Cass. crim., 19 mai 2010, n° 09-83.685
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Avocats :
SCP Masse-Dessen et Thouvenin, SCP de Chaisemartin et Courjon
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des articles L. 653-2, L. 653-8 et L. 654-15 du code de commerce, 111-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Gérard X..., coupable du délit d'exercice d'une activité de gestion d'une société commerciale malgré une interdiction de gérer prononcée le 11 juillet 1996 par le tribunal de commerce ;
" aux motifs que la gestion de fait de la société LIE était tout d'abord affirmée par Sébastien Y... et ses dires ne pouvaient être écartés du seul fait qu'ils émanaient d'un comis en examen qui aurait intérêt à se disculper en rejetant sa responsabilité sur autrui ; qu'il convenait au contraire de rechercher si cette affirmation était corroborée ou non par d'autres éléments du dossier, étant observé que la preuve de la gestion de fait de Gérard X... n'exonérait pas Sébastien Y... de ses responsabilités en qualité de gérant de droit de la société LIE ; que, selon les déclarations de M. Z..., le choix qui avait été fait de s'associer au prévenu résultait de l'expérience affichée par celui-ci dans l'activité de management d'entreprise, précisant que c'était ce dernier qui devait au quotidien assurer la gestion de la société LIE ; que, de ce fait, Gérard X... avait assuré pleinement la direction effective de la société LIE, ce qui avait été rapporté par plusieurs témoins travaillant au sein de la société ; qu'ainsi, l'expert-comptable Carteron avait expliqué l'emprise du prévenu sur le gérant de droit en raison de la différence d'âge et de sa personnalité, indiquant qu'il procédait aux embauches, s'assurait des achats au sens large, supervisait la comptabilité et le traitement des payes qui étaient établies sur le fondement de ses informations ; que Mme A..., secrétaire commerciale, avait également déclaré aux services de police qu'elle croyait que le patron de l'entreprise était Gérard X..., puisque c'était lui qui prenait toutes les décisions au quotidien, pensant que Sébastien Y... était un subalterne et ignorant que c'était ce dernier qui était le seul détenteur de la signature bancaire ; que la secrétaire avait détaillé ensuite les nombreuses activités de Gérard X... tant au regard de l'embauche du personnel, des plannings de travail des ouvriers que de la gestion des problèmes des chantiers, ajoutant que c'était lui qui réceptionnait les marchandises et donnait son aval pour le règlement ultérieur, après avoir négocié les achats de fournitures ; que parmi les personnes extérieures à la société telles que Sylvain B..., chef de travaux de l'entreprise sous-traitante Tradybel, il était acquis que c'était le prévenu qui dirigeait la société ; que cette donnée avait été confirmée par les ouvriers qui étaient intervenus au domicile de la compagne de Gérard X... ; que le contrat de travail liant le prévenu à la société LIE le désignait d'ailleurs bien au poste de directeur général et non au poste de simple directeur comme le soutenait l'intéressé ; que, par ailleurs, s'il avait effectivement signé sept contrats de travail d'ouvriers de la société LIE en utilisant une autre signature que la sienne, c'était uniquement pour pallier la défaillance du gérant ; que peu importait que Sébastien Y... eût été le seul détenteur de la signature bancaire, car cela n'enlevait rien à la gestion de fait de Gérard X..., lequel, en raison de sa qualité d'interdit bancaire, pouvait difficilement être titulaire d'une signature bancaire ; que, par ailleurs, le fait que Sébastien Y..., en sa qualité de gérant de droit, pût exercer les fonctions qui étaient légalement les siennes, n'empêchait nullement que l'exercice parallèle par le prévenu de fonctions de directeur de fait, sachant que l'un n'était pas exclusif de l'autre ; qu'ainsi, il résulte de l'ensemble des témoignages recueillis par les enquêteurs que Gérard X... avait accompli, en toute indépendance et en l'absence de tout mandat, des actes de gestion courante dès le début d'activité de la société et ce, nonobstant le fait que Sébastien Y..., gérant de droit et unique titulaire de la signature bancaire, entretenait seul des relations avec la banque, de sorte que l'infraction était caractérisée ;
" alors que le délit prévu à l'article L. 654-15 du code de commerce qui sanctionne la violation de l'interdiction de gérer une entreprise commerciale précédemment prononcée, n'est consommé que si l'intéressé a exercé une activité professionnelle en qualité de dirigeant de fait, c'est-à-dire en exerçant cumulativement les fonctions de direction et d'administration en lieu et place du gérant de droit ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que Sébastien Y..., en sa qualité de gérant de droit, exerçait effectivement les fonctions qui étaient légalement les siennes et notamment entretenait, seul, des relations avec la banque et était l'unique titulaire de la signature bancaire, la cour d'appel ne pouvait, sans méconnaître les conséquences légales de ses propres constatations, décider que le demandeur avait géré la société à la place du gérant de droit " ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 241-3. 4° et L. 241-9 du code de commerce, 121-3 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Gérard X..., coupable du délit d'abus de biens sociaux commis de novembre 2003 au 3 mars 2005 ;
