CA Versailles, 14e ch., 20 octobre 2022, n° 22/01163
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
LA MIE D'OR (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme GUILLAUME
Conseillers :
Mme IGELMAN, Mme DE ROCQUIGNY DU FAYEL
Avocats :
SELARL FEUGAS AVOCATS, SELARL ALEXANDRE BRESDIN CHARBONNIER
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 29 novembre 2007, à effet au 1er septembre 2007, M. [U] et Mme [Y] épouse [U] ont donné à bail commercial à M. et Mme [T] des locaux sis [Adresse 4], à usage de boulangerie, pâtisserie, confiserie, glaces et traiteur.
Le fonds de commerce a été cédé à M. [E] [F] et Mme [O] [D] le 30 septembre 2008 puis à la société La Mie d'or le 7 août 2015.
Le bail s'est poursuivi par tacite reconduction au-delà du 1er septembre 2016. Le 7 mai 2019, la société La Mie d'or a sollicité par voie d'huissier le renouvellement du bail à effet au 1er juillet 2019, ce qui a été accepté par le bailleur.
Par acte d'huissier du 15 janvier 2021, M. et Mme [U] ont signifié à la société La Mie d'or un commandement de payer la somme de 29 443, 97 euros visant la clause résolutoire.
Par acte d'huissier de justice délivré le 20 mai 2021, M. et Mme [U] ont fait assigner en référé la société La Mie d'or aux fins d'obtenir principalement :
- sa condamnation à leur verser la somme provisionnelle de 29 443,97 euros au titre des loyers et charges impayés échus au 1er juin 2021 avec intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation,
- la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire,
- son expulsion et celle de toute personne de son chef avec l'assistance du commissaire de police, d'un serrurier et de la force publique si besoin est,
- sa condamnation à leur payer, à titre de provision, une indemnité d'occupation mensuelle d'un montant équivalent à celui du loyer et des charges en cours, jusqu'à complet départ des lieux vides de tous meubles et effets,
- sa condamnation à payer au titre de la clause pénale, une indemnité égale à 20 % des sommes dues au bailleur en réparation du préjudice subi.
Par ordonnance contradictoire rendue le 3 février 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Versailles a :
-constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail du 29 novembre 2007 cédé à la société La Mie d'or le 7 août 2015 et la résiliation de ce bail à la date du 15 février 2021,
- ordonné, si besoin avec le concours de la force publique, l'expulsion de la société La Mie d'or et de tous occupants de son chef des locaux,
- condamné la société La Mie d'or à payer à M. et Mme [U] la somme provisionnelle de 20 820 euros au titre des loyers et charges impayés à la date du commandement de payer du 15 janvier 2021,
-condamné la société La Mie d'or à payer à M. et Mme [U], à titre de provision, une indemnité d'occupation d'un montant mensuel équivalent à celui du loyer et des charges prévus contractuellement à compter du 15 février 2021 et jusqu'à complète libération des lieux,
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande formulée au titre de la clause pénale,
- déclaré irrecevable la demande formulée par la société La Mie d'or au titre des travaux pour remédier à l'insalubrité,
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande formulée au titre de la demande d'indemnisation du préjudice pour non communication du dossier de diagnostics techniques,
- condamné la société La Mie d'or à payer à M. et Mme [U] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société La Mie d'or au paiement des dépens comprenant le coût du commandement de payer du 15 janvier 2021.
Par déclaration reçue au greffe le 25 février 2022, la société La Mie d'or a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.
Par conclusions du 22 juillet 2022, la SELARL JSA prise en qualité de mandataire judiciaire de la société La Mie d'or suivant un jugement du tribunal de commerce de Versailles en date du 7 juillet 2022 ouvrant une procédure de redressement judiciaire a indiqué intervenir volontairement à l'instance.
