Cass. com., 21 septembre 2022, n° 20-21.416
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mollard
Rapporteur :
Mme Ducloz
Avocats :
SCP Bénabent, SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 20 octobre 2020), rendu en matière de référé, la société U 10 Corp (la société U 10) est associée majoritaire de la société à responsabilité limitée U-Web ayant pour gérant et coassocié minoritaire M. [X].
2. Par un arrêt du 18 octobre 2016, rendu en matière de référé, une cour d'appel a, infirmant une ordonnance de référé du 7 juillet 2016, débouté M. [X] de sa demande de désignation d'un mandataire ad hoc pour représenter la société U 10 et voter en ses lieu et place aux assemblées générales de la société U-Web.
3. Par un acte du 7 février 2020, M. [X] a saisi, en référé, un président de tribunal de commerce, d'une part, d'une nouvelle demande de désignation d'un mandataire ad hoc pour représenter la société U 10 et voter en ses lieu et place aux assemblées générales de la société U-Web, d'autre part, d'une demande tendant, au cas où il serait évincé de ses fonctions de gérant, à sa désignation, ou celle de tout professionnel, en qualité de mandataire ad hoc pour représenter la société U-Web dans le cadre d'une instance judiciaire opposant celle-ci à ses fournisseurs, également filiales de la société U 10. Les sociétés U 10 et U-Web lui ont notamment opposé, s'agissant de la première demande, l'absence de circonstances nouvelles, et, s'agissant de la seconde demande, l'absence de dommage imminent.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. [X] fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à référé s'agissant de la demande de sa désignation et, très subsidiairement, de tout professionnel, en qualité de mandataire ad hoc pour représenter la société U-Web dans la procédure au fond introduite devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare et devant toute autre juridiction qui en serait la suite et/ou la conséquence et de la conduire jusqu'à son terme, alors « que la désignation d'un mandataire ad hoc par le président du tribunal de commerce n'est pas subordonnée à l'existence de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent mais uniquement à la preuve d'un dommage imminent ou d'un trouble illicite ; qu'en énonçant "qu' il est de principe que la désignation d'un mandataire ad hoc est une mesure exceptionnelle qui suppose de rapporter la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent" puis en rejetant la demande de désignation d'un mandataire ad hoc formée par M. [X] au motif que "rien ne permet d'établir que le choix, le cas échéant, du nouveau dirigeant de la société U-Web de ne pas poursuivre en appel la procédure contre la société U 10 et ses filiales en cas de rejet de ses prétentions, soit de nature à mettre en péril son existence", la cour d'appel a statué par motifs impropres et ainsi violé l'article 873 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 873, alinéa 1, du code de procédure civile :
5. Selon ce texte, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
6. Pour dire n'y avoir lieu à référé s'agissant de la demande de désignation d'un mandataire ad hoc pour représenter la société U-Web dans le cadre d'une instance judiciaire l'opposant à ses fournisseurs, l'arrêt, après avoir constaté que M. [X] forme sa demande sur le fondement de l'article 873 du code de procédure civile, et énoncé que la désignation d'un mandataire ad hoc est une mesure exceptionnelle qui suppose rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent, retient que si la nomination envisagée du nouveau gérant de la société U-Web est susceptible d'avoir une influence sur les choix procéduraux de cette société, s'agissant des suites de la procédure l'opposant à la société U 10, rien ne permet d'établir que le choix, le cas échéant, du nouveau dirigeant de la société U-Web de ne pas poursuivre en appel la procédure contre la société U 10 et ses filiales en cas de rejet de ses prétentions, soit de nature à mettre en péril l'existence de la société U-Web, et que la mésentente entre les associés n'emporte pas péril pour les intérêts sociaux.
7. En statuant ainsi, la cour d'appel qui, ajoutant aux conditions prévues par la loi, a exigé la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de cette société et la menaçant d'un péril imminent pour désigner, en référé, un mandataire ad hoc, a violé le texte susvisé.
