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Décisions

CA Versailles, 1re ch. sect. 1, 1 décembre 2016, n° 14/07972

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Lagardère Digital France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Palau

Conseillers :

Mme Lauer, M. Dusausoy

Nanterre, du 2 oct. 2014

2 octobre 2014

Messieurs Marc P. et Samir A. et Mesdames Anne-Laure B. et Hélène R. ont régulièrement contribué à la rédaction du magazine en ligne Fluctuat créé en 1998 à l'initiative de Messieurs H., B. et T. et diffusé sur internet à l'adresse www.fluctuat.net, site exploité par la Sarl Fluctuat dont étaient actionnaires Messieurs H., B. et T..

En 2006, les parts sociales de société Fluctuat ont été cédées à la société Doctissimo et, le 30 novembre 2009, la société Fluctuat a été dissoute sans liquidation, son patrimoine étant transmis à la société Doctissimo.

Par acte du 2 janvier2012, la société Doctissimo a cédé à la société Lagardère Digital France le fonds de commerce comprenant les éléments d'actif permettant l'exploitation du site internet fluctuat, devenu en mars 2012 accessible à l'adresse URL http'://www.fluctuat.premiere.fr avec la reprise des articles antérieurement publiés sur le site initial Fluctuat.net.

Selon acte de Maître P., huissier de justice, en date du 10 mai 2012, les quatre auteurs précités des articles publiés sur le site fluctuat.net ont fait constater ces reproductions.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 juin 2012, les quatre auteurs ont mis en demeure la société Lagardère Digital France de supprimer immédiatement et sans délai les articles qu'ils estiment contrefaits.

Par quatre actes du 2 octobre2012, Messieurs Marc P. et Samir A. et Mesdames Anne-Laure B. et Hélène R. ont fait assigner la société Lagardère Digital France devant le tribunal de grande instance de Nanterre.

Ces procédures ont été jointes.

Par jugement du 2 octobre 2014, le tribunal a’ :

- déclaré irrecevables les demandes présentées par Messieurs P. et A. et Mesdames B. et R. pour les articles suivants’ :

- pour Madame B. : «'Traffic’ », «'La langue des papillons'», «'Da Vinci Code'», «'Nobody knows'», «'Les Pierrafeu Rock Vegas'», «'Dancer Upstairs'» et «'Un reste l'autre part'»,

- pour Monsieur A. : «'Autopsie d'une sainte’ », «'Otto Preminger’ » et «'Fatma'»,

- pour Monsieur P.’ : «'Mon fils à moi’ », «'L'échange’ », «'The Chaser'», «'Pars Vite et reviens tard'» et une interview de Sebastien C. pour la «'Sagrada Familia'».

Il a débouté Messieurs P. et A. et Mesdames B. et R. de l'ensemble de leurs prétentions et rejeté la demande présentée par la société Lagardére Digital France sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il a condamné les demandeurs aux dépens.

Par déclaration du 5 novembre 2014, Messieurs P. et A. et Mesdames B. et R. ont interjeté appel.

Dans leurs dernières conclusions en date du 1 er juin 2015, Messieurs P. et A. et Mesdames B. et R. sollicitent l'infirmation du jugement.

Ils demandent que soient constatées’ :

- leur qualité d'auteur sur 241 articles ainsi que l'originalité de ceux-ci,

- l'absence de cessions de droits d'auteurs effectuées au bénéfice de la société Lagardere Digital France par eux

- la reproduction illicite et contrefaisante de 241 articles visés dans leurs écritures sur le site internet http://www.premiere.fr, soit :

-109 articles rédigés par Madame Anne-Laure B.,

- 99 articles rédigés par Monsieur Marc P.,

- 20 articles rédigés par Madame Hélène R.,

- 13 articles rédigés par Monsieur Samir A.

- l'existence des préjudices patrimonial et moral subis par eux.

Ils demandent que la société Lagardère Digital France soit condamnée à payer au titre du préjudice patrimonial les montants indemnitaires suivants :

Madame Anne-Laure B. : 545.000 euros

Madame Hélène R. : 100.000 euros

Monsieur Marc P. : 495.000 euros

Monsieur Samir A. : 65.000 euros

Ils demandent que la société soit condamnée à payer au titre du préjudice moral les sommes suivantes':

Madame Anne-Laure B. : 540.000 euros

Madame Hélène R. : 100.000 euros

Monsieur Marc P. : 490.000 euros

Monsieur Samir A. : 65.000 euros

Ils demandent que soit prononcée l'interdiction à la société Lagardere Digital France de publier à nouveau les articles litigieux quel que soit le procédé et le support, connu ou inconnu à ce jour.

Ils réclament la publication de l'arrêt dans un quotidien et dans un hebdomadaire de leur choix, aux frais de la société intimée.

Ils sollicitent la condamnation de celle-ci à leur payer la somme de 60.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Les appelants soulignent le but non lucratif et le succès du site fluctuat. net qui, avec la société Fluctuat, a pris une valeur marchande ayant entraîné la cession de la société Fluctuat à la société Doctissimo. Ils déclarent avoir quitté le magazine de 2001 à 2009 et avoir appris en cours de procédure les changements intervenus, notamment le transfert en mars 2012 d'une partie du contenu du site fluctuat.net vers le site premiere.fr et la disparition du site.

Ils déclarent avoir publié de nombreux articles sur le site fluctuat.net et avoir constaté la reproduction illicite de certains d'entre eux.

Ils indiquent qu'ils n'étaient rémunérés que de manière exceptionnelle et uniquement à compter de 2005, qu'ils n'ont jamais été salariés des sociétés Fluctuat ou Doctissimo et qu'ils n'ont jamais cédé leurs droits, les quelques pièces produites par l'intimé et des attestations de Monsieur H., directeur commercial de la société Doctissimo, et de Monsieur B., coordinateur du site, le confirmant.

Ils affirment avoir découvert fortuitement la reproduction de 241 articles sur le site du magazine Première, site de référence, sans que leurs noms ne soient mentionnés, certains articles étant mêmes crédités sous un autre nom.

Ils précisent que la société Lagardère Digital France a, en cours de procédure de première instance, supprimé les articles.

Ils reconnaissent que le constat d'huissier présentait des irrégularités matérielles ne permettant pas de rapporter la preuve de la reproduction des 15 articles écartés par le tribunal mais affirment prouver, par des captures d'écran, celle des articles «'Traffic'», «'La langue des papillons'», «'Da Vinci Code'», «'Nobodyknows'», «'Les Pierrafeu à Rock Vegas'», «'Danceur Upstairs'», «'Un reste l'autre part'», «'Mon fils à moi'» et «'The Chaser'» étant rappelé que la contrefaçon peut être prouvée par tous moyens.

Ils invoquent les articles L 112-2-1° du code de la propriété intellectuelle, CPI, d'où il résulte que leurs critiques et articles constituent des oeuvres de l'esprit, L 113-1 d'où il ressort qu'ils ont la qualité d'auteur et L111-1 leur conférant un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ils rappellent que le tribunal a considéré que leur qualité d'auteur et la qualification d'oeuvre de l'esprit n'étaient pas en débat.

Ils font état d'une reproduction contrefaisante de 241 articles, qu'ils citent, sur le site première.fr et affirment que ceux-ci n'étaient pas accessibles via une adresse «'fluctuat.premiere.fr’ » mais via une adresse premiere.fr ainsi qu'il résulte du constat d'huissier.

Ils invoquent le principe de la nécessité d'une autorisation explicite des auteurs.

Ils soutiennent qu'en application des articles L 111-1, L 121-1, L131-2 et L 131-3 du code de la propriété intellectuelle, la cession des droits d'auteur doit être réalisée par écrit, ce qui n'est pas écrit n'étant donc pas cédé. Ils se prévalent d'arrêts et d'un article aux termes desquels la cession est limitée aux modes d'exploitation prévus par le contrat et imposant le respect de l'interprétation stricte des cessions et du formalisme imposé par le CPI.

Ils font valoir qu'ils n'ont signé aucun contrat de cession de droits et qu'ils ont accepté la publication de leurs articles sur le site fluctuat.net mais nullement autorisé leur reproduction sur le site premiere.fr ou un autre site.

Ils déclarent que leurs articles étaient rédigés et rémunérés uniquement pour leur publication sur le site fluctuat.net ainsi qu'en attestent les notes de droits d'auteur.

Ils soutiennent que ce principe, général et absolu, s'applique aux oeuvres collectives.

Ils prétendent que les règles précitées s'appliquent aux oeuvres collectives définie par l'article L 113-2 du CPI même s'ils contestent la qualification d'oeuvre collective de la revue en ligne.

Ils relèvent que les sites fluctuat.net et premiere.fr sont des supports numériques, donc de même nature, mais différents comme deux quotidiens sur papier. Ils citent deux arrêts applicables aux journalistes adoptant la même solution, que l'oeuvre soit collective ou non. Ils excipent également de l'article L 121-8 du CPI applicable aux articles de presse, d'un arrêt de la cour de cassation et d'un article de doctrine.

