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Décisions

Cass. crim., 29 juin 2011, n° 10-82.603

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Rapporteur :

Mme Ract-Madoux

Avocats :

SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Waquet, Farge et Hazan

Angers, du 2 mars 2010

2 mars 2010


Statuant sur les pourvois formés par :

- M. Jean-Louis X...,
- M. Hubert Y...,

contre l'arrêt de la cour d'appel d'ANGERS, chambre correctionnelle, en date du 2 mars 2010, qui, pour corruption, les a condamnés, chacun, à six mois d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire commun aux demandeurs et le mémoire en défense produits ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article préliminaire et des articles 591 à 593 du code de procédure pénale, de l'article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, des principes du respect des droits de la défense, d'égalité des armes, défaut de base légale, défaut de motifs ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a rejeté les conclusions déposées par la défense au seuil du procès, tendant au renvoi de l'affaire, et est entré en voie de condamnation civile et pénale ;

"aux motifs qu'il est fait grief à la cour d'avoir une composition différente de celle en date du 10 septembre 2009, tandis que l'arrêt ordonnant la réouverture des débats du 15 octobre 2009 indiquait qu'il devait être débattu contradictoirement de la qualification du délit de corruption tel que prévu et réprimé par l'article L. 152-6 du code du travail ; qu'à l'audience en date du 14 janvier 2010, la formation de la cour étant différente, les débats ont été repris en leur intégralité ; que selon la défense de MM. Y... et X..., il y aurait atteinte aux droits de la défense par non respect des dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que les prévenus ont demandé à leurs conseils de les défendre uniquement sur le problème de cette nouvelle qualification envisagée par la cour et que s'ils avaient eu connaissance de ce que les débats allaient être repris en leur intégralité, ils se seraient présentés à l'audience de ce 14 janvier 2010 ; mais que les conseils de MM. Y... et X... ont fourni à la cour des pouvoirs de représentation de leurs clients par lesquels ils précisent donner tout pouvoir à leur conseil respectif pour les représenter devant la cour à l'audience de ce 14 janvier 2010 ; que, dans ces conditions, la cour a retenu l'examen de ce dossier, en reprenant évidemment la totalité des débats ;

"alors que l'exercice des droits de la défense, et notamment du droit à l'information et aux facilités nécessaires à son exercice et du droit à se défendre soi-même, postule que les prévenus doivent pouvoir décider en toute connaissance de cause si leur présence à une audience est nécessaire ou non à l'exercice de leur défense ; que, dès lors, la cour d'appel qui informe les prévenus que seule sera évoquée à une future audience une nouvelle qualification juridique des faits, ne peut reprendre l'intégralité des débats, sans préalablement accéder à la demande de renvoi faite par leurs conseils pour qu'ils puissent être présents ; qu'en refusant de faire droit à cette demande, la cour d'appel a violé les textes et principes susvisés" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que M. X..., salarié de la société Guillet et M. Y..., salarié de la société Avisab, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel du chef d' abus de confiance pour avoir, à l'insu de leur employeur, entre 1997 et 2000, bénéficié de ristournes sur des ventes de volaille, versées notamment par la société Aviloire ; que, par une première décision, les juges du second degré saisis de l' appel du jugement de relaxe, ont ordonné "la réouverture des débats au 14 janvier 2010, afin d'évoquer contradictoirement la possibilité ou non d'ordonner une nouvelle qualification des faits en un délit de corruption", alors prévu et puni par l'article L. 152-6 du code du travail ;

Attendu que, pour rejeter la demande de renvoi, présentée par les avocats des prévenus qui soutenaient ne pouvoir représenter leurs clients pour un nouvel examen des faits, rendu nécessaire par une composition différente de la cour d'appel, leur mandat ne portant que sur l'éventualité d'une nouvelle qualification juridique, l'arrêt énonce que les pouvoirs de représentation des prévenus précisent donner tout pouvoir à leur conseil respectif pour les représenter à l'audience du 14 janvier 2010 ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas méconnu les droits de la défense, l'examen d'une nouvelle qualification d'une infraction après réouverture des débats impliquant un nouvel examen des faits ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 152-6 du code du travail – alors applicable - et 591 à 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré MM. Y... et X... coupables du délit de corruption et les a condamnés à la peine de six mois d'emprisonnement chacun avec sursis ;

