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Décisions

Cass. com., 2 juin 2021, n° 19-23.758

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rémery

Rapporteur :

Mme Fontaine

Avocats :

SARL Cabinet Briard, SCP Buk Lament-Robillot

Toulouse, du 28 août 2019

28 août 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 28 août 2019), la société AG Corporation (la société AGC), dirigée par Mme [E], est la holding et la présidente de la société Celso, laquelle a pour activité la transformation de mousses et matériaux destinés à l'industrie aéronautique notamment.

2. Le 3 novembre 2014, la société AGC et M. [M] ont créé la société par actions simplifiée (SAS) Celso services, dont le capital était détenu à 70 % par la première et à 30 % par le second qui, pour ce faire, a effectué un apport personnel de 30 000 euros. Cette société, fournisseur de la société Celso et spécialisée dans la conception et fabrication de mousse, de houssage et d'emballage, avait pour président la société AGC, pour directrice générale Mme [E] et pour directeur général délégué M. [M].

3. Le 12 novembre 2015, M. [M] a envoyé à Mme [E] une lettre recommandée avec demande d'avis de réception lui faisant part de ses difficultés à développer l'activité de la SAS Celso services du fait, notamment, de son exclusion des décisions importantes et de ses relations conflictuelles avec la destinataire, laquelle exprimait devant le personnel ses critiques envers lui.

4. Le 13 novembre 2015, la société AGC, représentée par Mme [E], a convoqué une assemblée générale ordinaire de la SAS Celso services ayant pour ordre du jour la présentation de la situation financière de la société et la décision à prendre en conséquence, en joignant à cette convocation la résolution soumise au vote, relative à la constatation de l'état de cessation de paiement, ainsi qu'un document justifiant cet état.

5. Lors de l'assemblée générale du 30 novembre 2015, il a été pris acte de l'opposition de M. [M] au vote de cette résolution et décidé qu'il serait procédé à la déclaration de cessation des paiements de la SAS Celso services.

6. Le 8 décembre 2015, la SAS Celso services a été mise en liquidation judiciaire, avec arrêt immédiat de l'activité, la cessation des paiements étant fixée au 30 novembre 2015 et M. [N] désigné liquidateur.

7. Se prévalant d'un abus de majorité, d'une révocation sans motif et abusive de ses fonctions de directeur général délégué et de fautes de gestion commises par Mme [E], M. [M] a assigné en réparation de ses préjudices le liquidateur de la SAS Celso services, la société AGC et Mme [E].

8. Mme [E] et les sociétés AGC et Celso ont soulevé l'irrecevabilité des demandes de M. [M], pour défaut de qualité à demander réparation des préjudices allégués, en application de l'article L. 641-4 du code de commerce.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen et sur le quatrième moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches, ci-après annexés

9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

10. Mme [E] et les sociétés AGC et Celso font grief à l'arrêt de déclarer recevables les prétentions de M. [M], alors « que l'associé d'une société placée en liquidation judiciaire n'est recevable à agir individuellement pour la réparation de son préjudice que si celui-ci est distinct à la fois du préjudice causé à la collectivité des créanciers et du préjudice social supporté par la société ; qu'en jugeant recevable l'action de M. [M] sans distinguer entre les préjudices qu'il appartient au seul liquidateur judiciaire de reconstituer, c'est-à-dire ceux causés à l'intérêt collectif des créanciers de la société et ceux causés à la société elle-même, et les préjudices distincts subis par l'intéressé, pour lesquels seulement il était recevable à agir pour en obtenir réparation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 622-20, L. 641-9 et L. 641-4 du code de commerce et de l'article 31 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

11. M. [M] conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que, dans leurs conclusions d'appel, Mme [E] et les sociétés AGC et Celso se bornaient à soutenir qu'une demande en réparation d'un préjudice formée par le créancier d'une société faisant l'objet d'une procédure collective n'était recevable qu'à la condition que le préjudice invoqué se distingue de celui de la collectivité des créanciers, sans consacrer aucun développement sur la nécessité, pour qu'une telle demande soit recevable, que le dommage soit également distinct du préjudice social.

12. Cependant, le moyen n'est pas nouveau, dès lors que, dans leurs conclusions d'appel, Mme [E] et les sociétés AGC et Celso soulevaient l'irrecevabilité des demandes de M. [M] pour défaut de qualité à agir au regard des dispositions de l'article L. 641-4 du code de commerce.

13. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 622-20 et L. 641-4 du code de commerce :

14. Il résulte de ces textes que seul le liquidateur a qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers. En conséquence, un créancier n'est pas recevable à agir en réparation, dès lors que le préjudice qu'il allègue ne peut être distingué du préjudice collectif des créanciers de la société débitrice. Si le demandeur à l'action indemnitaire est un associé qui agit en responsabilité contre les dirigeants de la société débitrice, la recevabilité de son action est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel et distinct de celui qui aurait pu être subi par la société elle-même, dès lors qu'à compter du jugement de liquidation judiciaire, le liquidateur a seul qualité pour demander, dans l'intérêt collectif des créanciers, la réparation du préjudice subi par la société.


15. Pour déclarer recevables les demandes indemnitaires formées par M. [M], l'arrêt retient que celui-ci recherche la responsabilité de la société AGC et celle de Mme [E] en leurs qualités respectives de présidente et de directrice générale de la SAS Celso services, du fait des fautes consistant en un abus de majorité, une révocation abusive de M. [M] et une faute de gestion, tous faits antérieurs au jugement d'ouverture. L'arrêt retient encore que M. [M] ne demande pas la réparation d'un préjudice lié à la perte de chance de récupérer ses apports, en tant qu'associé, du fait de la procédure collective, mais la réparation des préjudices économiques et moraux résultant de l'abus de majorité et des circonstances dans lesquelles il a été révoqué de ses fonctions de directeur général délégué. L'arrêt en déduit que l'exercice d'une telle action n'entre pas dans le monopole du liquidateur.

16. En se déterminant ainsi, sans distinguer selon que l'action de M. [M] tendait à réparer seulement une fraction du préjudice subi par la collectivité des créanciers ou par la société débitrice, une action individuelle étant dans ce cas irrecevable, ou à indemniser un préjudice personnel, une action individuelle étant alors recevable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce que, confirmant le jugement entrepris, il rejette la demande de communication de pièces comptables formée par M. [M], l'arrêt rendu le 28 août 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Pau.