" aux motifs que le prévenu avait utilisé la carte bancaire de la société de manière habituelle et quasi-exclusive, avait procédé à des retraits en espèces et à des dépenses dont il n'avait pas été en mesure de justifier la cause auprès de l'expert-comptable, au vu de comptes d'attente établis et annotés par ses soins ; qu'il avait également fait usage de chèques bancaires établis sur les comptes de la société pour procéder à des dépenses personnelles ou au bénéfice de sa compagne ; que Gérard X... avait convenu que ces tirages lui bénéficiaient directement ou indirectement dans le cadre des travaux faits dans l'établissement de Mme D..., laquelle avait déclaré sa bonne foi en prenant l'engagement de désintéresser Me C... à hauteur de 12 806, 87 euros, montant correspondant aux travaux faits à son domicile et payés par la société LIE, ainsi qu'au prix d'achat d'un barbecue et d'un téléviseur de sorte qu'il s'était ainsi rendu coupable du délit d'abus de biens sociaux ;
" 1°) alors que le délit d'abus de biens sociaux ne peut être commis dans une SARL que par le gérant de droit ou le gérant de fait qui agit ainsi sous le couvert et en lieu et place du représentant légal ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que Sébastien Y..., en sa qualité de gérant de droit, exerçait effectivement les fonctions qui étaient légalement les siennes et notamment entretenait, seul, des relations avec la banque et était l'unique titulaire de la signature bancaire, la cour d'appel ne pouvait, sans méconnaître les conséquences légales de ses propres constatations, décider que le demandeur avait, en fait, géré la société en lieu et place du gérant de droit ;
" 2°) alors que le délit d'abus de biens sociaux est une infraction intentionnelle qui requiert la preuve de la mauvaise foi du mis en cause ; que la cour d'appel ne pouvait se borner à indiquer que les dépenses litigieuses présentaient un caractère personnel, pour en déduire que le délit était caractérisé, sans s'interroger davantage sur la mauvaise foi du prévenu " ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 654-1 et L. 654-2 5° du code de commerce, 121-3 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Gérard X..., coupable du délit de banqueroute par tenue de comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière de novembre 2003 au 3 mars 2005 ;
" aux motifs que, pour dissimuler les détournements d'actifs, Gérard X... avait tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière, en omettant d'établir un compte caisse de nature à enregistrer et à justifier les dépenses effectués au cours du dernier semestre de l'année 2004 au moyen de la carte bancaire de la société LIE, quand cette dernière avait été déclarée en état de liquidation judiciaire le 26 avril 2005 ; qu'il s'était donc ainsi rendu coupable du délit de banqueroute par tenue de comptabilité incomplète ou irrégulière ;
" 1°) alors que, selon les dispositions de l'article L. 654-1 du code de commerce, le délit de banqueroute ne peut être reproché qu'aux personnes qui ont, directement ou indirectement, en droit ou en fait, dirigé ou liquidé une personne morale de droit privé ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que Sébastien Y..., en sa qualité de gérant de droit, exerçait effectivement les fonctions qui étaient légalement les siennes et notamment entretenait, seul, des relations avec la banque et était l'unique titulaire de la signature bancaire, la cour d'appel ne pouvait, sans méconnaître les conséquences légales de ses propres constatations, décider que le demandeur avait, en fait, géré la société à la place du gérant de droit ;
" 2°) alors que, le délit de banqueroute par tenue de comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière est une infraction intentionnelle qui requiert la preuve de la mauvaise foi du mis en cause ; que la cour d'appel ne pouvait, pour justifier la déclaration de culpabilité, se contenter d'indiquer que le demandeur avait omis d'établir un compte caisse de nature à enregistrer les dépenses effectuées au cours du dernier semestre de l'année 2004 au moyen de la carte bancaire de la société, sans se prononcer sur le fait que c'était à l'expert-comptable de la société d'enregistrer les dépenses dans un tel compte et sans relever concomitamment que l'omission litigieuse aurait volontairement été imposée à ce comptable " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance, ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable, et a ainsi justifié l'allocation, au profit de la partie civile, de l'indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;
D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause ainsi que des éléments de preuve soumis aux débats contradictoires, ne sauraient être admis ;
Mais sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'ancien article 152-6 du code du travail en vigueur à l'époque des faits, des articles 112-1, 131-27, 445-1 et 445-3 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué, après requalification, a déclaré Gérard X..., coupable du délit de corruption active d'une personne n'exerçant pas une fonction publique et l'a condamné de ce chef, sur le fondement de l'article 445-1 du code pénal, pour des faits commis courant 2004 et a prononcé à son encontre l'interdiction pour une durée de cinq ans d'exercer l'activité professionnelle à l'occasion de laquelle l'infraction de corruption avait été commise ;
" aux motifs que Sylvain B..., conducteur de travaux à la société Tradybel, entreprise privée de construction de maisons individuelles, admettait que le choix des entreprises sous-traitantes lui appartenait et que c'était lui qui avait reçu et agréé les offres commerciales de la société LIE ; qu'il reconnaissait que, vers la fin du premier semestre 2004, Sébastien Y... lui avait fait savoir qu'à l'approche des vacances, il souhaitait offrir, à lui et à son épouse, un voyage, ce qu'il avait accepté, pensant que cette démarche était réellement faite pour fidéliser les opérations de soustraitance ; que le conducteur de travaux avait précisé qu'il avait, par la suite, eu affaire à Gérard X... pour les modalités du voyage, lequel lui avait demandé de lui adresser un devis, ce qu'il avait fait ; que ce faisant, le délit de corruption active de salariés prévu à l'article 445-1 du code pénal était consommé à l'encontre de Sébastien Y... et Gérard X... et celui de corruption passive à l'encontre de Sylvain B... ;
" 1°) alors que la loi pénale plus sévère n'est pas applicable aux faits commis avant son entrée en vigueur ; que les faits de corruption de salarié reprochés au demandeur, commis courant août 2004, étaient incriminés à l'article L. 152-6 du code du travail qui excluait la qualification pénale si l'acte litigieux était commis avec l'approbation de l'employeur et qui prévoyait une sanction maximale de deux années d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende ; que la loi du 5 juillet 2005 a créé un nouveau délit de corruption de personnes n'exerçant pas une fonction publique désormais prévu à l'article 445-1 du code pénal, punissable de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende, qui supprime le fait justificatif du consentement de l'employeur ; que ces nouvelles dispositions, plus sévères tant au regard des éléments constitutifs que des pénalités encourues, sont inapplicables aux faits commis avant leur entrée en vigueur, de sorte qu'en statuant comme elle l'a fait la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ;
" 2°) alors que le délit de corruption de salarié prévu à l'ancien article L. 152-6 du code du travail applicable aux faits de l'espèce ne prévoit pas comme peine complémentaire l'interdiction d'exercer une activité professionnelle à l'occasion de laquelle l'infraction de corruption a été commise ; qu'en prononçant cette mesure pour une durée de cinq ans à l'encontre du demandeur, la cour a violé le principe conventionnel de la non-rétroactivé des peines plus sévères " ;
Vu l'article 112-1 du code pénal ;
Attendu qu'une loi pénale modifiant une incrimination ne peut s'appliquer à des faits commis antérieurement à sa promulgation et non encore définitivement jugés lorsqu'elle modifie les éléments de cette incrimination dans un sens défavorable au prévenu ;
Attendu que, selon ce texte, seules peuvent être prononcées les peines légalement applicables à la date à laquelle les faits constitutifs d'une infraction ont été commis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt que Gérard X... a été poursuivi notamment du chef d'abus de biens sociaux pour avoir fait prendre en charge par sa société le coût d'un voyage d'agrément dont a bénéficié le salarié d'une entreprise pour obtenir de celle-ci un marché ; que les juges du second degré ont dit que ces faits constituaient le délit de corruption active, prévu et réprimé par l'article 445-1 du code pénal, issu de la loi du 4 juillet 2005, et ont prononcé à l'encontre du prévenu " l'interdiction, pour une durée de cinq ans, d'exercer l'activité professionnelle à l'occasion de laquelle l'infraction de corruption a été commise " ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que, d'une part, à l'époque des faits, ce délit était prévu par l'article L. 156 du code du travail qui comportait des éléments constitutifs différents dans un sens plus favorable au prévenu, d'autre part, la peine complémentaire, introduite par l'article 445-1 du code pénal, n'était pas légalement prévue à la date de la commission des faits, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Lyon, en date du 29 avril 2009, mais en ses seules dispositions pénales et civiles relatives au délit de corruption et aux peines prononcées, toutes autres dispositions étant expressément maintenue ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Grenoble, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Lyon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.