"aux motifs que M. X... a usé de sa qualité de salarié pour percevoir une ristourne ; qu'il avait pour mission de servir au mieux les intérêts de la société Guillet afin de lui procurer les meilleurs tarifs auprès des fournisseurs ; que lors de son audition du 5 octobre 2004, il a déclaré au juge d'instruction qu'il avait mis en place un système qui l'a autorisé à percevoir des sommes importantes au titre de ristournes ou de commissions : "Lorsque je suis entré dans la société Guillet, j'avais des dettes et des problèmes d'argent. J'ai été amené à en parler à M. Y..., c'est pour cela qu'il m'a proposé le système des ristournes et des commissions... Il s'agissait d'une surfacturation du prix du poussin opéré par le couvoir (…)" ; que cette perception a été faite de manière occulte en ce qui concerne la société Guillet et c'est par le biais de la société créée au nom de son épouse, que M. X... a pu percevoir ces commissions ; que la perception de ces ristournes ou commissions a bien été précédée d'un accord entre MM. X..., Y... et Z... ; que les déclarations de M. Y..., dans sa déposition du 11 octobre 2001, sont tout aussi explicites ; qu'il a ainsi décrit le système mis en place avec M. X... : "Lors de la mise en place du système de ristourne auprès de nos fournisseurs, Aviloire, Josset et La Bohardiere, il avait été prévu, avec M. X..., un partage de 50 % des ristournes obtenues sur l'ensemble des achats, ou moins en ce qui concerne Aviloire (…). Tous les mois M. X... me faisait un relevé à partir duquel j'établissais pour son compte une facture de commissions au nom de Mme X..., suivant les instructions reçues de M. X.... Le montant annuel total de ces factures s'élevait à environ 300 000 Francs (…). L'activité de ristourne mise en place avec M. X... a été tenue secrète (…)" ; que ces déclarations, confirmées dans la suite de l'instruction et celles rappelées ci-dessus de M. X..., outre celles de M. Z..., font que la cour peut entrer en voie de condamnation sur la qualification de corruption telle que prévue par les dispositions de l'article L. 152-6 du code du travail ;

"1°) alors que, selon les textes en vigueur à l'époque des faits, le délit de corruption exige, pour être constitué, que l'avantage obtenu par un salarié l'ait été pour faire ou s'abstenir de faire un acte de sa fonction ou facilité par sa fonction ; que le délit n'est dès lors pas caractérisé par l'arrêt qui omet totalement de déterminer quelle a été l'action ou l'abstention obtenue du salarié en échange des ristournes obtenues ; qu'en l'espèce, ainsi qu'il résulte de l'ordonnance de renvoi, du jugement déféré et des notes d'audience, les prévenus faisaient valoir que les « ristournes » versées correspondaient au paiement de tâches d'étude et d'analyse effectuées pour la société Aviloire en dehors de leurs fonctions et de leurs heures de travail ; qu'en s'abstenant totalement de déterminer la contrepartie des « ristournes », et un manquement des salariés à leur obligation de loyauté envers leur employeur, la cour d'appel a insuffisamment caractérisé l'infraction ;

"2°) alors que l'infraction de corruption n'est caractérisée que si le prévenu a au moins eu conscience qu'il commettait une infraction ; qu'en l'espèce, ainsi que cela ressort de l'ordonnance de renvoi, du jugement déféré et des notes d'audience, MM. Y... et X... faisaient valoir qu'ils pensaient de bonne foi qu'ils pouvaient légalement effectuer des services rémunérés, en dehors de leurs heures de travail, au profit d'un des fournisseurs de leur employeur, lequel n'avait subi aucun préjudice ; qu'en s'abstenant totalement de caractériser l'élément intentionnel du délit, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;

Attendu que, pour déclarer M. X... coupable du délit de corruption, l'arrêt énonce qu'il a usé de sa qualité de salarié pour percevoir des ristournes alors qu'il avait mission de servir au mieux les intérêts de son employeur en lui procurant les meilleurs tarifs auprès des fournisseurs et que cette perception, précédée d'un accord entre MM. X..., Y... et le dirigeant de la société Avilaire, a été réalisée, de manière occulte, par l'intermédiaire d'une société créée au nom de son épouse ;

