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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., sect. 1, 9 novembre 2011, n° 10/02657

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Société Editions Arc-En-Ciel (SARL)

Défendeur :

Groupe La Dépêche Du Midi (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cousteaux

Conseillers :

M. Salmeron, M. Croisille-Cabrol

Avoués :

SCP Cantaloube-Ferrieu Cerri, SCP Dessart Sorel Dessart

Avocats :

SCP Massol, Me Malet-Cassegrain

TGI Toulouse, du 8 avr. 2010, n° 08/0421…

8 avril 2010

FAITS et PROCÉDURE

La S.A. GROUPE la DEPECHE du MIDI est éditrice du quotidien « La dépêche du Midi ».

M. Lionel LAPARADE est journaliste, salarié de la S.A. GROUPE la DEPECHE du MIDI et occupe le poste de responsable des éditions de la Haute Garonne du quotidien « La dépêche du Midi ».

La S.A. GROUPE la DEPECHE du MIDI a publié en page 25 du quotidien « Le dépêche du Midi, Edition Toulouse » daté du jeudi 12 juin 2008 un article sous le titre « Une promotion pour Jean-Luc Moudenc ».

La S.A.R.L. EDITIONS ARC-EN-CIEL est éditrice de l'hebdomadaire « Le petit journal ». Elle a fait publier en page 3 de l'hebdomadaire « Le petit journal » n°138, daté improprement du 18 mai au 24 juin 2008, mais publié le mercredi 18 juin 2008, un article non signé intitulé « Jean-Luc Moudenc nommé contrôleur général économique et financier » reproduisant intégralement le texte de l'article intitulé « Une promotion pour Jean-Luc Moudenc » publié six jours plus tôt dans le quotidien « La dépêche du Midi, édition Toulouse ».

Par jugement du 8 avril 2010, le tribunal de grande instance de TOULOUSE, saisi par assignation du 2 décembre 2008, a :

- rejeté l'exception d'irrecevabilité concernant la qualité à agir de dflaparade et la S.A. GROUPE la DEPECHE du MIDI ;

- condamné la S.A.R.L. EDITIONS ARC EN CIEL à payer à la S.A. GROUPE DEPECHE DU MIDI la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamné la S.A.R.L. EDITIONS ARC-EN-CIEL à payer à M. Lionel LAPARADE la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts,

- débouté la S.A.R.L. EDITIONS ARC EN CIEL de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- ordonné la publication en page trois de l'hebdomadaire « Le petit journal » à paraître dans les 15 jours suivant la signification du présent jugement, d'un communiqué judiciaire, sous astreinte de 2.000 euros par numéro de retard, sur fond blanc portant en caractères rouges d'un centimètre de haut minimum le titre suivant : « PUBLICATION JUDICIAIRE A LA DEMANDE DE LA SOCIETE GROUPE LA DEPECHE DU MIDI », et rédigé comme suit « Le tribunal de grande instance de Toulouse a, par jugement du 8 avril 2010, condamné la société LES EDITIONS ARCS EN CIEL pour avoir publié dans le numéro 138 de l'hebdomadaire « Le petit journal » daté du 18 juin 2008 un article contrefaisant ses droits patrimoniaux », ceci en police de 12 minimum,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la S.A.R.L. LES EDITIONS ARC EN CIEL à verser à la S.A. GROUPE la DEPECHE du MIDI et à M. Lionel LAPARADE la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La S.A.R.L. EDITIONS ARC-EN-CIEL a interjeté appel le 17 mai 2010.

La S.A.R.L. EDITIONS ARC-EN-CIEL a déposé ses dernières écritures le 23 juin 2011.

La S.A. GROUPE la DEPECHE du MIDI a déposé ses dernières écritures le 31 août 2011.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 septembre 2011.

MOYENS et PRÉTENTIONS des PARTIES

Dans ses écritures, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'énoncé du détail de l'argumentation, La S.A.R.L. EDITIONS ARC-EN-CIEL conclut à l'infirmation de la décision de première instance ainsi qu'à la condamnation de la S.A. GROUPE la DEPECHE du MIDI et M. Lionel LAPARADE à lui payer, chacun, la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'appelante développe les moyens suivants :

- M. Lionel LAPARADE ne rapporte nullement la preuve d'être l'auteur de l'article litigieux,

- la S.A. GROUPE la DEPECHE du MIDI ne rapporte pas la preuve d'une quelconque acquisition dudit article,

- l'action en contrefaçon ne peut pas prospérer en l'absence de droit privatif sur un article dont on ignore l'auteur,

- l'information litigieuse n'a fait l'objet d'aucun traitement intellectuel, s'agissant d'une simple information d'actualité,

- il n'est démontré aucun lien de causalité entre la prétendue contrefaçon et les prétendus préjudices.

Dans leurs écritures, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'énoncé du détail de l'argumentation, la S.A. GROUPE la DEPECHE du MIDI et M. Lionel LAPARADE sollicitent la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a dit que la S.A.R.L. EDITIONS ARC-EN-CIEL s'était rendue coupable de contrefaçon des droits patrimoniaux de la S.A. GROUPE la DEPECHE du MIDI et d'atteinte au droit moral de M. Lionel LAPARADE, ordonné une publication judiciaire et condamné la S.A.R.L. EDITIONS ARC-EN-CIEL à payer à chacun d'eux la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Ils forment un appel incident sur le montant des dommages et intérêts alloués en sollicitant la condamnation de la S.A.R.L. EDITIONS ARC-EN-CIEL à payer à la S.A. GROUPE la DEPECHE du MIDI la somme de 20.000 euros et à M. Lionel LAPARADE celle de 5.000 euros à ce titre, outre la somme de 3.000 euros, à chacun d'eux, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La S.A. GROUPE la DEPECHE du MIDI et M. Lionel LAPARADE développent les moyens suivants :

- les écrits journalistiques sont des oeuvres de l'esprit protégées par le code de la propriété intellectuelle et génératrices de droits au profit de leurs auteurs,

- M. Lionel LAPARADE a rédigé de nombreux articles consacrés à l'actualité politique du département de la Haute-Garonne,

- l'article litigieux, véritable article de fond, recontextualise les circonstances de la nomination de M. Jean-Luc Moudenc au poste de contrôleur général économique et financier,

- M. Lionel LAPARADE a été engagé par la S.A. GROUPE la DEPECHE du MIDI, éditeur de presse, par contrat à durée indéterminée le 19 mai 1989, contrat prévoyant notamment la cession du droit d'exploiter ses oeuvres,

- le 21 avril 2006, un accord a été conclu au sein de la S.A. GROUPE la DEPECHE du MIDI prévoyant la cession de ses droits sur l'ensemble de ses contributions journalistiques en vue de leur utilisation, réutilisation, reproduction, représentation, diffusion, traduction, transcription, exploitation, vente sur tous les supports y compris ceux liés aux nouvelles technologies, en ligne ou hors de ligne, existant ou à venir,

- l'absence de signature de l'article ne prive pas l'auteur de la protection de son droit moral,

- la mise en ligne de l'article litigieux sur un blog a été postérieure à la parution du journal le contenant,

- à la réception d'une mise en demeure le site Internet a supprimé l'accès à l'article qui avait été reproduit servilement,

- l'auteur du blog n'a pas été poursuivi, s'agissant d'un amateur, à la différence de la S.A.R.L. EDITIONS ARC-EN-CIEL qui est un éditeur professionnel ; de plus la cessation de l'exploitation contrefaisante sur le blog a été diligente.

MOTIFS de la DÉCISION

La cour d'appel ne peut qu'adopter les motifs pertinents des premiers juges.

L'article L 611-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose : « L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. »

Aux termes de l'article L 112-2 1° dudit code, il est également prévu que « sont considérés notamment comme oeuvres de l'esprit au sens du présent code les livres, brochures et autres écrits littéraires, artistiques et scientifiques. »

La protection des droits d'auteur est accordée par la loi à toute oeuvre de l'esprit, y compris aux articles de presse, du moment qu'ils présentent un caractère d'originalité, c'est-à-dire qu'ils portent la marque de l'empreinte de la personnalité de son auteur.

