CJUE, 2e ch., 10 novembre 2022, n° C-163/21
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
AD e.a.
Défendeur :
PACCAR Inc, DAF TRUCKS NV, DAF Trucks Deutschland GmbH
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Prechal
Juges :
Mme Arastey Sahún, Mme Biltgen, M. Wahl (rapporteur), M. Passer
Avocat général :
M. Szpunar
Avocats :
Me Roger Gámir, Me Gual Grau, Me de Monchy, Me de Pree
LA COUR (deuxième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne (JO 2014, L 349, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant AD et les 44 autres requérants au principal à PACCAR Inc, à DAF Trucks NV et à DAF Trucks Deutschland GmbH, au sujet de la réparation d’un préjudice allégué en raison de la participation de ces sociétés à une infraction à l’article 101 TFUE, constatée et sanctionnée par la Commission européenne.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Le considérant 6 de la directive 2014/104 énonce :
« Pour garantir des actions de mise en œuvre effective sur l’initiative de la sphère privée en vertu du droit civil et une mise en œuvre effective par la sphère publique à travers les autorités de concurrence, il est nécessaire que ces deux outils interagissent afin d’assurer une efficacité maximale des règles de concurrence. Il est nécessaire de régler la coordination de ces deux formes de mise en œuvre de façon cohérente, par exemple en ce qui concerne les modalités d’accès aux documents en [la] possession des autorités de concurrence. [...] »
4 Aux termes du considérant 14 de cette directive :
« Les actions en dommages et intérêts pour infraction au droit de la concurrence de l’Union [européenne] ou au droit national de la concurrence requièrent habituellement une analyse factuelle et économique complexe. Dans bien des cas, les preuves nécessaires pour démontrer le bien-fondé d’une demande de dommages et intérêts sont détenues exclusivement par la partie adverse ou des tiers et ne sont pas suffisamment connues du demandeur, ou celui-ci n’y a pas accès. Dans ces circonstances, des exigences juridiques strictes faisant obligation aux demandeurs d’exposer précisément tous les faits de l’affaire au début de l’instance et de produire des éléments de preuve bien précis à l’appui de leur demande peuvent indûment empêcher l’exercice effectif du droit à réparation garanti par le traité [FUE]. »
5 Le considérant 15 de ladite directive prévoit :
« Les preuves constituent un élément important lorsqu’il s’agit d’engager une action en dommages et intérêts pour infraction au droit national de la concurrence ou à celui de l’Union. Cependant, les litiges ayant trait au droit de la concurrence se caractérisant par une asymétrie de l’information, il y a lieu de veiller à ce que les demandeurs disposent du droit d’obtenir la production des preuves qui se rapportent à leur demande, sans avoir à désigner des éléments de preuve précis. Afin de garantir l’égalité des armes entre les parties à une action en dommages et intérêts, ces moyens devraient aussi être accessibles aux défendeurs dans les actions en dommages et intérêts, de sorte qu’ils puissent demander aux demandeurs de produire des preuves. Les juridictions nationales devraient également pouvoir ordonner la production d’éléments de preuve par des tiers, y compris des autorités publiques. Lorsqu’une juridiction nationale souhaite enjoindre à la Commission de produire des preuves, le principe, figurant à l’article 4, paragraphe 3, [TUE], de coopération loyale entre l’Union et les États membres, et l’article 15, paragraphe 1, du règlement [no 1/2003] en ce qui concerne les demandes d’informations s’appliquent. [...] »
6 Le considérant 16 de la même directive est libellé comme suit :
« Les juridictions nationales devraient pouvoir, sous leur contrôle strict, surtout en ce qui concerne la nécessité et la proportionnalité des mesures de production de preuves, ordonner la production d’éléments de preuve bien précis ou de catégories de preuves à la demande d’une partie. Il découle de l’exigence de proportionnalité qu’une production de preuves ne peut être ordonnée que lorsque le demandeur a, sur la base de données factuelles raisonnablement disponibles pour ledit demandeur, allégué de manière plausible qu’il a subi un préjudice causé par le défendeur. Lorsqu’une demande de production de preuves vise à obtenir une catégorie de preuves, cette catégorie devrait être identifiée par référence à des caractéristiques communes de ses éléments constitutifs tels que la nature, l’objet ou le contenu des documents dont la production est demandée, à la période durant laquelle ils ont été établis, ou à d’autres critères, pour autant que les preuves relevant de cette catégorie soient pertinentes au sens de la présente directive. Ces catégories devraient être définies de manière aussi précise et étroite que possible sur la base des données factuelles raisonnablement disponibles. »