Et sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. M. [X] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable la demande de désignation d'un mandataire ad hoc pour la société U 10 avec pour mission de représenter celle-ci et de voter en ses lieu et place lors des assemblées générales ordinaires et extraordinaires de la société U-Web, dans le seul intérêt de celle-ci, alors « que l'ordonnance de référé ayant rejeté la désignation d'un mandataire ad hoc sur le fondement de l'article 873 du code de procédure civile peut être rapportée ou modifiée dès lors qu'il existe des circonstances nouvelles de nature à caractériser un dommage imminent ou un trouble illicite ; que pour déclarer irrecevable la demande formée par M. [X] de désignation d'un mandataire ad hoc pour la société U 10 au motif qu' "il n'allège et a fortiori ne démontre, ni la survenue de circonstances nouvelles de nature à placer la société U 10 dans l'impossibilité d'exercer ses droits sociaux et de ce fait, à entraver son bon fonctionnement ou celui de la société U-Web dont elle est propriétaire à 51 %, ni l'existence d'un péril imminent, lesquelles circonstances sont seules de nature à justifier qu'il lui soit désigné un mandataire ad hoc", la cour d'appel, réduisant à tort la notion de circonstances nouvelles à ces deux hypothèses, a violé les articles 488 et 873 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 488, alinéa 2, et 873, alinéa 1, du code de procédure civile :
9. Il résulte de l'application combinée de ces textes qu'une ordonnance de référé rejetant la demande de désignation d'un mandataire ad hoc faite sur le seul fondement de l'article 873 du code de procédure civile peut être rapportée ou modifiée s'il existe des circonstances nouvelles caractérisant l'existence d'un dommage imminent ou d'un trouble manifestement illicite.
10. Pour déclarer irrecevable la demande de désignation d'un mandataire ad hoc chargé de représenter la société U 10 et de voter en ses lieu et place lors des assemblées générales ordinaires et extraordinaires de la société U-Web, l'arrêt, après avoir constaté que la même demande avait été rejetée par arrêt du 18 octobre 2016, statuant en matière de référé, et exactement énoncé que M. [X] devait, en conséquence, justifier de circonstances nouvelles en application de l'article 488 du code de procédure civile, retient qu'il n'allègue et a fortiori ne démontre ni la survenue de circonstances nouvelles de nature à placer la société U 10 dans l'impossibilité d'exercer ses droits sociaux et, de ce fait, à entraver son bon fonctionnement ou celui de la société U-Web, dont elle est propriétaire à 51 %, ni l'existence d'un péril imminent, et que ces circonstances, qui s'apprécient à compter de la date de la première ordonnance rendue par le juge des référés le 7 juillet 2016, sont seules de nature à justifier qu'il lui soit désigné un mandataire ad hoc.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui, pour déclarer irrecevable la demande de M. [X] visant à modifier ou rapporter en référé l'arrêt du 18 octobre 2016, rendu en matière de référé, ayant refusé de désigner un mandataire ad hoc pour la société U 10, a exigé que les circonstances nouvelles invoquées à cet effet rendent impossible le fonctionnement normal de cette société ou la menacent d'un péril imminent, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit n'y avoir lieu à référé s'agissant de la demande de M. [X] de sa désignation et, très subsidiairement, de celle de tout professionnel, en qualité de mandataire ad hoc pour représenter la société U-Web dans la procédure au fond introduite devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare et devant toute autre juridiction qui en serait la suite et/ou la conséquence et de la conduire jusqu'à son terme, en ce qu'il déboute M. [X] de sa demande de consignation d'une provision ad litem en vue de la rémunération de ce mandataire ad hoc et en ce qu'il déclare irrecevable la demande de désignation d'un mandataire ad hoc pour la société U 10 Corp avec pour mission de représenter celle-ci et de voter en ses lieu et place lors des assemblées générales ordinaires et extraordinaires de la société U-Web, dans le seul intérêt de celle-ci, l'arrêt rendu le 20 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée.