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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 26 février 2014, n° 12/03328

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

SCI Archos (és qual.)

Défendeur :

M. Le Van (és qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bartholin

Conseillers :

Mme Blum, Mme Reghi

Avocats :

Me Couturier, Me Blatter, Me Forgar

TGI Paris, du 31 janv. 2012, n° 1016768

31 janvier 2012

EXPOSE DU LITIGE

Faits et procédure

Par acte sous seing privé du 28 janvier 1993, les consorts Soude, aux droits desquels vient la sci Archos, ont donné à bail à M. Thiep Le Van un local commercial dépendant d'un immeuble situé [...] pour une durée de 9 années. Le bail a été renouvelé le 31 décembre 2002 au profit de M Than Le Van auquel M. Thiep Le Van avait cédé son droit au bail pour y exercer une activité de serrurerie, cordonnerie, réparation de tous articles en cuir et accessoires. Le 21 juillet 2005, M. Than Le Van a informé Mme Soude-Gaujard, usufruitière, de son intention de céder le droit au bail à son frère M. Tiep Le Van à compter du 1er octobre 2005. Par lettre du 20 août 2005, Mme Gaujard a donné son accord à la cession.

Le 13 juin 2010, M. Tiep Le Van a signé avec la société Les frères Cordonniers un contrat d'apport d'un fonds de commerce visant le fonds litigieux à compter du 1er septembre 2010. La société Archos a fait assigner M. Tiep Le Van et la société Les Frères Cordonniers par actes d'huissier des 26 et 27 octobre 2010 en résiliation du bail.

Par jugement en date du 31 janvier 2012, le tribunal de grande instance de

Paris a :

- débouté la société Archos de sa demande de résiliation du bail du 31 décembre 2002,

- dit que l'apport du fonds de commerce fait par M.Tiep Le Van à la société Les Frères Cordonniers est opposable à la sci Archos,

- débouté la sci Archos de ses autres demandes,

- condamné la sci Archos à payer à M.Tiep Le Van et à la société Les Frères Cordonniers la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la sci Archos aux entiers dépens.

La société Archos a relevé appel du jugement et par ses dernières conclusions du 25 septembre 2013, demande à la Cour de :

Infirmer en toutes ses dispositions le jugement du 31 janvier 2012 rendu par le tribunal de grande instance de Paris,

En conséquence,

Prononcer la résiliation du bail du 31 décembre 2002, à raison de la violation par M Tiep Le Van de ses obligations contractuelles,

Dire l'apport du fonds de commerce fait par M Tiep Le Van à la société Les Frères Cordonniers inopposable à la sci Archos,

Dire la société Les Frères Cordonniers occupante sans droit ni titre,

En conséquence,

Ordonner l'expulsion de M Tiep Le Van des lieux sis à [...] ainsi que celle de tous occupants de son chef dans les lieux,

Liquider l'astreinte prononcée par le conseiller de la mise en état à compter du 26 octobre 2012 concernant la société Les frères Cordonniers et à compter du 5 novembre 2012 concernant M Tiep Le Van et condamner respectivement la société Les Frères Cordonniers et M Tiep Le Van à verser à la sci Archos, les sommes de 1 950 euros et 1 400 euros,

Condamner in solidum M Tiep Le Van et la société Les Frères Cordonniers au paiement d'une indemnité d'occupation mensuelle de 4 000 euros à compter de la date du prononcé de la résiliation, laquelle sera due jusqu'à la date de libération effective des lieux par remise des clés et qui sera indexée sur l'indice du coût de la construction publié par l'Insee s'il évolue à la hausse, l'indice de base étant le dernier indice publié à la date de la résiliation,

Condamner in solidum M Tiep Le Van et la société Les Frères Cordonniers, aux dépens de la procédure tant de première instance que d'appel qui pourront être recouvrés directement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'au paiement de la somme de 16 000 euros par application de l'article 700 du même code.

La société Les Frères Cordonniers et M. Le Van, par leurs dernières conclusions, demandent à la Cour de :

Constater que les éventuels manquements de M Tiep Le Van ne présentent pas un caractère de gravité suffisant pour justifier la résiliation du bail commercial du 31 décembre 2002,

Par conséquent :

Confirmer le jugement rendu le 31 janvier 2012 par le Tribunal de Grande Instance de Paris en ce qu'il a débouté la société sci Archos de l'ensemble de ses demandes,

Condamner la société sci Archos à payer la somme de 5.000 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

Condamner la société sci Archos aux entiers dépens de la présente instance.

SUR CE

La société Archos fait valoir que l'apport du fonds de commerce lui est inopposable faute d'invitation à concourir à l'acte, que ni l'avis de réception de l'envoi d'un courrier recommandé, ni la preuve d'une réclamation, ni la preuve d'un retour de ladite lettre portant la mention « non réclamée », ni enfin une attestation de délivrance de la Poste n'ont été versés aux débats, que les intimés ont admis ultérieurement que les formalités d'invitation du bailleur à concourir à l'acte d'apport n'ont pas été respectées, reconnaissant que l'une des pièces, la prétendue « preuve du dépôt », versée au débat était un faux remis par le conseil de M Tiep Le Van, que les clauses restrictives du droit de cession à laquelle s'assimile l'apport de fonds, dont le principe est autorisé, doivent être respectées, notamment celle qui prévoit que le bailleur doit être appelé à intervenir à l'acte, que ces clauses restrictives s'appliquent même lorsque la cession du droit au bail accompagne la cession du fonds, qu'il s'agisse d'une cession ou d'un apport, le bail unissant les parties visant d'ailleurs toute opération de transport de bail, que l'apport intervenu sans avoir régulièrement appelé la bailleresse à l'acte constitue un manquement à une obligation contractuelle de nature à entraîner non seulement l'inopposabilité de la cession à l'égard du bailleur mais la résiliation du bail à l'égard du cédant, que si la Cour devait néanmoins considérer que la bailleresse a été invitée à concourir, elle devrait constater que l'invitation faite à un bailleur d'avoir à concourir à l'acte doit lui permettre d'être effectivement présent en lui fournissant les données spatio-temporelles exactes de la signature de l'acte de cession, que l'indication par le conseil du locataire que « la signature du contrat d'apport interviendra la semaine du 7 juin 2010 à mon cabinet », ne répond pas à l'exigence de précision de la convocation de la bailleresse, la bailleresse n'étant pas tenue de solliciter d'autres informations, qu'en outre, le bail exige que le cédant reste garant et répondant solidaire avec son successeur ou les nouveaux locataires, du paiement des loyers et de l'entière exécution des conditions du bail, qu'aucun engagement à cet égard n'a été pris dans l'acte par l'apporteur, ce qui constitue une seconde infraction justifiant de plus fort la résiliation du bail.

M. Le Van et la société Les Frères Cordonniers font valoir que l'intervention du bailleur n'est ni une condition de validité de l'acte portant transfert du droit au bail ni une condition d'opposabilité, l'article 11 du bail devant s'entendre comme une simple obligation d'inviter le bailleur, que la résiliation du bail ne peut être prononcée que lorsque le manquement invoqué est suffisamment grave pour justifier que le contrat soit rompu pour l'avenir, qu'en l'espèce, l'absence d'invitation ne présente pas un caractère de gravité suffisant pour justifier la résiliation du bail, puisque le bail prévoit une simple invitation du bailleur à intervenir à l'acte et non un agrément ou une autorisation du bailleur sur les charges et conditions du transfert du bail, que toutefois par souci de rétablir la situation initiale, M. Le Van a racheté le fonds de commerce à la société Les Frères Cordonniers de sorte que l'infraction invoquée par le bailleur est aujourd'hui sans objet, que s'agissant de l'engagement de garantie solidaire prévu par l'article 11 du bail au terme duquel « Dans tous les cas, il [le Preneur] restera garant et répondant solidaire avec son successeurs ou les nouveaux locataires, du paiement des loyers et de l'entière exécution des conditions du bail », M Le Van restait tenu de cet engagement par le contrat d'apport, que le bail ne contient aucune obligation de reprise littérale de cet engagement de garantie solidaire dans l'acte de transfert du droit au bail et que l'engagement de garantie solidaire souscrit dans le cadre du bail engage M. Le Van à l'égard du bailleur quel que soit le bénéficiaire du transfert du bail.

