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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 20 février 2019, n° 17/15150

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

La Brioche D'or ' La Famille’ (SARL)

Défendeur :

Epic Oph Pays de Meaux Habitat (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Thaunat

Conseillers :

Mme Gil, Mme Barutel-Naulleau

TGI Meaux, du 29 juin 2017

29 juin 2017

FAITS ET PROCÉDURE :

L'office public d'aménagement et de construction de Meaux, aux droits duquel se trouve, l'OPH MEAUX HABITAT devenu l'OPH PAYS DE MEAUX HABITAT par changement de dénomination, a consenti le 26 novembre 1993 à la SARL en formation "BOULANGERIE MODERNE" un bail commercial portant sur un local de 90 m² en rez-de-chaussée situe [...] ' 18 allées des bruyères, centre commercial La Verrière - à Meaux (77).

L'article 3 du bail prévoyait que le preneur exercerait au sein des locaux loués l'activité de "vente de pains, baguettes préfabriquées, viennoiserie, croissanterie, sandwichs, glaces, confiserie, pâtisserie, vente de boissons non alcoolisées"

A l'article 20 dudit bail étaient mentionnées les conditions de cession et de sous-location.

La SARL BOULANGERIE MODERNE a changé de dénomination en février 1997 pour devenir LE FOURNIL DE BEAUVAL et a, par acte sous seing privé du 25 septembre 2012 cédé son fonds de commerce à la SARL BRIOCHE D'OR "LA FAMILLE". Cet acte a été enregistré le 18 octobre 2012.

Estimant que cette cession était intervenue sans autorisation du bailleur, l'OPH MEAUX HABITAT a mis en demeure la SARL LE FOURNIL DE BEAUVAL par courrier recommandé du 18 octobre 2012 de cesser d'exercer une activité non prévue au bail. Cette mise en demeure est restée sans effet, ladite SARL ayant fait l'objet d'une dissolution par décision de son assemblée générale du 19 octobre 2012.

Par acte d'huissier du 27 mars 2014, l'OPH MEAUX HABITAT a fait assigner la SARL LA BRIOCHE D'OR "LA FAMILLE" devant le tribunal de grande instance de MEAUX aux fins de voir juger la cession du fonds de commerce intervenue en 2012 inopposable à son égard et en prononcer la nullité, outre le prononcé de l'expulsion de la défenderesse et le paiement d'une indemnité d'occupation jusqu'à la libération effective des lieux.

Par jugement rendu le 29 juin 2017, le tribunal de grande instance de MEAUX a :

- Dit que la cession du fonds de commerce intervenue le 25 septembre 2012 entre la SARL LE FOURNIL DE BEAUVAL et la SARL LA BRIOCHE D'OR "LA FAMILLE" est inopposable à l'OPH MEAUX HABITAT, bailleur ;

- Ordonné en conséquence l'expulsion de la SARL LA BRIOCHE D'OR "LA FAMILLE" des lieux situes [...] ' 18 allées des bruyères, centre commercial La Verrière a Meaux (77) ainsi que celle de tous occupants de son chef, à défaut de libération volontaire des lieux dans les 30 jours de la signification de la présente décision, et ce, au besoin, avec le concours de la force publique et l'assistance d'un serrurier ;

- Ordonné en outre, la séquestration des biens et objets mobiliers se trouvant alors dans les lieux dans tel garde-meubles de son choix ;

- Condamné la SARL LA BRIOCHE D'OR "LA FAMILLE" à payer à l'OPH MEAUX HABITAT une indemnité d'occupation mensuelle égale au montant du loyer en principal et accessoires, et ce, jusqu'à la libération définitive des lieux par la remise des clés ;

- Prononcé l'exécution provisoire de la présente décision ;

- Condamné la SARL LA BRIOCHE D'OR "LA FAMILLE" à verser 2.000 euros à l'OPH MEAUX HABITAT au titre des frais irrépétibles par lui engagés,

- Condamné la SARL LA BRIOCHE D'OR "LA FAMILLE" aux dépens,

- Accordé le bénéfice de l'article 699 du code procédure civile à Maître Clara C.-M., de la SCP C.-M. & W., avocate au barreau de Meaux,

Par déclaration du 25 juillet 2017 la SARL LA BRIOCHE D'OR "LA FAMILLE" a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RVPA le 20 octobre 2017, la SARL LA BRIOCHE D'OR "LA FAMILLE" demande à la cour de :

Vu l'article 1134 du Code Civil,

Vu l'article L 145-16 du Code de Commerce,

Vu les articles 695, 696, 699 et 700 du Code de Procédure Civile

Infirmer le jugement du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de MEAUX du 29 juin 2017 en toutes ses dispositions.