7 Le considérant 28 de la directive 2014/104 est ainsi rédigé :
« Les juridictions nationales devraient pouvoir ordonner à tout moment, dans le cadre d’une action en dommages et intérêts, la production des preuves existant indépendamment de la procédure engagée par une autorité de concurrence (ci-après dénommées “informations préexistantesˮ. »
8 Selon le considérant 39 de cette directive :
« [...] Il y a lieu de prévoir que l’auteur de l’infraction, dans la mesure où il invoque la répercussion du dommage réel comme moyen de défense, doit démontrer l’existence et l’ampleur de la répercussion du surcoût. Cette charge de la preuve ne devrait pas avoir d’incidence sur la possibilité qu’a l’auteur de l’infraction d’utiliser des preuves autres que celles en sa possession, telles que les preuves déjà acquises au cours de la procédure ou celles détenues par d’autres parties ou des tiers. »
9 L’article 2 de ladite directive, intitulé « Définitions », dispose :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
13) “preuvesˮ, tous les moyens de preuve admissibles devant la juridiction nationale saisie, en particulier les documents et tous les autres éléments contenant des informations, quel qu’en soit le support ;
[...]
17) “informations préexistantesˮ, toute preuve qui existe indépendamment de la procédure engagée par une autorité de concurrence, qu’elle figure ou non dans le dossier d’une autorité de concurrence ;
[...] »
10 L’article 5 de la même directive, intitulé « Production de preuves », prévoit :
« 1. Les États membres veillent à ce que, dans les procédures relatives aux actions en dommages et intérêts intentées dans l’Union à la requête d’un demandeur qui a présenté une justification motivée contenant des données factuelles et des preuves raisonnablement disponibles suffisantes pour étayer la plausibilité de sa demande de dommages et intérêts, les juridictions nationales soient en mesure d’enjoindre au défendeur ou à un tiers de produire des preuves pertinentes qui se trouvent en leur possession, sous réserve des conditions énoncées au présent chapitre. Les États membres veillent à ce que les juridictions nationales puissent, à la demande du défendeur, enjoindre au demandeur ou à un tiers de produire des preuves pertinentes.
Le présent paragraphe ne porte nullement atteinte aux droits et obligations des juridictions nationales découlant du règlement (CE) no 1206/2001 [du Conseil, du 28 mai 2001, relatif à la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile ou commerciale (JO 2001, L 174, p. 1)].
2. Les États membres veillent à ce que les juridictions nationales puissent ordonner la production de certains éléments de preuves ou de catégories pertinentes de preuves, circonscrites de manière aussi précise et étroite que possible, sur la base de données factuelles raisonnablement disponibles dans la justification motivée.
3. Les États membres veillent à ce que les juridictions nationales limitent la production des preuves à ce qui est proportionné. Lorsqu’elles déterminent si une demande de production de preuves soumise par une partie est proportionnée, les juridictions nationales tiennent compte des intérêts légitimes de l’ensemble des parties et tiers concernés. En particulier, elles prennent en considération :
a) la mesure dans laquelle la demande ou la défense sont étayées par des données factuelles et des preuves disponibles justifiant la demande de production de preuves ;
b) l’étendue et le coût de la production de preuves, en particulier pour les éventuels tiers concernés, y compris afin d’éviter toute recherche non spécifique d’informations dont il est peu probable qu’elles soient pertinentes pour les parties à la procédure ;
c) la possibilité que les preuves dont on demande la production contiennent des informations confidentielles, en particulier concernant d’éventuels tiers, et les modalités existantes de protection de ces informations confidentielles.
[...] »
11 L’article 21 de la directive 2014/104, intitulé « Transposition », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 27 décembre 2016. Ils communiquent immédiatement à la Commission le texte de ces dispositions.
[...] »
12 L’article 22 de cette directive, intitulé « Application temporelle », énonce :
« 1. Les États membres veillent à ce que les dispositions nationales adoptées en application de l’article 21 afin de se conformer aux dispositions substantielles de la présente directive ne s’appliquent pas rétroactivement.
