faillite de cette société (actes des 27 février 2006, 12 juillet 2006, 27 juillet 2006 et 20 septembre 2006),

- Maître C. (acte du 21 juillet 2006),

et les tentatives d'assignation de la société de droit suisse NEW ENGLAND INTERNATIONAL SURETY (ou SECURITY), en faillite ( actes des 27 février 2006, 12 juillet 2006, 24 août 2006, 9 octobre 2006);

Considérant que les intimés qui n'ont pas constitué avoué n'ont pas tous été assignés à personne; que par application de l'article 474 du nouveau Code de procédure civile modifié par le décret n°2005-1678 du 28 décembre 2005, il y a lieu de statuer par défaut;

* * *

Considérant qu'avant d'examiner en premier les exceptions soulevées par certaines des personnes sanctionnées, et pour répondre à certains arguments de textes figurant dans les conclusions de quelques appelants, il convient de rappeler la loi applicable au présent litige;

Considérant qu'à l'époque des faits, soit entre 1994 et 1997, le Code monétaire et financier n'était pas en vigueur et les sociétés de caution mutuelle étaient régies notamment par la loi du 13 mars 1917 dont certains articles ont été repris dans les articles L.515-4 et suivants du Code monétaire et financier, et par la loi n°84-46 du 24 janvier 1984 (dite loi bancaire), plusieurs fois modifiée, comprenant un article 17 sur la notion de 'dirigeant responsable'['La détermination de l'orientation effective de l'activité des établissements de crédit doit être assurée par deux personnes au moins...' ] et l'article 52-2 sur la notion d'indisponibilité des fonds;

Qu'ainsi concernant l'état de cessation des paiements, on ne peut pas reprocher au tribunal de commerce de ne pas avoir appliqué l'article L.613-26 du Code monétaire et financier, dont les dispositions correspondent à l'article 46-1 ajouté à la loi de 1984 après la liquidation judiciaire de la société MUTUA EQUIPEMENT.

Considérant que la loi applicable à cette procédure collective, ouverte avant le 1er janvier 2006, est la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, telle que modifiée en 1994, et codifiée dans les articles L.620-1 et suivants du Code de commerce dans leur rédaction antérieure à la loi de sauvegarde; que spécialement les sanctions ont été prononcées sur le fondement des articles L.624-5 et L.624-3 anciens du Code de commerce;

Considérant qu'il est constant que le tribunal de commerce ne pouvait pas prononcer cumulativement, à l'encontre de la même personne, à titre de sanction l'ouverture d'un redressement judiciaire et une condamnation au titre du comblement du passif, dès lors que la première mesure, en raison de la confusion des passifs, rend sans objet la condamnation au paiement des dettes de la personne morale; que son jugement sera donc réformé sur ce point;

Considérant que néanmoins rien n'interdit à Maître Jacques M., en cause d'appel, de solliciter à titre principal la confirmation de la sanction donc l'ouverture d'un redressement judiciaire, et à titre subsidiaire une condamnation à combler une partie du passif; qu'en effet demeure applicable au présent litige l'article L.624-5 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi n°2005-845 du 26 juillet 2005, s'agissant de l'ouverture d'un redressement judiciaire concernant Monsieur Yves LE N., Monsieur Patrick B. et Monsieur Jean-Claude P.; que selon l'article 192 de la nouvelle loi, de telles procédures ouvertes avant le 1er janvier 2006 ne sont pas affectées par l'entrée en vigueur de la loi nouvelle et l'action demeure régie par l'ancien texte;

Considérant que, par contre, il résulte de la combinaison des articles 190 à 192 de la loi n°2005-845 du 26 juillet 2005, que si l'action en redressement judiciaire ou liquidation judiciaire à titre de sanction n'a pas donné lieu à l'ouverture d'une procédure collective avant le 1/1/2006, elle ne peut plus être poursuivie sur ce terrain de l'article L.624-5; que d'ailleurs le liquidateur ne le demande pas;

Considérant que demeure aussi applicable l'article L.624-3 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi n°2005-845 du 26 juillet 2005, s'agissant de la responsabilité pour insuffisance d'actif; qu'en effet selon l'article 191 5° de la nouvelle loi, la nouvelle responsabilité pour insuffisance d'actif de l'article L.651-2 n'est pas applicable aux procédures en cours;

Qu'ainsi, et contrairement à ce que soutient Monsieur D. notamment,

Maître M. peut poursuivre son action fondée sur l'ancien article L.624-3 du Code de commerce;

Que l'article L. 652-1 nouveau (obligation aux dettes sociales qui remplace le redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire à titre personnel) et qui s'applique dès le 1er janvier 2006 aux procédures en cours n'est pas invoqué par Maître M.; qu'on ne peut donc pas lui faire grief d'une demande nouvelle irrecevable;

Considérant que de même, et contrairement à ce que soutient Monsieur Michel D., l'ancien article L.625-4 sur la faillite est toujours applicable aux procédures en cours au 1er janvier 2006; qu'en effet d'après l'article 191 de la nouvelle loi, le chapitre III (à l'exception de ses articles L.653-7 et L.653-11) du titre V (déchéances) du Code de commerce dans sa nouvelle rédaction n'est pas applicable aux procédures en cours; qu'il s'ensuit que l'article L.624-5 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005, bien qu'abrogé par cette loi, peut encore servir de fondement au prononcé d'une mesure de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer contre le dirigeant d'une personne morale soumise à une procédure collective en cours au 1er janvier 2006; que Maître Jacques M. et le Ministère public peuvent donc fonder leurs demandes de sanction personnelle sur le texte ancien;

Considérant qu'enfin le principe de l'application immédiate des lois plus douces est vainement invoqué en l'espèce, les sanctions sollicitées dans la présente instance n'étant pas de nature pénale;

* * *

Considérant que les appelants ont soulevé plusieurs exceptions;

- 1°) sur l'irrecevabilité alléguée en raison du cumul des demandes

Considérant que c'est à bon droit que le tribunal de commerce a écarté l'exception d'irrecevabilité soulevée au motif qu'une demande de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire serait exclusive de toute autre demande; qu'en effet les dispositions de l'article 7 alinéa 3 du décret n°85-1388 du 27 décembre 1985 ne s'appliquent pas lorsque le tribunal est saisi par le mandataire liquidateur en vertu des pouvoirs qui lui sont attribués par l'article 183 de la loi 85-98 du 25 janvier 1985, devenu article L.624-6 du Code de commerce ancien;

- 2°) sur la nullité de la procédure au regard des articles 56 et 145 du nouveau Code de procédure civile:

Considérant que le tribunal de commerce doit être également approuvé en qu'il a rejeté l'exception de nullité de la procédure au regard des articles 56 et 145 du nouveau Code de procédure civile, en relevant que la mesure d'expertise a été entreprise avant l'action au fond et que l'assignation introductive d'instance satisfaisait aux prescriptions de l'article 56 du nouveau Code de procédure civile;

- 3°) sur l'exception de sursis à statuer

Considérant que certains appelants sollicitent un sursis à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction administrative saisie en 2003 par la F.I.M. et par Messieurs B. et L. d'un recours en indemnisation contre la Commission bancaire pour faute lourde;

Que cependant les défaillances alléguées de cet organe de contrôle ne sont pas de nature à exonérer les dirigeants de leur responsabilité au regard de l'article 180 de la loi 85-98 du 25 janvier 1985; que le sursis demandé n'est donc pas opportun, d'autant plus que l'existence du préjudice allégué au soutien de l'action devant la juridiction administrative dépend largement de l'issue de la présente instance;

-4°) sur la nullité du rapport d'expertise en vertu de l'article 6-1 de la CDEH:

Considérant que le rapport d'expertise judiciaire soutenant l'action du mandataire liquidateur a été rédigé, et signé le 18 juillet 2002, par deux experts-comptables Monsieur Régis L. et Monsieur Paul B.;

Qu'il a été démontré que Monsieur L. figurait au registre du commerce depuis 1988 comme commissaire aux comptes de la société 'Groupe JCP /S.A. Logis France' dont Monsieur Jean-Claude P. était le P.D.G lorsqu'elle a été mise en liquidation judiciaire le 12 février 1990; qu'il a été aussi démontré que le cabinet d'expertise comptable de Monsieur L. a effectué en 1986 et 1987 des travaux comptables et des analyses financières pour plusieurs sociétés dont Monsieur Jean-Claude P. était également le dirigeant, spécialement l'entreprise individuelle JCP ASSURANCES immatriculée dans la Nièvre;

Considérant que Monsieur P. a participé aux réunions d'expertise et s'est trouvé en présence de Monsieur L., sans jamais soulever un problème d'incompatibilité ni récuser cet expert; que sa demande de nullité du rapport d'expertise, formulée seulement en 2004, au motif que les experts ont commis des erreurs et recherché à tout prix sa responsabilité, est donc tardive et dilatoire;

Que de toutes façons, ni lui, ni les autres appelants ayant soulevé cette exception, n'expliquent en quoi le fait pour Monsieur L. d'avoir examiné la comptabilité de sociétés animées par Monsieur P. entre 1986 et 1990 a pu nuire à l'impartialité de cet expert dans la mission qui lui a été confiée environ dix ans plus tard dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société MUTUA EQUIPEMENT dont les relations avec Monsieur Jean-Claude P. et les sociétés SIFAC et SIACAR, également animée par lui, ont débuté au plus tôt en 1993;

Qu'ainsi en l'absence de tout élément pouvant laisser penser que la neutralité de l'un des experts commis pouvait être altérée, l'exception de nullité du rapport d'expertise est mal fondée; que c'est avec raison que le tribunal de commerce l'a écartée;

