CA Douai, 2e ch. sect. 2, 11 septembre 2007, n° 06/07395
DOUAI
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
M. Queffelec (és qual.)
Défendeur :
Pharmacie de la Plaine (Selarl)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fossier
Conseillers :
M. Zanatta, Mme Neve De Mevergnies
Avoués :
SCP Masurel-Thery-Laurent, M. Laforce (Selarl)
Avocats :
SCP Brunet Campagne Gobbers, Me Humez
Par acte authentique en date du 2 juin 1980, Monsieur Pierre-Marie QUEFFELEC et son épouse, cette dernière étant décédée depuis lors, ont donné à bail aux époux TISON-CORDONNIER un local commercial situé à LIÉVIN, les lieux loués devant servir à abriter une activité de pharmacie sous l'enseigne "PHARMACIE DE LA PLAINE". En décembre 2004, Madame Marie-Hélène TISON a constitué, avec Monsieur Jacques BECQUET, une société d'exercice en commun dénommée SELARL PHARMACIE DE LA PLAINE à laquelle elle a apporté le fonds de commerce de pharmacie comprenant le droit au bail.
Par ordonnance du 22 décembre 2006, le Président du Tribunal de Grande Instance de BÉTHUNE a, notamment, rejeté les demandes de Monsieur Pierre-Marie QUEFFELEC tendant à voir dire que la cession lui est inopposable et ordonner l'expulsion de la SELARL PHARMACIE DE LA PLAINE ; ce Magistrat a encore ordonné à Monsieur Pierre-Marie QUEFFELEC d'avoir à céder le bail litigieux à la SELARL PHARMACIE DE LA PLAINE aux conditions et charges du bail initial devant un Notaire choisi par le bailleur dans les deux mois de l'ordonnance..
Par déclaration au Greffe en date du 27 décembre 2006, Monsieur Pierre-Marie QUEFFELEC a interjeté appel de cette décision. Dans ses dernières conclusions déposées le 21 février 2007, il demande l'annulation de l'ordonnance du chef de sa disposition lui ordonnant d'avoir à céder le bail, et sa réformation sur le surplus. Il demande encore qu'il soit dit que la cession du bail est intervenue en violation des clauses du bail, que cette cession lui est inopposable et qu'en conséquence la SELARL PHARMACIE DE LA PLAINE est occupante sans droit ni titre, d'ordonner en conséquence son expulsion dans les huit jours de l'arrêt à intervenir et de la condamner au paiement d'une indemnité d'occupation de 2 000 € par mois jusqu'à complète libération des lieux.
Il demande enfin condamnation de la SELARL PHARMACIE DE LA PLAINE à lui payer la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Monsieur Pierre-Marie QUEFFELEC fonde sa position et ses demandes sur le fait que la cession de droit au bail n'a pas été passée par acte notarié et avec son agrément préalable, ce que le cessionnaire ne pouvait ignorer puisque Madame TISON, titulaire du bail, est à l'origine de la création de la SELARL. Il ajoute qu'en lui ordonnant de régulariser par acte notarié la cession du bail, le Premier juge aurait excédé ses pouvoirs ce qui justifierait l'annulation de sa décision de ce chef.
La SELARL PHARMACIE DE LA PLAINE, dans ses dernières conclusions déposées le 3 avril 2007, demande la confirmation de l'ordonnance déférée en faisant valoir au principal que la clause du bail ne requérait d'agrément préalable du bailleur qu'en cas de cession du bail à une personne physique ce qui n'était pas le cas. Elle ajoute qu'il n'y avait pas d'urgence justifiant le recours au Juge des Référés, et qu'en refusant son agrément le bailleur a commis un abus de droit. Subsidiairement, elle sollicite, au cas où son expulsion serait prononcée, que lui soit accordé un délai de 24 mois pour quitter les lieux en faisant état des nuisances particulièrement graves, pour elle-même et pour la population locale, que créerait l'expulsion sans possibilité d'organiser une réinstallation dans un autre lieu.
Elle demande enfin condamnation de Monsieur Pierre-Marie QUEFFELEC à lui payer la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande principale
Aux termes de l'article 9 du bail, le preneur s'est engagé à ne "pouvoir céder son droit au présent bail sans le consentement exprès et par écrit des bailleurs, si ce n'est à son successeur, personne physique, dans le même commerce, après avoir sollicité son agrément préalable". Contrairement à ce que soutient la SELARL intimée, cette clause ne stipule pas de restriction à l'agrément préalable au seul cas où le successeur serait une personne physique, mais assortit le droit de céder le bail, dans tous les cas, de l'obligation d'un agrément ou accord écrit du bailleur ; par la clarté de sa rédaction, elle ne nécessite pas d'interprétation. Il était encore convenu, dans la même clause, que la cession de droit au bail devait être faite par acte authentique en présence des bailleurs.
