CA Paris, Pôle 6 ch. 5, 9 mars 2017, n° 13/08651
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Tout Sur l'Ecran (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Breton
Conseillers :
Mme Durand, Mme Montagne
Par 73 contrat de travail à durée déterminée conclus à compter d'avril 2005, Monsieur Jean-Pierre R. a été engagé par la société Ecran Flash, ensuite dénommée Tout Sur l'Ecran Productions, pour exercer la fonction de Directeur de la photographie dans le cadre de la réalisation d'une émission de télévision à caractère littéraire tournée dans des bars parisiens occupés par de véritables clients. Il s'est agi, en avril 2005 du programme pilote 'Décalages', puis entre 2005 et 2008, de 'Café Picouly', tourné au café Charbon, diffusé sur France 5, enfin de 'Café Littéraire', diffusé sur France 2, tourné au Wax Bar puis dans un studio du Moulin Rouge. La société n'a plus fait appel à lui à compter du mois de décembre 2010.
Saisi de diverses demandes par Monsieur R., le conseil de prud'hommes de Paris, par jugement du 24 avril 2013 :
- s'est déclaré incompétent matériellement sur la demande relative aux droits d'auteur, et a renvoyé les parties, sur ce point, devant le tribunal de grande instance de Paris,
- a débouté Monsieur R. de toutes ses autres demandes,
- a condamné Monsieur R. aux dépens.
À la suite de l'appel interjeté par Monsieur R., cette cour, par arrêt du 23 juin 2016 :
- a infirmé partiellement le jugement et, statuant de nouveau :
- a condamné la société Tout sur l'Ecran à payer à Monsieur R. les sommes de :
- 15 348,30 € de rappel de salaires pour heures supplémentaires,
- 1 534,83 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés incidente avec intérêts au taux légal à compter du 05 janvier 2012,
- 500 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect du formalisme conventionnel, avec intérêts au taux légal à compter du jour de l'arrêt,
- 1 800 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- a déclaré recevable la demande sur les droits d'auteur,
- a invité la société Tout sur l'Ecran à conclure au fond sur cette question,
- a sursis à statuer sur cette question jusqu'à l'audience de renvoi du 29 novembre 2016,
- a rejeté le surplus des demandes,
- a condamné la société aux présents dépens.
Vu les conclusions de Monsieur R., visées par le greffier le 29 novembre 2016 et développées oralement à l'audience du même jour, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, ainsi que de ses moyens et prétentions, par lesquelles il demande à la cour :
- de reconnaître sa qualité d'auteur au titre de la création du concept des lumières de l'émission 'Café Picouly',
- de condamner la société intimée à lui payer la somme de 22 800 € au titre de ses droits d'auteur pour la conception des différentes lumières de l'émission 'Café Picouly',
- de la condamner au paiement de la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions de la société Tout sur l'Ecran Productions, visées par le greffier le 29 novembre 2016 et développées oralement à l'audience du même jour, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, ainsi que de ses moyens et prétentions, par lesquelles elle demande à la cour :
- de déclarer la demande irrecevable, faute de mise en cause des prétendus coauteurs,
- subsidiairement, de juger que l'appelant ne rapporte pas la preuve de sa qualité de coauteur de la série d'émissions 'Café Picouly' et 'Café Littéraire',
- en tout état de cause, de le débouter de toutes ses demandes et de le condamner au paiement d'une somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
A/ Sur la fin de non-recevoir soulevée par la société Tout sur l'Ecran Productions
La société soutient que le coauteur d'une oeuvre de collaboration qui agit en justice pour la défense de ses droits patrimoniaux est tenu, à peine d'irrecevabilité, de mettre en cause les autres auteurs de cette oeuvre, dès lors que sa contribution ne peut être séparée de celle des coauteurs.
Cependant, l'article L. 113-7 du code de la propriété intellectuelle dispose :
'Ont la qualité d'auteur d'une oeuvre audiovisuelle la ou les personnes qui réalisent la création intellectuelle de cette oeuvre.
Sont présumés, sauf preuve contraire, coauteurs d'une oeuvre audiovisuelle réalisée en collaboration :
1° L'auteur du scénario ;
2° L'auteur de l'adaptation ;
3° L'auteur du texte parlé ;
4° L'auteur des compositions musicales avec ou sans paroles spécialement réalisées pour l'oeuvre ;
5° Le réalisateur.
(...)'
Le directeur de la photographie n'étant pas présumé coauteur de l'oeuvre audiovisuelle, il importe de rechercher, avant de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par la société intimée, si Monsieur R. peut se prévaloir de la qualité de coauteur des émissions litigieuses et agir, en conséquence, pour la défense de ses droits patrimoniaux.
B/ Sur la demande de Monsieur R., tendant à être reconnu comme coauteur des émissions litigieuses
Monsieur R. demande la reconnaissance de sa qualité d'auteur de l'émission, en tant que créateur de l'éclairage. Il soutient en effet qu'il a conçu un plan d'éclairage très précis constituant une partie intégrante du décor et du concept de l'émission, et qu'il a exprimé sa créativité et ses talents artistiques au service de ce programme télévisé, dont une partie du succès a reposé sur l'esthétisme et l'ambiance générés par les lumières. Il ajoute que l'émission est le fruit de ses partis pris et de ses choix artistiques, au même titre que ceux de Monsieur F., son réalisateur, car :
- ils ont visité ensemble les lieux prospectifs du tournage,
- il a demandé l'achat de matériel propre à fournir une certaine lumière,
- il s'est entouré d'une équipe de spécialistes à même de l'aider à atteindre l'effet esthétique attendu,
- il a ainsi mis au point une oeuvre originale.
Il ajoute qu'il s'est immiscé dans un secteur autre que le sien propre en participant à la mise en scène de l'émission, et que, spécialiste connu pour ses tournages en décor naturel, il a apposé 'sa patte' sur cette émission. Il estime qu'il remplit la condition d'originalité dans la forme car 'il irradie totalement l'émission de l'empreinte de sa personnalité par un éclairage d'ombres et de lumière très subtil'. Il conclut que ses lumières transforment les différents cafés dans lesquels l'émission a été tournée pour y apporter une atmosphère chaleureuse propre à l'émission et identifiée par tous les téléspectateurs. Il ajoute que le décor des différents cafés choisis comme lieu de tournage n'a pas été changé, et que c'est la lumière seule qui a permis de les transformer en un seul et même café Picouly, qu'en l'absence de son apport artistique original, l'oeuvre que constitue l'émission aurait été privée de l'atmosphère unique qui la caractérise et la rend identifiable aux yeux du public.
La société réplique que Monsieur R. n'invoque que des éléments purement techniques, sans expliciter les contours de l'originalité de son intervention, ni identifier les éléments traduisant sa personnalité.
*
Il ressort des dispositions de l'article L. 113-7 du code de la propriété intellectuelle, qu'il appartient à Monsieur R. de démontrer sa participation à la création intellectuelle des émissions litigieuses. Plus précisément, la protection légale accordée aux oeuvres de l'esprit, indépendante de toute considération d'ordre esthétique et reposant sur le caractère original de la création, il lui appartient de préciser en quoi son travail sur la lumière est original.
S'il est vrai que la 'conception lumière et prélight pour l'émission 'Café littéraire' enregistrée au Wax Bar sous la direction lumière de Jean-Pierre R.' a fait l'objet d'une facture à l'ordre de la société intimée, qui ne conteste pas l'avoir réglée, force est de constater qu'elle est émise par la société EWP Productions, et non par Monsieur R., et qu'en tout état de cause, elle ne fait pas référence à des droits d'auteur. De même, les clauses afférentes aux droits d'auteur figurant dans les contrats de travail de Monsieur R., insérées pour le cas où le salarié pourrait revendiquer la qualité d'auteur, ne saurait le dispenser de rapporter la preuve de cette qualité.
D'après la description de ce métier fournie en pièce 23 par l'appelant, le directeur de la photographie 'conçoit les éclairages et organise les prises de vues', 'définit les mouvements des caméras, traduit de manière concrète les attentes du réalisateur, notamment en matière d'atmosphère et d'effets spéciaux'. Il s'agit donc d'un auxiliaire technique du réalisateur.
C'est bien dans ce cadre que Monsieur R. a créé les plans d'éclairage détaillés, le fait qu'ils soient spécifiquement adaptés aux lieux de tournage de l'émission ne traduisant que la mise en oeuvre, par l'appelant, de ses connaissances techniques et de sa compétence particulière en matière d'éclairage de décors naturels. C'est également dans ce cadre qu'il a pu, ceci n'étant pas contesté par l'intimé, participer au choix des lieux de tournage avec le réalisateur : il n'a ainsi participé qu'à la mise en oeuvre technique d'un scénario préalable, consistant à tourner une émission littéraire dans un café parisien.
De même, lorsqu'il souligne que c'est 'grâce à un éclairage bien particulier que le téléspectateur va réussir à dégager visuellement l'invité et son interviewer de cette foule d'anonymes', et que 'l'éclairage doit être assez subtil pour laisser au téléspectateur la possibilité d'observer les figurants se mouvoir en toile de fond', Monsieur R. ne fait que décrire la réussite de sa prestation technique (plan de l'éclairage, choix du matériel nécessaire et des membres de son équipe), due à ses connaissances particulières de l'éclairage 'in situ', qui lui a permis de traduire pour la télévision la réalité d'un café parisien.
Enfin, Monsieur R. ne produit que quelques images arrêtées des émissions litigieuses, insusceptibles de démontrer la réalité de l'ambiance des émissions. En tout état de cause, il ne démontre pas en quoi un éclairage d'ombres et de lumière, même 'très subtils', et une atmosphère chaleureuse constitueraient des concepts originaux qui n'auraient pas été voulus par le réalisateur.
Monsieur R. n'apportant pas la preuve de sa participation à la création intellectuelle des émissions litigieuses, ses demandes tendant à être reconnu en qualité de coauteur des émissions et à être indemnisé de la cession de droits d'auteur doivent être rejetées, sans qu'il soit nécessaire d'examiner la fin de non-recevoir soulevée par la société intimée.
C/ Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les dépens seront mis à la charge de la société Tout sur l'Ecran Productions, le présent arrêt faisant suite à l'arrêt du 23 juin 2016 qui a condamné cette société aux dépens.
Les demandes formées de part et d'autre du chef de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Déboute Monsieur Jean-Pierre R. de toutes ses demandes,
Déboute la société Tout sur l'Ecran Productions de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Tout sur l'Ecran Productions aux dépens.