TUE, 10e ch., 9 novembre 2022, n° T-111/21
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Ryanair DAC
Défendeur :
Commission européenne, République de Croatie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
A. Kornezov
Juges :
E. Buttigieg (rapporteur) , D. Petrlík
LE TRIBUNAL (dixième chambre),
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Ryanair DAC, demande l’annulation de la décision C(2020) 8608 final de la Commission, du 30 novembre 2020, relative à l’aide d’État SA.55373 (2020/N) – Croatie – COVID-19 – Compensation de dommages octroyée à Croatia Airlines (JO 2021, C 17, p. 1, ci-après la « décision attaquée »).
I. Antécédents du litige
2 Croatia Airlines d.d. est une compagnie aérienne, dont le siège est situé à Zagreb (Croatie), qui fournit des services de transport aérien de passagers et de fret ainsi que des services d’entretien des aéronefs et assure également des vols charters.
3 Le 13 novembre 2020, la République de Croatie a notifié à la Commission européenne une mesure d’aide conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE. Cette notification a été complétée le 24 novembre 2020. La mesure d’aide en cause était une aide individuelle accordée par la République de Croatie à Croatia Airlines sous la forme d’une subvention directe et visait, en vertu de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, à remédier aux dommages subis par cette compagnie aérienne en raison de l’imposition de restrictions de voyage et d’autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID 19 (ci-après la « mesure d’aide litigieuse » ou l’« aide litigieuse »).
4 Le montant de l’aide litigieuse s’élevait à 88,5 millions de kunas croates (HRK) (approximativement 11,7 millions d’euros) et visait à compenser le dommage subi par Croatia Airlines au cours de la période allant du 19 mars au 30 juin 2020.
5 Le 30 novembre 2020, la Commission, sans ouvrir la procédure formelle d’examen, a adopté la décision attaquée, par laquelle elle a conclu que la mesure d’aide litigieuse, tout en entrant dans le champ d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, était compatible avec le marché intérieur sur le fondement de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE.
II. Conclusions des parties
6 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner la Commission aux dépens.
7 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours comme non fondé ;
– condamner la requérante aux dépens.
8 La République de Croatie conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours comme non fondé.
III. En droit
A. Sur la recevabilité
1. Sur la qualité pour et l’intérêt à agir de la requérante
9 La requérante soutient que, en tant que concurrente de la bénéficiaire de l’aide litigieuse, elle fait partie des « intéressés » au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et est une « partie intéressée » au sens de l’article 1er, sous h), du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (JO 2015, L 248, p. 9), et que, dès lors, elle a qualité pour introduire le présent recours afin de protéger ses droits procéduraux prévus dans la disposition susmentionnée du traité FUE. La protection desdits droits lui conférerait également un intérêt à agir.
10 Par ailleurs, la requérante précise que, par son recours, elle entend également contester le bien-fondé de la décision attaquée. À cet égard, elle fait valoir qu’elle est individuellement concernée par la décision attaquée en ce que sa capacité à livrer concurrence et sa position sur le marché sont gravement affectées par celle-ci. Elle soutient que, en tant que concurrente la plus directe de la bénéficiaire de l’aide litigieuse, elle se trouve dans une situation de fait similaire à celle-ci, mais distincte de celle des autres compagnies aériennes. La requérante explique qu’elle constitue le seul véritable rival de la bénéficiaire de l’aide litigieuse eu égard à sa position sur le marché.
11 La Commission ne conteste pas la recevabilité du recours, dans la mesure où il apparaît que la requérante se trouve en concurrence avec la bénéficiaire de l’aide litigieuse. La Commission conteste néanmoins l’affirmation de la requérante selon laquelle elle serait « la seule véritable rivale » de celle-ci.
12 La Commission ne conteste pas non plus l’intérêt à agir de la requérante.
13 La République de Croatie soutient que la requérante ne constitue pas une concurrente directe de la bénéficiaire de l’aide litigieuse et conteste son allégation selon laquelle sa position sur le marché aurait été affectée par l’octroi de l’aide litigieuse.
14 Il importe de rappeler, à titre liminaire, que la recevabilité d’un recours introduit par une personne physique ou morale contre un acte dont elle n’est pas le destinataire, au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, est subordonnée à la condition que lui soit reconnue la qualité pour agir, laquelle se présente dans deux cas de figure. D’une part, un tel recours peut être formé à condition que cet acte la concerne directement et individuellement. D’autre part, une telle personne peut introduire un recours contre un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution si celui-ci la concerne directement (voir arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C 453/19 P, EU:C:2021:608, point 31 et jurisprudence citée).
15 La décision attaquée, qui a été adressée à la République de Croatie, ne constituant pas un acte réglementaire aux termes de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dès lors qu’elle n’est pas un acte de portée générale, il convient de vérifier si la requérante est directement et individuellement concernée par cette décision, au sens de cette disposition (voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C 453/19 P, EU:C:2021:608, point 32 et jurisprudence citée).
16 S’agissant de l’affectation individuelle de la requérante, il ressort de la jurisprudence que, pour les décisions en matière d’aides d’État adoptées à l’issue de la phase préliminaire d’examen instituée à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, comme c’est le cas de la décision attaquée en l’espèce, le critère permettant de déterminer l’existence d’une affectation individuelle diffère selon que la partie requérante entend protéger ses droits procéduraux comme faisant partie des « intéressés » au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE – et en tant que « partie intéressée » au sens de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589 – ou contester le bien-fondé de l’appréciation de la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C 453/19 P, EU:C:2021:608, points 35 à 37).
17 Plus spécifiquement, lorsque, sans ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, la Commission constate, par une décision prise sur le fondement de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, qu’une aide est compatible avec le marché intérieur, les bénéficiaires des garanties de procédure prévues à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, ne peuvent en obtenir le respect que s’ils ont la possibilité de contester devant le juge de l’Union cette décision. Pour ces motifs, ce dernier déclare recevable un recours visant à l’annulation d’une telle décision, introduit par l’un des intéressés au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, lorsque l’auteur de ce recours cherche, par l’introduction de celui ci, à sauvegarder les droits procéduraux qu’il tire de cette dernière disposition. La Cour a précisé que de tels intéressés sont les personnes, les entreprises ou les associations éventuellement affectées dans leurs intérêts par l’octroi d’une aide, c’est à dire en particulier les entreprises concurrentes des bénéficiaires de cette aide et les organisations professionnelles (voir arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C 453/19 P, EU:C:2021:608, point 36 et jurisprudence citée).
18 En revanche, si une partie requérante met en cause le bien fondé d’une décision d’appréciation de l’aide prise sur le fondement de l’article 108, paragraphe 3, TFUE ou à l’issue de la procédure formelle d’examen, le simple fait qu’elle puisse être considérée comme faisant partie des « intéressés » au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE ne saurait suffire pour admettre la recevabilité du recours. Elle doit alors démontrer qu’elle bénéficie d’un statut particulier au sens de l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17, p. 223). Il en est notamment ainsi dans le cas où la position de la partie requérante sur le marché concerné est substantiellement affectée par l’aide faisant l’objet de la décision en cause (voir arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C 453/19 P, EU:C:2021:608, point 37 et jurisprudence citée).
19 En l’espèce, il ressort du dossier que la requérante est présente sur le marché croate des transports aériens et qu’elle constitue un concurrent de la bénéficiaire de l’aide litigieuse.
20 À cet égard, il convient de noter que le considérant 26 de la décision attaquée mentionne la requérante parmi les compagnies aériennes qui desservent le marché croate. Par ailleurs, il ressort du dossier que, en 2019, la requérante détenait une part de marché en sièges de 7 % et occupait la quatrième place dans le marché croate derrière Croatia Airlines, qui occupait la première place avec une part de marché en sièges de 29 %. En outre, la requérante a précisé, sans qu’elle soit contestée, que, en 2019, elle était en concurrence avec Croatia Airlines sur les liaisons aériennes entre les villes de Pula (Croatie) et de Francfort (Allemagne) et entre les villes de Zadar (Croatie) et de Francfort. L’argumentation de la République de Croatie démontre, par ailleurs, que la requérante continue à être présente sur le marché croate.
21 Sur le fondement des éléments présentés au point 20 ci-dessus, il y a lieu de conclure que la requérante constitue une concurrente de la bénéficiaire de l’aide litigieuse et, par conséquent, qu’elle est individuellement concernée par la décision attaquée, dans la mesure où, ainsi que cela ressort du troisième moyen invoqué, elle tend, par son recours, à la sauvegarde de ses droits procéduraux en tant qu’intéressée au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, ce qui, d’ailleurs, n’est pas contesté par la Commission.
22 Dans la mesure où la requérante affirme vouloir contester également le bien-fondé de la décision attaquée, il convient de déterminer si elle remplit la condition présentée au point 18 ci-dessus.
23 Il ressort de la jurisprudence que, s’agissant de la condition tenant à ce que la position de la partie requérante sur le marché concerné soit substantiellement affectée, le seul fait qu’un acte est susceptible d’exercer une certaine influence sur les rapports de concurrence existant sur le marché pertinent et que l’entreprise concernée se trouve dans une relation de concurrence avec le bénéficiaire de cet acte ne saurait suffire. Dès lors, une entreprise ne saurait se prévaloir uniquement de sa qualité de concurrente par rapport à l’entreprise bénéficiaire (voir arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C 453/19 P, EU:C:2021:608, point 60 et jurisprudence citée).