En conséquence,

Débouter l'OPH PAYS DE MEAUX HABITAT de l'intégralité de ses demandes.

Condamner l'OPH PAYS DE MEAUX HABITAT à payer à la SARL LA BRIOCHE d'OR "LA FAMILLE" la somme de 5 000€ au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Condamner l'OPH PAYS DE MEAUX HABITAT aux entiers dépens et autoriser la SCP T. & ASSOCIES à recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l'avance sans recevoir provision suffisante, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 11 décembre 2017, L'EPIC OPH PAYS DE MEAUX HABITAT demande à la cour de :

Vu les dispositions des articles 1728 et 1741 du Code Civil,

Vu les articles 1217 et 1224 nouveaux du Code Civil,

Vu les pièces produites aux débats,

Confirmer le jugement rendu le 29 juin 2017 par le Tribunal de Grande Instance de MEAUX.

Condamner la SARL LA BRIOCHE D'OR « LA FAMILLE » à payer à l'OPH PAYS DE MEAUX HABITAT la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC.

Condamner la SARL LA BRIOCHE D'OR « LA FAMILLE » aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 22 octobre 2018.

MOTIFS

En l'espèce, le bail commercial passé devant notaire le 26 novembre 1993 contient un article 20 intitule 'cession -sous-location' ainsi libellé :

'll est interdit au preneur de concéder la jouissance des lieux loués à qui que ce soit, sous quelque forme que ce soit même temporairement et à titre gratuit et précaire.

- de sous-louer en tout ou partie,

- en cas de cession à un successeur dans son commerce, le preneur s'engage à informer au préalable le bailleur par pli recommandé et à obtenir l'agrément du cessionnaire.

- la cession devra intervenir par acte notarié auquel sera appelé le bailleur.

- une grosse de l'acte de cession devra être soumise au bailleur, sans frais pour ce dernier, pour servir de titre exécutoire direct contre le cessionnaire.

Il devra informer son acquéreur du fonds de commerce de l'usage en vigueur d'un versement au bailleur d'un denier d'entrée. Ce dernier vaut 5% (CINQ POUR CENT) du montant de la vente du fonds, déduction faite des investissements entrepris par les preneurs. Ces investissements seront confirmés par les factures dûment payées des preneurs, réactualisées selon les indices INSEE de la construction tels que prévus par la révision annuelle des loyers. L'indice de base sera celui du trimestre de l'année précédant l'année de vente du fonds de commerce. Ce taux de 5% vaut dans le cas d'une simple reprise. Toute cession de bail entraînant une modification quelconque de celui-ci fera l'objet d'une demande d'accord préalable au bailleur.

Le bailleur se réserve le droit de refuser toute déspécialisation du bail ou toute autre modification. Le bailleur appréciera dans le cas où il accorderait la transformation de l'activité du fonds ou d'autres modifications, le nouveau loyer et le montant du denier d'entrée. La coutume usuelle prévoit un denier d'entrée égal à 10% (dix pour cent) du montant de la cession du fonds déduction faite des investissements du preneur telle qu'elle a été décrite précédemment, dans le cas de modification du bail.

Le preneur restera garant conjointement et solidairement avec son cessionnaire et tous cessionnaires successifs, du paiement des loyers et charges, échus ou a échoir, de l'exécution des conditions du présent bail.

Aucun apport ou cession, ne pourra être fait si sont dus loyers et charges par le preneur'

L'appelante soutient tout d'abord que la clause 20 doit être réputée non écrite dans sa totalité dans la mesure où elle interdit au locataire de céder son bail et qu'elle a pour effet de faire échec aux dispositions des article L145-47 à L145-54 permettant au locataire commercial de s'adjoindre une activité connexe ou complémentaire, si bien que plus aucune procédure ne devait être respectée vis-à-vis du bailleur pour procéder à la cession du fonds, ce qui rend mal fondées les prétentions du bailleur à lui voir déclarée inopposable la cession.