Dans ses conclusions déposées le 1er septembre 2022, la SELARL JSA prise en qualité de mandataire judiciaire de la société La Mie d'or demande à la cour de :
- la déclarer recevable en la forme, en son intervention principale volontaire ;
- infirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
statuant à nouveau,
- dire n'y avoir lieu à référé ;
- se déclarer incompétent par suite du défaut d'urgence et de l'existence d'une contestation sérieuse ;
- rejeter la demande d'acquisition la clause résolutoire du bail pour défaut de paiement des loyers antérieurement à l'ouverture de la procédure collective ;
- renvoyer les parties à mieux se pourvoir au fond ;
- ordonner la réalisation par M. et Mme [J] [U], sous astreinte de 100 euros par jour à compter de la signification de la décision à venir, des travaux permettant la sortie de l'état d'insalubrité des locaux ;
- condamner à titre provisionnel M. et Mme [J] [U] à payer à la société La Mie d'or la somme de 5 614,20 euros en remboursement des provisions versées depuis les cinq dernières années ;
- condamner à titre provisionnel M. et Mme [J] [U] à payer à la société La Mie d'or la somme de 50 234 euros correspondant aux loyers impayés sollicités par les bailleurs à titre d'indemnisation du préjudice subi en raison du trouble de jouissance et le manquement à l'obligation de délivrance ;
- condamner à titre provisionnel M. et Mme [J] [U] à payer à la société La Mie d'or la somme de 10 000 euros pour l'indemnisation du préjudice subi en raison de l'absence de communication du dossier de diagnostics techniques ;
- constater la compensation des sommes dues entre les parties et fixer en conséquence les sommes éventuelles dues par la société La Mie d'or aux époux [U] à son passif ;
- condamner M. et Mme [J] [U] à lui verser ainsi qu'à la société La Mie d'or une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Dans leurs dernières conclusions déposées le 2 septembre 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, M. et Mme [U] demandent à la cour, au visa des articles 834 et 835 du code de procédure civile, 1134, 1741 et 1219 du code civil, L. 145-41 du code de commerce et L. 521-1 du code de la construction et de l'habitation, de :
à titre principal, vu l'évolution du litige tenant à l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société La Mie d'or, postérieurement au prononcé de la décision dont appel et pendant l'instance d'appel :
- constater la caducité de l'ordonnance de référé dont appel et le dessaisissement de la cour ;
- débouter les appelantes de toutes leurs demandes ;
- renvoyer les parties à se pourvoir devant le juge du fond, le juge commissaire ;
subsidiairement :
- infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a constaté l'acquisition de la clause résolutoire, ordonné l'expulsion de l'appelante et l'a condamnée à payer une provision sur loyers dus antérieurement à l'ouverture de la procédure collective et à payer une indemnité d'occupation ;
- rejeter comme irrecevables, et à défaut mal fondées, toutes les autres demandes des appelantes, dont leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- employer les dépens en frais privilégiés de procédure collective.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 septembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il convient à titre liminaire de donner acte à la Selarl JSA prise en la personne de Maître [N] de son intervention volontaire en qualité de mandataire de la société La Mie d'or.
Au visa de l'article L. 622-21 du code de commerce, les appelantes font valoir que postérieurement à l'ordonnance déférée, le tribunal de commerce de Versailles a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société La Mie d'or.
Elles soutiennent qu'au jour de l'ouverture du redressement judiciaire de la société La Mie d'or, l'acquisition de la clause résolutoire du bail constatée par l'ordonnance du 3 février 2022 pour défaut de paiement des loyers antérieurs à l'ouverture de la procédure collective n'a pas été constatée par une décision passée en force de chose jugée de sorte qu'eu égard à l'interruption des poursuites individuelles, M. et Mme [J] [U] ne peuvent plus poursuivre l'action antérieurement engagée.
Elles affirment que les provisions sur charges doivent être remboursées dès lors que les charges annuelles n'ont pas été régularisées conformément aux dispositions du code de commerce.
Elles font valoir que le local loué subit depuis de nombreuses années d'importants problèmes d'infiltrations et que le logement attenant est insalubre, un arrêté de péril ayant été pris par le maire le 12 novembre 2021 enjoignant aux bailleurs de procéder à la réparation de la toiture, la mise aux normes de l'électricité et le confortement du bâti, travaux qui n'ont été réalisés que très partiellement.
Arguant du manquement des bailleurs à leur obligation de délivrance et de leur mauvaise foi lors de la délivrance du commandement de payer, les appelantes sollicitent leur condamnation à verser à la société La Mie d'or une indemnité provisionnelle au titre de son préjudice de jouissance.
Elles sollicitent également la condamnation de M. et Mme [U] à réaliser sous astreinte les travaux nécessaires pour remédier à l'insalubrité du local.
Elles exposent enfin que les bailleurs n'ont pas fait réaliser le dossier de diagnostics techniques qui leur incombait lors du renouvellement du bail, ce qui constitue un dol justifiant l'octroi d'une indemnité provisionnelle à valoir sur l'indemnisation de la société La Mie d'or.
En réponse, M. et Mme [J] [U] exposent que l'ouverture d'une procédure collective rend caduque l'ordonnance de référé et entraîne le dessaisissement de la cour.
Ils en déduisent que les appelantes ne sont pas recevables à maintenir leurs autres demandes tirées d'un défaut prétendu de justification des charges et d'un manquement à leur obligation de délivrance et exposent qu'en tout état de cause, ces demandes relèvent exclusivement du juge commissaire.
Très subsidiairement, ils concluent au rejet des demandes des appelantes, faisant valoir en premier lieu que les loyers sont partiellement impayés depuis 2018 et que les loyers courants ne sont pas réglés.
Ils exposent que les doléances de la société La Mie d'or ayant abouti à l'arrêté de péril ne lui ont été transmises qu'après l'acquisition de la clause résolutoire, qu'au surplus, la locataire a continué à occuper le local et à exploiter son fonds de commerce et que l'arrêté de péril est sans incidence sur le principe du versement d'une indemnité d'occupation, dès lors que la société La Mie d'or est désormais occupante sans droit ni titre.
Ils font valoir que l'obligation de fournir un dossier de diagnostics techniques n'est imposée au bailleur que lors de la conclusion du bail, et non à l'occasion de son renouvellement, et qu'au surplus le dol ne se présume pas.