Ils en concluent que la protection des droits des auteurs prime sur toute qualification, fit-elle celle d'une oeuvre collective.

Ils considèrent que leur collaboration essentiellement volontaire à «'l'aventure Fluctuat’ » n'entraîne pas renonciation à leurs droits d'auteur malgré l'existence d'une oeuvre collective et la reproduction de leurs oeuvres sur un même support numérique. Ils ajoutent que la contrefaçon est d'autant plus grave qu'elle porte sur plus de 200 articles.

Les appelants contestent que l'intimée ait un droit de remaniement soit la liberté du titulaire des droits sur une oeuvre collective de la faire évoluer, les auteurs conservant le droit d'exploiter leur contribution personnelle de manière séparée.

Ils déclarent que les décisions invoquées ne reconnaissent ce droit que sur une oeuvre seconde constituant une édition mise à jour ce qui n'est pas le cas en l'espèce, les sites étant des oeuvres indépendantes l'une de l'autre et ayant coexisté durant quelques années.

Ils soulignent que si l'huissier a constaté que l'adresse wwwfluctuat.net renvoie automatiquement à l'adresse http// fluctuat. premiere.fr, l'intégralité des articles a été constatée via l'adresse premiere.fr. Ils précisent que si l'intimée s'était contentée de continuer à exploiter le site fluctuat.net, comme l'avait fait la société Doctissimo, ils n'auraient pas relevé d'atteinte à leurs droits d'auteur.

Ils ajoutent que la jurisprudence attache une importance certaine à l'esprit de l'oeuvre remaniée qui doit être fidèle à celui de l'oeuvre d'origine. Ils estiment que «'l'esprit contributif bénévole et libre penseur’ » de fluctuat.net n'est pas le même que celui de premiere.fr comme en attestait en mars 2012 Monsieur De A., ancien rédacteur en chef du site de fluctuat et repris dans le groupe de l'intimée.

Ils font valoir, citant des arrêts, que la qualification d'œuvre collective n'est pas un blanc-seing pour une exploitation débridée de l'oeuvre de l'esprit et se prévalent du soutien du syndicat français de la critique de cinéma.

Ils soutiennent que la cession du fonds de commerce n'exonère pas le cessionnaire de son obligation de recueillir les autorisations des auteurs pour l'exploitation de leurs créations.

Ils déclarent qu'ils n'ont cédé, implicitement, leurs droits que pour une exploitation unique sur le site fluctuat.net. Ils en concluent que la société Lagardere Digital France devait vérifier la réalité des cessions intervenues et obtenir leur autorisation de reproduction des articles sur le site prmeiere.fr.

Ils considèrent que la cession de fonds de commerce ne prive pas les auteurs de leurs droits.

Ils relèvent que la cession ne portait que sur le site web et observent que le contenu de l'annexe A supposée contenir la liste des contrats afférents à l'exploitation du site n'est pas produite.

Ils rappellent que le site est lui-même protégé de manière autonome dès lorsqu'il est original et font valoir qu'il n'est pas automatique d'en céder également les contrats d'auteur qui concernent les articles et contenus du site. Ils déclarent que le contrat de cession ne fait état ni de la transmission éventuelle des droits d'auteur ni des auteurs.

Ils ajoutent que si le site fluctuat.net avait été conservé intact, ils n'auraient pas agi, leurs articles ayant alors été conservés dans leur configuration et leur état d'origine. Ils soulignent qu'ils contestent l'utilisation de leurs articles sur le site premiere.fr sans leur autorisation, la délocalisation de ceux-ci sur un autre site et dans un autre classement que celui d'origine ainsi que l'absence de crédit de leurs noms ou le changement de ceux-ci.

Ils considèrent que l'arrêt du 10 décembre 2008 revendiqué par l'intimée va à l'encontre de sa position, le cessionnaire ayant été reconnu coupable de contrefaçon envers les cinq journalistes n'ayant pas signé la cession de leurs droits.

En ce qui concerne la violation de leurs droits patrimoniaux, ils excipent des articles L 122-4, L 335-2 et L 331-1-3 du CPI et considèrent qu'il ne peut leur être alloué une somme inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur leur avait demandé l'autorisation. Ils estiment que le nombre d'articles concernés, la facilité de requérir leur autorisation compte tenu de leur identification et le caractère numérique du support accroissent cette atteinte.

Ils se prévalent d'un jugement ayant fixé à 5.000 euros le préjudice patrimonial et à 5.000 euros le préjudice moral et appliquent ces montants.

Ils soulignent que s'ils avaient accepté d'intervenir volontairement ou symboliquement dans la création et le développement du site, il est inéquitable que leurs contributions aient été valorisées dans les ventes successives sans qu'ils en tirent profit.