- 5°) sur la nullité du jugement

Considérant que certains appelants invoquent vainement la nullité du jugement frappé d'appel du fait que le Juge-commissaire n'aurait pas effectué le rapport prévu par l'article 164 du décret du 27 décembre 1985, formalité substantielle d'ordre public;

Qu'en effet le tribunal de commerce n'ayant pas usé de la faculté de désigner le Juge-commissaire ou un autre enquêteur en application de l'article 184 loi de 1985 (art L.624-7 du Code de commerce), cette disposition n'a pas trouvé à s'appliquer;

Considérant que par ailleurs Monsieur N. a soulevé la nullité du jugement frappé d'appel au motif qu'il a été rendu par une formation présidée par le Juge-commissaire de la liquidation judiciaire de la société MUTUA EQUIPEMENT;

Que cependant les débats devant le tribunal de commerce et le prononcé de son jugement ont eu lieu à une date antérieure à la mise en vigueur de l'article L.653-7 du Code de commerce (dans sa rédaction postérieure à la loi n°2005-845 du 26 juillet 2005), intervenue le 1er janvier 2006 en application de l'article 191. 6°de cette même loi;

Que la participation du Juge-commissaire à ce jugement ne peut donc pas être critiquée au visa de cet article;

Que de plus le fait que le législateur français ait cru opportun d'interdire à compter du 1er janvier 2006, et même pour les procédures ouvertes antérieurement, la participation du Juge-commissaire au jugement des actions aux fins de sanction contre les dirigeants ne suffit pas à caractériser que dans la présente espèce il n'a pas été satisfait à l'exigence d'impartialité requise de toute juridiction par l'article 6 §1 de la convention européenne des droits de l'homme;

Qu'en effet est insuffisante à caractériser une violation de ce principe la seule circonstance que le président de la formation de jugement, comprenant 5 juges, ait précédemment connu de la liquidation judiciaire des sociétés MUTUA comme Juge-commissaire, à défaut de toute autre circonstance permettant de faire naître un doute sur la neutralité du tribunal de commerce à l'égard des personnes poursuivies;

Que les parties se sont d'ailleurs abstenues de formuler une quelconque demande de récusation devant les premiers juges;

Que les exceptions de nullité invoquées contre le jugement du tribunal de commerce de BOBIGNY du 28 septembre 2005 seront donc aussi écartées;

- 6°) sur l'exception de prescription des faits antérieurs au 8 décembre 1997

Considérant que l'association ETHIC est mal fondée à soutenir que les faits remontant à une date antérieure de 3 ans à l'assignation introductive d'instance sont prescrits; que s'agissant non pas d'une poursuite pénale, mais d'une action aux fins de sanction en matière commerciale, la prescription triennale concerne seulement l'exercice de l'action qui doit être engagée dans les 3 ans de l'ouverture de la liquidation judiciaire (articles 180 et 182 de la loi du 25 janvier 1985); que les faits même plus anciens ne se prescrivent pas et peuvent être invoqués au soutien de l'action;

* * *

SUR LE FOND

Considérant que l'action tend au prononcé de sanctions de différentes natures: comblement de l'insuffisance d'actif, mise en redressement judiciaire à titre personnel et mesures de déchéances; que cependant, quel que soit le degré de la faute qui pourra être retenue contre l'un ou l'autre des dirigeants poursuivis, il apparaît à la Cour qu'étant donné le temps écoulé depuis les faits (plus de 10 années), la seule sanction demeurant opportune aujourd'hui est la responsabilité pécuniaire de l'article L.624-3 du Code de commerce; qu'en effet il convient de tenir compte de l'intervention de la loi n°2005-845 du 26 juillet 2005 qui ne permet plus depuis le 1er janvier 2006 d'ouvrir de nouvelles procédures collectives à titre personnel contre les dirigeants personnes physiques, créant par là une distorsion entre la situation de Messieurs LE N., B. et P., pour lesquels la Cour pourrait confirmer une mesure de redressement judiciaire déjà prononcée, et la situation des autres personnes poursuivies ayant définitivement échappé à cette sanction;

Considérant que par ailleurs le but poursuivi par les mesures de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer étant d'écarter de la vie économique un dirigeant fautif, elles ne se justifient plus si longtemps après les faits, surtout à l'encontre des personnes que l'âge a contraintes à se retirer des affaires, mais aussi à l'encontre des autres;

Que la Cour rejettera donc les demandes de sanction autre que le comblement de passif;

Considérant que la mise en oeuvre de la responsabilité pécuniaire d'un dirigeant, de droit ou de fait suppose que soit démontrée à sa charge des fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif; que la plupart des appelants soutiennent que le tribunal a pris en considération un passif considérable, sans aucune mesure avec la réalité; que certains contestent même l'existence d'une insuffisance d'actif; qu'il convient donc d'examiner tout d'abord ce point avant de rechercher pour chacune des personnes poursuivies, si elle a commis une faute au sens de l'article L.624-3 du Code de commerce;

A/ sur l'insuffisance d'actif

Considérant que le tribunal de commerce a retenu une insuffisance d'actif de 221.775.602 euros pour la seule société MUTUA EQUIPEMENT; que cependant à la date de ce jugement la vérification du passif chirographaire n'était pas terminée; que désormais les états des créances ont été arrêtés par le Juge-commissaire; que le passif admis est effectivement bien inférieur au passif déclaré à l'origine;

Considérant que dans l'état des créances arrêté par le Juge-commissaire le 31 mai 2000, le passif privilégié des sociétés MUTUA EQUIPEMENT et MUTUA SERVICES, liquidées sous patrimoine commun, s'établit à 2.006.782,75 euros dont 1.424.450 euros pour la seule société MUTUA EQUIPEMENT; que dans l'état des créances arrêté par le Juge-commissaire le 7 février 2007, leur passif chirographaire définitivement admis s'établit à 38.727.886,84 euros, dont 38.546.548 euros pour la seule société MUTUA EQUIPEMENT;

Considérant que concernant l'actif, les dernières conclusions du liquidateur actualisent le montant des actifs réalisés à la somme de 11.109.514 € qui n'est pas contestée;

Qu'il en résulte une insuffisance d'actif de 28.861.484 euros (1.424.450 + 38.546.548 - 11.109.514);

Que cette insuffisance d'actif calculée à partir du passif admis par le Juge-commissaire est bien réelle et non virtuelle comme le soutiennent à tort certains appelants, les créances déclarées mais correspondant à des 'encours sains' ayant justement été rejetées par le Juge-commissaire; que les critiques sur certains postes de créances, spécialement dans les conclusions de Monsieur Patrick B. et de Monsieur Jean-Claude P., ne sont pas susceptibles, en l'absence de contestation dans les formes légales de l'état des créances, de remettre en cause le passif admis

Que de plus le passif chirographaire admis comprend à hauteur de 5.719.172,95 euros la créance du Fonds de Garantie des dépôts qui s'est substitué à la société MUTUA EQUIPEMENT pour l'exécution des obligations contractées dans le cadre des constructions de maisons individuelles; que cette créance est susceptible d'être encore augmentée; que contrairement à ce que soutiennent certains appelants, la garantie de la société MUTUA EQUIPEMENT n'a pas pu être limitée au montant des fonds de garantie dédiés à ces risques, tant en raison de l'absence d'une clause de limitation de garantie dans nombre des engagements souscrits, qu'en raison de carences empêchant de retrouver dans la comptabilité de la société MUTUA EQUIPEMENT les cotisations qui auraient dû alimenter ces fonds dédiés (rapport d'expertise pages 270 et 271);

Considérant qu'ainsi se trouve établie l'existence d'une insuffisance d'actif de plus de 28 millions d'euros pour la société MUTUA EQUIPEMENT;

Considérant que la société MUTUA SERVICES n'avait aucun actif ; que son insuffisance d'actif s'élève donc au total de son passif, c'est-à-dire à la somme de 763.670 euros;

Que dès lors il est possible de rechercher la responsabilité des dirigeants dans l'insuffisance d'actif de ces deux sociétés;

B/ sur les fautes de gestion

Considérant que les fautes reprochées aux dirigeants des sociétés MUTUA EQUIPEMENT et MUTUA SERVICES se situent dans le contexte exposé ci-dessous;

Considérant qu'il résulte des éléments versés aux débats, et spécialement des rapports d'inspection de la Commission bancaire du 24 juin 1994 et du 14 janvier 1997, et du rapport d'expertise judiciaire de Messieurs B. et L. avec ses annexes, que la déconfiture de la société MUTUA EQUIPEMENT est due en partie à une conjoncture défavorable mais surtout à une stratégie hasardeuse, à des opérations mal maîtrisées lancées dans des conditions juridiques insuffisamment définies, au recours à un intermédiaire qui n'a pas apporté les prestations attendues, et à une absence totale de contrôle interne;

Qu'en effet dès juin 1994 la Commission bancaire soulignait que la société MUTUA EQUIPEMENT se trouvait dans une situation assez fragile caractérisée par 'la faiblesse de sa rentabilité consécutive aux conditions médiocres imposées par une concurrence sévère, l'insuffisance de fonds propres générée par une politique de développement commercial ne prenant pas suffisamment en compte les contraintes réglementaires relatives au ratio de solvabilité, et le risque d'augmentation des créances douteuses et des appels en garantie, notamment pour les dossiers les plus anciens'; qu'en janvier 1995 Monsieur LE N. était destinataire d'une lettre de la Commission bancaire résumant les conclusions de l'inspection; que le Conseil d'administration réuni le 5 avril 1995 en prenait connaissance; qu'à la même époque les comptes de l'exercice 1994 révélaient une perte d'exploitation significative (6.613 KF), même si la sous-estimation des risques encourus et le choix de solutions comptables erronées aboutissaient à un résultat comptable positif; que pourtant au cours du conseil du 5 avril 1995 aucune mesure de restructuration n'a été envisagée;

