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Décisions

Cass. com., 9 novembre 2022, n° 20-22.063

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mollard

Rapporteur :

Mme Ducloz

Avocats :

Me Bouthors, SARL Cabinet Rousseau et Tapie

Paris, ch. 5, du 10 sept. 2020

10 septembre 2020

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 septembre 2020), la société Santé restauration services a, le 10 octobre 2000, conclu un contrat avec la société Clinique chirurgicale obstétricale [3] et [4] (la société Clinique [3]), détenue à 99 % par la société Santé actions, portant sur un service de prestations alimentaires.

2. La société Santé restauration services a, par lettres recommandées des 18, 24 et 30 décembre 2013, mis en demeure la société Clinique [3] de payer plusieurs factures. La société Santé actions a, le 24 décembre 2013, payé à la société Santé restauration services la somme de 30 000 euros au titre de l'une de ces factures.

3. N'ayant pu obtenir le règlement complet des factures, la société Santé restauration services a déclaré sa créance au passif de la société Clinique [3], mise en liquidation judiciaire. Le liquidateur judiciaire a, le 26 février 2015, émis un certificat d'irrécouvrabilité de cette créance.

4. Après avoir, le 27 avril 2016, mis en demeure la société Santé actions de lui payer une somme au titre des factures impayées par la société Clinique [3], la société Santé restauration services l'a assignée en paiement.

Examen du moyen

Sur le moyen

Enoncé du moyen

5. La société Santé actions fait grief à l'arrêt de la condamner, en qualité de société mère, à régler à la société Santé restauration services une somme de 125 681,83 euros au titre de factures impayées par sa filiale, seule engagée à l'égard de la société créancière dans le cadre d'un contrat de restauration du 10 octobre 2000, outre les intérêts à compter de chaque échéance contractuelle au taux de refinancement de la BCE majoré de 10 points, et la capitalisation des intérêts, ainsi qu'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors :

« 1°/ qu'en vertu de l'effet relatif des contrats et de l'autonomie juridique des sociétés membres d'un groupe, une société mère ne peut être tenue des engagements souscrits par sa filiale, sauf en cas d'immixtion dans la gestion de la filiale et à la condition que cette immixtion ait été de nature à créer une apparence trompeuse, propre à faire croire à un créancier de la filiale que la société mère était devenue son partenaire contractuel ; que ces conditions sont cumulatives ; qu'en considérant en l'espèce que la société mère était obligée à la totalité de la dette de sa filiale envers un créancier à raison seulement d'un paiement partiel (virement de 30 000 euros émis en décembre 2013) destiné à couvrir dans l'urgence sa filiale d'un impayé objet d'une mise en demeure, la cour n'a pas cherché à caractériser l'existence d'une immixtion active de la société mère dans la gestion de sa filiale, méconnaissant ainsi les exigences de l'article 1165, devenu 1199, et 1842 du code civil ;

2°/ en se bornant à retenir que la société mère avait couvert le 24 décembre 2013 une dette de sa filiale à l'égard du créancier prestataire de service de cette dernière, la cour n'a pas recherché si et en quoi ce versement, dans les circonstances de la cause telles que rappelées par la société requérante (caractère exclusif et autonome de la relation de sa filiale avec la société Santé restauration ; absence de réclamation à l'endroit de la société mère avant la délivrance d'un certificat d'irrécouvrabilité de la créance du fournisseur), permettait néanmoins au créancier de nourrir la croyance que la société mère s'était engagée pour l'ensemble des dettes antérieures et postérieures de sa filiale ; qu'en se déterminant par voie d'affirmation sans autrement caractériser la croyance légitime du créancier, la cour a derechef privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1165, devenu 1199, et 1842 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1842 du code civil et l'article 1165 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

6. Il résulte de l'application combinée de ces textes qu'une société n'est tenue de répondre de la dette d'une filiale que si son immixtion dans les relations contractuelles de cette filiale a été de nature à créer, pour le cocontractant de celle-ci, une apparence trompeuse propre à lui permettre de croire légitimement qu'il était aussi le cocontractant de la société mère.

7. Pour condamner la société Santé actions à payer à la société Santé restauration services une somme au titre de factures non réglées par la société Clinique [3], sa filiale, l'arrêt, après avoir relevé que la société Santé restauration services avait, les 18, 24 et 30 décembre 2013, mis en demeure la société Clinique [3] de payer ces factures, qu'elle avait déclaré sa créance, d'un montant de 125 691,83 euros, au passif de la société Clinique [3], mise en liquidation judiciaire, que le liquidateur judiciaire avait, le 26 février 2015, émis un certificat d'irrécouvrabilité et que ce n'est qu'au mois d'avril 2016 qu'elle avait mis en demeure la société mère Santé actions de payer les sommes qui lui étaient dues par sa filiale, retient que le fait que la société Santé actions ait délivré un ordre de virement de 30 000 euros pour couvrir une dette de la société Clinique [3] à l'égard de la société Santé restauration services, à un moment où cette dernière venait de mettre en demeure sa cocontractante de lui régler une somme de 52 014,59 euros au titre de factures impayées à peine de résiliation de plein droit du contrat les liant, a légitimement pu fonder la croyance de la société Santé restauration services dans l'engagement de la société mère aux côtés de sa filiale pour régler les dettes issues de ce contrat.

8. En se déterminant ainsi, alors que le paiement partiel, par la société Santé actions, d'une dette que sa filiale avait été mise en demeure de payer, ne saurait, à lui seul, caractériser une immixtion de cette société de nature à créer, pour la société Santé restauration services, une apparence trompeuse propre à lui permettre de croire légitimement que la société Santé actions s'était substituée à sa filiale dans l'exécution du contrat, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en que, confirmant le jugement, il déboute la société Santé restauration services de sa demande en dommages et intérêts pour résistance abusive, l'arrêt rendu le 10 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Reims.