En ce qui concerne leur doit moral, ils rappellent l'article L 121-1 du CPI et estiment ce droit d'autant plus atteint que leur nom a été retiré ou remplacé par celui du directeur de la publication du site, Monsieur d'A..

Ils font valoir que l'exigence d'identification inhérente au droit à la paternité n'est pas remplie lorsque les articles ne mentionnent pas le nom de leur auteur.

Ils précisent les articles concernés.

Dans ses dernières écritures portant le numéro 2 en date du 5 septembre 2016, la Sas Lagardere Digital France conclut à l'irrecevabilité des demandes formées à raison des quinze articles ne figurant pas dans le procès-verbal de constat d'huissier établi le 10 mai 2012, et des 7 articles ajoutés en cause d'appel.

Elle demande qu'il soit jugé que’ :

- le magazine numérique fluctuat.net constitue une oeuvre collective créée à l'initiative de la société Fluctuat qui l'a édité, publié et divulgué sous sa direction et sous son nom, au sens de l'article L.113-2 du Code de la Propriété Intellectuelle et qu'en conséquence seule cette société est investie des droits d'auteurs y afférents et que ces droits ont pu être valablement cédés aux sociétés Doctissimo et Lagardère Digital France par actes des 30 novembre 2009 et 2 janvier 2012 ;

- la société Lagardère Digital France titulaire des droits sur la revue en ligne Fluctuat.net pouvait librement la remanier et la transférer sur son site www.premiere.fr, notamment au sein du sous domaine dédié http:/fluctuat.premiere.fr/ et intégrer les chroniques des appelants dans la rubrique « Cinéma » précédé de la mention « Fluctuat » ;

Subsidiairement, elle demande qu'il soit jugé que :

- les appelants ont cédé aux sociétés Fluctuat puis Doctissimo le droit de reproduction de leurs articles sous forme numérique ;

- la cession du fonds de commerce de la société Doctissimo à la société Lagardere Ditigal France le 2 janvier 2012 a emporté transmission du bénéfice des droits de reproduction numériques cédés par eux à la société Fluctuat au sens de l'article L.132-16 alinéa 1 du code de la propriété intellectuelle ;

Très subsidiairement, elle demande que soit constaté le caractère exorbitant des mesures de réparation sollicitées au regard de l'audience réduite et limitée dans le temps du site Première.fr sous les références http:/fluctuat.premiere.fr/ et du montant des droits d'auteur perçus par les appelants au titre de la rédaction de leurs chroniques et que soit jugée sans objet la demande d'interdiction de republication des chroniques compte tenu de leur suppression du site depuis octobre 2012 ;

Elle réclame donc la confirmation du jugement et la condamnation solidaire des appelants à lui verser la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société expose que, dans le fonds de commerce qui lui a été vendu, figurent notamment «'le site ainsi que son contenu tels qu'exploités actuellement par le vendeur et plus généralement l'ensemble des contenus passés ainsi que les développements spécifiques et logiciels dédiés à ce site, les noms de domaine’ : fluctuat.com, fluctuat. es, fluctuat.eu, fluctuat.it, fluctuat.mobi, fluctuat.net et fluctuat.ni) ainsi que la marque fluctuat.net'».

Elle expose également que l'article 5.6 stipule':« le vendeur cède à l'acquéreur, à titre exclusif et définitif, avec l'ensemble des garanties de droit et de fait, l'ensemble des droits de propriété intellectuelle afférents au site, à l'exception de ceux qui sont listés en annexe C (') »,« conformément aux dispositions du Code de la Propriété Intellectuelle, il est précisé que les droits cédés comprennent et ce, quelle qu'en soit la destination : un droit de reproduire en nombre illimité la totalité des éléments constitutifs des logiciels et du site web tel que défini aux présentes, en l'état ou adapté et ce sous toute forme, par tout support et procédé, sur tout support tant actuel que futur, connu ou inconnu et notamment sur support numérique, magnétique, optique, électronique, télématique, par téléchargement, vidéogramme, Cdrom, DVD, DVD HD, disque, disquette, bande, listing, support papier ou dérivé, micro film etc' » (Article 5.6 : Droits cédés sur le site et les logiciels).

Elle expose en outre que l'élaboration des chroniques des appelants a été supervisée et coordonnée par les responsables du site fluctuat.net.