La cour relève que la clause 20 dont le contenu a été rappelé ci-dessus, a correctement été interprétée par les premiers juges, en ce qu'elle organise la cession du bail lorsque celle-ci intervient avec la cession du fonds de commerce, mais ne l'empêche pas. Une telle clause est valide et ne peut de ce chef être déclarée non écrite.

Un alinéa de cette clause stipule des dispositions particulières relatives à là de spécialisation partielle du bail dans la cadre de cette cession. La cour relève qu'à supposer que cette disposition soit irrégulière, elle n'affecte pas la première partie de la clause en ce qu'elle organise la cession et la soumet à un certain nombre d'obligations.

A titre subsidiaire, la société cessionnaire soutient que la clause dont s'agit doit être interprétée conformément à l'article 1162 du code civil en faveur de celui qui à contracté l'obligation, c'est à dire en faveur de la SARL LE FOURNIL DE BEAUVAL et de la SARL LA BRIOCHE D'OR 'LA FAMILLE', les obligations relatives à la cession ne s'appliquant qu'en ce qui concerne la cession de bail, et non lorsque celle-ci intervenait en même temps que la cession du fonds ; qu'en outre, la demande d'agrément a été faite par courrier du 29 septembre 2012, que seule la date de l'enregistrement de l'acte de cession soit le 18 octobre 2012 rend la date de cession certaine, qu'en conséquence l'information du bailleur a été réalisée avant cette cession puisque celui-ci s'y est opposé par courrier en date du 18 octobre 2012 ; que ce refus d'agrément au motif d'un litige opposant le bailleur au cédant, sans autre précision, est abusif.

Sur le premier point, la cour relève que la clause est claire et ne nécessite pas d'interprétation, si bien que l'article 1162 du code civil n'a pas vocation à s'appliquer. C'est à juste titre que les premiers juges ont retenu que la clause imposait au cédant de respecter lors de la cession un certain nombre d'obligations y figurant, c'est ainsi qu’ :

'- en cas de cession à un successeur dans son commerce, le preneur s'engage à informer au préalable le bailleur par pli recommandé et à obtenir l'agrément du cessionnaire.

- la cession devra intervenir par acte notarié auquel sera appelé le bailleur.

- une grosse de l'acte de cession devra être soumise au bailleur, sans frais pour ce dernier, pour servir de titre exécutoire direct contre le cessionnaire.'

La clause est en conséquence valable et doit recevoir application en ce qu'elle organise la cession du bail en cas de cession du fonds.

Sur le deuxième point, la cour relève que par courrier en date du 29 septembre 2012 , l'association A.CP., se présentant comme conseil pour la rédaction d'un acte de cession de fonds de commerce 'devant intervenir entre la SARL LE FOURNIL DE BEAUVAL et la SARL LA BRIOCHE D'OR et relatif au local sis n°[...], pour la même activité, savoir 'terminal de cuisson, vente de pains, croissanterie, viennoiserie et baguettes préfabriquées, sandwichs, boissons non alcoolisées, glaces, confiseries, pâtisserie' a adressé au bailleur une 'demande d'information et lui a en outre demandé : de préciser si le paiement des loyers était à jour, si le dépôt de garantie avait été complété, et dans le cas contraire indiqué que le cessionnaire rembourserait directement au bailleur les sommes dues, joignant à son envoi un chèque de 1811,69 euros 'représentant l'arriéré de loyers', de confirmer que le loyer resterait inchangé et que le bailleur acceptait 'd'être avisé de l'acte par un original écrit enregistré sous seing privé et non plus par une signification judiciaire de l'acte'. Par courrier en réponse du 18 octobre 2012, le bailleur a indiqué qu'il ne pouvait 'donner une suite favorable à (cette) demande compte tenu du litige qui nous oppose avec le cédant' (pièces 6 et 7 de l'appelante).

Par un courrier avec accusé de réception daté du 18 octobre 2012, le bailleur a adressé dans les lieux loués à la société LE FOURNIL BEAUVAL, une mise en demeure d'avoir à se conformer à la clause de destination du bail, le bailleur rappelant que ses services avaient constaté lors d'une visite le 11 octobre précédent que l'activité exercée dans les lieux avait été étendue à celle d'épicerie, sans autorisation préalable du bailleur en infraction aux articles L145-47 et L145-55 du code de commerce ; indiqué qu'à défaut de se faire dans le délai de 15jours, le dossier serait transmis à l'huissier et lui a demandé en outre, de transmettre son extrait Kbis, ses statuts et une pièce d'identité du gérant. Selon l'accusé de réception, ce courrier a été remis à la société cédante le 20 octobre 2012. (Pièce 7 de l'intimée).