Considérant que ce même conseil d'administration a donné son accord pour la conclusion du contrat de réassurance proposé par la société belge OMNE RE et dont les modalités ont été exposées par Monsieur B. comme permettant de délivrer sans risque des cautions financières et administratives; que le conseil approuvait en outre la décision de modifier le règlement intérieur en vue de la diversification de l'activité; que néanmoins Monsieur Yves LE N. incitait à la prudence et chargeait sur ce sujet Monsieur G., vice-président du conseil d'administration, d'une mission de 'conseil extérieur'; qu'il s'est avéré que cette mission est restée théorique;

Que lors du comité de direction du 11 avril 1995 auquel participaient Monsieur LE N., Monsieur B. et Monsieur C. (directeur salarié depuis janvier 1995), des précisions étaient données sur cette opération impliquant aussi la société SIFAC; que malgré une réponse réservée reçue à la demande de renseignements de Monsieur LE N. sur la société OMNE RE, Monsieur Patrick B. signait au nom de la société MUTUA EQUIPEMENT deux contrats avec la société OMNE RE dans le domaine des garanties financières, une convention cadre du 18 mai 1995 à laquelle était partie également la société SIFAC, et un traité de réassurance du 24 mai 1995; que pourtant c'est seulement lors du conseil d'administration du 24 octobre 1995 que seront adoptées les modifications du règlement intérieur permettant d'étendre l'activité de la société MUTUA EQUIPEMENT à l'octroi de garanties autres que la contre garantie de concours bancaires et à d'autres bénéficiaires comme les associations et les professions libérales;

Considérant que dans le domaine de la garantie des opérations de construction de maisons individuelles (opérations dites 'CMI'), Monsieur Patrick B. a également signé au nom de MUTUA EQUIPEMENT deux conventions avec la société SIFAC représentée par Monsieur Jean-Claude P.; que la première porte la date du 26 juillet 1995 et définit le rôle de chacune des sociétés dans la délivrance de cette garantie; que la seconde est datée du 24 août 1995 et prévoit la constitution d'un fonds de garantie d'achèvement de travaux; que dans ces deux contrats apparaît le rôle prépondérant de la société SIFAC, à travers Monsieur Jean-Claude P. défini comme l'initiateur et l'animateur de cette activité; qu'il y a lieu de préciser que les relations avec la société SIFAC avaient commencé plus tôt, un partenariat ayant été mis en place antérieurement comme le montrent les comités de direction de mars et avril 1994 auxquels étaient présents entre autres Messieurs LE N. et B.;

Considérant qu'aucune de ces conventions n'a fait l'objet d'une approbation préalable par le conseil d'administration, ni d'une ratification par l'assemblée générale, ce que pourtant imposait l'article 33 des statuts de MUTUA EQUIPEMENT s'agissant de conventions prévoyant notamment la rémunération de l'organisme de garantie; que néanmoins il est établi que le directeur général a immédiatement commencé à délivrer des garanties en vertu des contrats signés par lui seul;

Considérant que la signature des attestations individuelles de garanties des constructeurs de maisons individuelles, d'abord assurée par Monsieur Patrick B. seul a ensuite été déléguée successivement à deux salariés, Monsieur H. et Mademoiselle H., suivant pouvoirs signés par Monsieur Yves LE N. le 20 octobre 1995 et le 5 février 1996; que contrairement à ce qui était indiqué dans ces pouvoirs, aucun contrôle du directeur chargé de l'inspection des risques n'a été mis en place, que plus généralement aucune procédure spécifique de suivi des opérations de CMI n'a été mise en place chez MUTUA EQUIPEMENT pour s'assurer du respect des conditions de délégation de signature, de la correcte appréciation des risques dans le cadre de la délégation des audits préalables à la société SIFAC, du respect des plafonds d'engagement par constructeur et par an; qu'ainsi a été laissé sans contrôle à une entreprise externe l'ensemble de la gestion des polices des constructeurs, des sinistres et des fonds de garantie, sans autre couverture valable des risques;

Considérant que de même, comme l'a aussi relevé l'inspection de la Commission bancaire en 1996, les autres garanties financières ont été délivrées dans des conditions d'insécurité totale, la société MUTUA EQUIPEMENT se reposant totalement sur la société SIFAC pour l'étude du dossier de caution, la mise en place de l'opération et sa gestion y compris l'encaissement des primes;

Considérant que jusqu'au milieu de l'année 1996 les procès verbaux du conseil d'administration ne font pas référence aux nouvelles activités d'octroi de garanties administratives ou financières; qu'aucune information n'est communiquée sur le montant des engagements, qu'aucune question n'est posée sur l'utilisation faite par Messieurs B. et LE N. des possibilités accordées;

Considérant que les premières alarmes sont venues du conseil de surveillance dans son rapport pour l'assemblée générale ordinaire annuelle du 30 mai 1996; qu'ayant pris connaissance d'opérations réalisées dans le cadre de conventions avec la société OMNE RE, les 'Conseillers' remarquent un certain nombre d'anomalies et sollicitent plusieurs mesures; qu'à nouveau en septembre 1996, ils rappellent que les opérations OMNE RE et SIFAC n'ont pas fait l'objet d'un accord du conseil d'administration, ni d'une ratification par l'assemblée générale; qu'ils finiront par demander le 23 décembre 1996 qu'il soit mis un terme à ces opérations;

Considérant que parallèlement, averti par le chef comptable de l'existence d'engagements pour des montants importants en dehors des engagements classiques MUTUA CREDIT, Monsieur C., toujours salarié et 'inspecteur des risques' à compter d'avril 1996, tire la sonnette d'alarme dans une note adressée à Monsieur G., vice-président, le 13 juillet 1996 (niveau de charge déraisonnable, insuffisances dans la gestion courante, opacité, hémorragie financière nécessité de réagir rapidement...), lequel répercute cette inquiétude lors du conseil d'administration du 23 juillet 1996;

Qu'à la suite de ce conseil et sur la préconisation de Monsieur D., MUTUA EQUIPEMENT par lettre de son directeur général notifie à SIFAC la limite des cautions à 3 millions de francs et la nécessité de soumettre au comité de crédit tous les engagements supérieurs à un million; que par lettre de Monsieur Jean-Claude P. à Monsieur Patrick B. du 19 août 1996, puis par lettre du 2 octobre 1996 la société SIFAC proteste contre la remise en cause de leurs accords, insistant sur l'absence de risque, celui-ci étant supporté par le réassureur;

Considérant qu'à la même époque le commissaire aux comptes a commencé à s'inquiéter de la dégradation de la situation de MUTUA EQUIPEMENT et de la forte croissance du contentieux, demandant des explications à Monsieur LE N. et à Monsieur B. et préconisant des mesures;

Considérant qu'en effet au cours du 2ème semestre de l'année 1996, de nombreux sinistres se révèlent; que sollicitée par MUTUA EQUIPEMENT, suivant courrier signé par Monsieur Patrick B., pour régler plus de 10 millions de francs, la société OMNE RE refuse de les prendre en charge, arguant de garanties données sans contrôle;

Que le comité de direction du 10 septembre 1996 demande l'arrêt progressif de l'activité relative aux sociétés SIFAC et OMNE RE; que Monsieur C. fait remarquer qu'il n'a jamais été consulté dans le domaine des cautions financières pour lesquelles la politique des risques n'a pas été respectée;

Considérant qu'en octobre 1996 Monsieur N., représentant permanent de la Fédération de la Plasturgie, administrateur de MUTUA EQUIPEMENT, exprime à Monsieur G. ses interrogations et la nécessité de mesures de redressement; que le procès-verbal du conseil d'administration du 22 octobre 1996 relate que Monsieur Patrick B. a délivré seul les cautions administratives et financières à partir de mai 1995, sans en informer le conseil, ayant considéré que le risque était nul du fait de la réassurance de OMNE RE; que Monsieur Patrick B. s'est employé à rassurer les administrateurs, en déniant tout préjudice financier; que le conseil d'administration décide un arrêt progressif des opérations CMI; que Monsieur N. déplore le manque d'information antérieure et réexprime son inquiétude;

Considérant qu'au cours du conseil d'administration du 3 décembre 1996, il est énoncé que l'octroi de garanties financières est arrêté depuis juillet 1996, que par contre pour les CMI la dénonciation brutale des conventions passées avec la société SIFAC ne serait pas possible car la mise en difficulté de cet intermédiaire serait néfaste aussi pour la société de caution mutuelle qui a besoin de son intervention technique; que Monsieur Patrick B. déclare: 'les pertes que nous enregistrons depuis quelques mois ne proviennent pas des opérations SIFAC mais d'un contexte économique morose';

Que 17 décembre 1996 la procédure d'alerte est enclenchée par le commissaire aux comptes; que la société SIFAC est mise en demeure de payer les commissions en retard et menacée de résiliation de son contrat;

Qu'à compter du 23 décembre 1996 Monsieur Yves LE N. retire à Monsieur Patrick B. son pouvoir de signature des attestations de garantie dans le cadre des cautions aux CMI;

Considérant qu'avertie par deux salariés de MUTUA EQUIPEMENT (Monsieur C. et Monsieur L.), la Commission bancaire enquête à compter du 26 novembre 1996, qu'elle rend le 14 janvier 1997 son rapport avec un diagnostic très sévère sur la situation et les mesures à prendre;

Que lors du conseil d'administration du 15 janvier 1997, des explications sont demandées à Monsieur B. sur les reproches de l'Inspecteur et notamment sur deux dossiers de cautions financières à haut risque; qu'il évoque des solutions possibles;