Elle expose enfin qu'à la suite de l'acquisition, le 2 janvier 2012, du fonds de commerce, elle a désactivé en mars 2012 le site fluctuat.net et transféré son contenu sur le site premiere.fr sous les références htttp:/fluctuat.premiere.fr. Elle déclare qu'en raison d'une erreur de programmation survenue lors du transfert, des articles ont été archivés sans signature ou signés par d'autres que leurs auteurs et que, lorsqu'elle a découvert cette situation, les contenus en cause ont été supprimés.

Elle ajoute que, du 11 mars 2012 au 10 novembre 2012, l'audience des 242 chroniques incriminées mises en ligne sous les références http:/fluctuat.premiere.fr a été réduite variant d'une visite pour 17 chroniques à 2.957 visites pour l'une d'elles.

Elle soutient que les demandes nouvelles et celles formées sur certains articles ne figurant pas dans le procès-verbal de constat du 10 mai 2012 sont irrecevables.

Elle indique que les erreurs matérielles contenues dans le constat d'huissier ne permettent pas de rapporter la preuve de la reproduction des articles et critiques de «'La langue des papillons’ », «'Autopsie d'une sainte'», «'Otto Preminger'», «'Fatma'», «'L'echange'», «'Pars vite et reviens tard'» et de l'interview de Sébastien C..

Elle indique que les appelants ont ajouté sept articles à leur demande initiale ce qui constitue une demande nouvelle irrecevable.

Elle soutient que la revue en ligne fluctuat.net constituait une oeuvre collective et que les appelants avaient la qualité de contributeurs pour le site. Elle se prévaut des termes du jugement ayant qualifié l'oeuvre de collective et rappelle les dispositions de l'article L 113-2 du CPI définissant une oeuvre collective ainsi que divers arrêts afférents à des dictionnaires ou des journaux.

Elle affirme qu'en application de l'article L 113-5 du CPI, l'oeuvre collective est la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée et que celle-ci est investie des droits d'auteur et affirme qu'elle-même est donc régulièrement investie de ces droits du fait de la cession du fonds de commerce.

Elle fait valoir que l'entrepreneur est investi ab initio des droits sur l'oeuvre collective et, citant des arrêts, que lui seul peut faire valoir des droits patrimoniaux sur celle-ci, les auteurs des contributions ne pouvant prétendre à aucun droit sur l'oeuvre.

Elle déclare qu'en l'espèce, seule la société Fluctuat a pris l'initiative de créer, publier et divulguer en 1998 la revue fluctuat.net et que l'élaboration du magazine a été supervisée et coordonnée par les responsables du site qui ont fixé les plannings de rédaction, choisi le film devant être mis en avant et donné certaines instructions aux chroniqueurs.

Elle conclut que, compte tenu de leur contribution à l'oeuvre collective que constitue la revue, les appelants ne peuvent se prévaloir d'un droit indivis sur l'ensemble et a fortiori s'opposer à la cession de droits d'auteurs appartenant ab initio à la société Fluctuat.

Elle en infère qu'elle a régulièrement acquis le fonds de commerce de la société Doctissimo comprenant notamment cette oeuvre collective.

Elle soutient également que le titulaire des droits sur l'oeuvre collective dispose d'un droit de remaniement lui permettant de la faire évoluer, de la modifier ou d'en éditer une nouvelle version sans autorisation des contributeurs qui conservent toutefois le droit d'exploiter leur contribution personnelle de manière séparée.

Elle estime que tel est le cas, elle-même pouvant remanier et transférer la revue sur son site internet et affirme qu'elle n'a pas modifié le texte des appelants.

Elle affirme que la circonstance que les articles aient été reproduits sur le site www.premiere.fr selon une architecture différente ne peut caractériser un acte de contrefaçon dès lors que ce site contient un sous domaine http:/fluctuat.premiere.fr et un forum Fluctuat accessible à l'adresse http:/forum.fluctuat.net, que son adresse renvoie automatiquement à l'adresse http:/fluctuat.premiere.fr, qu'il est toujours possible d'accéder, «'comme d'habitude'» aux critiques cinéma, que la rédaction du site www.prmeiere.fr comporte notamment un «'responsable Fluctuat'» et que les articles en cause sont précédés de la mention «'fluctuat'».

Elle en infère que la diffusion de ces articles sur le site www.premiere.fr constitue le prolongement de leur diffusion sur le site www.fluctuat.net et observe que le lectorat et le support sont identiques.

Elle conclut qu'elle n'a commis aucun acte de contrefaçon en poursuivant un mode d'exploitation identique à celui autorisé dès l'origine par les appelants et ce, dans une rubrique identique avec la mention Fluctuat.

