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Décisions

CA Rennes, 4e ch., 7 mars 2019, n° 16/01469

RENNES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Eole Europe III (SCCV)

Défendeur :

Société Bouygues Energies & Services (Sasu), SLVI (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Georgeault

Conseillers :

Mme Menardais, Mme Bourdon

CA Rennes n° 16/01469

6 mars 2019

FAITS ET PROCÉDURE

La SCCV Eole Europe III (ci-après SCCV Eole) a entrepris la construction d'une résidence hôtelière, située [...], sous la maîtrise d'oeuvre complète de la société BEA.

Suivant contrat du 24 juillet 2006, une mission de maitrise d'oeuvre spécifique et complète relative aux fluides a été confié à la société SLVI Ingénierie (ci-après SLVI).

Par contrat du 2 mai 2007, le lot "électricité" a été confié à la société ETDE, devenue la société Bouygues énergies et services (ci-après société Bouygues).

Le chantier a débuté en juillet 2007 et la réception, initialement prévue pour le troisième trimestre 2008, a eu lieu le 30 septembre 2009.

Invoquant des retards et désordres importants, la SCCV Eole n'a pas réglé les soldes des marchés de plusieurs intervenants, dont les sociétés Bouygues et SLVI.

Par acte d'huissier en date du 1er février 2010, elle a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Nantes aux fins d'expertise judiciaire, au contradictoire de la société Bouygues et de la société SLVI, afin de déterminer les causes du retard et les responsabilités incidentes.

Par ordonnance en date du 8 avril 2010, le juge des référés a fait droit à la demande, désignant M. P., puis M. V., pour procéder à l'expertise, lequel a déposé son rapport le 5 juin 2013.

Parallèlement, une seconde expertise judiciaire a été ordonnée à la demande du syndicat des copropriétaires de l'immeuble, afin de déterminer les causes des malfaçons et non façons dénoncées. Cette expertise a été confiée à M. B. qui a déposé son rapport le 17 novembre 2012.

Par courrier recommandé du 23 décembre 2009, la société Bouygues a mis en demeure la société Eole de lui régler le solde de ses factures, soit la somme de 58.343,14 euros.

Autorisée par ordonnance du 24 mars 2011 du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nantes, à pratiquer une saisie conservatoire sur les comptes de la société Eole pour un montant de 58.343,14€, la société Bouygues n'a pu exécuter la décision qu'à hauteur de 1 204,45 euros.

Par acte d'huissier du 26 juillet 2011, elle a donc fait assigner la société Eole devant le tribunal de grande instance de Nantes, en paiement de la somme de 78 849€ avec intérêts de retard au titre du solde des travaux.

Par courrier en date du 7 juin 2013, la société SLVI a sollicité auprès de la société Eole le règlement du solde de sa facture pour un montant de 31 764,09 euros, sans succès, et l'a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Nantes en paiement de cette somme, par acte d'huissier du 20 février 2014.

Les affaires ont été jointes par ordonnance du 15 mai 2015.

Par jugement en date du 4 février 2016, le tribunal de grande instance de Nantes a :

condamné la société Eole Europe III à payer à la société Bouygues Énergies et Services :

les sommes de 58 344,07 € et de 20 506,62€ au titre des avenants au marché initial et ce, avec intérêts moratoires et contractuels à compter du 23 décembre 2009 (date de l'envoi du décompte définitif) et capitalisation à compter du 26 juillet 2011 (date de l'assignation),

la somme de 70 000€ à titre de dommages et intérêts et ce, avec intérêts au taux légal et capitalisation des dits intérêts à compter de la présente décision,

condamné la société Eole Europe III à payer à la société SVLI Ingénierie la somme de 31.764,09€ TTC au titre de ses honoraires et ce, avec intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2013, date de la mise en demeure,

débouté la société Eole Europe III de l'intégralité de ses demandes,

débouté la société SLVI Ingénierie de sa demande de dommages et intérêts,

condamné la société Eole Europe III à payer à la société Bouygues Énergies et Services, anciennement EDTE, et à la société SLVI Ingénierie, chacune, la somme de 5 000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné la société Eole Europe III aux dépens, comprenant les frais de l'expertise judiciaire de M. V., avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au bénéfice de la société Claire L. Avocat et de la société CVS (Me Christian N.),

ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Par déclaration en date du 19 février 2016, la société Eole a interjeté appel de ce jugement, intimant la société Bouygues et la société SLVI.