L'article 11 du bail dispose que : « Il [le Preneur] aura le droit de céder, sous-louer et transporter tout ou partie de ses droits au présent bail, mais seulement à son successeur exerçant la profession de tous commerces autorisés sans le consentement de la bailleresse. (..) De convention expresse entre les parties, toute cession ou transport de bail devra avoir lieu par acte notarié ou sous seings privés, mais toujours en présence de la bailleresse ou elle dûment appelée et à laquelle il sera remis, sans frais pour elle, une copie exécutoire dudit acte pour lui servir de titre exécutoire contre les cessionnaires ;

Or non seulement, la bailleresse n'a pas été invitée à la signature de l'acte de transfert de fonds dont elle n'a pas été avisée ainsi qu'en convient aujourd'hui le preneur mais l'acte ne contient pas de clause de garantie solidaire entre apporteur et bénéficiaire de l'apport qui aurait pu permettre de considérer que la bailleresse n'en souffrait aucun préjudice ; au surplus et surtout, la production d'un faux document par M Le Van et/ou son conseil d'alors pour tenter d'effacer le manquement reproché et obtenir une décision de justice favorable - ce qui a été le cas en première instance - interdit tout simplement de considérer le locataire comme étant de bonne foi et doit conduire non seulement au constat de l'inopposabilité du transfert au bailleur mais à considérer que l'infraction à l'article 11 du bail est d'une gravité suffisante pour prononcer la résiliation du bail.

La tentative de régularisation a posteriori par la cession du fonds en retour à M Le Van n'est pas de nature à effacer la gravité du manquement initial et le fait allégué que de toute façon la garantie contenue dans le bail suivant laquelle M Le Van restait solidaire de tout cédant pour l'exécution des clauses du bail est lui-même insuffisant pour atténuer la gravité du manquement dans un contexte de déloyauté vis à vis du bailleur et de tentative de tromper la religion des juges.

Il y a lieu de faire droit à la demande de résiliation du bail et d'ordonner l'expulsion du locataire et de tout occupant de son chef.

Ce dernier paiera à titre d'indemnité d'occupation une somme équivalente au montant du loyer outre les taxes et charges, ladite somme augmentée de 10 % trois mois après la signification de l'arrêt.

Il n'y a pas lieu à liquidation de l'astreinte de 50 € par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la signification de la décision prononcée le 18 septembre 2012 par le conseiller de la mise en état pour parvenir à l'exécution de sa décision ordonnant communication de l'original tant de l'avis de dépôt de la lettre recommandée datée du 18 mai 2010 que de l'avis de réception de ce même envoi signé par le destinataire, à défaut d'une attestation de la poste de l'existence et de la date de ces deux pièces ;

Il a en effet été révélé au cours de la procédure que l'avis de dépôt qui a été versé aux débats le 25 septembre 2012 était un faux ' transmis par le conseil de M Le Van' ainsi qu'il résulte des indications contenues dans l'acte de cession du fonds établi au profit de M Le Van et qu'il n'a existé aucun envoi recommandé ainsi que les intimés l'ont aux mêmes admis en définitive dans leurs conclusions signifiées le 25 octobre 2012.

La reconnaissance à cette date par les intimés de ce que les pièces dont l'existence était alléguée, n'existait pas, interdit de liquider l'astreinte à une date postérieure à cette reconnaissance dans la mesure où l'astreinte n'est destinée qu'à s'assurer de l'exécution de la décision ayant ordonné la production des pièces litigieuses et non à réparer le préjudice souffert du fait de l'inexécution fautive.

L'ordonnance du conseiller de la mise en état a été signifiée à M Le Van le 11 octobre 2012 et à la société Les frères cordonniers le 22 octobre suivant ; les conclusions de M Le Van et la société Les frères cordonniers admettant que la bailleresse n'avait pas été conviée aux formalités d'apport du fonds ayant été signifiées le 25 octobre 2012, soit dans le délai de quinze jours à compter de la signification de l'ordonnance à chacune des parties, il n'y a pas lieu à liquidation de l'astreinte ordonnée.

Les intimés M Le Van et la société Les frères cordonniers supporteront les dépens et paieront à la société Archos la somme de 8 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement déféré,

Dit que le transport du fonds de commerce par M Le Van au bénéfice de la société Les frères cordonniers est inopposable à la société Archos et prononce la résiliation du bail liant M Le Van à la société Archos,

Ordonne en conséquence l'expulsion de M Le Van et celle de tout occupant de son chef des lieux loués [...],

Dit que M Le Van paiera une indemnité d'occupation égale au montant du loyer en cours, taxes et charges en sus, ladite indemnité augmentée de 10 % trois mois après la signification de l'arrêt.

Dit n'y avoir lieu à liquidation de l'astreinte,

Condamne in solidum M Le Van et la société Les frères cordonniers aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile et à payer sous la même solidarité une somme de 8 000 € sur le fondement de l'article 700 du même code à la société Archos.