2. Les États membres veillent à ce qu’aucune disposition nationale adoptée en application de l’article 21, autre que celles visées au paragraphe 1, ne s’applique aux actions en dommages et intérêts dont une juridiction nationale a été saisie avant le 26 décembre 2014. »
Le droit espagnol
13 La directive 2014/104 a été transposée dans le droit espagnol par le Real Decreto-ley 9/2017, por el que se transponen directivas de la Unión Europea en los ámbitos financiero, mercantil y sanitario, y sobre el desplazamiento de trabajadores (décret-loi royal 9/2017, portant transposition de directives de l’Union européenne en matière financière, commerciale et de santé, ainsi que sur le détachement de travailleurs), du 26 mai 2017 (BOE no 126, du 27 mai 2017, p. 42820).
14 Le décret-loi royal 9/2017 a ajouté un article 283 bis a) à la Ley 1/2000, de Enjuiciamiento Civil (loi no 1/2000, portant code de procédure civile), du 7 janvier 2000 (BOE no 7, du 8 janvier 2000, p. 575, ci-après le « code de procédure civile »), relatif à la production de preuves dans le cadre de procédures juridictionnelles relatives aux recours en dommages et intérêts tendant à l’indemnisation du préjudice subi en raison des infractions au droit de la concurrence. Le contenu du paragraphe 1, premier alinéa, de cette disposition est identique à celui de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2014/104.
15 En outre, l’article 328 du code de procédure civile prévoit, en substance, que chaque partie peut demander aux autres parties la production de documents, en joignant à cette demande une copie simple de ceux-ci ou, si cette copie n’existe pas ou n’est pas à sa disposition, en indiquant dans les termes les plus exacts le contenu de ces documents.
16 Enfin, l’article 330 de ce code indique que, à la demande de l’une des parties, il est possible d’exiger de tiers au litige la production de documents en leur propriété si le tribunal saisi constate que de tels documents sont essentiels pour la résolution de ce litige.
Le litige au principal et la question préjudicielle
17 Le 19 juillet 2016, la Commission a adopté la décision C(2016) 4673 final relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) (Affaire AT.39824 – Camions), dont un résumé a été publié au Journal officiel de l’Union européenne du 6 avril 2017 (JO 2017, C 108, p. 6). Les défenderesses au principal comptent parmi les destinataires de cette décision.
18 Dans cette décision, la Commission a constaté que quinze fabricants de camions, dont les défenderesses au principal, avaient participé à une entente prenant la forme d’une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3), portant sur des arrangements collusoires relatifs à la fixation des prix et à l’augmentation des prix bruts des véhicules utilitaires moyens et des poids lourds dans l’EEE.
19 S’agissant des défenderesses au principal, cette infraction a été établie pour la période allant du 17 janvier 1997 au 18 janvier 2011.
20 Le 25 mars 2019, les requérants au principal, ayant acheté des camions susceptibles d’entrer dans le champ d’application de l’infraction faisant l’objet de la décision C(2016) 4673 final , ont demandé au Juzgado de lo Mercantil no 7 de Barcelona (tribunal de commerce no 7 de Barcelone, Espagne), la juridiction de renvoi, en vertu de l’article 283 bis a) du code de procédure civile, l’accès aux éléments de preuve détenus par les défenderesses au principal. À cet égard, ils ont fait valoir le besoin d’obtenir certains moyens de preuve afin de quantifier l’augmentation artificielle des prix, notamment pour parvenir à la comparaison des prix recommandés avant, pendant et après la période de l’entente concernée.
21 Lors de l’audience devant la juridiction de renvoi du 7 octobre 2019 et dans le cadre de leurs observations relatives à l’éventuelle saisine de la Cour au titre de l’article 267 TFUE, les défenderesses au principal, pour leur part, ont invoqué, entre autres arguments, le fait que certains des documents demandés requéraient une élaboration ad hoc et qu’une telle obligation comporterait à leur égard une charge excessive, allant au-delà d’une simple « injonction de produire » des éléments de preuve, ce qui serait notamment contraire au principe de proportionnalité.
22 Selon la juridiction de renvoi, il ressort des dispositions tant de la directive 2014/104 que du code de procédure civile, tel que modifié par le décret-loi royal 9/2017, réglementant la production des preuves pertinentes qu’elle peut, à la demande de l’une des parties, enjoindre au demandeur, au défendeur ou à un tiers de « produire les preuves pertinentes qui se trouvent en leur possession ».