En l'espèce, contrairement à ce que soutient l'appelante, l'article litigieux n'est pas exclusivement informatif mais il présente une originalité par la citation d'un observateur ayant été interrogé et par des commentaires empreints d'une ironie certaine sur la carrière de l'ancien maire de Toulouse.

En résumé, il ne s'agit pas d'une brève. Le texte litigieux bénéficie donc de la protection des oeuvres de l'esprit. Bien évidemment, l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, protégeant la liberté d'émettre des informations, l'autre versant étant la liberté de les recevoir, n'autorise pas la reprise d'oeuvres de l'esprit en violation des droits de leurs auteurs.

Selon l'article L113-6 du code de la propriété intellectuelle, les auteurs des oeuvres pseudonymes et anonymes jouissent sur celles-ci des droits reconnus par l'article L 111-1 disposant que l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle et opposable à tous.

Il importe peu dès lors que cet article ne soit pas signé, ce qui est fréquent dans le domaine politique.

La S.A. GROUPE la DEPECHE du MIDI établit que l'article a été publié en premier dans une de ses éditions avant d'être repris sur un blog dont le responsable a immédiatement supprimé la mise en ligne dès qu'il en a été mis en demeure, reconnaissant par là-même avoir copié sans autorisation l'article litigieux. L'absence de demande à l'encontre du responsable du blog est indifférente à la solution du litige opposant les parties devant la cour d'appel.

La S.A. GROUPE la DEPECHE du MIDI établit que M. Lionel LAPARADE occupe le poste de responsable départemental pour la Haute-Garonne depuis février 2007, après avoir été embauché par contrat à durée indéterminée en date du 19 mai 1989. M. Lionel LAPARADE a établi une attestation, passible de sanctions pénales, comme étant le rédacteur de l'article litigieux.

Par ailleurs, la S.A. GROUPE la DEPECHE du MIDI justifie de la signature par M. Lionel LAPARADE le 29 mai 2006 d'un avenant portant sur la cession de ses droits patrimoniaux à la S.A. GROUPE la DEPECHE du MIDI, complétant la cession contenant dans le contrat d'embauche.

La S.A. GROUPE la DEPECHE du MIDI est donc cessionnaire des droits patrimoniaux de M. Lionel LAPARADE sur ses contributions journalistiques et a ainsi qualité à agir pour défendre son droit patrimonial. M. Lionel LAPARADE a aussi qualité à agir en défense de son droit moral d'auteur.

Sur les préjudices, la contrefaçon est caractérisée, indépendamment de toute faute ou mauvaise foi, par la reproduction, la représentation ou l'exploitation d'une oeuvre de l'esprit en violation des droits de propriété intellectuelle qui y sont attachés.

M. Lionel LAPARADE et la S.A. GROUPE la DEPECHE du MIDI sollicitent par un appel incident une élévation des dommages et intérêts alloués par les premiers juges. Cependant, le contenu limité de l'article litigieux, rédigé par un seul journaliste, et non pas plusieurs, et qui n'est pas le résultat d'une longue enquête, ne justifie pas une appréciation différente de celle opérée par le tribunal de grande instance. M. Lionel LAPARADE et la S.A. GROUPE la DEPECHE du MIDI seront ainsi déboutés de leur appel incident.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement dont appel et de débouter, dès lors, la S.A.R.L. EDITIONS ARC-EN-CIEL de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Enfin, la S.A.R.L. EDITIONS ARC-EN-CIEL qui succombe sera condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Toulouse,

Y ajoutant,

Déboute la S.A.R.L. EDITIONS ARC-EN-CIEL de sa demande de dommages et intérêts,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la S.A.R.L. EDITIONS ARC-EN-CIEL de sa demande de ce chef,

Condamne la S.A.R.L. EDITIONS ARC-EN-CIEL à payer à M. Lionel LAPARADE et la S.A. GROUPE la DEPECHE du MIDI la somme totale de 1.500 euros,

Condamne la S.A.R.L. EDITIONS ARC-EN-CIEL aux dépens d'appel,

Autorise les avoués de la cause à recouvrer directement les dépens d'appel dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu de provision conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.