Il est constant que, dans le cas présent, l'apport du fonds de commerce en société d'exploitation en commun, qui équivaut à une cession du droit au bail, a été faite sans l'information officielle et sans le consentement exprès du bailleur, et n'a pas été passé par acte notarié en sa présence.
Ces irrégularités graves, conduisant à une éviction totale du bailleur nonobstant les dispositions contractuelles pourtant claires, entraînent nécessairement et de plein droit l'inopposabilité de la cession au bailleur, et conduisent à constater que c'est sans droit ni titre que la SELARL PHARMACIE DE LA PLAINE occupe les lieux loués. C'est donc à bon droit que Monsieur Pierre-Marie QUEFFELEC en avait demandé la constatation au Juge des Référés, l'urgence visée par l'article 808 du Nouveau Code de Procédure Civile tenant à l'occupation illicite et au changement d'exploitant du fonds qui immobilisent le bien appartenant au bailleur sans lui procurer des garanties équivalentes à celles qu'il avait lors de la conclusion du bail, le preneur initial restant certes tenu solidairement mais ne disposant plus, en contrepartie du montant du loyer à payer, des revenus de l'activité professionnelle transférée à une autre personne.
C'est en vain que la SELARL PHARMACIE DE LA PLAINE invoque un abus de droit, Monsieur Pierre-Marie QUEFFELEC n'ayant en fait jamais refusé son agrément puisque ce dernier n'a purement et simplement pas été sollicité ; il ne peut donc être allégué d'un abus de droit alors que la personne qui en était titulaire n'a pas été mise en mesure de l'exercer.
Monsieur Pierre-Marie QUEFFELEC soulève la nullité du jugement en ce que le premier juge aurait outrepassé ses pouvoirs en ordonnant la régularisation de la cession de bail devant notaire. Or pour qu'un excès de pouvoir soit de nature à permettre la recevabilité d'un appel tendant à la nullité d'une décision de justice, il faut que la méthode du juge ait été si indigne de sa fonction qu'il ne donne plus à voir qu'il est juge, ou encore que sa prescription ait été si contraire aux compétences légales qui lui sont confiées qu'il s'attribue celle d'un autre pouvoir de la République ; tel n'est pas le cas en l'espèce, le Juge disposant bien, dans certains cas, du pouvoir d'ordonner la régularisation d'une cession par acte notarié ou encore de dire que son jugement vaudra acte ou titre de vente, même si ce n'est pas à bon droit qu'il a ainsi procédé en l'espèce.
Sur les autres demandes
La SELARL PHARMACIE DE LA PLAINE demande qu'il lui soit accordé un délai de deux années pour quitter les lieux loués. Ce délai apparaît particulièrement excessif compte-tenu notamment de l'urgence rappelée plus haut et du fait que l'occupation illicite des lieux se poursuit, de fait, depuis plus de deux années ; il y a donc lieu de prévoir que le délai pour quitter les lieux sera fixé à trois mois, au-delà desquels l'occupant pourra être expulsé au besoin avec l'aide de la force publique.
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de Monsieur Pierre-Marie QUEFFELEC tout ou partie des frais exposés dans le cadre de la présente et non compris dans les dépens ; il y a donc lieu de lui allouer la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La SELARL PHARMACIE DE LA PLAINE, succombant en sa position, devra supporter l'intégralité des dépens en application de l'article 696 du Nouveau Code de Procédure Civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au Greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi,
DÉCLARE irrecevable la demande d'annulation de l'ordonnance déférée, mais INFIRME en toutes sa disposition ladite ordonnance.
Statuant à nouveau :
DIT que la cession du droit au bail est intervenue sans l'agrément du bailleur et qu'elle est donc inopposable à ce dernier.
DIT que, en conséquence, la SELARL PHARMACIE DE LA PLAINE est occupante sans droit ni titre des locaux appartenant à Monsieur Pierre-Marie QUEFFELEC, situés [...].
ORDONNE l'expulsion de la SELARL PHARMACIE DE LA PLAINE et de toutes personnes de son chef, dans le délai de trois mois à compter de la signification du présent arrêt, au besoin avec l'aide de la force publique.
CONDAMNE la SELARL PHARMACIE DE LA PLAINE à payer à Monsieur Pierre-Marie QUEFFELEC :
- une indemnité d'occupation d'un montant de 2 000 € par mois jusqu'à complète libération des lieux,
- la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
CONDAMNE la SELARL PHARMACIE DE LA PLAINE aux dépens de première instance et d'appel, avec, pour ces derniers, droit de recouvrement direct au profit de la SCP MASUREL THÉRY LAURENT, avoués associés, en application des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.