Selon l'annonce légale publiée dans le journal LA MARNE, la société LA BRIOCHE D'OR ' LA FAMILLE' a été constituée par acte sous seing privé du 1er octobre 2012, avec une activité principale de terminal de cuisson, et un siège social [...], centre commercial La Verrière 77100 Meaux. (pièce 6 bis de l'intimée)

Le registre unique de personnel de la société LA BRIOCHE D'OR La FAMILLE fait apparaître l'embauche de M. Talel B. B. comme vendeur polyvalent du 1er octobre 2012 au 30 août 2013" (pièce 3 de l'appelante)

Il résulte de l'examen de ces pièces, que si le courrier daté du 29 septembre 2012, informe bien le bailleur de la cession du fonds, pour autant le courrier du 18 octobre 2012 du bailleur adressé au rédacteur ne peut satisfaire à l'obligation de recueillir l'agrément préalable du bailleur, celui-ci étant expressément refusé. En outre, la cour observe que si la cession n'a acquis date certaine qu'au 18 octobre 2012, après enregistrement de l'acte sous seing privé la constatant, elle est visiblement intervenue à une date antérieure, puisqu'il résulte du registre unique du personnel de la société cessionnaire, qu'elle a embauché une personne comme vendeur à compter du 1er octobre 2012 et que ses statuts datés du 1er octobre 2012, indiquaient déjà que son siège social était dans les lieux loués.

La société cessionnaire argue du caractère abusif de ce refus, mais la cour relève qu'à le supposer abusif, il appartenait au cédant et au cessionnaire, non pas de passer outre à ce refus, mais de saisir la justice afin de voir la cession intervenir.

Dans ces conditions, la cession du fonds de commerce intervenue sans respect des modalités contractuelles est inopposable au bailleur.

L'appelante fait encore valoir que l'acte de cession a finalement été notifié au bailleur par courrier en date du 7 mai 2013, qu'à cette époque le bailleur souhaitait en fait la conclusion d'un nouveau bail avec elle, qu'un projet de bail a été adressé par le bailleur à M.Ben B., à l'époque gérant de la société, lequel a retourné l'acte et n'en a pas conservé une copie, ainsi qu'il en atteste ; que les loyers ont été payés par la société cessionnaire sans opposition du bailleur ; que le défaut de réitération de la cession par acte notarié n'est pas un manquement suffisamment grave pour entraîner la résiliation du bail.

La cour relève, que nul ne peut s'établir à soit même des éléments de preuve et qu'aucune conséquence ne peut être tirée d'une attestation rédigée par le gérant de la société cessionnaire, partie au procès. Par ailleurs, le bailleur conteste qu'un nouveau bail soit intervenu directement entre elle et la société cessionnaire et aucun élément de preuve ne vient étayer cette assertion.

La cessionnaire ne verse aux débats aucune quittance établie à son nom et au contraire le bailleur verse aux débats des quittances établies au nom de la cédante, pour une période postérieure à la cession litigieuse.

La cour constate en outre que la résiliation du bail liant la société cédante et la bailleresse n'est pas demandée, si bien qu'il n'y a pas lieu de répondre au moyen relatif à l'absence de gravité du manquement lié à la non-conclusion par acte notarié de la cession.

Pour l'ensemble des motifs développés ci-dessus, la cession est inopposable à la bailleresse, si bien que la société cessionnaire est occupante sans droit ni titre des lieux et que la bailleresse peut de ce chef demander l'expulsion de la société cessionnaire.

Sur les demandes accessoires

Il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société LA BRIOCHE D'OR à payer une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

En cause d'appel, il y a lieu de condamner l'appelante qui succombe aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile comme il sera précisé au dispositif et de débouter la société LA BRIOCHE D'OR de ce chef de demande.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris,

Y ajoutant,

Condamne la société LA BRIOCHE D'OR 'LA FAMILLE' à payer à L'OPH PAYS DE MEAUX HABITAT une somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société LA BRIOCHE D'OR LA FAMILLE aux entiers dépens.