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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 10 avril 2013, n° 11/11184

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Billot & Cie (SNC), Billot, Azzopardi

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bartholin

Conseillers :

Mme Blum, Mme Reghi

Avocats :

Me Lesenechal, Me Baron, Me Regnier, Me Meurin

TGI Paris, du 19 mai 2011, n° 08/14877

19 mai 2011

La société en nom collectif Billot & Cie a été locataire à titre commercial de la s.c.i. [...] pour des locaux situés [...]ordonnance du 15 octobre 2003, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a constaté la réunion des conditions d'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail liant les parties par suite des commandements de payer infructueux délivrés les 6 mai, 3 juillet et 5 août 2003 et a suspendu les effets de la clause résolutoire en accordant à la s.n.c. Billot & Cie des délais de paiement. Par jugement du 25 octobre 2005, confirmé par arrêt du 26 novembre 2006, le tribunal de grande instance de Paris a constaté que la clause résolutoire était définitivement acquise.

La s.n.c. Billot & Cie a été expulsée des locaux le 13 février 2008 pour la partie commerciale et le 4 juin 2008 pour la partie habitation.

Le 7 octobre 2008, la s.c.i. [...] a assigné la s.n.c. Billot & Cie ainsi que M. Billot et Mme Azzopardi, en leurs qualités d'associés, pour voir condamner la s.n.c. Billot & Cie à lui payer la somme de 515.969 € en réparation du préjudice subi en raison de son occupation des locaux après la résiliation du bail.

Par jugement rendu le 19 mai 2011, le tribunal de grande instance de Paris a :

- déclaré irrecevables les demandes présentées contre M. Roland Billot et Mme Monique Azzopardi,

- condamné la s.n.c. Billot & Cie à payer à la s.c.i. [...] la somme de 22.867,35 € en principal et celle de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la s.n.c. Billot & Cie aux entiers dépens,

- ordonné l'exécution provisoire.

La s.c.i. [...] (s.c.i. [...]) a relevé appel de cette décision le 15 juin 2011. Par ses dernières conclusions du 4 décembre 2012, elle demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a déclarée irrecevable en ses demandes formées contre les associés et limité la condamnation de la société Billot & Cie à la somme de 22.867,35 €,

- condamner in solidum les intimés et à tout le moins la société Billot & Cie à régler la somme de 515.443 € à titre d'indemnité d'occupation,

- débouter la société Billot & Cie, M. Billot et Mme Azzopardi de l'ensemble de leurs demandes,

- condamner in solidum M. Billot, Mme Azzopardi et la s.n.c. Billot & Cie au paiement de la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par leurs dernières conclusions du 15 janvier 2013, la s.n.c. Billot & Cie, M. Billot et Mme Azzopardi demandent à la cour, au visa des articles 1134, 1147 et 1153 du code civil et L. 221-1 du code de commerce, de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré les demandes de la s.c.i. [...] irrecevables à l'encontre de M. Billot et Mme Azzopardi,

- l'infirmer en ce qu'il a condamné la s.n.c. Billot à payer à la s.c.i. [...] la somme de 22.867,35 € en principal et celle de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter la s.c.i. [...] de l'intégralité de ses demandes,

- condamner la s.c.i. [...] à payer la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens.

SUR CE,

Considérant qu'à titre liminaire, il sera rappelé que la s.n.c. Billot & Cie est devenue occupante sans droit ni titre des locaux dont la s.c.i. [...] est propriétaire à compter de l'acquisition de la clause résolutoire visée aux commandements de payer qui lui ont été délivrés les 6 mai, 3 juillet et 5 août 2003, l'acquisition de cette clause ayant été définitivement constatée par jugement du 25 octobre 2005 ; que la s.c.i. [...] réclame paiement de la somme de 515.443 € qu'elle décompose comme suit : 387.104 € à titre d'indemnité d'occupation pour les années 2004 à 2007 ainsi que du 1er janvier 2008 au 31 mai 2008- 219.526 € au titre des règlements effectués + 128.339 € = 515.443 € ;

Qu'il sera également rappelé que le tribunal de commerce de Paris a ouvert la liquidation judiciaire de la s.n.c. Billot & Cie par jugement du 29 septembre 2009 mais que ce jugement a été infirmé par arrêt rendu le 1er juin 2010 par la cour d'appel de Paris qui a dit n'y avoir lieu à ouverture d'une procédure collective ;

Considérant que la s.c.i. [...] qui dirige sa demande en paiement tant contre la s.n.c. Billot & Cie que contre les deux associés de celle-ci, critique en premier lieu le jugement en ce qu'il l'a déclarée irrecevable en sa demande à l'encontre des associés de la société en nom collectif ; qu'elle soutient que la s.n.c. Billot & Cie ne pouvait ignorer lui être redevable d'une indemnité d'occupation et qu'elle a bien respecté les dispositions de l'article L. 222-1 du code de commerce en mettant la société préalablement en demeure par l'assignation qu'elle lui a délivrée le 6 octobre 2008 puis par la déclaration de créance qu'elle a faite le 24 octobre 2009 dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'encontre de la société le 29 septembre 2009 et qu'elle n'a formé sa demande en paiement à l'encontre des associés déjà attraits dans l'instance que par la suite, par ses conclusions du 10 février 2010 ;

Considérant que M. Billot et Mme Azzopardi répliquent que l'appelante n'a fait précéder la présente procédure d'aucune mise en demeure, que l'assignation introductive d'instance du 6 octobre 2008 ne vaut pas mise en demeure de la s.n.c. au sens de l'article L. 221-1 du code de commerce, que de même, l'appelante ne peut tirer argument de la déclaration de créance effectuée dans le cadre de la liquidation judiciaire dans la mesure où cette procédure collective a été annulée par l'arrêt du 1er juin 2010, qu'en outre, cette déclaration de créance effectuée le 24 octobre 2009 n'est pas un acte de mise en demeure préalable à la poursuite des associés intervenue un an plus tôt, qu'en tout état de cause, la mise en demeure prévue par le texte doit mentionner une créance liquide et déterminable ce qui n'est pas le cas en l'espèce, que le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a déclaré la demande à leur encontre irrecevable ;

Considérant que l'article L. 221-1 du code de commerce dispose que "les associés en nom collectif ont tous la qualité de commerçant et répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales. Les créanciers de la société ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu'après avoir vainement mis en demeure la société par acte extrajudiciaire " ; que l'article R. 221-10 précise que le créancier ne peut poursuivre un associé, à défaut de paiement ou de constitution de garanties par la société, que huit jours au moins après mise en demeure de celle-ci" ;

Considérant que si les associés de la société en nom collectif ne sont pas les coobligés de la société et que leur obligation n'est que subsidiaire, il demeure que les premiers juges ont retenu à tort que ces associés ne peuvent être poursuivis que faute pour la société d'acquitter sa dette ce qui suppose que celle-ci soit liquide et déterminable ; que la s.n.c. Billot & Cie a été mise en demeure par l'assignation qui lui a été délivrée aux fins de sa condamnation à paiement, le 7 octobre 2008 ; que M. Billot et Mme Azzopardi qui ne faisaient jusqu'à lors l'objet d'aucune demande pécuniaire n'ont été poursuivis en paiement en leur qualité d'associés que le 10 février 2010 soit plus de huit jours après l'acte extrajudiciaire mettant vainement la s.n.c. en demeure de payer ; que les demandes de la s.c.i. [...] à leur encontre sont en conséquence recevables ;

Considérant que la s.c.i. [...] soutient ensuite que son préjudice a été mal apprécié, que l'indemnité d'occupation de droit commun due par la s.c.i. [...] trouve son fondement dans l'article 1382 du code civil et présente un double caractère compensatoire et indemnitaire, qu'entre 2005 et 2008, le marché locatif a changé, que la valeur locative des locaux occupés était de 159.000 € par an, que la promesse de bail qu'elle a conclu le 10 janvier 2005 avec la société Women's Secret et qui n'a pu se réaliser par la faute de la s.n.c. Billot & Cie prévoyait un bail à palier de 120.000 € la 1ère année, 130.000 € la 2ème année, 140.000 € la 3ème année, 150.000 € la 4ème année et 160.000 € la 5ème année et au-delà, que le montant de l'indemnité d'occupation due du 1er janvier 2004 au 31 mai 2008 doit être fixée à ces montants soit à la somme totale de 606.630 € dont il convient de déduire la somme de 219.526 € versés par la s.n.c. Billot & Cie sur cette période et que la s.n.c. Billot & Cie reste en conséquence lui devoir 387.104 € à ce titre ;

Qu'elle ajoute avoir subi par la faute de la s.n.c. Billot & Cie qui n'a libéré les lieux qu'en 2008, un préjudice tenant au fait que compte tenu du retournement du marché en 2007, elle n'a pu relouer les lieux le 6 juin 2008 qu'au prix de 132.000 € par an alors que si le bail envisagé avec la société Women's Secret n'avait pas été entravé par la s.n.c. Billot & Cie, elle aurait perçu la somme de 160.000 € par an ; qu'elle en demande également réparation à concurrence de 128.339 € correspondant au différentiel de loyer calculé sur la durée restant à courir d'un bail de 9 ans à compter du 1er juin 2008 ;

Considérant que les intimés répliquent que par son ordonnance du 15 octobre 2008, le juge des référés a fixé les échéances de paiement sur la base du loyer en cours et qu'il ne peut être considéré à présent que l'indemnité d'occupation, qu'il est en outre d'usage de fixer au montant du loyer en cours, doit être égale à la valeur locative du marché, que la s.c.i. [...] a manifestement renoncé à lui réclamer une indemnité d'occupation basée sur un autre prix que celui des loyers en cours, que le montant de l'indemnité d'occupation ne saurait être supérieur à celui qui avait été fixé dans le cadre de la procédure en fixation de loyer par arrêt du 27 juin 2003 à 54.881,65 € en principal par an, que la promesse de bail commercial sous conditions suspensives conclu entre la s.c.i. [...] et la société Women's Secret ne peut fonder un quelconque préjudice, d'autant qu'elle est nulle en application de l'article 1589-2 du code civil pour n'avoir pas été enregistrée et qu'elle n'a pas date certaine, que le lien de causalité entre l'impossibilité de relouer et le défaut de libération des lieux n'est au surplus pas établi, que par ailleurs, l'unique référence de valeur locative citée, un loyer fixé au 7 janvier 2000, est totalement inadaptée, qu'en tout état de cause, le nouveau bail conclu en juin 2008 par la s.c.i. [...] est particulièrement intéressant pour elle avec un droit d'entrée de 1.250.000 € qui lui a permis de réparer tout type de préjudice ;

Que formant appel incident, ils demandent l'infirmation du jugement en ce qu'il a condamné la s.n.c. Billot & Cie au paiement de la somme de 22.867,35 € au titre de l'occupation des lieux du mois de janvier au mois de juin 2008 (5/12 de l'indemnité d'occupation annuelle de 54.881.65 €) alors que l'appelante n'a jamais réclamé cette somme réglée depuis fort longtemps et notamment par compensation avec le dépôt de garantie et que le local commercial a été restitué dès le 13 février 2008.

Considérant que la s.c.i. [...] agit en réparation d'un préjudice né de l'occupation sans titre par la s.n.c. Billot & Cie des locaux qu'elle lui avait précédemment loués ; que les intimés ne sont pas fondés à lui opposer les dispositions d'une ordonnance de référé qui n'a pas au principal l'autorité de la chose jugée ; que par ailleurs, ils ne démontrent pas que l'appelante ait jamais renoncé à leur réclamer une indemnité d'occupation excédant le montant du dernier loyer effectivement réglé par la s.n.c. Billot & Cie jusqu'au 1er janvier 2008 ;

Considérant qu'il demeure que si l'indemnité d'occupation de droit commun a vocation à réparer, sur le fondement de l'article 1382 du code civil, le préjudice né d'un maintien indu dans les lieux après la résiliation du bail et a une autre nature que le loyer contractuel, la s.c.i. [...] qui ne procède que par affirmations, ne fait pas la charge qui lui incombe de la modification du marché locatif entre 2005 et 2008 qu'elle allègue ni de ce que pour la période considérée, son préjudice aurait excédé le montant du dernier loyer fixé à la valeur locative ; que si les intimés sont mal fondés à invoquer, sur le fondement de l'article 1589-2 du code civil inapplicable à cet acte qui n'est pas un engagement unilatéral, la nullité de la promesse synallagmatique de bail qu'elle a conclu avec la société Women's Secret France ainsi qu'une prétendue absence de date certaine démentie par les correspondances produites, la s.c.i. [...] n'est elle-même pas fondée à en opposer le prix à son ancienne locataire dès lors qu'il s'agit d'une promesse de bail sous diverses conditions suspensives dont l'accord préalable du conseil d'administration de la société mère de la locataire pressentie et que la preuve n'est pas rapportée de ce que cette condition a même été remplie ; que pour le surplus le loyer et les conditions financières du bail conclu le 6 juin 2008 avec un nouveau locataire ne sont pas de nature à établir que l'indemnité d'occupation due par la s.n.c. Billot & Cie à partir de la résiliation de son bail aurait excédé le montant du dernier loyer ;

Considérant que pour ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, le jugement sera confirmé en ce qu'il a fixé l'indemnité d'occupation à la somme de 54.881,65 € par an et tenant compte des règlements effectués jusqu'au 1er janvier 2008, a condamné la s.n.c. Billot & Cie à payer à la s.c.i. [...] la somme de 22.867,35 € ; qu'il sera ajouté que les intimés ne font pas la preuve d'un quelconque règlement après le 1er janvier 2008, qu'ils ne demandent pas le remboursement du dépôt de garantie de sorte que l'argument tiré de la compensation est à ce stade sans portée et qu'ils ne sont pas fondés à se prévaloir de ce qu'ils ont été expulsés de la partie commerciale des lieux le 13 février 2008 dès lors que l'appartement n'ayant été libéré qu'en 4 juin 2008, les locaux commerciaux pour le tout n'ont réellement été totalement libérés qu'à cette date ;

Considérant que pour le surplus, les premiers juges ont à juste titre retenu l'absence de lien de causalité démontré entre la non-réalisation de la promesse de bail avec la société Women's Secret puis avec la perte de loyers et le maintien de la s.n.c. Billot & Cie dans les lieux, pour rejeter les demandes au titre d'un préjudice distinct de celui découlant de ce maintien sans droit ;

Considérant que le jugement sera en conséquence confirmé sauf en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes à l'encontre de M. Billot et Mme Azzopardi ; que ceux-ci en leur qualité d'associés répondant indéfiniment et solidairement des dettes sociales, seront condamnés à paiement solidairement avec la s.n.c. Billot & Cie ;

Considérant que la s.n.c. Billot & Cie, M. Billot et Mme Azzopardi qui succombent partiellement supporteront solidairement les dépens de première instance et d'appel ; que vu l'article 700 du code de procédure civile, ils seront également solidairement condamnés à payer à la s.c.i. [...] la somme de 3.000 € pour ses frais irrépétibles, leur propre demande à ce titre étant rejetée ;

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de la s.c.i. [...] l'encontre de M. Billot et Mme Azzopardi ainsi que sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant nouveau sur les chefs infirmés,

Déclare la s.c.i. [...] recevable en ses demandes l'encontre de M. Billot et Mme Azzopardi ;

Dit que M. Billot et Mme Azzopardi sont solidairement tenus avec la s.n.c. Billot & Cie des condamnations prononcées l'encontre de celle-ci ;

Condamne solidairement la s.n.c. Billot & Cie, M. Billot et Mme Azzopardi à payer à la s.c.i. [...] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de toutes autres demandes ;

Condamne solidairement la s.n.c. Billot & Cie, M. Billot et Mme Azzopardi aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés, s'agissant des dépens d'appel, conformément l'article 699 du code de procédure civile."