Qu'il est révoqué par le conseil d'administration du 20 janvier 1997 qui nomme à sa place Monsieur D., directeur salarié chargé du contentieux au sein de la filiale AUXICREANCES; que Monsieur Yves LE N. est déchargé de ses fonctions de président, poste auquel est nommé un mois plus tard Monsieur G.; que pendant ce conseil il est expliqué aux administrateurs que l'arrêt sans préavis de la délivrance des attestations de garanties aux CMI ne leur laisserait pas le temps de trouver un nouveau garant, obligatoire, et les conduirait à la faillite, augmentant ainsi les risques sur les opérations antérieurement garanties; que le conseil 'accepte que les opérations CMI présentées par SIFAC soient poursuivies jusqu'au 31 mars 1997 mais à condition que les nouveaux engagements mensuels ne dépassent pas 75% des tombées du même mois';

Considérant que les nouveaux dirigeants s'activent alors pour faire le point de la situation de MUTUA EQUIPEMENT et tenter de trouver des solutions pour diminuer ses encours;

Que le 28 janvier 1997 le président du tribunal de commerce de BOBIGNY ouvre une enquête;

Que le 28 février 1997 OMNE RE résilie le contrat de réassurance pour non-paiement de la prime, ce qui aurait dû entraîner la résiliation de plein droit de la convention SIFAC MUTUA, que néanmoins des attestations seront encore délivrées pour 140 MF;

Considérant que le conseil d'administration du 6 mars 1997 évoque la nécessité de revenir au ratio de solvabilité normal et les moyens pour y parvenir (recherches de partenaires...), qu'il décide de continuer l'activité malgré les risques encourus;

Qu'en mars 1997 la Commission bancaire déclenche la procédure disciplinaire, que Monsieur G. sollicite alors quelques mois de délais pour réaliser le redressement, soulignant l'augmentation du chiffre d'affaires et de la trésorerie;

Que le 21 avril 1997 par courrier de Monsieur D. il est mis un terme définitif aux conventions passées avec SIFAC;

Qu'au cours du mois de mai 1997 la B.N.P. rompt ses relations de partenariat avec la société MUTUA EQUIPEMENT, ce qui entraîne une forte baisse du chiffre d'affaires;

Qu'enfin les dirigeants légaux de la société sont dessaisis de leurs fonctions avec nomination d'un administrateur provisoire, par décision de la Commission bancaire du 19 juin 1997;

Considérant qu'à la lumière de ce qui précède il convient d'examiner pour chacun des dirigeants poursuivis s'il peut leur être reproché des fautes précises ayant eu une incidence concrète sur l'insuffisance d'actif;

Considérant qu'aux termes de ses statuts, la société MUTUA EQUIPEMENT était administrée par un conseil d'administration ayant des pouvoirs très étendus pour agir au nom de la société (article 31) et, en matière de garantie, pour déterminer le montant et la durée des garanties accordées à chaque sociétaire et y mettre fin (article 32); que le conseil d'administration élisait en son sein un président et qu'il pouvait déléguer à un directeur général les pouvoirs nécessaires à la direction de la société 'à l'exception de ceux qui concernent l'octroi, la modification ou le retrait de la garantie de la société visés à l'article 32 et la fixation des prélèvements et commissions prévue à l'article 33';

Qu'il convient de voir le rôle de chacune des personnes impliquées comme dirigeant;

I. les organes de direction et d'administration de MUTUA EQUIPEMENT :

1° Monsieur Yves LE N.

Il a été le Président du conseil d'administration de MUTUA EQUIPEMENT de juillet 1991 jusqu'à sa démission en janvier 1997; il a été à ce titre dirigeant responsable au sens de l'article 17 de la loi du 24 janvier 1984 à compter du 25 octobre 1991.

Début mai 1996 il a été victime d'un accident vasculaire cérébral qui a provoqué une aphasie; néanmoins il a continué à assister aux conseils d'administration, le vice-président Monsieur G. lui 'prêtant sa voix'.

Même si on doit admettre avec le Dr A., aux termes du rapport de sa mission de consultant judiciaire, qu'à partir de mai 1996, les fonctions de compréhension de Monsieur LE N. ont pu être amoindries, il porte une lourde responsabilité dans la survenue des difficultés de la société MUTUA EQUIPEMENT, ayant commis des fautes de gestion bien avant sa maladie; en effet dès 1994 il a été alerté par le rapport de la Commission bancaire sur la mauvaise rentabilité et sur le non-respect de la réglementation sur le ratio de solvabilité, ayant de surcroît été destinataire de la lettre du 27 janvier 1995 lui impartissant de prendre des mesures de redressement; il a néanmoins conduit des politiques de développement interne et externe sans discernement, la société n'ayant ni les moyens financiers nécessaires, ni la rentabilité suffisante pour mener à bien ce développement; il a donc participé à la continuation voire à l'aggravation d'une exploitation déficitaire.

Par ailleurs tout au long de l'année 1995 il a laissé faire Monsieur Patrick B., alors qu'il était informé des activités avec les sociétés SIFAC et OMNE RE, comme le prouvent notamment son échange de courriers d'avril 1995 au sujet de cet assureur avec un banquier belge et les délégations de pouvoirs qu'il a données à deux salariés le 20 octobre 1995 et le 20 mars 1996 pour la signature des attestations en matière de garantie des CMI; il n'a mis en place aucun suivi de ces engagements et aucun contrôle de ces nouveaux risques malgré l'incitation à la prudence qu'il avait émise lors du conseil d'administration du 5 avril 1995. La comptabilité et l'organisation de MUTUA EQUIPEMENT se sont révélés par la suite comme gravement lacunaires quant à l'appréciation des risques des activités qu'elle a développées.

Monsieur LE N. est mal fondé à se retrancher derrière les fautes commises par Monsieur Patrick B. et la société SIFAC, ou bien derrière les commissaires aux comptes qui ont visé les comptes sociaux en 1994, 1995 et 1996 ou les assemblées générales qui les ont validés. Il lui appartenait en effet en tant que président du conseil d'administration de contrôler l'usage que faisait le directeur général des pouvoirs qui lui étaient délégués.

Les faits ainsi relevés à l'encontre de Monsieur Yves LE N. constituent des fautes de gestion qui ont contribué dans une large mesure aux difficultés de MUTUA EQUIPEMENT et à son insuffisance d'actif avérée au cours de la liquidation judiciaire; ces fautes justifient une sanction, sans qu'il soit nécessaire de déterminer si en plus le président du conseil d'administration a failli à ses obligations en matière de tenue de la comptabilité.

2° Monsieur Patrick B.

Embauché comme salarié à compter du 1er janvier 1991, Monsieur Patrick B. a été nommé directeur général de la société MUTUA EQUIPEMENT par le conseil d'administration du 4 avril 1991, qui lui a délégué 'les pouvoirs nécessaires pour assurer la direction générale de la société' et le pouvoir de statuer définitivement sur toutes demandes de crédit préalablement examinées par le comité de crédit (article 4 de la délégation);

Les statuts de la société ne mentionnent pas dans les pouvoirs du directeur général de pouvoir en matière d'octroi des garanties

Néanmoins dans le cadre de la politique des risques arrêtée par la société MUTUA EQUIPEMENT, Monsieur Patrick B. disposait d'une délégation de signature pour des risques limités dans leur montant et portant sur les produits MUTUA CREDIT (risque maximum de 1.500.000F par entreprise dans un encours de risque de 3.000.000F) et de crédit bail immobilier (risque maximum compris entre 750.000F et 1.500.000F)

Il a été révoqué le 20 janvier 1997.

Par ailleurs Monsieur Patrick B. a été gérant salarié de la société MUTUA SERVICES.

En réalité au lieu d'être le simple exécutant des décisions du conseil d'administration de la société MUTUA EQUIPEMENT, Monsieur Patrick B. a agi au cours des années 1994,1995 et 1996 comme un dirigeant de fait, outrepassant ses pouvoirs notamment pour octroyer des garanties sans soumettre le dossier ni au comité de crédit ni au conseil d'administration, et pour signer avec les sociétés SIFAC et OMNE RE des conventions qui étaient du ressort de ce dernier.

Omettant de rendre compte fidèlement et complètement au conseil d'administration qui l'avait mandaté, Monsieur Patrick B. a pris de sa propre initiative et en toute indépendance des décisions qui se sont révélées catastrophiques pour la société, à savoir le développement des garanties (CMI et cautions financières) octroyées par l'intermédiaire de la société SIFAC à laquelle a été confié, sans aucune prudence et sans contrôle, l'ensemble du traitement des demandes, des sinistres et du fonds de garantie.

De plus le directeur général savait que l'information communiquée aux administrateurs sur la procédure de contrôle des 'grands risques' n'était pas exacte puisque les activités SIFAC échappaient au recensement informatique. Déjà en septembre 1994 il n'a remis au conseil d'administration que les conclusions de l'inspection de la commission bancaire, évoquant pudiquement une situation financière fragile, alors que le corps du rapport reprochait explicitement à la société MUTUA EQUIPEMENT de ne pas satisfaire à l'obligation de présenter un ratio de solvabilité au moins égal à 8%. Cela est révélateur d'une tendance à filtrer les informations données aux administrateurs, pour s'affranchir de leur contrôle.

Malgré ses fonctions de responsabilité directionnelle, il n'a pas mis en place les règles permettant le suivi et le contrôle des opérations réalisées avec les sociétés SIFAC et OMNE RE, sous le prétexte de l'existence d'une réassurance qui s'est révélée illusoire.