Que, pour déclarer M. Y... coupable de ce délit, l'arrêt énonce que celui-ci a lui-même décrit le mécanisme frauduleux consistant en un partage par moitié avec M. X... des ristournes obtenues de leurs fournisseurs et l'établissement de factures de commissions pour le compte de l'épouse de ce dernier ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, dont il résulte que les prévenus ont, de manière occulte, à raison de leur qualité de salarié, reçu des ristournes consenties par des fournisseurs, et qui caractérisent, en tous ses éléments constitutifs, notamment intentionnel, le délit de corruption, la cour d' appel a justifié sa décision ;

Que le moyen doit, dès lors, être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2 et 591 à 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a condamné les demandeurs solidairement à payer à la société Guillet la somme de 249 680 euros au titre de son préjudice matériel résultant prétendument de la commission de l'infraction et donné acte à la société Avisab qu'elle se réserve le droit d'agir en indemnisation de son préjudice financier à l'encontre des prévenus ;

"aux motifs que, sur le préjudice matériel de la société Guillet SA : que les notes d'audience, en date du 10 septembre 2009, attestent de ce qu'une évaluation avait été réalisée des seuls bénéfices et chiffre d'affaires réalisés par la société Le Premont : qu'il avait été rappelé que la quantité de poussins livrés était de 500 000 animaux par mois, ce à raison de commissions de 4 centimes de franc (deux centimes pour chacun des prévenus) ; soit un revenu mensuel pour ladite société de 20 000 francs ; que, pour la période de la prévention, on aboutit ainsi à un chiffre d'affaires total de 720 000 francs, soit 109 763 euros ; qu'on peut relever la pertinence de cette évaluation car le dossier comprend l'ensemble des factures que Mme X... a fait parvenir à la société Le Premont (soit trente-quatre factures), sauf deux mois pour lesquels lesdites factures n'ont pas été fournies ; qu'il suffit de faire un simple total et de multiplier le résultat par deux, sachant que M. X... ne percevait que 50 % des ristournes accordées par le couvoir Aviloire ; qu'on parvient ainsi à un total de 235 808 euros pour trente-quatre mois, soit la somme de 249 680 euros pour les trente-six mois correspondant à la période de prévention (en réalité du 5 octobre 1997 au 5 octobre 2000) ; qu'ainsi, MM. X... et Y... seront condamnés solidairement à payer à la société Guillet la somme de 249 680 euros au titre de son préjudice matériel résultant directement de la commission de l'infraction ; que, sur le préjudice de la coopérative Avisab : la coopérative Avisab s'est également constituée partie civile ; qu'elle est recevable et bien fondée en sa constitution ; qu'en conséquence, MM. Y... et X... seront déclarés entièrement responsables des préjudices qu'ils lui ont infligés ; qu'il sera par ailleurs donné acte à la coopérative Avisab de ce qu'elle se réserve d'agir en indemnisation de son préjudice financier à l'encontre des prévenus ;

"1°) alors que la société Guillet n'a subi aucun préjudice résultant directement de l'infraction, celle-ci étant certes l'employeur de M. X..., mais n'achetant pas directement les poussins vendus par Aviloire à Avisab ; que la circonstance que M. X... ait perçu des commissions sur ces dernières ventes, étrangères à l'activité de la société Guillet, est sans lien direct avec un quelconque préjudice de celle-ci, préjudice au demeurant inexistant ;

"2°) alors que la coopérative Avisab, n'a subi aucun préjudice du fait que la société Aviloire reversait sur le prix, conforme aux statuts et au prix du marché, une commission à MM. Y... et X... ; que l'infraction n'a causé aucun préjudice – et encore moins direct – à Avisab ;

"3°) alors que des motifs incompréhensibles et contradictoires équivalent à une absence de motifs ; qu'en déclarant « multiplier par deux » un total inexpliqué et ne correspondant au demeurant pas aux chiffres donnés par l'arrêt attaqué lui-même, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Attendu que, pour évaluer le préjudice de chacune des parties civiles, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, fondées sur l'appréciation souveraine par les juges du fond des éléments de preuve qui leur étaient soumis et qui caractérisent la relation directe du préjudice avec l'infraction poursuivie, la cour d'appel a justifié sa décision ;

Que le moyen doit, dès lors, être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.