Elle conteste l'interprétation par les appelants de l'arrêt du 3 juillet 2013 et affirme que la cour de cassation a considéré que seule l'exploitation «'sous une autre forme’ » de l'oeuvre collective était soumise à autorisation. Elle souligne que tel n'est pas le cas dans la mesure où elle a exploité l'oeuvre collective constituée par le magazine Fluctuat sous la forme numérique expressément autorisée par les appelants à l'origine.

Elle invoque, subsidiairement, la cession du fonds et la transmission des contrats d'auteurs y afférents.

Elle rappelle l'article 1844-5 du code civil et l'article L 132-16 alinéa 1 du CPI et en conclut que le contrat d'édition peut être transmis à un tiers sans l'accord de l'auteur en cas de cession du fonds de commerce.

Elle ajoute que le fonds de commerce est une universalité de fait dont aucun texte ne définit la composition. Elle en infère qu'il appartient au juge d'apprécier les éléments visés par la convention afin de déterminer si l'acte porte sur la cession d'un fonds de commerce.

Elle considère que dans le cas d'une dissolution sans liquidation entraînant une transmission universelle du patrimoine, le fonds de commerce est cédé ainsi que les droits d'auteur y afférents et estime que tel est le cas.

Elle déclare que, par l'acte de dissolution sans liquidation du 30 novembre 2009, la société Fluctuat a transmis son patrimoine à la société Doctissimo soit, notamment, le fonds de commerce permettant d'exploiter le site www.fluctuat.net et que, par l'acte du 2 janvier2012 précité, celle-ci lui a transmis les éléments d'actifs permettant l'utilisation du site accessible à l'adresse http:/fluctuat.premiere.fr ainsi que l'ensemble des droits de propriété intellectuelle afférents au site.

Elle fait valoir que les appelants ont autorisé la reproduction de leurs contributions en vue d'une exploitation sur support numérique.

Elle rappelle que la constatation écrite du contrat d'édition n'est pas requise pour la validité du contrat mais pour sa preuve.

Elle relève que les appelants reconnaissent avoir autorisé la mise en ligne de leurs chroniques sur le site fluctuat.net exploité par les sociétés Fluctuat puis Doctissimo ce qui implique une cession à tout le moins implicite de leurs droits d'auteur. Elle ajoute que cette cession est corroborée par les courriels produits et les notes de droits d'auteur qui portent sur 61 articles.

Elle affirme que, dès lors qu'ils ont autorisé les sociétés Fuctuat et Doctissimo à reproduire leurs articles sur support numérique, le droit de reproduction numérique pouvait être valablement transféré avec le fonds à son bénéfice. Elle souligne qu'elle a poursuivi le mode d'exploitation autorisé dès l'origine en transférant le contenu du site à une autre adresse, la diffusion des articles sur le site www. Premiere. Fr étant le prolongement de leur diffusion sur le site www.fluctuat.net.

Elle en conclut que la société Doctissimo lui a régulièrement transmis le bénéfice des droits de reproduction sur support numérique de leurs contributions dans le cadre de la cession de son fonds de commerce et que leur reproduction sur le site www.prmeiere.fr n'excède pas ce que les intéressés ont autorisé à l'origine.

Elle ajoute que les décisions invoquées par les appelants relatives à l'application des articles L 132-35 et suivants du CPI introduits parla loi Hadopi ne sont pas applicables car elle ne les invoque pas pour justifier de l'autorisation de reproduction des auteurs, ces dispositions concernant les journalistes professionnels et assimilés et leurs rapports avec les sociétés éditrices les employant et visant la reproduction d'oeuvres sur de nouveaux supports.

Très subsidiairement, elle invoque le caractère disproportionné des mesures de réparation demandées au regard des sommes limitées perçues par eux au titre de leurs droits d'auteur, du retrait des articles dès réception des assignations, du nombre de consultation des pages litigieuses -151 en moyenne-et de la possibilité d'identifier les auteurs grâce aux revues de presse disponibles sur le site allociné et à un lien y figurant. Elle ajoute que le transfert n'a généré aucun chiffre d'affaires.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 22 septembre 2016.

