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Décisions

Cass. crim., 4 novembre 2021, n° 20-86.639

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

M. de Lamy

Avocat général :

M. Valat

Avocat :

SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh

Riom, du 29 sept. 2020

29 septembre 2020

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [M] a porté plainte et s'est constitué partie civile, du chef de faux et usage, en raison de courriers dactylographiés évoquant un accord avec Mme [L] [W], dont il est séparé, sur l'organisation de son droit de visite et d'hébergement de leurs enfants. Ces lettres, dont M. [M] n'est pas l'auteur, ont été découvertes lors d'une procédure devant le juge aux affaires familiales et ont permis à Mme [W] d'obtenir gain de cause lors d'une précédente action.

3. Mme [W] reconnaît avoir rédigé, sur la demande de M. [M] qui connaît des difficultés de rédaction, deux modèles de lettre, l'une étant la lettre d'accompagnement d'un projet de règlement à l'amiable des conditions de séparation des concubins quant à leurs enfants et l'autre, le projet lui-même. En revanche, Mme [W] réfute avoir tapé ces courriers, les avoir signés et envoyés.

4. Le juge d'instruction a rendu une ordonnance de non-lieu le 6 novembre 2018 constatant l'insuffisance de charges contre quiconque d'avoir commis les délits de faux et usage de faux en écriture privée.

5. M. [M] a relevé appel de cette ordonnance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de non-lieu du magistrat instructeur pour les faits de faux et usage de faux concernant les lettres dactylographiées du 26 novembre 2005, alors :

« 1°/ que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que le seul fait de falsifier un écrit ayant un objet probatoire, dont il a été fait usage devant une juridiction, est de nature à causer un préjudice, tout événement ultérieur à la consommation des infractions de faux ou usage de faux de nature à minorer les effets juridiques causés par l'établissement ou l'usage du faux étant indifférent ; qu'en retenant de façon inopérante, pour prononcer un non-lieu pour les faits de faux et usage de faux concernant les lettres dactylographiées du 26 novembre 2005 et à titre subsidiaire rejeter la demande d'expertise graphologique formée par le conseil de M. [M], que le courrier d'accompagnement de l'accord amiable et celui contenant l'accord amiable du 26 novembre 2005 argués de faux n'ont pas été susceptibles de causer un quelconque préjudice au plaignant dès lors que le jugement du 2 février 2006 qui, selon le plaignant avait été obtenu grâce à ces faux, qualifié de jugement réputé contradictoire, n'a jamais été signifié et qu'en application de l'article 478-1 du code de procédure civile, faute d'avoir été signifié dans un délai de six mois, il était devenu non avenu, cependant que cet élément de procédure civile était indifférent, comme postérieur, à la constitution des infractions de faux et usage de faux et sans rechercher si la falsification du prétendu accord amiable et du courrier d'accompagnement du 26 novembre 2005 qui constituaient des écrits à objet probatoire, créés pour être produits en justice et effectivement produits devant le juge aux affaires familiales, n'était pas intrinsèquement de nature à causer un préjudice à M. [M], la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 441-1 du code pénal ;

2°/ que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en retenant, pour prononcer un non-lieu pour les faits de faux et usage de faux concernant les lettres dactylographiées du 26 novembre 2005 et à titre subsidiaire rejeter la demande d'expertise graphologique formée par le conseil de M. [M], que le courrier d'accompagnement de l'accord amiable et celui contenant l'accord amiable du 26 novembre 2005 argués de faux n'ont pas été susceptibles de causer un quelconque préjudice au plaignant dès lors que le jugement du 2 février 2006 qui, selon le plaignant avait été obtenu grâce à ces faux, qualifié de jugement réputé contradictoire, n'a jamais été signifié et qu'en application de l'article 478-1 du code de procédure civile, faute d'avoir été signifié dans un délai de six mois, il était devenu non avenu, cependant que la production en justice des courriers falsifiés du 26 novembre 2005 a eu pour double effet de priver M. [M] de tout contradictoire, puisque la juridiction a cru en raison de l'accord amiable adressé qu'il était informé de la procédure, et de permettre à Mme [W] d'obtenir gain de cause devant le juge aux affaires familiales en faisant faussement croire que M. [M] avait donné son accord aux mesures concernées, lesquelles ont été ordonnées par le juge sur la base de ce prétendu accord amiable, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 441-1 du code pénal ;

3°/ que selon l'article 478 alinéa 1er du code de procédure civile, le jugement rendu par défaut ou le jugement réputé contradictoire au seul motif qu'il est susceptible d'appel est non avenu s'il n'a pas été notifié dans les six mois de sa date ; que ce texte ne s'applique que si le jugement est réputé contradictoire au seul motif qu'il est susceptible d'appel ; qu'en se fondant sur l'article 478 al. 1er du code de procédure civile pour retenir, au soutien du non-lieu et du rejet de la demande subsidiaire de supplément d'information, que le jugement du 2 février 2006 était non avenu et que les actes argués de faux n'ont pas été susceptibles de causer un préjudice, cependant qu'il ressort du jugement du 2 février 2006 que le juge aux affaires familiales a déduit la qualification de jugement réputé contradictoire de ce que M. [M], non comparant et non représenté à l'audience du 8 décembre 2005, a fait néanmoins parvenir au greffe le 2 décembre 2005 un courrier du 26 novembre 2005 (le courrier falsifié) duquel il ressort qu'il acquiesce à la demande de son ex-compagne et qu'ainsi, le juge aux affaires familiales a qualifié le jugement de réputé contradictoire en ce que M. [M] avait eu connaissance de la procédure et non en ce que le jugement était susceptible d'appel, la chambre de l'instruction a violé, par fausse application, l'article 478 du code de procédure civile ;

4°/ que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que si l'opportunité d'un supplément d'information relève de l'appréciation souveraine des juges, c'est à la condition que les motifs de leur décision ne soient pas insuffisants ou inopérants ; qu'en retenant, pour rejeter la demande de supplément d'information tenant à ordonner une expertise graphologique comparant les signatures figurant sur le courrier d'accompagnement de l'accord amiable et l'accord lui-même en date du 26 novembre 2005 et celle figurant sur l'avis de réception daté du 10 novembre 2005 correspondant à l'envoi par le greffe du juge aux affaires familiales d'une convocation, par LRAR, à l'audience du 8 décembre 2005 à l'adresse [Adresse 2], soit à celle de Mme [W], imputable nécessairement à Mme [W] dès lors que M. [M] ne résidait plus à cette adresse depuis la séparation du couple, que l'adresse indiquée sur les courriers du 26 novembre 2005 était celle de la mère de la partie civile chez qui il se rendait régulièrement et où les courriers pouvaient lui parvenir (arrêt p. 6) et en se prononçant ainsi par un motif inopérant au regard des faits dénoncés par la partie civile consistant dans l'envoi en son nom de courriers qui, outre qu'ils mentionnaient en en-tête faussement comme adresse de M. [M] le domicile de sa mère, constituaient intégralement des faux matériels et intellectuels avec imitation de la signature de M. [M], la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 202, 205 du code de procédure pénale et 441-1 du code pénal. »


Réponse de la Cour

Vu les articles 441-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :

8. Selon le premier de ces textes constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée, qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques.

9. Selon le second de ces textes, tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

10. Pour confirmer l'ordonnance de non-lieu, l'arrêt attaqué énonce que les courriers litigieux ont été versés dans la procédure qui a abouti au jugement rendu le 2 février 2006 par le juge aux affaires familiales, lequel rendu en l'absence de M. [M], a été qualifié de réputé contradictoire et, n'ayant jamais été notifié, est non-avenu selon l'article 478 du code de procédure civile.

11. Les juges ajoutent que les actes argués de faux n'ont alors pas été susceptibles de causer un préjudice au demandeur privant le délit de l'un de ses éléments constitutifs et qu'ainsi la demande d'expertise graphologique sollicitée par l'avocate de M. [M] est apparue inutile.

12. Les juges relèvent également que les courriers portent l'adresse de la mère de M. [M] chez qui il se rend régulièrement ce qui lui permettait de récupérer les lettres.

13. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision pour les motifs qui suivent.

14. En premier lieu, le délit de faux est une infraction instantanée qui se consomme par l'établissement de l'écrit falsifié; le fait qu'un jugement civil devienne non-avenu, faute de signification, n'est pas de nature à supprimer le caractère préjudiciable de cette infraction dès lors qu'il s'agit là d'un évènement postérieur à sa réalisation et, ainsi, sans conséquence sur l'utilité d'une expertise graphologique.

15. En second lieu, la mention, sur les lettres dactylographiées, de l'adresse de la mère de la partie civile chez laquelle il se rendait régulièrement et pouvait récupérer son courrier est inopérante alors que M. [M] arguait cette mention de faux.

16. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

17. La cassation sera limitée aux dispositions de l'arrêt rendu par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Riom le 29 septembre 2020 relatives aux faux portant sur les lettres dactylographiées en date du 26 novembre 2005.

18.Toutes autres dispositions sont expressément maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Riom, en date du 29 septembre 2020, mais en ses seules dispositions relatives au délit de faux ayant pour objet les lettres dactylographiées du 26 novembre 2005, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bourges à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Riom et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.