Pourtant la signature par Monsieur Patrick B. le 13 mars 1996 d'une caution de MUTUA EQUIPEMENT au profit de Monsieur Jean-Claude P., directeur de la société SIFAC, montre la connaissance par celui-ci des fautes reprochées à ce dernier dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société EUROMEPA; la confiance mise en celui-ci était donc excessive.

Enfin alors que des interrogations surgissaient au sein de la société MUTUA EQUIPEMENT à compter du 2ème semestre 1996 à propos d'engagements inconsidérés, Monsieur Patrick B. a tergiversé quant aux mesures à prendre et ainsi a maintenu et aggravé une situation devenue irréversible avant son départ de la société. Par exemple les courriers annexés au rapport d'expertise montrent que s'il a tenté d'obtenir de ses partenaires SIFAC et OMNE RE des garanties supplémentaires, il n'a pas tiré de leur mauvaise volonté les conséquences qui s'imposaient, c'est-à-dire la résiliation des accords.

Il est ainsi démontré, et sans qu'il soit nécessaire de reprendre l'ensemble des griefs formulés par Maître Jacques M. à l'encontre de Monsieur Patrick B., qu'en se soustrayant au contrôle du conseil d'administration et prenant de son propre chef des risques exagérés et inconsidérés, ce dernier a commis des fautes de gestion qui ont contribué dans une forte proportion à l'insuffisance d'actif constatée au cours de la liquidation judiciaire et qui justifient une sanction importante.

3° Monsieur Yves G.

Monsieur Yves G., administrateur de la société MUTUA EQUIPEMENT, a été vice-président du conseil d'administration à compter du 15 janvier 1994.

A ce titre, et même sans attacher de responsabilités supplémentaires à sa désignation demeurée purement formelle comme 'conseil extérieur' sur les nouvelles activités par le conseil d'administration du 5 avril 1995 (il était déjà conseil extérieur pour les dossiers hors normes du secteur industrie depuis le conseil d'administration du 7 avril 1994), ni au fait qu'il a assisté le président défaillant entre son accident et sa démission, Monsieur Yves G. a failli à sa mission d'administration comportant spécialement le contrôle du directeur général et la prise de décisions pour pallier les carences relevées par la Commission bancaire dès l'année 1994; il a manqué de curiosité et de diligence, se contentant d'un rôle quasiment passif.

Plus spécialement, alors qu'il ne pouvait méconnaître la mise en place des conventions avec les sociétés SIFAC et OMNE RE, il ne s'est pas préoccupé de vérifier la suite donnée aux décisions de principe arrêtées en conseil d'administration du 5 avril 1995, ni de s'informer sur les dossiers qui auraient pu relever de son contrôle extérieur et ce jusqu'à ce que l'alerte soit donnée par le Conseil de surveillance en mai 1996.

Comme les autres administrateurs il a fait une confiance aveugle au directeur général.

Ensuite mais trop tardivement il a cherché à s'informer et à informer le conseil d'administration sur la situation exacte et a oeuvré pour ne pas l'aggraver en ordonnant un arrêt de la délivrance de nouvelles cautions.

Ensuite Monsieur Yves G. a été Président du conseil d'administration de la société MUTUA EQUIPEMENT à compter du 20 février 1997 jusqu'au 19 juin 1997, date de sa suspension par la Commission bancaire. A ce titre il était l'une des personnes chargées de la détermination effective de l'activité de la société, donc personne responsable au sens de l'article 17 de la loi du 24 janvier 1984 dite loi bancaire.

Dans cette période aucune faute de gestion ne peut être reprochée aux organes dirigeants qui ont tenté de trouver des solutions pour limiter les conséquences néfastes des engagements pris inconsidérément avant juillet 1996. Il n'est pas établi que le passif se soit aggravé pendant cette période, même si des attestations de garantie ont encore été délivrées à des constructeurs dans le cadre de conventions signées antérieurement; en effet une dénonciation brutale aurait pu engendrer des faillites de constructeurs et par là même décupler les risques de mise en jeu de la caution de MUTUA EQUIPEMENT pour des chantiers antérieurs.

L'échec des mesures de redressement entreprises par la nouvelle équipe dirigeante est dû aussi à la dénonciation par la B.N.P. de son partenariat à compter du 2ème trimestre 1997.

Par contre pour les manquements à son rôle de vice-président qui ont contribué à l'insuffisance d'actif, une sanction s'impose contre Monsieur Yves G. .

4° les membres du conseil d'administration

a) la Fédération Française de la Franchise

et ses représentants permanents Messieurs Michel M., et Daniel M.

La Fédération française de la franchise était administrateur de la société MUTUA EQUIPEMENT, son représentant permanent était en 1994 Monsieur Michel M., puis Monsieur Daniel M. en 1995 et 1996.

La Fédération française de la franchise n'était pas toujours présente aux séances du conseil d'administration mais il lui appartenait de se tenir informée des décisions prises par les conseils auxquels elle n'a pas assisté; cet administrateur ne peut pas se retrancher derrière sa qualité de fédération professionnelle pour échapper aux responsabilités qui découlent de fonctions qu'elle a acceptées et qu'elle aurait dû exercer avec plus d'assiduité.

La Fédération française de la franchise ne peut pas non plus se retrancher derrière le rôle des organes de contrôle (Commission bancaire, commissaires aux comptes, conseil de surveillance statutaire), dont la mission spécifique ne réduit pas à néant la sienne.

Elle ne peut pas non plus se retrancher derrière les fautes de Monsieur Yves LE N. ou de Monsieur Patrick B. alors qu'il incombait notamment aux membres du conseil d'administration, conjointement avec le président du conseil, d'administrer la société et de définir ses orientations, et par conséquent de contrôler effectivement l'exercice des pouvoirs délégués au directeur général et de suivre les projets arrêtés. Au contraire, pas plus que les autres administrateurs, elle ne s'est inquiétée des lacunes du contrôle interne concernant le directeur général.

Concernant la surveillance de la situation financière, la Fédération française de la franchise, comme membre du conseil d'administration, aurait dû exiger d'avoir lecture complète du premier rapport de la commission bancaire; en tout cas au plus tard en avril 1995, après avoir été informée par Monsieur Patrick B. du résultat d'exploitation déficitaire de 1994 et après avoir été alertée sur la nécessité de mesures urgentes par la lettre du secrétaire général de la commission communiquée en séance du conseil d'administration, cet administrateur aurait dû veiller à la prise de mesures propres à redresser la situation et à restaurer le ratio de solvabilité réglementaire dont au surplus la dégradation était annoncée; son inertie et son laxisme sont d'autant plus répréhensibles que dans sa séance du 25 janvier 1994 le Conseil d'administration passant outre le désaccord de son autorité de contrôle avait décidé d'intégrer les 'fonds de garantie CMI' dans ses fonds propres, améliorant ainsi artificiellement son apparence de solvabilité et que la Commission bancaire dans son inspection de 1994 avait stigmatisé ce procédé.

De même concernant la politique de développement et les projets annoncés dans la séance du 5 avril 1995 ('délivrance de cautions administratives et financières', réassurance), les administrateurs auraient dû exiger des informations sérieuses sur le nouveau partenaire proposé, la société OMNE RE, et interroger ensuite Monsieur B. sur l'avancement de l'opération, surtout après l'approbation des modifications des statuts et du règlement intérieur en octobre 1995; par leur silence et leur abstention, ils ont permis à celui-ci d'agir sans contrôle et d'engager la société sans discernement dans des opérations qui se sont révélées ruineuses notamment du fait de l'absence de réassurance sérieuse.

Quand l'alerte a été donnée par le conseil de surveillance lors de l'assemblée générale du 30 mai 1996 sur les risques engendrés par les activités de caution financière et de garantie 'CMI', la Fédération française de la franchise ne s'est pas plus montrée réactive. Il ressort des procès-verbaux du 23 juillet 1996 et du 22 octobre 1996 que les administrateurs, s'ils s'inquiètent et s'informent, se contentent des assurances données par Monsieur Patrick B. qui minimise les risques et fait miroiter des solutions.

Ainsi, et sans qu'il soit nécessaire de se pencher sur les autres griefs formulés contre elle, il est établi que la Fédération française de la franchise, à travers ses représentants permanents personnes physiques, a manqué de diligence dans l'exercice de ses fonctions d'administrateur, surtout entre avril 1995 et mai 1996, ce qui constitue une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société MUTUA EQUIPEMENT, et justifie une condamnation pécuniaire en application de l'article L.624-3 du Code de commerce. La condamnation sera prononcée solidairement entre la personne morale et son représentant permanent en application de l'article L.624-2 du même code -prévoyant expressément que cette sanction est applicable aux représentants permanents des personnes morales- et de l'article 91 de loi du 24 juillet 1966 (devenu article L.225-20 du Code de commerce).

b)la Fédération des Industries Mécaniques et transformatrices des métaux

et Messieurs Jean-Pierre B. et Jean-Pierre L.

La Fédération des Industries Mécaniques et transformatrices des métaux a été administrateur de la société MUTUA EQUIPEMENT jusqu'à sa démission en juin 1997; ses représentants permanents ont été Monsieur Jean-Pierre B. puis à compter d'avril 1994 Monsieur Jean-Pierre L.. Le premier est demeuré administrateur à titre personnel après son remplacement.

En dépit de leur participation régulière aux séances du conseil d'administration, ils

n'ont pas mieux rempli leur mission que la Fédération française de la franchise et ils encourent les mêmes reproches.

Lorsque fin 1996 début 1997 Monsieur B. et la Fédération des Industries Mécaniques ont émis des critiques et des préconisations, la situation était déjà irrémédiablement compromise.