24 Il ressort également de la jurisprudence que la démonstration, par la partie requérante, d’une atteinte substantielle à sa position sur le marché n’implique pas de se prononcer de façon définitive sur les rapports de concurrence entre cette partie et les entreprises bénéficiaires, mais nécessite seulement de la part de ladite partie qu’elle indique de façon pertinente les raisons pour lesquelles la décision de la Commission est susceptible de léser ses intérêts légitimes en affectant substantiellement sa position sur le marché en cause (voir arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C 453/19 P, EU:C:2021:608, point 57 et jurisprudence citée).
25 La démonstration d’une atteinte substantielle portée à la position d’un concurrent sur le marché ne saurait être limitée à la présence de certains éléments indiquant une dégradation des performances commerciales ou financières de la partie requérante, tels qu’une importante baisse du chiffre d’affaires, des pertes financières non négligeables ou encore une diminution significative des parts de marché à la suite de l’octroi de l’aide en question. L’octroi d’une aide d’État peut également porter atteinte à la situation concurrentielle d’un opérateur d’autres manières, notamment en provoquant un manque à gagner ou une évolution moins favorable que celle qui aurait été enregistrée en l’absence d’une telle aide (voir arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C 453/19 P, EU:C:2021:608, point 61 et jurisprudence citée).
26 En l’espèce, la requérante affirme constituer la concurrente la plus immédiate et la plus pertinente de la bénéficiaire de l’aide litigieuse. Elle affirme aussi constituer la seule véritable rivale de celle-ci dans sa position de marché.
27 La requérante affirme également avoir commandé récemment 210 avions Boeing 737 Max qui rejoindraient sa flotte au début de l’année 2021 et que, grâce à l’augmentation de 4 % de sièges et à la réduction de 16 % de la consommation de fuel, elle pourra offrir plus de liaisons et créer de nouveaux emplois en Croatie tout en réduisant significativement son empreinte écologique, et ce à supposer qu’elle puisse concurrencer de manière équitable des concurrents lourdement subventionnés comme la bénéficiaire de l’aide litigieuse. La requérante soutient que l’immédiateté de la concurrence qu’elle exerce auprès de Croatia Airlines a pour corolaire direct le fait que sa capacité à livrer concurrence est significativement affectée par la mesure d’aide litigieuse.
28 La requérante fait valoir aussi que ses pertes en Croatie dues à la pandémie de COVID-19 sont « catastrophiques » et que, à la différence de Croatia Airlines, elle ne bénéficie d’aucune subvention qui l’aiderait à amortir l’impact de la crise et à reprendre ses activités en Croatie quand les restrictions de voyage seront levées.
29 Toutefois, premièrement, le dossier dont dispose le Tribunal ne corrobore pas l’allégation de la requérante selon laquelle elle constitue le principal concurrent de la bénéficiaire de l’aide litigieuse. En particulier, le dossier montre que la requérante occupait la quatrième place sur le marché croate en termes de parts de marché en 2019 (voir point 20 ci-dessus). Par ailleurs, il ressort du considérant 26 de la décision attaquée que la bénéficiaire de l’aide litigieuse dessert 38 destinations dans 24 pays européens. Or, il ressort du dossier dont dispose le Tribunal que la requérante était en concurrence avec cette bénéficiaire uniquement sur deux liaisons, à savoir entre Pula et Francfort et entre Zadar et Francfort. La concurrence entre ces deux compagnies aériennes paraît, ainsi, être limitée.
30 Deuxièmement, les arguments de la requérante présentés au point 27 ci-dessus sont très généraux et hypothétiques, dans la mesure où ils ne concernent pas spécifiquement sa position sur le marché sur lequel elle est en concurrence avec la bénéficiaire de l’aide litigieuse.
31 Les autres arguments de la requérante sont peu étayés, de sorte qu’elle n’est pas en mesure de démontrer que l’aide litigieuse est susceptible de porter une atteinte substantielle à sa position sur le marché. Son argumentation se fonde, en réalité, sur le simple fait qu’elle constitue une concurrente de Croatia Airlines et que, à la différence de celle-ci, elle ne bénéficie pas d’une aide octroyée par l’État croate, ce qui constitue un désavantage pour elle sur le plan concurrentiel. Or, une telle argumentation générale ne suffit pas à démontrer l’affectation substantielle de la position sur le marché de la requérante.
32 Eu égard aux éléments qui précèdent, il y a lieu de conclure que la requérante n’a pas démontré être individuellement concernée et n’a, dès lors, pas qualité pour agir afin de contester le bien-fondé de la décision attaquée.
33 Eu égard aux développements qui précèdent, il convient de conclure que la requérante dispose uniquement de la qualité pour agir afin de protéger les droits procéduraux qu’elle tire de l’article 108, paragraphe 2, TFUE.
34 Il apparaît également que la requérante dispose de l’intérêt à agir afin de protéger ses droits procéduraux.
2. Sur la recevabilité du recours au regard des moyens invoqués
35 La requérante invoque quatre moyens à l’appui de son recours. Le premier moyen est tiré de la violation des dispositions spécifiques du traité FUE et des principes de non-discrimination, de la libre prestation de services et de la liberté d’établissement, le deuxième, d’une application erronée de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE et d’une erreur manifeste d’appréciation dans l’examen de la proportionnalité de l’aide litigieuse par rapport aux dommages causés par la pandémie de COVID-19, le troisième, du défaut d’ouverture de la procédure formelle d’examen et, le quatrième, de la violation de l’obligation de motivation.
36 Le recours, au regard du troisième moyen, qui vise explicitement à obtenir le respect des droits procéduraux de la requérante, est recevable, compte tenu de la qualité d’intéressé de celle-ci au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE. En effet, la requérante peut invoquer, aux fins de la préservation des droits procéduraux dont elle bénéficie dans le cadre de la procédure formelle d’examen, des moyens de nature à démontrer que l’appréciation des informations et des éléments dont la Commission disposait ou pouvait disposer, lors de la phase d’examen préliminaire de la mesure notifiée, aurait dû susciter des doutes quant à la compatibilité de cette dernière avec le marché intérieur [voir, en ce sens, arrêts du 22 décembre 2008, Régie Networks, C 333/07, EU:C:2008:764, point 81 ; du 9 juillet 2009, 3F/Commission, C 319/07 P, EU:C:2009:435, point 35, et du 9 juin 2021, Ryanair/Commission (Condor ; Covid-19), T 665/20, EU:T:2021:344, point 31].
37 Le recours, au regard du quatrième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation, est également recevable, dans la mesure où la méconnaissance de l’obligation de motivation relève de la violation des formes substantielles et constitue un moyen d’ordre public qui doit être soulevé d’office par le juge de l’Union et ne se rapporte pas à la légalité au fond de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C 367/95 P, EU:C:1998:154, points 67 à 72).
38 Le recours, au regard des premier et deuxième moyens, dans la mesure où ils visent à la remise en cause du bien-fondé de la décision attaquée, n’est pas recevable dans cette mesure, étant donné que la requérante n’a pas qualité pour agir à cet égard afin de contester le bien-fondé de la décision attaquée.
39 Cela étant, il convient de rappeler que la requérante est en droit, afin de démontrer la violation de ses droits procéduraux en raison des doutes que la mesure litigieuse aurait dû susciter quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, d’invoquer des arguments tendant à démontrer que le constat de la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur auquel la Commission était parvenue était erroné, ce qui, a fortiori, est de nature à établir que la Commission aurait dû éprouver des doutes lors de son appréciation de la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur. Partant, le Tribunal est habilité à examiner les arguments de fond présentés par la requérante dans le cadre de ses premier et deuxième moyens, afin de vérifier s’ils sont de nature à conforter le moyen expressément formé par elle concernant l’existence de doutes justifiant l’ouverture de la procédure visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 13 juin 2013, Ryanair/Commission, C 287/12 P, non publié, EU:C:2013:395, points 57 à 60, et du 6 mai 2019, Scor/Commission, T 135/17, non publié, EU:T:2019:287, point 77). C’est sous cet angle que les arguments invoqués dans le cadre des premier et deuxième moyens seront examinés par le Tribunal ci-après.
B. Sur le fond
40 Eu égard à l’analyse présentée aux points 36 à 39 ci-dessus, il convient d’examiner d’abord le troisième moyen.
1. Sur le troisième moyen, tiré du défaut d’ouverture de la procédure formelle d’examen
a) Observations liminaires
41 La requérante soutient que la Commission a effectué un examen insuffisant lors de la phase préliminaire d’examen, lequel témoigne de l’existence de difficultés sérieuses qui auraient dû la conduire à ouvrir la procédure formelle d’examen. Opérant un renvoi à son argumentation développée dans le cadre des premier et deuxième moyens, la requérante fait valoir, d’une part, que la Commission n’a pas vérifié le respect des principes de non discrimination, de la libre prestation de services et de la liberté d’établissement et, d’autre part, qu’elle a procédé à une appréciation insuffisante de la proportionnalité de l’aide litigieuse par rapport aux dommages causés à Croatia Airlines par la pandémie de COVID 19.
42 La requérante soutient également que le défaut d’ouverture de la procédure formelle d’examen constitue une erreur procédurale qui a eu pour résultat de lui ôter la possibilité de présenter à la Commission ses observations sur la mesure notifiée et de lui fournir des informations notamment factuelles. La requérante fait valoir que, sans cette erreur de procédure, la décision de la Commission aurait pu être différente.