Ils affirment n'avoir été informés des désordres affectant éventuellement le local loué que tardivement, ne s'être pas trouvés en mesure d'y remédier et n'avoir donc pas manqué à leur obligation de délivrance, affirmant en outre que la société La Mie d'or est responsable des troubles dont elle se plaint puisque son gérant a reconnu avoir refait lui-même l'électricité.
M. et Mme [U] exposent que les travaux réclamés par les appelantes ne sont ni déterminés ni déterminables et que, sur le fond, le bail n'existe plus et la société La Mie d'or, occupante sans droit ni titre, est mal fondée à solliciter leur réalisation.
Surabondamment, ils font valoir en premier lieu que l'absence de paiement des loyers par la locataire les prive de leurs revenus et rend impossible la prise en charge des travaux et d'autre part, que le défaut d'entretien est imputable à la société La Mie d'or.
Ils s'opposent à l'octroi de délais de paiement et de suspension de la clause résolutoire, faisant valoir qu'il s'agit d'une demande nouvelle en appel et, sur le fond, que la locataire a fait preuve de mauvaise foi.
Sur ce,
L'article L. 145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit à peine de nullité mentionner ce délai.
L'article L. 622-21 I du code de commerce dispose que le jugement d'ouverture d'une procédure collective 'interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant :
1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ;
2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.'
Au cas présent, la décision dont appel date du 3 février 2022 tandis que la procédure de redressement judiciaire de la société La Mie d'or a été ouverte par jugement du tribunal de commerce de Versailles du 7 juillet 2022.
La décision du 3 février 2022 rendue en premier ressort et régulièrement frappée d'appel, n'était en conséquence pas passée en force de chose jugée au 7 juillet 2022.
En application des textes susvisés, à défaut de décision passée en force de chose jugée antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, une demande tendant à la constatation en référé de l'acquisition d'une clause résolutoire d'un bail commercial pour défaut de paiement de loyers échus avant l'ouverture de la procédure collective se heurte à l'interdiction des poursuites et doit être déclarée irrecevable.
Il est par ailleurs constant que seules les condamnations prononcées par le juge du fond peuvent faire l'objet d'une fixation au passif d'une société en redressement judiciaire et qu'une provision susceptible d'être accordée par le juge des référés n'étant par nature qu'une créance provisoire, ne peut faire l'objet d'une telle fixation, la demande concernant cette créance devant être soumise au juge-commissaire dans le cadre de la procédure de vérification des créances.
Par voie d'infirmation, il convient dès lors de déclarer M. et Mme [J] [U] irrecevables en leurs demandes d'acquisition de la clause résolutoire, d'expulsion et de provision.
Sur la demande de condamnation des bailleurs à effectuer des réparations sous astreinte, force est de constater en premier lieu que la formulation de cette prétention par les appelantes qui sollicitent la réalisation 'des travaux permettant la sortie de l'insalubrité des locaux', est trop imprécise pour donner lieu à condamnation, dès lors que les travaux réclamés ne sont pas déterminables et qu'aucune exécution forcée n'est envisageable en l'état de cette rédaction.
Au surplus, M. et Mme [U] soulèvent plusieurs contestations sérieuses liées à l'absence d'avertissement par la locataire des désordres affectant le local loué antérieurement à la procédure de résiliation du bail et à la réalisation de certains travaux d'électricité en cours de bail par le gérant de la société La Mie d'or lui-même.
Il n'y a donc pas lieu à référé sur cette demande, ni sur les demandes de provision formées par la société La Mie d'or et la Selarl JSA en qualité de mandataire qui apparaissent en l'état sérieusement contestables pour les mêmes motifs, et l'ordonnance querellée sera confirmée en ce sens.
Sur les demandes accessoires
Compte tenu des faits de l'espèce et de l'évolution procédurale de la situation de l'appelante, l'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a statué sur les frais irrépétibles ainsi que sur les dépens sauf à préciser qu'ils seront à la charge de Maître [N], en qualité de mandataire judiciaire de la société La Mie d'or.
A hauteur d'appel, chacune des parties conservera la charge des dépens par elles exposés.
En équité, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant par arrêt contradictoire,
Vu le jugement du tribunal de commerce de Versailles rendu le 7 juillet 2022 ordonnant l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société La Mie d'or ,
Donne acte à la Selarl JSA prise en la personne de Maître [S] [N] de son intervention volontaire en sa qualité de mandataire judiciaire de la société La Mie d'or,
Infirme l'ordonnance entreprise en date du 3 février 2022 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a statué sur les frais irrépétibles ainsi que sur les dépens et sauf à préciser qu'ils seront à la charge de Maître [N], en qualité de mandataire judiciaire de la société La Mie d'or,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare M. et Mme [J] [U] irrecevables en leurs demandes,
Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes formées par la société La Mie d'or et la Selarl JSA en qualité de mandataire ;
Dit que chaque partie conservera la charge des dépens par elle exposés à hauteur d'appel,
Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel.
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Madame NicoletteGUILLAUME, présidente, et par Madame Élisabeth TODINI, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.