Par ordonnance en date du 23 janvier 2017, le conseiller de la mise en état a débouté la société SLVI et la société Bouygues de leur demande de radiation de l'appel.

Les parties ont conclu au fond et l'ordonnance de clôture a été rendue le 4 décembre 2018.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 12 septembre 2016, la SCCV Eole Europe III demande à la cour, au visa des articles 1134, 1147, 1152 et 1793 du code civil, de :

"- recevoir la société Eole Europe III en son appel et la déclarée bien fondée ;

- infirmer le jugement déféré et, statuant à nouveau,

- dire et juger que le marché conclu entre la société Eole Europe III et la société Bouygues Énergies et Services est un marché à forfait ;

- dire et juger que les travaux dont le paiement est demandé sont hors forfait et partant supplémentaires ;

- dire et juger que la société Bouygues Énergies et Services ne rapporte pas la preuve d'un accord écrit de la société Eole Europe III sur les travaux supplémentaires ;

En conséquence,

- fixer la créance de la société Bouygues Énergies et Services à la somme de 58 344,07€ au titre des avenants régularisés ;

- dire et juger que la société Eole Europe III n'a pas manqué à ses obligations dans l'exécution de ses travaux ;

- dire et juger que la société Bouygues Énergies et Services ne justifie d'aucun préjudice indemnisable imputable à la société Eole Europe III ;

- débouter la société Bouygues Énergies et Services de toutes ses autres demandes comme n'étant pas fondées ;

Reconventionnellement,

- dire et juger que la société Bouygues Énergies et Services a manqué à ses engagements contractuels en accusant un retard dans l'exécution du contrat ;

- dire et juger que la société SLVI a manqué aux obligations de sa mission de maîtrise d'oeuvre en raison du retard dans l'exécution des travaux d'électricité dont elle avait le suivi et la surveillance ;

- condamner in solidum la société Bouygues Énergies et Services et la société SLVI au paiement de la somme de 648 550€ au titre des pénalités de retard pour la première et au retard pour la seconde ;

- dire n'y avoir lieu à révision ;

Subsidiairement,

- condamner in solidum la société Bouygues Énergies et Services et la société SLVI au paiement de la somme de 351 578,70€ au titre des pénalités de retard pour la première et au retard pour la seconde ;

En tout état de cause,

- fixer la part de la société SLVI à 30% de l'indemnité de retard dans les rapports avec la société Bouygues Énergies et Services ;

- ordonner la compensation des dettes réciproques et condamner la société Bouygues Énergies et Services et la société SLVI au paiement pour le surplus ;

- condamner la société Bouygues Énergies et Services au paiement de la somme de 25 000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance qui comprendront notamment les frais d'expertise judiciaire, dont la société d'avocat Jean David C. sollicite le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile."

***

Selon ses dernières conclusions en date du 12 juillet 2016, la société Bouygues Énergies et Services demande à la cour de:

"A titre principal,

confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nantes le 4 février 2016 ;

A titre subsidiaire,

réformer le jugement et en conséquence, condamner la société Eole Europe III à verser à la société Bouygues Énergies et Services :

la somme de 78 850,69 euros TTC au titre des travaux supplémentaires, avec intérêts moratoires contractuels, à compter du 23 décembre 2009, date d'envoi de son décompte général et définitif et de ses annexes, et capitalisation à compter de la date de délivrance de l'assignation à la société Eole Europe III soit le 26 juillet 2011;

la somme de 214 189,25€ TTC au titre du préjudice subi par la société Bouygues Énergies et Services du fait du retard accusé par le chantier, avec intérêts de droit à compter du 22 février 2011, date d'envoi de sa réclamation, avec capitalisation ;

A titre infiniment subsidiaire,

réviser la clause pénale et la réduire à une plus juste mesure ;

condamner la société SVLI Ingénierie à garantir la société Bouygues Énergies et Services de toutes condamnations ;

En tout état de cause,

condamner la société Eole Europe III à verser à la société Bouygues Énergies et Services la somme de 5 000€ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;

laisser les frais d'expertise à la charge de la société Eole Europe III ;

condamner la société Eole Europe III en tous les dépens et allouer à la société CVS (maître Benoît B.), société d'avocat inter-barreaux, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile".