43 La Commission soutient que le présent moyen n’est pas fondé.
44 Selon la jurisprudence, lorsque la Commission ne peut pas acquérir la conviction, à la suite d’un premier examen mené dans le cadre de la procédure visée par l’article 108, paragraphe 3, TFUE, qu’une mesure d’aide d’État soit ne constitue pas une « aide » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, soit, si elle est qualifiée d’aide, est compatible avec le traité FUE ou lorsque cette procédure ne lui a pas permis de surmonter les difficultés sérieuses soulevées par l’appréciation de la compatibilité de la mesure considérée, cette institution est dans l’obligation d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, sans disposer à cet égard d’une marge d’appréciation (arrêt du 10 mai 2005, Italie/Commission, C 400/99, EU:C:2005:275, point 47). Cette obligation est d’ailleurs expressément confirmée par les dispositions combinées de l’article 4, paragraphe 4, et de l’article 15, paragraphe 1, du règlement 2015/1589 (voir, par analogie, arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C 487/06 P, EU:C:2008:757, point 113).
45 L’article 4 du règlement 2015/1589 indique à cet égard que, pour autant que la mesure notifiée par l’État membre concerné constitue effectivement une aide, c’est la présence ou l’absence de « doutes » quant à la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur qui permet à la Commission de décider ou non d’ouvrir la procédure formelle d’examen à l’issue de son examen préliminaire.
46 La notion de doutes énoncée à l’article 4, paragraphes 3 et 4, du règlement 2015/1589, laquelle se traduit par l’existence des difficultés sérieuses que la Commission a rencontrées lors de l’examen du caractère d’aide de la mesure en cause ou de sa compatibilité avec le marché intérieur, revêt un caractère objectif. L’existence de tels doutes doit être recherchée tant dans les circonstances d’adoption de l’acte attaqué que dans son contenu, d’une manière objective, en mettant en relation les motifs de la décision avec les éléments dont la Commission pouvait disposer lorsqu’elle s’est prononcée sur la compatibilité de l’aide en cause avec le marché intérieur. Il en découle que le contrôle de légalité effectué par le Tribunal sur l’existence de doutes dépasse, par nature, la recherche de l’erreur manifeste d’appréciation (arrêt du 10 juillet 2012, Smurfit Kappa Group/Commission, T 304/08, EU:T:2012:351, point 80 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 2 avril 2009, Bouygues et Bouygues Télécom/Commission, C 431/07 P, EU:C:2009:223, point 63).
47 Les éléments d’information dont la Commission « pouvait disposer » sont ceux qui apparaissaient pertinents pour l’appréciation à effectuer et dont elle aurait pu, sur sa demande, obtenir la production au cours de la phase préliminaire d’examen (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2017, Commission/Frucona Košice, C 300/16 P, EU:C:2017:706, point 71). S’il peut ainsi être nécessaire que la Commission aille, le cas échéant, au-delà du seul examen des éléments de fait et de droit portés à sa connaissance, il n’incombe pas, en revanche, à la Commission de rechercher, de sa propre initiative et à défaut de tout indice en ce sens, toutes les informations qui pourraient présenter un lien avec l’affaire dont elle est saisie, quand bien même de telles informations se trouveraient dans le domaine public (arrêts du 29 avril 2021, Achemos Grupė et Achema/Commission, C 847/19 P, non publié, EU:C:2021:343, points 49 et 50, et du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C 57/19 P, EU:C:2021:663, point 45).
48 Il appartient à la partie requérante de prouver l’existence de doutes, preuve qu’elle peut fournir à partir d’un faisceau d’indices concordants (voir, en ce sens, arrêt du 19 septembre 2018, HH Ferries e.a./Commission, T 68/15, EU:T:2018:563, point 63 et jurisprudence citée).
49 Eu égard à la jurisprudence présentée aux points 39 et 44 à 48 ci dessus, il convient d’examiner les arguments de fond invoqués par la requérante dans le cadre des premier et deuxième moyens afin d’apprécier s’ils permettent d’identifier des difficultés sérieuses en présence desquelles la Commission aurait été tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE [voir, en ce sens, arrêt du 17 mars 2015, Pollmeier Massivholz/Commission, T 89/09, EU:T:2015:153, point 53 (non publié) et jurisprudence citée].
50 Il convient d’examiner d’abord les arguments invoqués dans le cadre du deuxième moyen et ensuite ceux invoqués dans le cadre du premier.
b) Sur les indices tirés d’une application erronée de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE et d’une erreur manifeste d’appréciation relative à la proportionnalité de l’aide
51 Dans le cadre de son argumentation, la requérante invoque deux griefs à l’encontre de la décision attaquée. D’une part, la requérante soutient que cette décision contient des erreurs concernant l’évaluation du dommage subi par Croatia Airlines (première branche) et, d’autre part, qu’elle méconnaît l’avantage compétitif procuré à cette compagnie aérienne par l’octroi de l’aide litigieuse (seconde branche).
1) Sur la première branche de l’argumentation de la requérante, relative à l’évaluation du dommage
52 La requérante soutient que la Commission a commis trois erreurs dans l’évaluation du dommage causé par la pandémie de COVID-19 à Croatia Airlines et que chacune de ces erreurs constitue un motif suffisant pour annuler la décision attaquée.
53 En premier lieu, la requérante considère que la décision attaquée surestime mécaniquement le dommage que la mesure d’aide litigieuse est censée compenser.
54 En deuxième lieu, la requérante reproche à la Commission de ne pas distinguer entre le dommage causé à Croatia Airlines par les restrictions de voyage liées à la pandémie de COVID-19 et les pertes dues à des difficultés préexistantes de cette compagnie aérienne.
55 En troisième lieu, la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir évalué, dans la décision attaquée, le dommage causé par la pandémie de COVID-19 aux compagnies aériennes opérant en Croatie autres que Croatia Airlines.
56 La Commission et la République de Croatie contestent l’argumentation de la requérante.
57 Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que, s’agissant d’une dérogation au principe général d’incompatibilité des aides d’État avec le marché intérieur, énoncé à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE doit faire l’objet d’une interprétation stricte. Dès lors, seuls peuvent être compensés, au sens de cette disposition, les désavantages économiques causés directement par des calamités naturelles ou par d’autres événements extraordinaires (arrêt du 23 février 2006, Atzeni e.a., C 346/03 et C 529/03, EU:C:2006:130, point 79).
58 Il s’ensuit que les aides susceptibles d’être supérieures aux pertes encourues par les bénéficiaires de ces aides ne relèvent pas de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 2004, Espagne/Commission, C 73/03, non publié, EU:C:2004:711, points 40 et 41).
i) Décision attaquée
59 En premier lieu, la Commission a relevé, au considérant 3 de la décision attaquée, que l’objectif de la mesure d’aide litigieuse était de compenser le dommage subi par Croatia Airlines du fait de l’imposition des restrictions de voyage et d’autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID-19.
60 En deuxième lieu, comme il ressort du considérant 27 de la décision attaquée, la Commission a considéré comme période pertinente pour le calcul du dommage subi par Croatia Airlines la période comprise entre le 19 mars et le 30 juin 2020. La Commission a expliqué, aux considérants 9 et 27 de la décision attaquée, que, le 19 mars 2020, les autorités compétentes croates avaient décidé d’interdire provisoirement le franchissement des frontières croates et que cette interdiction avait duré jusqu’au 30 juin 2020, date à laquelle les autorités susmentionnées avaient décidé de lever des interdictions de voyage, notamment en ce qui concernait les États membres et les États associés à l’accord de Schengen (Luxembourg). La Commission a relevé également, au considérant 11 de la décision attaquée, que, durant la période comprise entre le 19 mars et le 30 juin 2020, les autorités croates avaient adopté diverses mesures de confinement limitant, notamment, la liberté de circulation des personnes, la possibilité de voyager et l’exercice des activités commerciales, y compris la suspension progressive de la majorité des vols commerciaux à partir ou à destination de la Croatie.
61 La Commission a constaté, aux considérants 13 et 14 de la décision attaquée, que l’ensemble de ces restrictions avait provoqué une chute significative de la demande pour les transports aériens des voyageurs en Croatie et avait affecté négativement les activités de Croatia Airlines, laquelle, durant la période comprise entre le 19 mars et le 30 juin 2020, pouvait seulement opérer des vols cargo, des vols de rapatriement et des vols sur demande avec l’accord préalable des autorités croates.
62 En troisième lieu, selon le considérant 61 de la décision attaquée, la Commission a considéré que le dommage à compenser, causé à Croatia Airlines durant la période comprise entre le 19 mars et le 30 juin 2020, correspondait à la perte nette subie durant cette période, calculée comme suit : perte des recettes moins les coûts évités et la marge bénéficiaire de Croatia Airlines, comparés aux recettes de la même période en 2019.
63 Plus concrètement, la Commission, en s’appuyant sur les données financières fournies par les autorités croates (et présentées dans le tableau no 4 de la décision attaquée), a estimé que Croatia Airlines avait subi, durant la période comprise entre le 19 mars et le 30 juin 2020, une réduction des recettes opérationnelles d’un montant de 400 830 377 HRK (soit environ 53 241 428 euros) par rapport à la même période de l’année 2019. De ce montant, ont été déduits 290 804 457 HRK (environ 38,5 millions d’euros) correspondant à des réductions de coûts encourus durant la période comprise entre le 19 mars et le 30 juin 2020 par rapport aux coûts encourus à la même période en 2019. La Commission a ainsi calculé le montant de la perte nette de Croatia Airlines pendant la période comprise entre le 19 mars et le 30 juin 2020, lequel serait éligible pour compensation, soit 110 025 920 HRK (soit environ 14 614 504 euros) (considérant 28 et tableau no 5 de la décision attaquée).
64 Aux considérants 28 et 62 de la décision attaquée, la Commission a expliqué que les coûts évités correspondaient aux coûts que Croatia Airlines aurait assumés pendant la période comprise entre le 19 mars et le 30 juin 2020 si ses activités n’avaient pas été affectées par les restrictions dues à la pandémie de COVID-19. Ces coûts évités ont été calculés en prenant en compte la réduction des coûts directs résultant de la réduction des activités de transport aérien de Croatia Airlines, la réduction des coûts indirects résultant des mesures de gestion adoptées par cette compagnie aérienne et la réduction des coûts de dépréciation et d’autres coûts financiers, toutes ces réductions étant calculées sur la base de la comparaison avec les coûts assumés par Croatia Airlines pendant la même période en 2019 (considérant 62 de la décision attaquée).
65 Au considérant 29 de la décision attaquée, la Commission a précisé que la République de Croatie avait fourni des informations sur le bénéfice avant intérêts et impôts (BAII) de Croatia Airlines aux fins de la vérification de la perte des recettes. Sur la base de ces données, la Commission a estimé que la différence de BAII durant la période comprise entre le 19 mars et le 30 juin 2020 par rapport à la même période en 2019 s’élevait environ à 78 665 729 HRK (environ 10 405 519 euros). Cela étant, au considérant 30 de la décision attaquée, la Commission a également estimé que la différence de BAII pourrait, en réalité, se situer dans une fourchette comprise entre -78,7 et -88,5 millions de HRK.
66 Par ailleurs, la Commission a constaté, au considérant 64 de la décision attaquée, que le montant de l’aide litigieuse (88,5 millions de HRK) ne dépassait pas le montant du dommage subi par Croatia Airlines (110 025 920 HRK) et qu’il représentait un pourcentage de 80,4 % de celui-ci.
ii) Sur le premier indice de l’existence des difficultés sérieuses, relatif à l’évaluation du dommage
67 La requérante considère que la décision attaquée surestime mécaniquement le dommage que la mesure d’aide litigieuse est censée compenser.
68 La requérante relève que, selon la décision attaquée, le dommage à réparer est celui causé par l’interdiction officielle de franchir les frontières croates entre le 19 mars et le 30 juin 2020 et qu’il ne ressort pas de cette décision que les vols intérieurs opérés par Croatia Airlines aient été affectés par les restrictions de voyage imposées par le gouvernement croate. Dès lors, selon la requérante, il n’est pas évident que l’intégralité de la différence entre les recettes opérationnelles de la période allant du 19 mars au 30 juin 2020 et les recettes opérationnelles de la même période de l’année 2019 puisse être attribuée aux restrictions des voyages transfrontaliers, ainsi que la Commission le suppose dans la décision attaquée.
69 Il convient de constater que l’argumentation de la requérante se fonde sur la prémisse selon laquelle il ressort de la décision attaquée que les vols intérieurs en Croatie n’ont pas été affectés par les restrictions imposées par les autorités croates. Or, cette prémisse n’est pas fondée.
70 À cet égard, il convient de se référer aux considérants 3, 7 et 11 de la décision attaquée, dont il ressort que les mesures restrictives adoptées par les autorités croates ont affecté les vols internationaux et domestiques de Croatia Airlines. La Commission a expliqué au considérant 57 de la décision attaquée que ces restrictions avaient eu un impact négatif sur les activités de transport aérien de Croatia Airlines, dans la mesure où elles avaient conduit à l’arrêt de presque tous les vols de cette compagnie aérienne à l’exception de certains vols charters, de rapatriement et de cargo.
71 Dans la section 2.3 de la décision attaquée, la Commission a présenté l’impact qu’avaient eu sur l’activité de transport aérien de Croatia Airlines les restrictions adoptées par les autorités croates. En particulier, il a été relevé que le nombre de vols opérés par cette compagnie aérienne pendant la période comprise entre mars et juin 2020 avait diminué de 77 % par rapport au nombre des vols opérés pendant la même période en 2019 (considérant 15 de la décision attaquée). Il a également été relevé que le nombre de passagers transportés pendant les mois de mars, d’avril, de mai et de juin 2020 avait chuté de 61,5 %, de 99,4 %, de 98,3 % et de 94,7 %, respectivement, par rapport aux mêmes mois de l’année 2019 (considérant 13 de la décision attaquée).
72 Dans la mesure où la Commission a considéré dans la décision attaquée que les restrictions imposées par le gouvernement croate avaient affecté non seulement les vols internationaux, mais également les vols intérieurs, elle était en droit de ne pas distinguer, dans son calcul du dommage, entre ces deux types des vols, mais de considérer, comme dommage susceptible d’être compensé, la perte nette subie par Croatia Airlines pendant la période comprise entre le 19 mars et le 30 juin 2020, calculée sur la base des éléments présentés au considérant 61 de la décision attaquée (voir points 62 et 63 ci-dessus). Ce calcul effectué par la Commission a pris en compte la circonstance selon laquelle, durant la période comprise entre le 19 mars et le 30 juin 2020, Croatia Airlines a effectué un nombre très limité de vols (tant intérieurs qu’internationaux), ainsi qu’il ressort du considérant 16 de la décision attaquée. Les recettes provenant de ces vols étaient comprises dans les recettes opérationnelles (c’est-à-dire les recettes provenant exclusivement de l’activité de transport aérien de Croatia Airlines) prises en compte par la Commission aux fins du calcul de la perte nette de Croatia Airlines.
73 Eu égard aux développements qui précèdent, il convient de constater que l’argumentation susmentionnée de la requérante ne démontre pas l’existence de difficultés sérieuses en rapport avec l’évaluation du dommage subi par Croatia Airlines.
iii) Sur le deuxième indice de l’existence des difficultés sérieuses, relatif à l’évaluation du dommage
74 La requérante reproche à la Commission de ne pas distinguer entre le dommage causé à Croatia Airlines par les restrictions de voyage liées à la pandémie de COVID-19 et les pertes de cette compagnie aérienne dues à ses difficultés financières préexistantes. La requérante invoque un certain nombre d’indices qui auraient dû conduire la Commission à examiner si une fraction des pertes de Croatia Airlines était due aux difficultés que cette compagnie aérienne avaient rencontrées avant le déclenchement de la pandémie de COVID-19.
75 En premier lieu, la requérante invoque le fait que, au moment de l’adoption de la décision attaquée et probablement même avant, Croatia Airlines était une entreprise en difficulté au sens des lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté autres que les établissements financiers (JO 2014, C 249, p. 1) et que la pandémie de COVID-19 n’a fait qu’accélérer son besoin de fonds. En deuxième lieu, la requérante invoque le fait que l’aide litigieuse a été versée en violation de l’obligation de notification préalable prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE. En troisième lieu, elle invoque le fait que l’octroi de l’aide litigieuse a été suivi, quelques semaines plus tard, de l’octroi d’une autre aide à Croatia Airlines d’un montant plus important. En quatrième lieu, la requérante soutient que Croatia Airlines était incapable de surmonter ses difficultés financières par elle-même, dans la mesure où il semble qu’il n’y ait pas eu d’actionnaires susceptibles de rentrer dans son capital et de la sauver, compte tenu du fait que l’État croate possédait 99,9 % de ses actions. Par ailleurs, la tentative de recapitalisation de cette société au printemps de 2019 aurait échoué ainsi que sa recherche d’un partenaire stratégique.
76 Dans ce contexte, la requérante soutient également que le calcul du dommage subi par Croatia Airlines est fondé sur la différence entre le BAII estimé pour la période allant du 19 mars au 30 juin 2020 et le BAII pour cette même période en 2019. Cette approche présupposerait que, en l’absence de la pandémie de COVID-19, le BAII en 2020 eût été le même que celui de 2019. Or, compte tenu des pertes subies par cette compagnie aérienne durant les années 2017 et 2018, il n’aurait pas été justifié pour la Commission de supposer que le BAII de cette entreprise serait resté stable et, à tout le moins, elle aurait dû donner une raison de le supposer. La requérante conclut qu’il ne pouvait donc pas être exclu qu’une partie de la chute du BAII entre 2019 et 2020 pût être due aux difficultés préexistantes de Croatia Airlines et non à la pandémie de COVID-19.
77 À titre liminaire, il convient de rappeler que le fait générateur du dommage, tel que défini dans la décision attaquée, doit être la cause déterminante du dommage auquel l’aide en cause vise à remédier et être directement à l’origine de ce dernier. Un lien direct n’existera que lorsque le dommage est la conséquence directe de l’événement en question sans dépendre de l’interposition d’autres causes. Ainsi, il incombe à la Commission de s’interroger avec une attention particulière sur la question de savoir si le fait générateur était véritablement la cause déterminante du dommage causé au bénéficiaire de l’aide concernée ou si, au contraire, une partie de ce dommage était due aux difficultés préexistantes de ce bénéficiaire [voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Ryanair/Commission (Condor ; Covid-19), T 665/20, EU:T:2021:344, points 45 et 58].
78 Il ressort du dossier que Croatia Airlines a enregistré des pertes nettes pour les années 2018 et 2019, à savoir avant même le déclenchement de la pandémie de COVID-19.
79 Cela étant, même si la thèse de la requérante selon laquelle Croatia Airlines rencontrait des difficultés financières même avant le déclenchement de la pandémie de COVID-19 paraît être fondée, il convient de constater que son argumentation ne démontre pas que la méthode de calcul du dommage utilisée par la Commission ne constituait pas une méthode appropriée pour garantir que l’aide litigieuse compensât uniquement le dommage subi par Croatia Airlines du fait des restrictions de voyage dues à la pandémie de COVID-19 et non les pertes financières de cette entreprise qui existaient avant le déclenchement de cette pandémie.
80 À cet égard, il y a lieu de rappeler (voir points 62 à 64 ci-dessus) que la Commission a pris en compte la réduction des recettes opérationnelles de Croatia Airlines, à savoir des recettes liées directement à son activité de transport aérien, dans la mesure où les restrictions de voyage ont causé l’arrêt de presque tous les vols effectués par Croatia Airlines et que cet arrêt des vols a affecté, à l’évidence, les recettes opérationnelles de cette compagnie aérienne, comparées aux recettes opérationnelles de l’année 2019. En même temps, la Commission a considéré que le montant du manque à gagner de Croatia Airlines (provenant de la réduction des recettes opérationnelles) devait être diminué en raison de la réduction des coûts dont cette entreprise avait bénéficié du fait de l’arrêt de presque tous ses vols. La Commission a expliqué que cette réduction provenait tant de la réduction des coûts directs (notamment l’utilisation réduite des avions et des carburants) que de la réduction des coûts indirects (notamment les réductions de salaire et les réductions des dépenses liées aux programmes d’éducation du personnel) et de la réduction du coût de dépréciation et d’autres coûts financiers.
81 Il s’avère que la méthode de calcul du dommage de Croatia Airlines utilisée par la Commission se fonde sur l’hypothèse que, s’il n’y avait pas eu de mesures restrictives liées à la pandémie de COVID-19, les recettes opérationnelles et les coûts de Croatia Airlines pendant la période comprise entre le 19 mars et le 30 juin 2020 auraient été les mêmes que ceux enregistrés pendant cette même période en 2019. Or, l’argumentation de la requérante ne démontre pas que cette hypothèse de la Commission soit erronée ou que, à tout le moins, la Commission se soit trouvée en présence de difficultés sérieuses qui l’auraient obligée à ouvrir la procédure formelle d’examen. Au contraire, le dossier montre une augmentation des revenus de Croatia Airlines pour l’année 2019 par rapport à l’année 2018 et pour les trois premiers trimestres de l’année 2018 par rapport aux trois premiers trimestres de l’année 2017, ce qui laisse supposer que la tendance vers l’augmentation aurait continué également en 2020 s’il n’y avait pas eu la pandémie de COVID-19 et les mesures restrictives adoptées par les autorités croates. Par ailleurs, le tableau no 4 de la décision attaquée montre une évolution positive du BAII pour la période comprise entre les mois de mars et de juin de l’année 2019 comparée à la même période de l’année 2018. En présence de ces éléments, qui montrent une évolution positive de la situation financière de Croatia Airlines, la Commission était en droit de prendre comme valeur de référence pour le calcul du dommage subi par cette compagnie aérienne les recettes opérationnelles et les coûts enregistrés pendant la période comprise entre le 19 mars et le 30 juin 2019 et ce scénario contrefactuel parait être prudent. En outre, la requérante n’avance aucun élément concret susceptible de démontrer que certains coûts spécifiques auraient été pris en compte aux fins du calcul du dommage, alors qu’ils auraient été causés par de prétendues difficultés préexistantes de la bénéficiaire de l’aide litigieuse.
82 L’argumentation de la requérante présentée aux points 75 et 76 ci dessus ne démontre pas que la Commission faisait face à des difficultés sérieuses lors de l’examen de la compatibilité de l’aide litigieuse.
83 Tout d’abord, ainsi que la Commission le note à juste titre, à supposer même que Croatia Airlines puisse être qualifiée juridiquement d’entreprise en difficulté, au sens de la section 2.2 des lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté autres que les établissements financiers, cette qualification ne fait apparaître en soi aucune surcompensation, étant donné que les entreprises ayant un tel statut peuvent également bénéficier d’une aide sur le fondement de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE.
84 Ensuite, le fait que l’aide litigieuse a été octroyée en violation de l’obligation de notification préalable prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE et qu’elle constitue, dès lors, une aide illégale ne constitue pas non plus un indice de surcompensation. Ainsi qu’il ressort du considérant 43 de la décision attaquée, les autorités croates ont fait valoir que, en raison du caractère urgent des besoins de Croatia Airlines, l’octroi de l’aide litigieuse ne pouvait pas attendre l’approbation de la Commission.
85 L’allégation de la requérante selon laquelle Croatia Airlines était incapable de surmonter par elle-même ses difficultés financières ne saurait non plus être retenue. À travers cette allégation, la requérante tente de démontrer le caractère prétendument structurel des problèmes financiers de cette compagnie aérienne, lesquels seraient indépendants de la pandémie de COVID-19. Or, ainsi qu’il a déjà été noté, en tout état de cause, la méthode de calcul du dommage, utilisée par la Commission, était de nature à garantir l’absence de surcompensation du dommage subi par Croatia Airlines.
86 S’agissant de l’allégation de la requérante selon laquelle Croatia Airlines a bénéficié d’une aide d’État additionnelle, il ressort du dossier que, effectivement, cette compagnie aérienne a reçu une aide additionnelle de 79,7 millions d’euros liée à la pandémie de COVID-19. Il apparaît que cette aide a été octroyée au mois de décembre 2020, ainsi que cela ressort du dossier. Cela étant, dans la mesure où cette nouvelle aide a été octroyée après l’adoption de la décision attaquée, il ne saurait, en tout état de cause, être reproché à la Commission de ne pas en avoir tenu compte dans la décision attaquée, puisque, conformément à la jurisprudence, des éléments de fait postérieurs à l’adoption de la décision en cause sont sans conséquence quant à sa légalité (voir, en ce sens, arrêts du 13 mai 2015, Niki Luftfahrt/Commission, T 162/10, EU:T:2015:283, point 247, et du 5 octobre 2020, France et IFP Énergies nouvelles/Commission, T 479/11 RENV et T 157/12 RENV, EU:T:2020:461, point 133).
87 En ce qui concerne l’argument de la requérante tiré du BAII de Croatia Airlines (voir point 76 ci-dessus), il convient de préciser que, ainsi qu’il ressort des considérants 29 et 30 de la décision attaquée, la République de Croatie a fourni à la Commission des données sur le BAII de cette entreprise pour les mois de mars, d’avril, de mai et de juin des années 2019 et 2020, afin de lui permettre de confirmer l’absence de surcompensation. La Commission, sur la base de ces chiffres, et en se fondant sur le fait que le BAII de Croatia Airlines, pour la période comprise entre le 19 et le 31 mars (13 jours), avait représenté une fraction de 13/31 du BAII total pour ce mois-ci, a estimé que la différence entre le BAII réalisé pour la période comprise entre le 19 mars et le 30 juin 2019 et le BAII réalisé pour la même période en 2020 s’élevait à 78 665 279 HRK (approximativement -10 405 519 euros) (voir considérant 29 et tableau no 6 de la décision attaquée).
88 En même temps, au considérant 30 de la décision attaquée, la Commission a expliqué, en substance, que, dans la mesure où il n’existait pas de distribution uniforme de la rentabilité pour un mois donné et que les données démontraient une augmentation constante du nombre des voyageurs transportés durant le mois de mars 2019 et une chute abrupte de ce nombre durant le mois de mars 2020, la différence de BAII pourrait, en réalité, se situer entre 78,7 et 88,5 millions de HRK.
89 Il ressort des explications qui précèdent que, contrairement à ce qu’allègue la requérante (voir point 76 ci-dessus), la Commission n’a pas calculé le dommage subi par Croatia Airlines sur le fondement du BAII, mais a utilisé cet indicateur pour vérifier et confirmer l’absence de surcompensation telle qu’elle résultait de la méthode de calcul du dommage fondée sur la perte nette de Croatia Airlines. Il est vrai que l’approche de la Commission était fondée implicitement sur l’hypothèse que, s’il n’y avait pas eu de mesures restrictives liées à la pandémie de COVID 19, le BAII de cette entreprise pour l’année 2020 aurait été le même que celui de 2019. La requérante, par le biais de son argumentation présentée au point 76 ci-dessus, a contesté le bien-fondé de cette hypothèse, sans néanmoins fournir aucun élément probant ni aucun indice précis à l’appui de cette contestation.
90 Il convient d’ajouter que, dans ses observations sur la réponse de la Commission à une question écrite du Tribunal, la requérante soutient que la Commission a sous-estimé les coûts évités de Croatia Airlines, ce qui a conduit à une surestimation du dommage calculé selon la méthodologie des pertes nettes. Elle fait valoir également que la Commission aurait dû calculer le dommage sur le fondement d’une méthodologie portant sur le BAII de Croatia Airlines, laquelle serait plus transparente et démontrerait que le dommage subi par cette compagnie aérienne se serait élevé à 78,7 millions de HRK et aurait été, dès lors, inférieur au montant de l’aide litigieuse.
91 Il convient de noter que les griefs résumés au point 90 ci-dessus n’ont pas été soulevés dans la requête et doivent être qualifiés de moyens nouveaux soulevés en cours d’instance. Or, il ressort de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal que la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite, à moins qu’ils ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Les moyens nouveaux soulevés en l’espèce ne se fondent pas sur de tels éléments de droit et de fait et, dès lors, il convient de les écarter comme étant tardifs et, partant, irrecevables (voir, en ce sens, arrêt du 11 mai 2017, Deza/ECHA, T 115/15, EU:T:2017:329, points 205 à 207).
92 Eu égard aux développements qui précèdent, il convient de constater que l’argumentation de la requérante, présentée aux points 74 à 76 ci-dessus, ne démontre pas l’existence de difficultés sérieuses en rapport avec l’évaluation du dommage subi par Croatia Airlines.
iv) Sur le troisième indice de l’existence des difficultés sérieuses, relatif à l’évaluation du dommage
93 La requérante soutient que l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE autorise les aides destinées à remédier « aux dommages causés par […] des événements extraordinaires » et pas seulement aux dommages subis par une victime déterminée de ces événements. Elle reproche ainsi à la Commission de ne pas avoir évalué, dans la décision attaquée, le dommage causé par la pandémie de COVID-19 aux compagnies aériennes opérant en Croatie autres que Croatia Airlines.
94 À cet égard, il y a lieu de noter que l’objectif de la mesure d’aide litigieuse était d’indemniser Croatia Airlines pour les dommages subis en conséquence directe de la pandémie de COVID-19. Afin d’apprécier la compatibilité de cette mesure d’aide avec le marché intérieur à l’aune de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, la Commission n’avait aucune obligation légale d’évaluer le dommage causé par la pandémie de COVID-19 aux autres compagnies aériennes, concurrentes de Croatia Airlines.
95 En effet, aux fins de l’application de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, la Commission doit vérifier, premièrement, si une calamité naturelle ou un événement extraordinaire a eu lieu ; deuxièmement, l’existence d’un lien de causalité direct entre les dommages et la calamité naturelle ou l’événement extraordinaire (voir point 57 ci-dessus) et, troisièmement, l’absence de surcompensation (voir point 58 ci-dessus). Si ces trois conditions sont remplies, la Commission est tenue, aux termes de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, de déclarer la mesure d’aide en cause compatible avec le marché intérieur, sans qu’il y soit besoin qu’elle examine les effets de cette aide sur la concurrence ou qu’elle évalue le dommage causé par l’événement extraordinaire survenu à d’autres opérateurs économiques (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 1980, Philip Morris Holland/Commission, 730/79, EU:C:1980:209, point 17).
96 Par ailleurs, il ne découle pas de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE que les États membres seraient obligés de remédier à l’intégralité des dommages causés par un événement extraordinaire, de sorte qu’ils ne sauraient non plus être tenus d’accorder des aides à l’ensemble des victimes de ces dommages [voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2021, Ryanair et Laudamotion/Commission (Austrian Airlines ; Covid-19), T 677/20, sous pourvoi, EU:T:2021:465, points 57 et 95].
97 Il convient, dès lors, de conclure que la requérante n’est pas fondée à soutenir que la Commission était tenue d’évaluer, dans la décision attaquée, le dommage causé aux compagnies aériennes autres que Croatia Airlines.
98 Sur le fondement des développements qui précèdent, la première branche de l’argumentation de la requérante doit être rejetée.
2) Sur la seconde branche de l’argumentation de la requérante, relative à l’avantage compétitif créé par l’octroi de l’aide litigieuse
99 La requérante reproche à la Commission de ne pas avoir tenu compte, en tant qu’avantage conféré à Croatia Airlines par la mesure d’aide litigieuse, de l’avantage concurrentiel que cette mesure lui avait procuré. De ce fait, la Commission aurait sous-évalué le montant de l’avantage conféré à cette entreprise par la mesure d’aide litigieuse.
100 À cet égard, il convient de relever que, aux fins de l’appréciation de la compatibilité d’une aide avec le marché intérieur, l’avantage procuré par cette aide à son bénéficiaire n’inclut pas l’éventuel bénéfice économique réalisé par celui-ci par l’exploitation de cet avantage. Un tel bénéfice peut ne pas être identique à l’avantage constituant ladite aide, voire s’avérer inexistant, sans que cette circonstance puisse justifier une appréciation différente de la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Aer Lingus et Ryanair Designated Activity, C 164/15 P et C 165/15 P, EU:C:2016:990, point 92).
101 Il convient, dès lors, de conclure que la requérante n’est pas fondée à reprocher à la Commission de ne pas avoir tenu compte de l’avantage concurrentiel procuré à Croatia Airlines par la mesure d’aide litigieuse.
102 Sur le fondement des développements qui précèdent, il convient de conclure que l’argumentation de la requérante examinée aux points 51 à 101 ci-dessus ne démontre pas l’existence de difficultés sérieuses en présence desquelles la Commission aurait été tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen.
c) Sur les indices tirés d’une violation des principes de non-discrimination, de la libre prestation de services et de la liberté d’établissement
103 La requérante soutient que la mesure d’aide litigieuse enfreint les principes de non-discrimination, de la libre prestation de services et de la liberté d’établissement et que, dès lors, la décision attaquée, laquelle conclut à la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur, doit être annulée.
104 La Commission, soutenue par la République de Croatie, conteste l’argumentation de la requérante.
105 À titre liminaire, il convient de rappeler qu’une aide d’État qui viole des dispositions du traité ou des principes généraux du droit de l’Union ne peut être déclarée compatible avec le marché intérieur (arrêts du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C 390/06, EU:C:2008:224, points 50 et 51, et du 22 septembre 2020, Autriche/Commission, C 594/18 P, EU:C:2020:742, point 44).
1) Sur la violation du principe de non discrimination
106 La requérante soutient, en substance, que la décision attaquée autorise une différence de traitement entre Croatia Airlines, seule bénéficiaire de l’aide litigieuse, et les autres compagnies aériennes opérant en Croatie qui ont également subi un dommage en raison de la pandémie de COVID-19 et se trouvent dans une situation comparable à celle de la bénéficiaire de cette aide. Selon la requérante, la nécessité de remédier aux seuls dommages subis par Croatia Airlines, mais pas à ceux subis par les autres compagnies aériennes opérant en Croatie, n’est pas établie dans la décision attaquée. La requérante soutient également que la différence de traitement n’est pas proportionnée à l’objectif de l’aide litigieuse, qui est de réparer les dommages causés par la pandémie de COVID-19. Croatia Airlines aurait reçu la totalité (100 %) de l’aide litigieuse alors que sa part au dommage causé par la pandémie de COVID-19 serait, probablement, de 15 %, à savoir égale à sa part du marché croate. La requérante soutient que, si l’aide litigieuse était accordée à toutes les compagnies aériennes opérant en Croatie, son objectif serait atteint sans discrimination. Selon la requérante, la mesure d’aide litigieuse constitue une mesure de « nationalisme économique évident ».
107 Le principe de non-discrimination requiert que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C 390/06, EU:C:2008:224, point 66 ; voir également, en ce sens, arrêt du 5 juin 2018, Montero Mateos, C 677/16, EU:C:2018:393, point 49).
108 Les éléments qui caractérisent différentes situations et ainsi leur caractère comparable doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but de l’acte de l’Union qui institue la distinction en cause. Doivent en outre être pris en considération les principes et les objectifs du domaine dont relève l’acte en cause (arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C 127/07, EU:C:2008:728, point 26).
109 Par ailleurs, il convient de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause (arrêt du 17 mai 1984, Denkavit Nederland, 15/83, EU:C:1984:183, point 25), étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés [arrêt du 30 avril 2019, Italie/Conseil (Quota de pêche de l’espadon méditerranéen), C 611/17, EU:C:2019:332, point 55].
110 En l’espèce, en premier lieu, il convient de rappeler que, comme il ressort des considérants 55 et 56 de la décision attaquée, la mesure d’aide litigieuse vise uniquement à indemniser Croatia Airlines pour le dommage subi par cette compagnie aérienne en raison de l’imposition des restrictions aux voyages, adoptées par les autorités croates.
111 Il est, certes, vrai, comme le fait valoir la requérante à juste titre, que l’ensemble des compagnies aériennes qui opèrent en Croatie ont été affectées par les restrictions susmentionnées et qu’elles ont, par voie de conséquence, toutes subi, à l’instar de Croatia Airlines, un dommage résultant de l’arrêt des activités de transport aérien à la suite de l’instauration desdites restrictions.
112 Toutefois, il n’en demeure pas moins, ainsi que le fait valoir, à bon droit la Commission dans le mémoire en défense, qu’il n’existe aucune obligation, pour les États membres, d’accorder des aides destinées à remédier aux dommages causés par un « événement extraordinaire » au sens de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE.
113 Plus particulièrement, d’une part, si l’article 108, paragraphe 3, TFUE oblige les États membres à notifier à la Commission leurs projets en matière d’aides d’État avant leur mise à exécution, il ne les oblige pas, en revanche, à octroyer une aide (ordonnance du 30 mai 2018, Yanchev, C 481/17, non publiée, EU:C:2018:352, point 22).
114 D’autre part, une aide peut être destinée à remédier aux dommages causés par un événement extraordinaire, conformément à l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, indépendamment du fait qu’elle ne remédie pas à l’intégralité de ces dommages.