Sur la recevabilité

Considérant que le constat d'huissier ne permet pas de rapporter la preuve que les 15 articles écartés par le tribunal ont été reproduits sur le site premiere.fr’ ;

Considérant, toutefois, que les appelants produisent des captures d'écran du site premiere.fr démontrant que les articles de Madame B. «'Traffic'», «'Da Vinci Code'», «'Nobodyknows'», «'Les Pierrafeu à Rock Vegas'», «'Dancer Upstairs'» et «'Un reste et l'autre part'» et ceux de Monsieur P.'«'Mon fils à moi'» et «'The Chaser'» ont effectivement été reproduits sur ce site';

Considérant qu'aux termes de l'article L 521-4 du CPI, «'la contrefaçon peut être prouvée par tous moyens'»';

Considérant que la demande portant sur ces articles est donc recevable';

Considérant que Madame R. et Monsieur A. ont ajouté en cause d'appel cinq articles de Madame R. consacrés aux films «'Gladiator’ », «'Les yeux brouillés'», «'Passionnément'», «'Fucking Amal'» et «'L'homme sans passé'» et deux de Monsieur A. consacrés aux films «'American Psycho'» et «'High Fidelity'»';

Considérant que les demandes afférentes à ces articles sont nouvelles'; qu'en application de l'article 564 du code de procédure civile, elles sont irrecevables';

Sur la contrefaçon

Considérant qu'il est constant que les articles ont été rédigés par les appelants et qu'ils constituent des oeuvres de l'esprit’ ; qu'ils sont donc protégés par le droit d'auteur’ ;

Considérant que ceux-ci n'ont pas cédé leurs droits d'auteur à l'intimée’ ;

Considérant qu'il appartient donc à la société Lagardere Digital France- qui l'invoque en principal- de rapporter la preuve qu'il s'agit d'une oeuvre collective et que cette qualification lui permettait de transférer les articles sur le site «'premiere.fr’ » ‘ ;

Considérant qu'aux termes de l'article L 113-2 du code de la propriété intellectuelle, « est dite collective l'œuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé »';

Considérant que cette qualification est donc subordonnée à certaines conditions’ ; que l'oeuvre doit être à l'initiative d'une personne physique ou morale et être divulguée sous le nom de celle-ci'; qu'elle se caractérise par le fait que les contributions individuelles se fondent dans un ensemble'en vue duquel elles ont été réalisées ;

Considérant qu'il résulte notamment des courriels échangés par Madame B. et Monsieur P. avec les responsables du site et d'attestation de Monsieur H. et de Madame Arrighi de C., anciens responsables du site, que l'élaboration du webzine a été coordonnée par les responsables du site, que des plannings de rédaction et des réunions fixés par ces responsables ont réparti les articles, que des moyens ont été mis à la disposition de ces rédacteurs et que les responsables du site ont donné régulièrement des instructions et procédé à des corrections';

Considérant que, comme l'a exactement jugé le tribunal, «'c'est sous l'impulsion de la société Fluctuat, éditrice du site qui conçoit, élabore et organise le webzine, que les articles émanant de contributeurs identifiés et travaillant de manière autonome sans collaboration entre eux se fondent dans un ensemble cohérent présentant une structure organisée et une unité’ » ;

Considérant que l'œuvre que constitue le webzine fluctuat est donc une oeuvre collective’ ;

Considérant qu'aux termes de l'article L.113-5 du CPI, « l'oeuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée. Cette personne est investie des droits de l'auteur » ‘ ;

Considérant, ainsi, que l'entrepreneur est investi ab initio des droits sur l'œuvre collective’ ;

Considérant que la société Lagardère Digital France est donc investie des droits de l'auteur du fait de la cession du fonds de commerce de la société Doctissimo, elle-même ayant-droit de la société Fluctuat';

Considérant que les articles litigieux ont été reproduits sur un autre site';

Considérant qu'il appartient donc à la société Lagardere Digital France de démontrer qu'elle pouvait procéder à cette reproduction sans obtenir l'autorisation des auteurs des articles’ ;

Considérant que le titulaire des droits sur l'œuvre collective dispose d'un «'droit de remaniement’ » sur celle-ci sauf, comme le relève le tribunal, à priver de tout sens le principe de l'oeuvre collective';

Considérant que ce droit lui permet de faire évoluer, modifier ou éditer une nouvelle version de l'oeuvre collective'; qu'il lui permet, comme l'a fait l'intimée, de faire évoluer la structure globale et l'architecture extérieure du webzine'; qu'il n'est, toutefois, pas illimité et ne permet pas une «'exploitation débridée'»';

Considérant que la société a reproduit les articles sur un autre site, le site premiere.fr’ ;

Considérant que cette reproduction s'effectue également sur un support numérique de même nature que celui autorisé dès l'origine par les appelants ;

Considérant qu'il résulte de captures d'écran que le site premiere.fr contient un sous domaine intitulé fluctuat.premiere et un forum «'fluctuat'» accessible à l'adresse forum.fluctuat'; qu'il en ressort également que l'adresse fluctuat.net renvoie à l'adresse fluctuat.premiere';

Considérant que la rédaction du site premiere.fr comporte un «'responsable fluctuat’ »';