***

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 19 août 2016, la société SLVI Ingénierie demande à la cour de :

"A titre principal,

confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nantes en date du 4 février 2016 en ce qu'il a :

condamné la société Eole Europe III à régler à la société SLVI Ingénierie la somme de 31.464,09€ TTC au titre de ses honoraires et ce, avec intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2013 ;

débouté la société Eole Europe III des demandes formées à l'encontre de la société SLVI Ingénierie, notamment s'agissant des retards allégués;

condamné la société Eole Europe III à régler à la société SLVI Ingénierie la somme de 5.000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile;

condamné la société Eole Europe III à régler les dépens comprenant notamment les frais d'expertise judiciaire de monsieur V., avec application de l'article 699 du code de procédure civile au bénéfice de la société Claire L. Avocats;

Réformer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nantes en date du 4 février 2016 en ce qu'il a :

débouté la société SLVI Ingénierie de sa demande de dommages et intérêts ;

Débouter la société Eole Europe III et la société Bouygues Énergies et Services de leurs demandes, fins et conclusions présentées à l'encontre de la société SLVI Ingénierie ;

Statuant à nouveau,

condamner la SCCV Eole Europe III à régler à la société SLVI Ingénierie la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

A titre subsidiaire,

condamner la société Bouygues Énergies et Services à garantir intégralement la société SLVI Ingénierie de toute condamnation pouvant être prononcées à son encontre ;

En tout état de cause,

condamner la société Eole Europe III à régler à la société SLVI Ingénierie la somme de 6.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner les mêmes au règlement des entiers dépens ;

accorder à la société Ab Litis, Avocat, le bénéfice de l'article 699 du de procédure civile.

***

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions ci-dessus rappelées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la créance de la société SLVI :

La condamnation de la SCCV Eole à payer à la société SLVI la somme de 31 464,09 euros au titre du solde de sa créance n'est pas discutée en cause d'appel.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Sur la créance de la société Bouygues :

La cour relève que la SCCV Eole ne fait valoir aucun moyen opposant à sa condamnation par le tribunal, à payer à la société Bouygues la somme de 58 343,14 euros au titre des travaux supplémentaires régularisés par avenants au marché initial, outre les intérêts moratoires calculés au taux contractuel à compter du 23 décembre 2009, capitalisables à compter du 26 juillet 2011.

Elle conteste en revanche sa condamnation au paiement de la somme de 20 506,62 euros, soutenant que la société Bouygues ne justifie d'aucun avenant au marché initial, et ce en dépit des conclusions de l'expert et alors que les stipulations du marché et du cahier des clauses administratives particulières prévoient des prix "forfaitaires et définitifs" et exigent la conclusion d'avenants acceptés par le maître d'ouvrage et le maître d'oeuvre pour les travaux supplémentaires. La SCCV Eole fait valoir que la société Bouygues ne rapporte aucune preuve de l'accord du maître d'ouvrage sur ces prestations supplémentaires.

La société Bouygues soutient en réponse que, suite au rapport de l'Apave en date du 8 juin 2009, ces travaux étaient indispensables à la mise en conformité du site. Elle ajoute que la réception sans réserve de ces prestations, outre le retour de sa caution bancaire aux fins de mainlevée, valent manifestation par la SCCV Eole, de son acception non équivoque de la créance.

Il résulte des dispositions de l'article 1793 du code civil que le paiement de travaux supplémentaires suppose à défaut d'une autorisation écrite préalable du maître d'ouvrage, le constat de son acceptation expresse et non équivoque de ces une fois exécutés.

Toutefois, les travaux non prévus mais nécessaires à la conformité des ouvrages entrent dans l'obligation de prévision initiale de l'entreprise.

En l'espèce, la nature forfaitaire du marché conclu entre la SCCV Eole et la société Bouygues n'est pas discutée.

Ce marché incluait l'installation du système de sécurité incendie (p. 92).

Les prestations supplémentaires dont la société Bouygues réclame le paiement se sont révélées indispensables à la mise en conformité du système de sécurité incendie, suite à la visite de l'Apave en juin 2009. Il ne s'agit donc pas de prestations supplémentaires mais de l'exécution du marché conformément aux normes applicables.