La carence de ces administrateurs dans l'accomplissement de leur mission, surtout entre avril 1995 et mai 1996, constitue une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société MUTUA EQUIPEMENT, et justifie une condamnation pécuniaire en application de l'article L.624-3 du Code de commerce. La condamnation sera prononcée solidairement entre la personne morale et les représentants permanents personnes physiques à travers lesquels elle agissait, en application de l'article L.624-2 du même code et de l'article 91 de loi du 24 juillet 1966 (devenu article L.225-20 du Code de commerce).

c) la Fédération de la Plasturgie et Monsieur Jacques N.

La Fédération de la Plasturgie a été administrateur de la société MUTUA EQUIPEMENT jusqu'à sa démission 25 juin 1997. Monsieur Jacques N. en était le représentant permanent à compter d'avril 1995; il a siégé à tous les conseils d'administration de cette période.

Comme la Fédération des Industries Mécaniques, cet administrateur, à travers son représentant permanent personne physique, a manqué de diligence dans l'exercice des ses fonctions, ce qui constitue une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société MUTUA EQUIPEMENT, et justifie une condamnation pécuniaire en application de l'article L.624-3 du Code de commerce. La condamnation sera prononcée solidairement entre la personne morale et son représentant permanent en application de l'article L.624-2 du même code et de l'article 91 de loi du 24 juillet 1966 (devenu article L.225-20 du Code de commerce).

Néanmoins il faut tenir compte du fait que la Fédération de la Plasturgie par l'intermédiaire de Monsieur N. a réagi vigoureusement dès juillet 1996, pour tenter de redresser la situation.

d) La chambre professionnelle de la boulangerie et Monsieur D.

La Chambre professionnelle de la boulangerie de la région parisienne ne conteste pas avoir été administrateur de la société MUTUA EQUIPEMENT, représentée au conseil d'administration par Monsieur Gérard D. qui a participé assez régulièrement aux séances du conseil d'administration dans la période concernée.

Pour les mêmes motifs et dans les mêmes circonstances que les autres administrateurs, ils encourent les mêmes reproches pour les années 1995 et 1996. La carence de cet administrateur, à travers son représentant permanent personne physique, dans l'accomplissement de sa mission, surtout entre avril 1995 et mai 1996, constitue une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société MUTUA EQUIPEMENT, et justifie une condamnation pécuniaire en application de l'article L.624-3 du Code de commerce. La condamnation sera prononcée solidairement entre la personne morale et son représentant permanent en application de l'article L.624-2 du même code et de l'article 91 de loi du 24 juillet 1966 (devenu article L.225-20 du Code de commerce).

e) l'Association E.T.H.I.C.

L'association E.T.H.I.C. est un mouvement fondé en 1986 et ayant pour objet de promouvoir les idées de croissance et de progrès au sein de PME. Elle reconnaît avoir été administrateur jusqu'à sa démission en octobre 1996; son représentant a participé assez régulièrement aux séances du conseil d'administration dans la période concernée.

Pour les mêmes motifs et dans les mêmes circonstances que la Fédération française de la franchise, l'association E.T.H.I.C. encourt les mêmes reproches pour les années 1995 et 1996. Il est manifeste que ses membres ont fait une confiance excessive à Monsieur Yves LE N. également membre 'historique' de cette association.

La sanction prévue par l'article L.624-3 du Code de commerce est ici encore justifiée.

f) Monsieur Jacques L.

Président de la société SOGIA Monsieur Jacques L. a été nommé administrateur de la société MUTUA EQUIPEMENT le 26 mars 1996 à la suite de l'acquisition par cette dernière de 37% des parts de SOGIA et d'un accord de partenariat. Ses fonctions d'administrateur ont pris fin le 24 novembre 1997.

Monsieur L. reproche à juste titre aux premiers juges d'avoir prononcé à son encontre une condamnation à combler le passif de la société MUTUA EQUIPEMENT à hauteur de 50.000 € en application de l'article L.624-3 du Code de commerce (dans sa rédaction antérieure à la loi n°2005-845 du 26 juillet 2005) sans lui imputer de faute personnelle.

Cependant le principe de cette condamnation est justifié; en effet, même si à l'époque de son entrée dans le conseil d'administration la situation de non-respect de la réglementation bancaire existait déjà,et la plupart des décisions ayant généré des risques inconsidérés étaient déjà prises, et qu'il lui était difficile d'influer sur le cours des événements, il apparaît néanmoins, qu'informé peu à peu à compter de mai 1996, Monsieur L. n'a pas plus que les autres administrateurs cherché activement à redresser la situation; il a manqué de curiosité et de diligence, se contentant d'un rôle quasiment passif. Sa carence dans l'exercice des fonctions dévolues aux administrateurs de la société de caution mutuelle constitue une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société MUTUA EQUIPEMENT qui a continué à prendre des engagements financiers jusqu'au premier trimestre 1997. La sanction prévue par l'article L.624-3 du Code de commerce est ici encore justifiée.

g) la Fédération française de la Papeterie et Monsieur Louis A. de C.

Les procès verbaux des conseils d'administration de la société MUTUA EQUIPEMENT mentionnent parmi les administrateurs la Fédération française des Papetiers et spécialistes en la personne de Monsieur Louis A. de C.. La personne morale et la personne physique contestent la qualité d'administrateur, soutenant qu'il s'agissait seulement d'une 'participation au tour de table de MUTUA EQUIPEMENT', expression utilisée dans des courriers échangés en 1992. Néanmoins a été versé aux débats le bulletin de souscription d'une part de la société au nom de la Fédération française des Papetiers et spécialistes. Ajouté aux mentions des procès-verbaux et aux feuilles d'émargement et aux lettres formalisant la démission du représentant le 10 mai 1996 et de la personne morale le 26 juin 1996, cela suffit à établir que la Fédération française des Papetiers et spécialistes a été administrateur de la société MUTUA EQUIPEMENT et que Monsieur Louis A. de C. en a été le représentant permanent, dans la limite des dates précitées.

C'est en vain qu'il invoque à son bénéfice, étant né en 1918, l'article 28 des statuts fixant une limite d'âge à 73 ans pour les administrateurs, puisque à l'époque tant lui-même que la société ont renoncé à se prévaloir de cette disposition qui n'est pas d'ordre public.

Pour les raisons qui ont déjà été exposées, la carence de cet administrateur, à travers son représentant permanent personne physique, dans l'accomplissement de sa mission, surtout entre avril 1995 et mai 1996, constitue une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif, ce qui justifie une condamnation pécuniaire en application de l'article L.624-3 du Code de commerce. La condamnation sera prononcée solidairement entre la personne morale et son représentant permanent en application de l'article L.624-2 du même code et de l'article 91 de loi du 24 juillet 1966 (devenu article L.225-20 du Code de commerce).

h) le Conseil du Commerce de France et Monsieur Jean-Paul B.

Les procès verbaux des conseils d'administration de la société MUTUA EQUIPEMENT mentionnent parmi les administrateurs le Conseil National du Commerce (aujourd'hui Conseil du commerce de France), représenté par Monsieur Jean-Paul B.. Dans la période en cause ce dernier n'a assisté qu'à une séance le 31 janvier 1995.

La personne morale et la personne physique contestent la qualité d'administrateur. Cependant ont été produits les procès-verbaux des délibérations des assemblées générales dont il ressort que le 17 mai 1990 cet organisme représenté par Monsieur B. a été nommé administrateur de la société SICAMA (ancien nom de MUTUA EQUIPEMENT) et que son mandat a été renouvelé pour cinq ans à l'assemblée générale du 25 mai 1993 à laquelle Monsieur B. était représenté. Ni l'absence de preuve d'une souscription de part, ni le défaut des publicités requises par la loi, ni les litiges internes au Conseil National du Commerce sur l'étendue des pouvoirs de son délégué général Monsieur B. ne sont de nature à dégager cette personne morale et la personne physique la représentant apparemment, des responsabilités contractées envers la société MUTUA EQUIPEMENT aux termes des assemblées générales précitées.

Pour les raisons qui ont déjà été exposées s'agissant des autres administrateurs, la carence de cet administrateur, à travers son représentant permanent personne physique, dans l'accomplissement de sa mission, surtout entre avril 1995 et mai 1996, constitue une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif, ce qui justifie une condamnation pécuniaire en application de l'article L.624-3 du Code de commerce. La condamnation sera prononcée solidairement entre la personne morale et son représentant permanent en application de l'article L.624-2 du même code et de l'article 91 de loi du 24 juillet 1966 (devenu article L.225-20 du Code de commerce).

5° Monsieur Michel D.

En 1995-1996, Monsieur Michel D. était directeur salarié au sein de la société AUXICREANCES, filiale de la société MUTUA EQUIPEMENT et il n'avait aucune responsabilité au sein de la société de caution mutuelle.

Il a été désigné le 20 janvier 1997 comme directeur général en remplacement de Monsieur Patrick B., révoqué. A compter du 17 février 1997 il était agréé comme personne responsable au sens de l'article 17 de la loi bancaire de 1984; il a été suspendu le 19 juin 1997 par la Commission bancaire.

Monsieur Michel D. conteste avoir eu la qualité de dirigeant responsable. De toutes les façons, pour cette période les circonstances relevées ci-dessus concernant Monsieur Yves G. à la décharge de la nouvelle équipe sont valables pour Monsieur D. et excluent toute responsabilité de sa part dans l'insuffisance d'actif de la société MUTUA EQUIPEMENT.

Maître Jacques M. et le ministère public seront donc déboutés de toutes leurs demandes à son encontre.

6° Monsieur Claude C.

Monsieur Claude C. a été embauché en janvier 1995 comme directeur du département industrie de MUTUA EQUIPEMENT après l'absorption de la SOCAMIC en décembre 1994.

Le conseil d'administration l'a désigné en avril 1996 comme 'inspecteur des risques'.

Enfin il a été nommé 'directeur général adjoint' à compter du 21 janvier 1997. Il faut préciser que si sa désignation comme personne responsable au sens de l'article 17 de la loi du 24 janvier 1984 a été envisagée le 20 février 1997, il n'a pas été agréé par le CECEI, si bien que cette désignation est restée lettre morte; d'ailleurs contrairement à Messieurs G. et D. il n'a pas été suspendu par la Commission bancaire.

Les fonctions occupées par ce salarié ne permettent pas de le considérer comme un dirigeant de droit de la société MUTUA EQUIPEMENT.

Les reproches de Maître Jacques M. sur ses carences en tant qu'inspecteur des risques, à les supposer établies alors qu'à peine investi de cette mission il a contribué à arrêter les pratiques abusives, pourraient tout au plus constituer des fautes dans l'exécution de son contrat de travail; la preuve n'est pas rapportée à l'encontre de Monsieur C. de l'accomplissement d'actes de gestion en toute indépendance.

Aucune faute n'est reprochée à Monsieur Claude C. comme gérant de la société CHIMIPLAST.

Maître Jacques M. et le ministère public seront donc déboutés de toutes leurs demandes à son encontre.

* * *

II. les autres personnes poursuivies comme dirigeants de fait: Monsieur Jean-Claude P. et la société SIFAC

S'agissant de la société SIFAC, sa responsabilité est recherchée pour avoir exercé une gestion de fait des activités de garanties CMI et de garanties financières de MUTUA EQUIPEMENT et pour avoir

commis des fautes de gestion consistant à l'avoir engagée dans des dossiers à risques, en dépassant les encours prévus aux conventions et sans contre garantie réelle.

Maître M. ès qualités demande donc confirmation du jugement frappé d'appel en ce qu'il a fixé au passif de la société SIFAC, en liquidation judiciaire, sa créance de 221.775.602 euros au titre du comblement de passif de la société MUTUA EQUIPEMENT.

Monsieur Jean-Claude P. est poursuivi par le liquidateur des sociétés MUTUA EQUIPEMENT et MUTUA SERVICES comme ayant exercé personnellement une gestion ou une direction de fait des activités CMI et garanties financières de MUTUA EQUIPEMENT. Lui sont reprochées de fautes de gestion ayant concouru à l'insuffisance d'actif ainsi qu'un usage des biens et du crédit de MUTUA EQUIPEMENT contraires à l'intérêt de celle-ci, au profit de la société SIFAC dont il était le principal animateur.

X

Monsieur Jean-Claude P. oppose principalement que la société SIFAC par son intermédiaire a seulement agi en vertu du mandat qui lui avait été confié, que le considérer comme administrateur de fait serait contraire à la chose jugée au pénal et au civil.

Il convient donc de se pencher sur les relations entre la société de caution mutuelle et la société SIFAC exerçant une activité d' 'interface de sociétés d'assurance et financières'.

Les relations entre la société MUTUA EQUIPEMENT et la société SIFAC ont commencé en 1993 et 1994 sous l'égide de Monsieur LE G. associé majoritaire, autour de projets de mise en place de cautions et d'un fonds de garantie professionnel concernant les constructeurs. Fin 1994 début 1995 Monsieur LE G. présente le montage avec la société OMNE RE comme réassureur et met en relation le dirigeant de cette société belge avec Monsieur Patrick B., comme le montrent les courriers échangés sur cette période. Les discussions se poursuivent avec Monsieur Jean-Claude P. également associé fondateur de la société SIFAC, qui sera le signataire des conventions conclues avec MUTUA EQUIPEMENT et avec OMNE RE; à l'époque des faits il n'était pas le représentant légal de la société SIFAC dont la gérante a été de mars 1995 à décembre 1999 Madame D. son épouse.

L'organigramme de la société le décrit comme chargé de la direction générale, et dans le contrat du 26 juillet 1995 conclu avec MUTUA EQUIPEMENT, il est mentionné: 'compte tenu du poids prépondérant de Jean-Claude P. dans SIFAC en sa qualité d'initiateur et d'animateur de l'activité, la convention serait résiliée de plein droit dans le cas où il cesserait d'appartenir à SIFAC'

Effectivement Monsieur Jean-Claude P. a été le seul interlocuteur des dirigeants de la société MUTUA EQUIPEMENT pendant toute la période critique, de mai 1995 à la liquidation de la société. Si la société SIFAC s'est immiscée dans la gestion de MUTUA EQUIPEMENT, c'est donc par son entremise personnelle.

Les deux sociétés étaient liées par:

- la convention cadre du 18 mai 1995 signée également par OMNE RE, pour la mise en place de cautions de diverses natures dans le cadre de la loi du 10 juin 1994, stipulant que MUTUA EQUIPEMENT se verra proposer la souscription de risques que OMNE RE et SIFAC auront étudiés et analysés en commun, et la gestion d'un fonds de garantie;

- la convention du 26 juillet 1995 par laquelle MUTUA EQUIPEMENT a confié à la société SIFAC l'étude des dossiers en vue de la délivrance des garanties aux constructeurs de maison individuelle -dits : CMI - : audit du constructeur, respect des encours, encaissement des primes, établissement des attestations de garantie soumises à MUTUA pour signature, suivi des dossiers, gestion des sinistres, etc...

En contrepartie SIFAC facturait aux constructeurs des audits, des frais de gestion et ses honoraires proportionnels aux montants garantis

- la convention du 24 août 1995 sur la constitution d'un fonds de garantie d'achèvement des travaux: MUTUA EQUIPEMENT devait gérer le fonds mais confiait exclusivement à SIFAC 'la souscription, le contrôle et le suivi des opérations', donc l'encaissement des cotisations

La rédaction de ces conventions et les éléments recueillis par les experts (pages 253 et suivantes du rapport d'expertise) montrent que la répartition des tâches entre MUTUA EQUIPEMENT et SIFAC privilégiait l'intervention de la seconde et que SIFAC a tout fait pour gérer seule les activités de CMI et de garanties financières, notamment au moyen de délégations de signature et de l'utilisation du papier à en tête et du cachet de la société de caution mutuelle. La décision d'octroi des garanties se situait en fait au niveau des sociétés SIFAC et SIACAR et non pas chez MUTUA EQUIPEMENT, les comités de crédit n'ayant pas eu à les examiner dans la majorité des cas. A cet égard il est symptomatique que répondant aux premières inquiétudes du conseil d'administration dans son courrier du 19 août 1996 à Monsieur Patrick B., Monsieur Jean-Claude P. s'étonnait même que le comité des engagements de MUTUA EQUIPEMENT veuille vérifier les dossiers. Il mettait en avant l'absence de risque du fait de la réassurance par la société OMNE RE alors qu'il ne pouvait en ignorer la fragilité, d'autant plus que SIFAC n'a pas toujours respecté les conditions d'obtention de la couverture de l'opération par OMNE RE.

Il ressort en outre des vérifications effectuées par les experts que la société SIFAC était moins préoccupée par le contrôle financier et technique rigoureux des constructeurs cautionnés que par le soutien de son portefeuille de 300 constructeurs de maison individuelle, appuyant leur activité par l'octroi de cautionnements dans un domaine difficile où les compagnies d'assurance sont craintives. La société SIFAC n'a pas mis en oeuvre les diligences nécessaires à la surveillance des CMI prévue dans ses conventions avec MUTUA EQUIPEMENT; ainsi des cautions ont été octroyées alors que les audits techniques et financiers sur les constructeurs n'étaient pas faits ou étaient défavorables; d'ailleurs la commission bancaire a relevé que le portefeuille de constructeurs SIFAC/MUTUA a présenté un taux élevé de défaillance démontrant une flagrante anti-sélection; de plus elle ne s'est pas assurée de la souscription des CMI au capital social alors que les garanties ne pouvaient être accordées qu'aux sociétaires. S'agissant des encours, les seuils fixés par la convention du 24 août 1995 sur le fonds de garantie constitué à l'occasion de l'octroi de la garantie d'achèvement des travaux à prix et délais convenus, ont été dépassés, tant l'encours par constructeur que l'encours par risque; pourtant la société SIFAC avait pour obligation contractuelle de suivre les dossiers et de s'assurer du respect des seuils. Elle ne pouvait ignorer que son attitude engendrait des risques pour MUTUA EQUIPEMENT.

En sus de l'augmentation importante de son chiffre d'affaires due à l'activité pour MUTUA EQUIPEMENT, SIFAC a bénéficié d'une trésorerie importante grâce à la collecte des primes et des cotisations au fonds de garantie en provenance des CMI. Les experts ont relevé des lacunes et à tout le moins un retard conséquent dans les reversements des sommes encaissées par SIFAC ou sa filiale pour le compte de MUTUA. Le bénéfice de cette trésorerie a profité également à sa filiale la société SIACAR, qu'elle a chargée d'encaisser des primes et de les reverser à MUTUA EQUIPEMENT et à OMNE RE, jouant ainsi un rôle de courtier sans base contractuelle ni légale.

Ainsi il est démontré que la société SIFAC s'est affranchie du cadre des conventions signées avec la société MUTUA EQUIPEMENT, devenant le décideur effectif de l'octroi des garanties, ce qui caractérise une gestion de fait, qui s'est exercée dans son propre intérêt et au détriment de celui de la société MUTUA EQUIPEMENT engagée dans des risques inconsidérés couverts par une réassurance illusoire.

Ces faits caractérisent de la part de la société SIFAC et de Monsieur Jean-Claude P. agissant pour son compte, l'accomplissement en toute indépendance d'actes de gestion fautifs, ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société MUTUA EQUIPEMENT.