115 Par conséquent, il ne découle ni de l’article 108, paragraphe 3, TFUE ni de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE que les États membres seraient obligés de remédier à l’intégralité des dommages causés par un événement extraordinaire, de sorte qu’ils ne sauraient non plus être tenus d’accorder des aides à l’ensemble des victimes de ces dommages.
116 En deuxième lieu, il convient de relever qu’une aide individuelle, telle que l’aide litigieuse, ne profite, par définition, qu’à une seule entreprise, à l’exclusion de toutes les autres entreprises, y compris celles se trouvant dans une situation comparable à celle du bénéficiaire de cette aide. Ainsi, de par sa nature, une telle aide individuelle instaure une différence de traitement, voire une discrimination, laquelle est pourtant inhérente au caractère individuel de ladite mesure. Or, soutenir, comme le fait la requérante, que l’octroi de l’aide litigieuse est contraire au principe de non-discrimination revient, en substance, à mettre en cause systématiquement la compatibilité avec le marché intérieur de toute aide individuelle du seul fait de son caractère intrinsèquement exclusif et donc discriminatoire, alors même que le droit de l’Union permet aux États membres d’octroyer des aides individuelles, pourvu que toutes les conditions prévues à l’article 107 TFUE soient remplies [voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2021, Ryanair et Laudamotion/Commission (Austrian Airlines ; Covid-19), T 677/20, sous pourvoi, EU:T:2021:465, point 58].
117 En troisième lieu, et en tout état de cause, à supposer que, comme l’affirme la requérante, la différence de traitement instituée par la mesure d’aide litigieuse, en ce qu’elle ne profite qu’à Croatia Airlines, puisse être assimilée à une discrimination, il convient de vérifier si elle est justifiée par un objectif légitime et si elle est nécessaire, appropriée et proportionnée pour l’atteindre. Dans la mesure où l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE constitue la base juridique de la décision attaquée, il importe de vérifier si cette différence de traitement est permise au regard de la disposition susmentionnée. Cet examen implique, d’une part, que l’objectif de la mesure d’aide litigieuse satisfasse aux exigences prévues par cette dernière disposition et, d’autre part, que les modalités d’octroi de cette mesure, à savoir, en l’espèce, le fait que celle-ci ne profite qu’à Croatia Airlines, soient de nature à permettre que soit atteint cet objectif et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.
118 S’agissant de l’objectif de la mesure d’aide litigieuse, la requérante ne conteste pas que l’indemnisation d’un dommage résultant de l’arrêt abrupt des activités de transport aérien en raison de l’imposition de restrictions aux voyages et d’autres mesures de confinement dans le contexte de la pandémie de COVID-19 permet de remédier aux dommages causés par cette pandémie. La requérante ne conteste pas non plus que la pandémie de COVID-19 constitue un événement extraordinaire au sens de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE.
119 S’agissant des modalités d’octroi de la mesure d’aide litigieuse, il ressort d’un document fourni par la requérante que Croatia Airlines détenait la plus grande part du marché croate en sièges pour l’année 2019, à savoir 29 %, la requérante n’arrivant qu’en quatrième position avec une part de marché de 7 %. Par ailleurs, au considérant 26 de la décision attaquée, la Commission a relevé que Croatia Airlines opérait des vols en direction de 38 destinations dans 24 pays et que, en 2019, elle avait transporté 1,9 million de passagers avec un facteur de charge des passagers de 73,6 %. En outre, il ressort du considérant 14 de la décision attaquée que Croatia Airlines opérait pendant la période comprise entre le 19 mars et le 30 juin 2020 des vols cargo et des vols de rapatriement qui étaient importants en période de pandémie. La Commission a également retenu, au considérant 25 de la décision attaquée, le fait que Croatia Airlines avait généré un chiffre d’affaires de 230,4 millions d’euros, approximativement, en 2019 et qu’elle employait 1 021 personnes.
120 La République de Croatie a souligné, dans le mémoire en intervention, le rôle stratégique de Croatia Airlines dans l’infrastructure croate des transports, en particulier pendant la période de crise. Elle a également mis l’accent sur le fait que cette compagnie aérienne exerçait ses activités tout au long de l’année, tandis que la requérante n’exerçait des activités sur le marché croate que pendant une période limitée durant l’été et uniquement dans les aéroports côtiers. Ces informations fournies par la République de Croatie n’ont pas été contestées par la requérante.
121 Eu égard à l’importance de Croatia Airlines, surtout en ce qui concerne sa contribution à la connectivité de la Croatie tout au long de l’année, il y a lieu de conclure que l’octroi de la mesure d’aide litigieuse uniquement à Croatia Airlines constituait une mesure appropriée pour atteindre l’objectif visant à remédier aux dommages causés par l’interdiction de voyager et par les autres mesures restrictives adoptées dans le contexte de la pandémie de COVID-19.
122 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument de la requérante selon lequel l’octroi de la totalité de l’aide à Croatia Airlines est disproportionné, dans la mesure où cette compagnie aérienne n’a subi qu’une fraction du dommage causé aux compagnies aériennes par la pandémie de COVID-19. Dans ce contexte, la requérante soutient qu’elle détient 7 % du marché croate et qu’elle a donc subi 7 % des dommages causés par la pandémie de COVID-19 en Croatie.
123 En effet, il ressort du dossier que Croatia Airlines, en raison de son rôle essentiel pour la desserte aérienne de la Croatie, a été davantage affectée par l’arrêt abrupt des activités de transport aérien que les autres compagnies aériennes présentes dans ce pays. En particulier, s’agissant de la requérante, il ne ressort pas du dossier qu’elle jouait un rôle aussi important pour cette desserte aérienne que Croatia Airlines.
124 Enfin, en ce qui concerne la question de savoir si la mesure d’aide litigieuse va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé, il convient de constater que le montant de celle-ci est inférieur à celui du dommage causé à Croatia Airlines (voir point 66 ci-dessus). Partant, cette mesure ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif légitime qu’elle poursuit.
125 Par conséquent, il y a lieu de constater que la différence de traitement en faveur de Croatia Airlines est appropriée aux fins de remédier aux dommages résultant de l’arrêt abrupt des activités de transport aérien en Croatie en raison de l’imposition des interdictions de voyager et d’autres mesures de confinement dans le contexte de la pandémie de COVID-19 et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.
126 Il convient également d’ajouter que la requérante n’établit pas que le fait de répartir le montant de l’aide litigieuse entre l’ensemble des compagnies aériennes présentes en Croatie (en fonction de leur part de marché) n’aurait pas privé d’effet utile ladite mesure.
127 Il s’ensuit, en tout état de cause et pour autant que la différence de traitement instituée par la mesure d’aide litigieuse puisse être assimilée à une discrimination, qu’il était justifié de n’accorder le bénéfice de cette mesure qu’à Croatia Airlines et que l’octroi de celle-ci n’enfreint pas le principe de non-discrimination.
2) Sur la violation de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services
128 La requérante fait valoir que la mesure d’aide litigieuse accorde à Croatia Airlines, qui est établie en Croatie, un avantage par rapport aux compagnies aériennes qui opèrent dans cet État membre au titre du principe de la libre prestation de services ou de la liberté d’établissement et constitue, dès lors, une restriction à l’exercice de ces deux libertés et enfreint également le règlement (CE) no 1008/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 24 septembre 2008, établissant des règles communes pour l’exploitation de services aériens dans [l’Union] (JO 2008, L 293, p. 3), qui applique le principe de la libre prestation de services au secteur aérien. La requérante reproche à la Commission de ne pas avoir examiné la compatibilité de la mesure d’aide litigieuse avec les deux libertés et le règlement susmentionnés.
129 D’une part, il convient de rappeler que les dispositions du traité FUE relatives à la liberté d’établissement visent à assurer le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil (voir arrêt du 6 octobre 2015, Finanzamt Linz, C 66/14, EU:C:2015:661, point 26 et jurisprudence citée).
130 D’autre part, la libre prestation de services s’oppose à l’application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre États membres plus difficile que la prestation de services purement interne à un État membre, indépendamment de l’existence d’une discrimination selon la nationalité ou la résidence (voir, en ce sens, arrêt du 6 février 2003, Stylianakis, C 92/01, EU:C:2003:72, point 25). Toutefois, il y a lieu de constater que, en vertu de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, la libre prestation de services, en matière de transports, est régie par les dispositions du titre relatif aux transports, à savoir le titre VI du traité FUE. La libre prestation de services en matière de transports est ainsi soumise, au sein du droit primaire, à un régime juridique particulier (arrêt du 18 mars 2014, International Jet Management, C 628/11, EU:C:2014:171, point 36). Par conséquent, l’article 56 TFUE, qui consacre la libre prestation de services, ne s’applique pas tel quel au domaine de la navigation aérienne (arrêt du 25 janvier 2011, Neukirchinger, C 382/08, EU:C:2011:27, point 22).
131 C’est dès lors uniquement sur la base de l’article 100, paragraphe 2, TFUE que des mesures de libéralisation des services de transports aériens peuvent être adoptées (arrêt du 18 mars 2014, International Jet Management, C 628/11, EU:C:2014:171, point 38). Or, ainsi que le relève, à juste titre, la requérante, le législateur de l’Union a adopté le règlement no 1008/2008 sur le fondement de cette disposition, qui a précisément pour objet de définir les conditions d’application, dans le secteur du transport aérien, du principe de la libre prestation de services (voir, par analogie, arrêt du 6 février 2003, Stylianakis, C 92/01, EU:C:2003:72, points 23 et 24).
132 En l’espèce, il convient de relever que la requérante soutient, en substance, que la mesure en cause constitue une entrave à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services du fait de son caractère discriminatoire.
133 Or, s’il est vrai que la mesure en cause porte sur une aide individuelle qui ne profite qu’à Croatia Airlines, la requérante n’établit pas en quoi ce caractère exclusif est de nature à la dissuader de s’établir en Croatie ou d’effectuer des prestations de services depuis ce pays et à destination de celui-ci. La requérante n’est notamment pas en mesure d’identifier les éléments de fait ou de droit qui feraient que cette mesure produirait des effets restrictifs qui iraient au-delà de ceux qui déclenchent l’interdiction de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, mais qui, ainsi qu’il a été jugé aux points 118 à 125 ci-dessus, seraient néanmoins nécessaires et proportionnés pour remédier aux dommages causés à Croatia Airlines par l’événement extraordinaire qu’est la pandémie de COVID-19, conformément aux exigences prévues par l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE.
134 Par conséquent, la mesure en cause ne saurait constituer une entrave à la liberté d’établissement ni à la libre prestation de services. Il s’ensuit que la requérante n’est pas fondée à reprocher à la Commission de ne pas avoir examiné la compatibilité de cette mesure avec la liberté d’établissement, la libre prestation de services et le règlement no 1008/2008.
135 Dans ces conditions, il convient de conclure que l’argumentation de la requérante examinée aux points 103 à 134 ci-dessus ne démontre pas l’existence de difficultés sérieuses en présence desquelles la Commission aurait été tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen.
d) Conclusion sur le troisième moyen
136 Il convient de rappeler que les arguments de la requérante soulevés dans le cadre des premier et deuxième moyens ne démontrent pas l’existence de difficultés sérieuses que la Commission aurait rencontrées et qui auraient dû la conduire à ouvrir la procédure formelle d’examen.
137 Par ailleurs, l’argumentation de la requérante présentée au point 42 ci-dessus et tirée du fait que, si elle avait eu la possibilité de présenter des observations à la Commission dans le cadre de la procédure formelle d’examen, la décision de la Commission aurait pu être différente est également dénuée de pertinence, dans la mesure où, ainsi qu’il vient d’être constaté, la requérante ne parvient pas à démontrer l’existence des difficultés sérieuses qui auraient obligé la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen.
138 Sur le fondement des développements qui précèdent, le troisième moyen doit être rejeté.
2. Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE
139 La requérante soutient que la Commission a manqué à son obligation de motivation, puisqu’elle a omis de fournir une motivation concernant une série des problématiques en rapport avec les premier et deuxième moyens.
140 En ce qui concerne le premier moyen, la Commission n’aurait pas fourni de motifs pour justifier que Croatia Airlines fût distinguée des autres compagnies aériennes en étant la seule à recevoir une aide sous forme de compensation, alors que d’autres compagnies aériennes, parmi lesquelles la requérante, auraient également subi des dommages en raison de la pandémie de COVID-19.
141 En ce qui concerne le deuxième moyen, la Commission n’aurait pas évalué la valeur de l’avantage concurrentiel procuré à Croatia Airlines par l’octroi de l’aide litigieuse. La Commission aurait également omis de motiver son calcul du montant de l’aide litigieuse, dans la mesure où elle aurait ignoré la fraction des pertes de Croatia Airlines provenant de ses difficultés existant avant la pandémie de COVID-19. Par ailleurs, la Commission aurait omis d’évaluer le dommage causé par la pandémie de COVID-19, en particulier en ne circonscrivant pas le dommage spécifique causé directement par les restrictions appliquées aux voyages transfrontières – supposées être le fait générateur du dommage – et en ne prenant pas en compte le fait que Croatia Airlines avait poursuivi ses vols domestiques et une partie de ses vols internationaux au cours de la période comprise entre le 19 mars et le 30 juin 2020.
142 Par ailleurs, la requérante, dans ses observations sur la réponse de la Commission à une question écrite posée par le Tribunal, a fait grief à celle-ci de ne pas avoir expliqué, dans la décision attaquée, la raison de l’existence d’une divergence entre le montant du dommage calculé selon la méthodologie fondée sur les pertes nettes (110 025 920 HRK) et le montant du dommage calculé selon la méthodologie fondée sur le BAII de Croatia Airlines, lequel s’élevait, selon la requérante à 78 665 279 HRK.
143 La Commission réfute les griefs de la requérante et fait valoir que la décision attaquée est suffisamment motivée.
144 À cet égard, il convient de rappeler que la motivation exigée par l’article 296 TFUE constitue une formalité substantielle (arrêt du 18 juin 2015, Ipatau/Conseil, C 535/14 P, EU:C:2015:407, point 37) et doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteure de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. Ainsi, l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par celui-ci peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences prévues par l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C 367/95 P, EU:C:1998:154, point 63 ; du 22 juin 2004, Portugal/Commission, C 42/01, EU:C:2004:379, point 66, et du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C 390/06, EU:C:2008:224, point 79).
145 En outre, une décision adoptée à l’issue de la phase préliminaire d’examen et déclarant une mesure d’aide d’État compatible avec le marché intérieur, qui est prise dans de délais brefs, doit uniquement contenir les raisons pour lesquelles la Commission estime ne pas être en présence de difficultés sérieuses d’appréciation de la compatibilité de l’aide concernée avec le marché intérieur (arrêts du 22 décembre 2008, Régie Networks, C 333/07, EU:C:2008:764, point 65, et du 27 octobre 2011, Autriche/Scheucher-Fleisch e.a., C 47/10 P, EU:C:2011:698, point 111).
146 En l’espèce, concernant le grief de la requérante présenté au point 140 ci-dessus, il ressort de l’examen du premier moyen que, du point de vue juridique, la différence de traitement entre la bénéficiaire de la mesure d’aide litigieuse et les autres opérateurs économiques qui n’ont pas reçu d’aide et qui se trouveraient dans une situation comparable à celle de cette bénéficiaire est inhérente au caractère individuel de cette mesure (voir point 116 ci-dessus). Il a également été constaté que les États membres ne sont pas tenus d’accorder des aides à l’ensemble des victimes des dommages causés par un événement extraordinaire visé par l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE. Compte tenu de cette analyse juridique, la Commission n’était pas tenue d’expliquer dans la décision attaquée la raison pour laquelle elle considérait que l’octroi de l’aide litigieuse uniquement à Croatia Airlines était légal.
147 Concernant les griefs de la requérante présentés au point 141 ci-dessus, d’une part, il y a lieu de rappeler que la Commission n’avait pas à déterminer la valeur de l’avantage concurrentiel procuré à Croatia Airlines par l’octroi de l’aide litigieuse. Dès lors, il ne peut pas lui être reproché de ne pas avoir motivé ses calculs à cet égard. D’autre part, il y a lieu de rappeler que la Commission a présenté de manière claire, notamment aux considérants 27, 28 et 61 de la décision attaquée, la méthode suivie pour calculer le dommage causé à Croatia Airlines. Il ressort de cette méthode – laquelle est fondée sur le calcul de la baisse des recettes opérationnelles de Croatia Airlines pendant la période comprise entre le 19 mars et le 30 juin 2020 par rapport à cette même période en 2019 – que celle-ci a pris en compte le fait que Croatia Airlines avait effectué un certain nombre de vols internationaux et domestiques durant la période comprise entre 19 mars et 30 juin 2020, dans la mesure où les recettes provenant de ces vols étaient forcement incluses dans les recettes opérationnelles. Il n’y avait pas non plus lieu pour la Commission de circonscrire le dommage causé uniquement par les restrictions aux voyages transfrontaliers, car, ainsi qu’il a déjà été constaté, la Commission a considéré que le dommage subi par Croatia Airlines ne provenait pas seulement de l’interdiction de franchir la frontière nationale, mais également d’autres mesures de confinement imposées par les autorités croates (voir point 69 ci-dessus). Dès lors, aucun défaut de motivation ne caractérise le calcul du dommage subi par Croatia Airlines.
148 Concernant le grief de la requérante présenté au point 142 ci-dessus, il y a, tout d’abord, lieu de noter que, au considérant 30 de la décision attaquée, la Commission a expliqué la raison pour laquelle elle estimait que le montant du dommage calculé selon la méthodologie fondée sur le BAII pouvait, en réalité, atteindre les 88,5 millions de HRK, correspondant ainsi au montant de l’aide litigieuse (voir point 88 ci-dessus). Il convient de conclure que, à cet égard, l’analyse de la Commission, indépendamment de son bien-fondé, est suffisamment motivée.
149 En ce qui concerne la divergence entre le montant du dommage calculé selon la méthodologie fondée sur les pertes nettes et le montant du dommage calculé selon la méthodologie fondée sur le BAII de Croatia Airlines, il convient de noter que, ainsi qu’il ressort du considérant 29 de la décision attaquée, la Commission a eu recours à la seconde méthodologie afin de confirmer l’absence de surcompensation telle qu’elle résultait du recours à la première méthodologie. Ayant pu constater cette absence de surcompensation, la Commission n’était pas dans l’obligation d’expliquer la raison de l’existence de la divergence susmentionnée.
150 Il résulte de tout ce qui précède que le quatrième moyen doit être rejeté et, partant, le recours dans son intégralité.
IV. Sur les dépens
151 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.
152 La République de Croatie supportera ses propres dépens, en application de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (dixième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Ryanair DAC supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.
3) La République de Croatie supportera ses propres dépens.