La société Bouygues sera par conséquent déboutée de sa demande de paiement de ces travaux, par voie d'infirmation du jugement.

Sur les pénalités de retard :

La SCCV Eole estime qu'alors que l'ouvrage était réceptionnable au 3 juillet 2009, la réception n'a pu avoir lieu que le 30 septembre suivant en raison du retard d'obtention du certificat de conformité du Consuel qu'elle impute à la société Bouygues à laquelle elle réclame le paiement de la somme de 648 550 euros au titre des pénalités contractuelles.

Elle réclame la même somme à la société SLVI, à titre de dommages et intérêts, à raison des manquements à sa mission de maitrise d'oeuvre du lot "fluides".

La clause pénale contractuelle qui figure à l'article 4.3 du cahier des clauses administratives particulières prévoit l'application d'une pénalité journalière de 5/1000ème du montant du marché en cas de retard dans l'exécution des travaux.

Contrairement à ce qu'a décidé le premier juge, dès lors que cette prestation était expressément prévue au marché de la société ETDE (§12.03.04), devenue société Bouygues, le retard d'obtention du certificat de conformité délivré par le Consuel entre dans le champ du "retard d'exécution des travaux" susceptible de déclencher l'application des pénalité contractuelles.

Il appartient à la SCCV Eole de rapporter la preuve que le retard de réception qu'elle allègue était la conséquence des difficultés d'obtention de ce certificat par la société ETDE devenue Bouygues.

L'expert a caractérisé un retard (R3) de 83 jours ouvrés entre le 5 juin 2009 et le 30 septembre 2009, qu'il attribue à la "confusion" dans l'obtention du Consuel.

Si ce constat de l'expert corrobore les affirmations de la SCCV Eole selon laquelle l'ouvrage était en état d'être livré le 3 juillet 2009, après le passage de l'Apave, celle-ci ne justifie pas cependant que la réception de l'ouvrage et son raccordement au réseau de distribution d'électricité était prévue le 4 août 2009.

Quoiqu'il en soit, eu égard au délai prévisible d'instruction du dossier par le Consuel, la demande initiée par la société Bouygues le 5 juin 2009 était compatible avec une réception des travaux le 4 août 2009.

Il résulte des pièces versées aux débats qu'après la visite du bureau de contrôle le 5 juin 2009, la société ETDE a adressé sa demande au Consuel le 15 juin suivant.

Alors que cet organisme a sollicité des pièces complémentaires le 15 juillet 2009, c'est seulement par lettre du 4 aout 2009, qu'il a attiré l'attention de la société ETDE sur la nécessité de déposer autant de demandes que de studios, soit 216.

Par lettre du 18 août 2009, le Consuel informait la société ETDE que le dossier était complet et que l'attestation de conformité lui serait adressée "dès que les autres installateurs réalisant les autres travaux d'installation électriques du même chantier auront rempli les conditions nous permettant d'apposer notre visa sur leur attestation".

Suite à la visite du technicien du Consuel, le 1er septembre 2009, la société ETDE a sollicité le 14 septembre 2009 une contre-visite de vérification qui n'a eu lieu que le 5 octobre 2009.

La réception des ouvrages s'est néanmoins tenue le 30 septembre 2009, avant la délivrance des attestations de conformité par le Consuel, le 9 octobre 2009 et le raccordement au réseau public de distribution d'électricité, le 19 octobre suivant.

Ainsi, s'il peut être reproché à la société ETDE, devenue société Bouygues d'avoir manqué à ses obligations contractuelles en ne sollicitant auprès du Consuel qu'une seule attestation de conformité au lieu des 216 nécessaires, il reste que la SCCV Eole ne rapporte pas la preuve du lien de causalité entre cette faute et le retard allégué.

Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu'il a débouté la SCCV Eole de sa demande de paiement de pénalités de retard formée à l'encontre de la société Bouygues.

Au soutien de sa demande de dommages et intérêts formée à l'encontre de la société SLVI, maître d'oeuvre "fluides", pour les mêmes causes, la SSCV allègue un manquement à son obligation d'assistance à réception et dans l'obtention des attestations de conformité du Consuel.