Considérant que les articles litigieux qui figuraient à la rubrique cinéma du site fluctuat.net sont désormais reproduits au sein de la rubrique cinéma du site premiere.fr précédés de la mention «'fluctuat’ » ‘ ;

Considérant, ainsi que le site sur lequel sont reproduits les articles comporte de nombreuses références et divers renvois au site fluctuat’ ;

Considérant également que la diffusion de ces articles sur le site premiere.fr s'inscrit dans le prolongement de leur diffusion sur le site fluctuat.net’ ;

Considérant, enfin, que l'esprit de l'oeuvre collective initiale n'est pas atteint par sa diffusion sur le site premiere.fr au surplus également consacré au cinéma’ ;

Considérant qu'en poursuivant un mode d'exploitation identique à celui autorisé, sur un site comportant des références au site original et dans le prolongement de la diffusion sur celui-ci, la société Lagardere Digital France n'a fait qu'exercer son droit de remaniement sur l'oeuvre collective dont elle était titulaire’ ;

Considérant qu'elle n'avait donc pas besoin de requérir l'autorisation des auteurs des articles’ ;

Considérant qu'elle n'a, en conséquence, commis aucun acte de contrefaçon’ ;

Sur les demandes indemnitaires

Considérant qu'en l'absence de contrefaçon, les demandes tendant à indemniser la violation des droits patrimoniaux des appelants seront rejetées’ ; qu'il en sera de même de celles portant sur des mesures de publicité ou d'interdiction de republication';

Considérant qu'aux termes de l'article L 121-1 du code de la propriété intellectuelle, «'l'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible’ » ‘ ;

Considérant que tout auteur peut se prévaloir de ce droit en cas d'omission de son nom lors de la reproduction d'un texte dont il est l'auteur’ ;

Considérant que qu'elles qu'en soient les motifs, la société a retiré le nom de l'auteur de divers articles des appelants ou inscrit un autre nom’ ;

Considérant que l'article L 121-1 précité a donc été violé’ ; que la possibilité d'identifier les auteurs en consultant une autre rubrique est sans incidence sur cette violation';

Considérant que les auteurs sont en droit de réclamer réparation de leur préjudice’ ;

Considérant que les appelants justifient, par le procès-verbal de constat d'huissier dressé le 10 mai 2012, des articles concernés soit 108 pour Madame B., 20 pour Madame R., 98 pour Monsieur P. et 13 pour Monsieur A.’ ;

Considérant que l'atteinte doit toutefois être relativisée par le retrait des articles dès le 10 novembre 2012, à la réception des assignations, et le nombre, relativement modeste, des visites’ ;

Considérant qu'une somme de 50 euros par article indemnisera justement le préjudice moral subi’ ;

Considérant qu'il sera donc alloué à Madame B. la somme de 5.400 euros, à Madame R. celle de 1.000 euros, à Monsieur A. celle de 650 euros et à Monsieur P. celle de 4.900 euros’ ;

Sur les autres demandes

Considérant que le jugement sera donc partiellement infirmé’ ;

Considérant que l'intimé devra payer la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile’ ; que les dépens incluront le coût du constat dressé le 10 mai 2012 qui a établi l'omission du nom des auteurs ou leur remplacement';

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement

Déclare irrecevables les demandes portant sur les articles consacrés aux films «'Gladiator'», «'Les yeux brouillés'», «'Passionnément'», «'Fucking Amal'» et «'L'homme sans passé'» et «'American Psycho'» et «'High Fidelity'»',

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes portant sur les articles suivants, en ce qu'il a rejeté les demandes formées au titre du droit moral et en ce qu'il a condamné les demandeurs aux dépens,

Statuant de nouveau de ces chefs’ :

Déclare recevables les demandes portant sur les articles «'Traffic’ », «'Da Vinci Code’ », «'Nobodyknows'», «'Les Pierrafeu à Rock Vegas'», «'Dancer Upstairs'» et «'Un reste et l'autre part'» et «'Mon fils à moi'» et «'The Chaser'»,

Condamne la société Lagardere Digital France à payer à’ :

- Madame B.’ : la somme de 5.400 euros,

- Madame R.’ : la somme de 1.000 euros,

- Monsieur A.’ : la somme de 650 euros,

- Monsieur P.’ : la somme de 4.900 euros,

Condamne la société Lagardere Digital France à payer aux appelants la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette les demandes plus amples ou contraires,

Condamne la société Lagardere Digital France aux dépens de première instance et d'appel comprenant le coût du constat de Maître P. en date du 10 mai 2012,