Ni l'existence du mandat, ni la défaillance des organes de la société MUTUA EQUIPEMENT dans le contrôle qu'ils auraient dû exercer sur leur mandataire n'est pas de nature à exonérer la société SIFAC et Monsieur Jean-Claude P. des responsabilités consécutives au mauvais accomplissement des tâches qui leur incombaient.

De même, les décisions de relaxe intervenues lors de poursuites de Monsieur Jean-Claude P. pour escroquerie et de la société SIFAC pour exercice illégal de la profession de banquier n'interdisent pas de les sanctionner s'ils ont engagé leur responsabilité au sens de l'article L.624-3 du Code de commerce, les fautes reprochées n'étant pas identiques.

Par conséquent, il est justifié de mettre à la charge de Monsieur Jean-Claude P. et surtout de la société SIFAC une part non négligeable de l'insuffisance d'actif de MUTUA EQUIPEMENT.

* * *

Considérant qu'aucune demande n'est formée contre les autres intimés: la société SIACAR, la société NEW ENGLAND INTERNATIONAL SURETY, la S.C.P. B. D., Maître C., la société OMNE RE, Maître Anicet B.;

C/ Sur les sanctions

Considérant que compte tenu de tout ce qui précède, des rôles de chacun et des fautes de gestion qui leur sont imputables, il est justifié de les condamner à participer au comblement du passif de la société MUTUA EQUIPEMENT à hauteur des sommes suivantes:

Monsieur Yves LE N. : 100.000 €

Monsieur Patrick B. : 75.000 €

Monsieur Yves G. : 30.000 €

Fédération française de la franchise Monsieur Michel M. et Monsieur Daniel M. solidairement : 30.000 €

Fédération des Industries Mécaniques et transformatrices des métaux et Messieurs Jean-Pierre B. et Jean-Pierre L. solidairement : 30.000 €

Fédération de la Plasturgie et Monsieur Jacques N. solidairement : 20.000 €

Chambre professionnelle de la boulangerie de la région parisienne et Monsieur Gérard D. solidairement : 30.000 €

Association E.T.H.I.C. : 10.000 €

Monsieur Jacques L. : 5.000 €

Fédération française de la papeterie et Monsieur Louis A. de C. : 30.000€.

Conseil du commerce de France et Monsieur Jean-Paul B. solidairement :30.000€.

Monsieur Jean-Claude P. : 100.000 €

Quant à la société SIFAC, sa dette à ce titre doit être fixée à la somme de 500.000 € qui sera inscrite au passif de sa liquidation judiciaire.

D/ Sur les demandes reconventionnelles

Considérant que les demandes reconventionnelles formées par les personnes pour

lesquelles les poursuites sont jugées bien fondées se trouvent par le fait même injustifiées;

Que s'agissant des autres demandes reconventionnelles, il est justifié par Monsieur D. et par Monsieur C. que les conditions dans lesquelles le liquidateur a mis en cause leur responsabilité personnelle sont fautives et leur ont causé un préjudice moral qui doit être réparé par la condamnation de Maître M. ès qualités à leur payer la somme de 30.000 euros de dommages et intérêts à Monsieur Michel D. et celle de 45.000 € à Monsieur Claude C.; qu'en effet concernant Monsieur D. il était abusif de lui reprocher une responsabilité en tant que dirigeant étant donné la période et les conditions dans lesquelles il a assuré la direction générale de la société MUTUA EQUIPEMENT; quant à Monsieur C., il a été mis en cause d'une manière particulièrement injuste, et incohérente sous des fondements fluctuants, et encore en appel alors que le tribunal de commerce avait jugé qu'il n'était pas dirigeant de fait de MUTUA EQUIPEMENT; que par contre Monsieur C. doit être débouté de sa demande de réparation d'un préjudice matériel dont le lien direct et certain avec la présente procédure n'est pas établi;

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

INFIRME le jugement frappé d'appel, rendu le 28 septembre 2005 par le tribunal de commerce de BOBIGNY,

STATUANT à NOUVEAU:

- sur les exceptions:

REJETTE l'exception d'irrecevabilité soulevée au visa de l'article 7 alinéa 3 du décret n°85-1388 du 27 décembre 1985;

REJETTE l'exception de nullité de la procédure soulevée au visa des articles 56 et 145 du nouveau Code de procédure civile;

REJETTE la demande de sursis à statuer;

REJETTE l'exception de nullité du rapport d'expertise;

REJETTE les exceptions de nullité du jugement pour absence d'un rapport du Juge-commissaire et pour participation du Juge-commissaire à la formation de jugement;

REJETTE l'exception de prescription;

- sur le fond:

REJETTE toutes les demandes tendant à l'ouverture d'un redressement judiciaire à titre de sanction;

REJETTE toutes les demandes tendant au prononcé de mesures de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer;

REJETTE les demandes formées contre Monsieur Michel D. et contre Monsieur Claude C.;

DIT que, en tant que dirigeant de droit ou de fait de la société MUTUA EQUIPEMENT, ou en tant que représentant permanent d'une personne morale dirigeante de la société MUTUA EQUIPEMENT, les personnes suivantes ont commis des fautes de gestion ayant concouru à l'insuffisance d'actif de MUTUA EQUIPEMENT:

Monsieur Yves LE N.

Monsieur Patrick B.

Monsieur Yves G.

La Fédération française de la franchise

Monsieur Michel M.

Monsieur Daniel M.

La Fédération des Industries Mécaniques et transformatrices des métaux

Monsieur Jean-Pierre B.

Monsieur Jean-Pierre L.

La Fédération de la Plasturgie

Monsieur Jacques N.

La Chambre professionnelle de la boulangerie de la région parisienne

Monsieur Gérard D.

L'Association E.T.H.I.C.

Monsieur Jacques L.

La Fédération française de la papeterie

Monsieur Louis A. de C.

Le Conseil du commerce de France

Monsieur Jean-Paul B.

Monsieur Jean-Claude P.

La société SIFAC

En conséquence, condamne à payer à Maître M., ès qualités de liquidateur des sociétés

MUTUA EQUIPEMENT et MUTUA SERVICES, les sommes suivantes mises à leur charge en application de l'article L.624-3 du Code de commerce:

Monsieur Yves LE N. :100.000 €

Monsieur Patrick B. : 75.000 €

Monsieur Yves G. : 30.000 €

Fédération française de la franchise Monsieur Michel M. et Monsieur Daniel M. solidairement : 30.000 €

Fédération des Industries Mécaniques et transformatrices des métaux et Messieurs Jean-Pierre B. et Jean-Pierre L. solidairement : 30.000 €

Fédération de la Plasturgie et Monsieur Jacques N. solidairement : 20.000 €

Chambre professionnelle de la boulangerie de la région parisienne et Monsieur Gérard D. solidairement : 30.000 €

Association E.T.H.I.C. : 10.000 €

Monsieur Jacques L. : 5.000 €

Fédération française de la papeterie et Monsieur Louis A. de C. solidairement: 30.000 €

Conseil du commerce de France et Monsieur Jean-Paul B. solidairement :30.000€;

Monsieur Jean-Claude P. : 100.000 €

Fixe à la somme de 500.000 € la créance de Maître M., ès qualités de liquidateur des sociétés MUTUA EQUIPEMENT et MUTUA SERVICES, au passif de la liquidation judiciaire de la société SIFAC;

- sur les demandes reconventionnelles:

CONDAMNE Maître M., ès qualités de liquidateur des sociétés MUTUA EQUIPEMENT et MUTUA SERVICES à payer à Monsieur Michel D. la somme de 30.000 euros de dommages et intérêts et celle de 5.000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

CONDAMNE Maître M., ès qualités de liquidateur des sociétés MUTUA EQUIPEMENT et MUTUA SERVICES à payer à Monsieur Claude C. la somme de 45.000 euros de dommages et intérêts et celle de 5.000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

REJETTE la demande de Monsieur C. au titre d'un préjudice matériel;

REJETTE les autres demandes reconventionnelles;

- sur les dépens et autres frais

CONDAMNE in solidum aux dépens de première instance et d'appel: Monsieur Yves LE N., Monsieur Patrick B., Monsieur Yves G., La Fédération française de la franchise, Monsieur Michel M., Monsieur Daniel M., La Fédération des Industries Mécaniques et transformatrices des métaux, Monsieur Jean-Pierre B., Monsieur Jean-Pierre L., La Fédération de la Plasturgie, Monsieur Jacques N., La Chambre professionnelle de la boulangerie de la région parisienne, Monsieur Gérard D., L'Association E.T.H.I.C., Monsieur Jacques L., La Fédération française de la papeterie, Monsieur Louis A. de C., Le Conseil du commerce de France, Monsieur Jean-Paul B., Monsieur Jean-Claude P., La société SIFAC;

CONDAMNE in solidum les mêmes à payer en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile la somme de 50.000 € à Maître M. ès qualités, et la somme de 5.000 euros à Maître Alain B. ès qualités de liquidateur bancaire de la société MUTUA EQUIPEMENT;

CONDAMNE Monsieur Yves LE N., Monsieur Patrick B. et Monsieur Jean-Claude P. à payer chacun à Maître Bernard H. ès qualités de mandataire ad litem la somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

CONDAMNE Monsieur Jean-Claude P. à payer au Fonds de Garantie des Dépôts la somme de 3.000 € en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Accorde à la S.C.P. PETIT-LESÉNÉCHAL, à la S.C.P. TAZE BERNARD & BELFAYOL BROQUET, à la S.C.P. OUDINOT FLAURAUD et à Maître COUTURIER, Avoués à la Cour, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.