Dès lors, cependant, que la réception des travaux s'est tenue avant l'obtention des ces attestations et qu'il n'existe aucun lien de causalité entre le retard de réception allégué et les difficultés d'obtention des certificats du Consuel, aucune faute ne peut être imputée à la société SVLI au titre du retard.

Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a débouté la SCCV Eole de ce chef de demande.

Sur la demande de dommages et intérêts de la société Bouygues :

La société Bouygues estime avoir subi un préjudice consécutif au retard de son intervention, imputable aux manquements de la SCCV à son obligation de bonne foi et à son devoir de coopération. En effet, son intervention, prévue pour se dérouler de janvier à septembre 2008, ayant été décalée, elle a dû se maintenir sur le chantier neuf mois supplémentaires.

Si, en effet, l'obligation principale du maître d'ouvrage est de payer les travaux qu'il a commandé, le principe général de loyauté qui préside à l'exécution des contrats lui fait également obligation de mettre en oeuvre les moyens nécessaires à la bonne exécution de leurs prestations par ses co-contractants.

Or en l'espèce, l'expert a notamment relevé l'imprécision du planning prévisionnel établi le 20 septembre 2007 et l'absence de document contractuel prévoyant les dates d'intervention de chaque corps d'état. Il a souligné à tous les stades de son expertise, sa difficulté à obtenir des documents précis lui permettant d'analyser les causes du retard pris par le chantier qui a abouti à un premier décalage de la date de livraison de l'opération, du 31 décembre 2008 au 30 mars 2009, et à l'établissement d'un rétro-planning entre la SCCV Eole, le promoteur et la société gestionnaire de l'ensemble immobilier, sans que le document adressé au constructeur n'ait été produit.

L'expert judiciaire a constaté un second retard, à compter du 30 mars 2009, qu'il a imputé à des aléas de chantier et à des retards dans la livraison des ouvrages, principalement liés à des défaillances des entreprises de second oeuvre.

Il a enfin caractérisé un troisième retard en lien avec les difficultés liées à l'obtention de l'attestation de conformité du Consuel.

La réception a été prononcée le 30 septembre 2009.

Dans le cadre des investigations qu'il a mené pour analyser les causes du retard de livraison, l'expert a conclu, non seulement à la défaillance du maître d'oeuvre dans la conduite et la direction du chantier, mais également, compte tenu de l'envergure de l'opération menée, à l'insuffisance de cette mission de base, laquelle aurait due être complétée par une mission autonome et spécifique d'ordonnancement, de pilotage et de coordination (OPC) qui aurait permis de respecter une planification des interventions conforme aux prévisions initiales.

Contrairement à ce que soutient la SCCV Eole, ni le recours à un maître d'oeuvre chargé d'une mission complète relative aux fluides, ni les missions de contrôle confiées à l'Apave n'étaient de nature à compenser l'absence d'OPC qui s'adresse à l'ensemble des intervenants du chantier.

Elle n'est pas plus fondée à tirer argument de l'acceptation de l'organisation initiale de l'opération par les locateurs d'ouvrage avant toute intervention sur le chantier pour s'exonérer de toute responsabilité dans l'organisation et la conduite du chantier et pas davantage du caractère facultatif de la mission d'OPC, dont elle ne pouvait ignorer eu égard à son expérience en la matière, la portée et l'importance.

C'est donc à juste titre que le premier juge a retenu la responsabilité de la SCCV Eole dans le retard pris par le chantier à l'origine du décalage de l'intervention de la société Bouygues.

La société Bouygues argue d'un préjudice calculé sur neuf mois correspondant au retard global pris par le chantier. Elle le répartit en quatre postes, à savoir, les frais supplémentaires d'encadrement, d'effectifs de travaux et de moyens matériels, la perte de rendement liée au non suivi des tâches, le décalage de chiffre d'affaire et son impact sur la couverture des frais généraux de l'entreprise, l'impact financier du non-paiement du décompte général et définitif.

La société Bouygues, dont la durée d'intervention initiale était prévue sur une période de huit mois, ne donne aucune précision quant à ses dates de présence effective sur le chantier.

Cependant, le premier décalage relevé par l'expert du fait des intempéries et de la défaillance du bureau d'étude béton, évalué par le maître d'oeuvre à 80 jours, permet de fixer à deux mois et demi le décalage d'intervention initiale de la société Bouygues. Elle a ensuite subi le retard lié aux aléas de chantier et aux défaillances de second oeuvre, évalué par l'expert à quatre mois.

Enfin, il a été précédemment jugé que le retard lié à l'obtention de l'attestation du Consuel ne pouvait lui être imputé.

Le préjudice de la société Bouygues sera donc calculé sur une période de neuf mois.

Contrairement à ce qu'a décidé le premier juge, le caractère certain et avéré du préjudice dont la société Bouygues demande réparation exclut qu'il soit réparé sur le fondement de la perte de chance.

L'expert a validé le principe des préjudices allégués par la société Bouygues, en ce que la constante réorganisation du chantier a généré des surcoûts de main d'oeuvre, de matériel, de frais généraux et une perte de rendement.

A cet égard toutefois, en l'absence d'élément comptable étayant la formule de calcul sur laquelle la société Bouygues se fonde, il ne sera pas fait droit aux demandes de réparation au titre de la perte de rendement et de la couverture de ses frais généraux.

Par ailleurs, aucun élément du dossier ne permet de connaître la date de mise hors d'eau du chantier, de sorte que l'obligation d'exécuter en deux mois ce qui était prévu en quatre mois n'est pas établie par la société Bouygues qui sera déboutée de sa demande d'indemnisation des frais de main d'oeuvre au titre de "l'amélioration des délais".

Seront donc indemnisés, les frais supplémentaires de personnel d'encadrement (38 204,68 euros HT), de moyens matériels (5 104,16 euros HT), le surcout du compte prorata (780,30 euros HT), pour un montant total de 44 089,14 euros HT soit la somme de 52 906,96 euros TTC au paiement de laquelle sera condamnée la SCVV Eole.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par la société SLVI :

La condamnation à des dommages-intérêts pour procédure abusive suppose, en application des dispositions de l'article 1382 du code civil, d'une part que soit caractérisée la faute de la partie perdante faisant dégénérer en abus l'exercice du droit d'ester en justice et d'autre part, que soit démontré un lien de causalité entre cette faute et le préjudice subi par la partie qui la demande.

En l'absence de preuve d'un abus de droit de l'appelante dont il serait résulté pour elle un préjudice direct différent des intérêts moratoires et de l'indemnité de procédure qu'elle sollicite sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la société SVLI sera déboutée de sa demande indemnitaire pour procédure abusive.

Sur les dépens et les frais non répétibles :

Les dépens de première instance, comprenant les frais d'expertise seront partagés entre la SCCV Eole et la société Bouygues qui triomphent toutes les deux pour partie de leurs prétentions.

Aucune indemnité ne leur sera allouée en application des dispositions de l'article 700 du de procédure civile.

La condamnation de la SCCV Eole à payer à la société SVLI la somme de 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel est confirmée.

Les sociétés Eole et Bouygues garderont la charge de leurs dépens d'appel. Aucune indemnité de procédure ne leur sera allouée.

La SCCV Eole sera toutefois condamnée à régler les dépens exposés par la société SLVI et à lui payer, en équité, une indemnité de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

En application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, les dépens seront recouvrés directement par les avocats qui le demandent.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

INFIRME le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nantes, le 4 février 2016, en ce qu'il a condamné la société Eole Europe III à payer à la société Bouygues Énergies Services :

- la somme de 20 506,62, au titre des travaux supplémentaires,

-la somme de 70 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et à régler les dépens.

LE CONFIRME pour le surplus,

Statuant à nouveau,

CONDAMNE la société Eole Europe III à payer à la société Bouygues Énergies Services la somme de 52 906,96 euros TTC à titre de dommages et intérêts,

DEBOUTE la société Bouygues Énergies Services de sa demande de paiement des travaux supplémentaires,

DIT que les dépens de première instance, comprenant les frais d'expertise seront partagés entre la société Eole Europe III et la société Bouygues Énergies Services, et qu'aucune indemnité de procédure ne leur sera allouée,

DIT que la société Eole Europe III et la société Bouygues Énergies Services conserveront la charge de leurs dépens et de leurs frais de procédure d'appel,

CONDAMNE la société Eole Europe III à régler les dépens exposés en cause d'appel par la société SLVI,

DIT que les dépens seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Eole Europe III à payer à la société SVLI Ingénierie la somme de 2 500 euros application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires.