CA Versailles, 1ere ch. sect. 1, 15 mars 2007, n° 06/00821
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
(C) (B)
Défendeur :
PM FILMS, TELEVISION FRANCAISE 1"TF1"
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Madame Bernadette WALLON
Conseillers :
Madame Lysiane LIAUZUN, Madame Geneviève LAMBLING
Avoués :
SCP JUPIN & ALGRIN, SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON GIBOD
Avocats :
Me Jean Christophe BARJON, Me Danielle PARTOUCHE-LEVY , Me PILLOT
Claude BOISSOL, auteur-réalisateur d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles destinées à la télévision, revendique être l'auteur du titre, du personnage principal et de la bible de la série intitulée 'Commissaire Moulin' dont les épisodes sont diffusés périodiquement depuis 1976 par la chaîne de télévision TF1 .
Pour voir reconnaître sa paternité d'auteur sur l'ensemble des épisodes de cette série audiovisuelle issue de sa création d'origine , Claude BOISSOL a saisi le tribunal de grande instance de Nanterre qui, par jugement du 3 novembre 2005, a déclaré son action irrecevable au titre des droits patrimoniaux et mal fondée au titre du droit moral, l'a débouté de l'ensemble de ses demandes à l'encontre des sociétés PM FILMS et TF1 et l'a condamné à payer à chacune d'elles la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, a débouté la société TF1 de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts, dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement et l'a condamné aux dépens.
Claude BOISSOL a interjeté appel de cette décision le 1er février2006.
Aux termes des ses dernières écritures signifiées le 5 décembre 2006 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, Claude BOISSOL demande à la cour de :
- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions à l'exception de celles rejetant la demande reconventionnelle de TF1 en dommages-intérêts,
statuant à nouveau,
- dire et juger qu'il est auteur de créations personnelles et originales à savoir le personnage du commissaire Moulin , la bible et le titre de la série,
- dire et juger que les agissements des sociétés TF1 et PM FILMS sont constitutifs de contrefaçon,
- dire et juger qu'il n'a aucune obligation d'attraire l'ensemble des coauteurs de la série à la cause et qu'il est recevable en ses demandes au titre des droits patrimoniaux
à titre subsidiaire,
- ordonner aux défenderesses d'attraire en la cause l'ensemble des coauteurs de la série 'commissaire Moulin',
- condamner les sociétés TF1 et PM FILMS à lui payer la somme de 250 000 euros à titre d'indemnité pour l'utilisation du personnage , de la bible et du titre de la série,
- lui attribuer la propriété de l'enregistrement de la marque 'commissaire Moulin',
- dire et juger qu'il est coauteur de la série 'commissaire Moulin',
- en conséquence ordonner aux sociétés PM FILMS et TF1 de communiquer l'ensemble des relevés de diffusion des épisodes de la série 'commissaire Moulin' et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de l'assignation valant mise en demeure,
- condamner in solidum les sociétés PM FILMS et TF1 à lui verser une provision de 450 000 euros au titre de son préjudice pécuniaire,
- ordonner aux sociétés PM FILMS et TF1 d'adjoindre le nom de Claude BOISSOL et de sa qualité d'auteur au générique de début et de fin de chaque épisode de la série 'commissaire Moulin' pour toute nouvelle diffusion à intervenir et dans tout matériel publicitaire de la série et de chaque épisode et ce sous astreinte de 15 000 euros par infraction constatée,
- condamner in solidum les sociétés PM FILMS et TF1 à lui payer la somme de 150 000 euros en réparation de son préjudice moral,
- débouter les sociétés PM FILMS et TF1 de leurs demandes
- condamner chacune des sociétés PM FILMS et TF1 à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
- ordonner la publication du jugement à intervenir dans trois revues professionnelles et /ou de la presse quotidienne nationale, et condamner les intimées à payer le coût de chaque insertion,
- condamner les sociétés PM FILMS et TF1 aux entiers dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP JUPIN -ALGRIN, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 2 janvier 2007 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, la société TÉLÉVISION FRANÇAISE 1 (TF1) demande à la cour de :
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré l'action de Claude BOISSOL irrecevable au titre des droits patrimoniaux d'auteur qu'il revendique et mal fondée au titre du droit moral d'auteur attaché à la qualité qu'il revendique,
en conséquence,
- constater que Claude BOISSOL n'a pas appelé dans la cause les coauteurs des téléfilms de la série 'commissaire Moulin' relativement auxquels il revendique la qualité d'auteur et demande à être indemnisé pour l'atteinte portée à des droits qui seraient dans la dépendance de cette qualité,
- dire et juger qu'elle n'a pu produire ou coproduire les téléfilms de la série 'commissaire Moulin' confectionnés avant le 29 juillet 1982, qu'elle ne peut encourir une quelconque responsabilité pour des téléfilms qui auraient été produits avant cette date,
- dire et juger qu'elle ne saurait avoir commis des actes de contrefaçon avant le 4 avril 1987,
- dire et juger que Claude BOISSOL ne rapporte pas la preuve des faits de contrefaçon qu'il allègue,
subsidiairement,
- dire et juger que Claude BOISSOL ne saurait revendiquer des droits d'auteur tant sur la série 'Commissaire Moulin', en ce compris son titre, que sur le personnage principal du commissaire Moulin et le débouter de ses prétentions,
- dire et juger Claude BOISSOL irrecevable et mal fondé à revendiquer des droits sur la dénomination 'commissaire Moulin' constitutive d'une marque du commerce,
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive
- condamner Claude BOISSOL à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
- condamner Claude BOISSOL aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON-GIBOD, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières écritures signifiées le 9 janvier 2007 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé la société PM FILMS demande à la cour de :
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
- dire et juger que Claude BOISSOL n'a pas mis en cause les auteurs de la série 'commissaire Moulin',
- le déclarer irrecevable à agir sur le terrain du droit d'auteur,
- le déclarer irrecevable à revendiquer des droits sur la dénomination 'commissaire Moulin' en application de l'article 714-3 du code de la propriété intellectuelle,
- débouter Claude BOISSOL de l'intégralité de ses prétentions,
subsidiairement,
- déclarer Claude BOISSOL irrecevable en ses demandes en raison de la cession contractuelle de ses droits à l'ORTF et à la SFP,
- dire et juger l'action entreprise par Claude BOISSOL prescrite en application des dispositions de l'article 2270-1 du code civil,
à titre plus subsidiaire,
- constater que Claude BOISSOL ne rapporte pas la preuve de sa qualité d'auteur de la bible, du personnage et du titre de la série 'commissaire Moulin',
- constater que Claude BOISSOL ne justifie d'aucun acte de contrefaçon commis à son encontre,
- le débouter de ses demandes,
à titre infiniment subsidiaire,
- dire et juger que la responsabilité de la société PM FILMS ne saurait être engagée pour les épisodes de la série ' commissaire Moulin' produits ou coproduits antérieurement à mars 1998,
- débouter Claude BOISSOL de sa demande de condamnation solidaire de la société TF1 et de la société PM FILMS,
en tout état de cause,
- condamner Claude BOISSOL à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile outre les dépens avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON-GIBOD, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 janvier 2007.
MOTIFS
Sur la qualité d'auteur de Claude BOISSOL
Claude BOISSOL soutient que le titre de la série 'commissaire Moulin', le personnage de 'Moulin' et la 'bible' constituent des créations originales et personnelles qui commandent une protection au titre des droits d'auteur.
Pour être qualifiée d'originale , une création doit refléter la personnalité de son auteur.
Pour justifier de l'existence d'une oeuvre originale, Claude BOISSOL verse aux débats un document de trois pages et demi sur un papier à entête de l'ORTF ni daté ni signé et ne comportant aucune indication sur le nom de son auteur, une lettre et une attestation de Claude DESIRE datées du 7 mai 2003 et du 13 février 2004, une attestation de Beate RUBINSTEIN ainsi qu'un courrier rédigé par lui en janvier 1988 destiné à Claude De GIVRAY ( TF1) résumant sa version des faits.
Il ressort de ces documents que Claude BOISSOL est le 'père' du commissaire Moulin dont il a créé le personnage, lequel a donné son nom à la série litigieuse.
Toutefois le titre 'commissaire Moulin' retenu par Claude BOISSOL pour la nouvelle série policière devant être diffusée sur la première chaîne, ne présente aucune originalité dans la mesure où il s'agit d'une simple reprise de la fonction des héros des deux autres séries policières désormais diffusées sur la deuxième chaîne, le commissaire BOUREL dans 'Les cinq dernières minutes' et le commissaire MAIGRET dans 'Les enquêtes du commissaire Maigret'. En reprenant la profession du héros et en lui donnant un patronyme tout à fait courant en France (il est peu probable que le public effectue le rapprochement avec Jean Moulin), l'appelant n'a fait que reprendre une idée déjà retenue pour d'autres séries, comme dans la série 'Inspecteur Leclerc'. Il s'agit d'un titre purement descriptif destiné à attirer l'attention du téléspectateur sur la nature de la série. L'adjonction de l'expression 'Police judiciaire', à supposer qu'elle ait été effectivement retenue dans les premiers épisodes, ce qui ne résulte pas avec certitude des pièces du dossier puisque le seul document qui en fait mention est le contrat du 31 décembre 1975 signé avec la société SFP pour les recherches et coordination des émissions de la série n'2.3.4.5, n'est pas de nature à conférer au titre l'originalité requise par la loi pour bénéficier de la protection au titre des droits d'auteur ce que les premiers juges ont exactement relevé, puisqu'elle ne tend qu'à confirmer la nature de la fiction proposée.
La rédaction d'une bible de production ne peut être considérée comme une oeuvre de l'esprit portant l'empreinte de la personnalité de son auteur que si elle est suffisamment élaborée. La propriété littéraire et artistique ne protège pas les idées ou concepts mais seulement la forme originale sous laquelle ils sont exprimés.
Le document présenté comme constituant la 'bible' de la série ne fait que décrire de façon très élémentaire et peu précise le personnage du commissaire Moulin, homme jeune, décontracté, sans grande originalité, dont les traits de caractère sont sommairement brossés, qui a fait des études de droit comme tous les commissaires de police. Quant aux autres personnages, ils sont présentés en quelques phrases sans aucun détail. Ces descriptions se réduisent à des principes généraux exclusifs d'indications suffisamment précises. Il ne s'agit nullement d'un projet type permettant une exécution répétée en fonction des thèmes retenus pour les différents épisodes. Le travail de Claude BOISSOL est resté au stade de la présentation des idées ce qu'il reconnaissait d'ailleurs dans un entretien téléphonique courant 1989 que relatent les auteurs du livre 'Meurtres en séries- les séries policières de la télévision française' en ces termes : j'ai réuni quelques auteurs...Nous avons discuté du personnage et de l'orientation à donner à la série et je leur ai demandé de me fournir des synopsis ...' propos qui confirment le fait que le personnage était esquissé mais non définitivement créé.
Il est établi que Claude BOISSOL a eu l'idée du personnage, le commissaire Moulin, mais comme l'ont justement relevé les premiers juges les idées sont par essence et par nature de libre parcours de sorte qu'elles n'ouvrent droit à protection que lorsqu'elles sont formulées de façon très précise dans une bible qui, si elle est originale, peut être protégée. Tel n'est pas le cas en l'espèce. L'idée de Claude BOISSOL a été reprise et travaillée par les scénaristes pour parvenir à la réalisation de la série mais le document de travail technique qualifié par l'appelant de 'bible', dont le rédacteur demeure indéterminé, n'est pas suffisamment élaboré pour constituer une oeuvre de l'esprit. D'ailleurs, le personnage du 'commissaire Moulin' a beaucoup évolué essentiellement en fonction de la personnalité de l'acteur choisi, Yves RENIER.
Le tribunal a exactement considéré que Claude BOISSOL ne rapportait pas la preuve qu'il était l'auteur d'une oeuvre personnelle originale portant sur le titre, le personnage et le cadre de la série.
sur la qualité de coauteur de l'oeuvre audiovisuelle
Aux termes de l'article L 113-7 du code de la propriété intellectuelle, ont la qualité d'auteurs d'une oeuvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette oeuvre.
Le coauteur d'une oeuvre de collaboration qui agit en justice pour la défense de ses droits patrimoniaux est tenu, à peine d'irrecevabilité, de mettre en cause les autres auteurs de l'oeuvre dès lors que sa contribution ne peut être séparée de celle des coauteurs ce qui est le cas en l'espèce s'agissant d'un titre, d'un personnage et d'une 'bible' destinés à permettre ensuite l'écriture de scénarios et la réalisation des différents épisodes. Cette contribution s'insère dans l'oeuvre globale que constitue la série télévisée diffusée sous la dénomination 'commissaire Moulin' sans que celle-ci puisse être qualifiée d'oeuvre composite laquelle suppose des créations qui se succèdent dans le temps et sont totalement indépendantes, ce que Claude BOISSOL admet au moins implicitement puisqu'il revendique la qualité de coauteur dans une oeuvre de collaboration, étant précisé qu'il a été démontré qu'à lui seul son apport ne constitue pas une oeuvre protégeable. Dès lors c'est à bon droit que les premiers juges ont déclaré sa demande relative aux droits patrimoniaux irrecevable pour défaut de mise en cause des coauteurs au sens de l'article L 113-7 du code de la propriété intellectuelle , conformément à l'article L 133-3 du code susvisé.
Quant aux droits relatifs aux quatre épisodes dont il est l'auteur (Les brebis égarées, Le transfuge, Le patron et Un hanneton sur le dos) et à l'épisode dont il est coauteur (Le choc en retour), ils ont fait l'objet d'une cession au profit de l'employeur selon les conditions générales des lettres d'engagement valant contrat de travail à durée déterminée, qui stipulaient que dans l'hypothèse où le contractant pourrait revendiquer la qualité d'auteur, il cédait à l'ORTF et à la SFP les droits de représentation et de reproduction nécessaires à l'utilisation de ses prestations dans le cadre de l'activité de l'Office.
sur la demande relative à la propriété de la marque
Claude BOISSOL demande à la cour de lui attribuer la propriété de l'enregistrement de la marque 'commissaire Moulin'.
Dans la mesure où la cour , confirmant le jugement déféré , n'a pas retenu l'existence d'une oeuvre protégeable en ce qui concerne le titre 'commissaire Moulin', l'enregistrement de la marque 'commissaire Moulin'effectué le 2 juillet 1991 à la requête de la société PROTECREA dans les classes 9, 16, 25, 28, 35, 38 et 41 ne porte pas atteinte à des droits d'auteur.
Claude BOISSOL, qui ne forme aucune demande en nullité de l'enregistrement sur le fondement de l'article L 714-3 du code de la propriété intellectuelle, a toléré l'usage de la marque pendant plus de cinq ans de sorte qu'une telle demande serait forclose. En effet, le défaut de tolérance doit se traduire par la manifestation positive et non équivoque par le titulaire de la marque de son intention de contester la marque seconde. Or Claude BOISSOL n'a émis aucune revendication ni aucune protestation sur l'utilisation du titre 'commissaire Moulin' alors que des épisodes ont été réalisés régulièrement et que certains ont encore été programmés très récemment.
Sa demande d'attribution de la propriété de l'enregistrement a été justement rejetée par le jugement déféré.
sur la demande reconventionnelle présentée par la société TF1
La société TF1 ne démontre pas en quoi l'exercice d'une voie de recours aurait en l'espèce dégénéré en abus , alors que tout justiciable a le droit de solliciter un nouvel examen de sa demande .
Elle sera déboutée de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant en audience publique, contradictoirement, en dernier ressort,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions
Y AJOUTANT
CONDAMNEClaude BOISSOL à payer à la société TF1 la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
CONDAMNEClaude BOISSOL à payer à la société PM FILMS la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
CONDAMNEClaude BOISSOL aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON-GIBOD, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévuesau deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
- signé par Madame Bernadette WALLON, président et par Madame Sylvie RENOULT, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.