23 En l’occurrence, la demande de production de preuves porterait sur des documents qui, tels qu’ils ont été demandés, seraient susceptibles de ne pas préexister à cette demande, ce qui nécessiterait dès lors des défenderesses au principal un travail d’élaboration, consistant en l’agrégation et en la classification de données selon les paramètres définis par les requérants au principal. De l’avis de la juridiction de renvoi, cette tâche excède la simple recherche et la sélection de documents déjà existants ou la simple mise à la disposition des requérants au principal de l’ensemble des données concernées, moyennant leur traitement confidentiel, car il s’agirait de réunir dans un nouveau document, sur un support numérique ou un autre support, les informations, les connaissances ou les données se trouvant en la possession de la partie à laquelle la demande de production de preuves est adressée.
24 Or, la nécessité que le document dont la production est demandée préexiste à la demande dont celui-ci fait l’objet semblerait découler du libellé de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, et du considérant 14 de la directive 2014/104, faisant respectivement référence aux « preuves pertinentes qui se trouvent en leur possession » et aux « preuves [...] détenues exclusivement par la partie adverse », ce qui, selon la juridiction de renvoi, confirme l’idée que le document demandé doit être préexistant à la demande dont il fait l’objet et non être créé à la suite de celle-ci. Cette idée de préexistence découlerait également de l’exigence que la demande concernée porte sur les « catégories pertinentes de preuves, circonscrites de manière aussi précise et étroite que possible, sur la base de données factuelles raisonnablement disponibles dans la justification motivée », conformément à l’article 5, paragraphe 2, et au considérant 16 de cette directive. L’exclusion de documents établis ex novo des documents pouvant être demandés au titre de l’article 5 de ladite directive pourrait en outre être déduite du fait que cette dernière mentionnerait la production ou l’accès à des preuves, en l’occurrence des preuves documentaires, mais ne ferait pas référence à la production ou à l’accès à des informations, à des connaissances ou à des données.
25 À cet égard, la juridiction de renvoi fait part de ses doutes, en ce que certains arguments invoqués en faveur d’une interprétation plus large pourraient être fondés. Ainsi, il pourrait être considéré qu’une interprétation restrictive en matière de production de preuves compromette le droit à la réparation intégrale du préjudice subi. De plus, la directive 2014/104 ferait état des frais et des coûts de la production de preuves en tant qu’élément du principe de proportionnalité aux fins de l’acceptation de cette production, ce qui pourrait signifier que la partie à qui des preuves sont demandées soit tenue d’effectuer un travail pouvant entraîner des coûts et susceptible, dès lors, d’aller au-delà de la simple recherche et de la remise de documents préexistants.
26 C’est dans ces conditions que le Juzgado de lo Mercantil no 7 de Barcelona (tribunal de commerce no 7 de Barcelone) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« L’article 5, paragraphe 1, de la directive [2014/104] doit-il être interprété en ce sens que la production de preuves pertinentes fait référence uniquement aux documents en [la] possession de la partie défenderesse ou d’un tiers qui existent déjà ou, au contraire, cette disposition inclut-elle également la possibilité de production de documents que la partie à laquelle la demande de production de preuves est adressée devrait créer ex novo, en agrégeant ou en classant des informations, des connaissances ou des données en sa possession ? »
Sur la question préjudicielle
Sur l’applicabilité ratione temporis de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2014/104
27 Il convient d’emblée de rappeler, s’agissant de l’application ratione temporis de la directive 2014/104, que cette dernière contient une disposition particulière, qui détermine expressément les conditions d’application dans le temps des dispositions substantielles et non substantielles de celle-ci (arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks, C 267/20, EU:C:2022:494, point 35 ainsi que jurisprudence citée).
28 En effet, d’une part, en vertu de l’article 22, paragraphe 1, de la directive 2014/104, les États membres devaient veiller à ce que les dispositions nationales adoptées en application de l’article 21 de celle-ci afin de se conformer aux dispositions substantielles de cette directive ne s’appliquent pas rétroactivement.
29 D’autre part, en vertu de l’article 22, paragraphe 2, de la directive 2014/104, les États membres devaient veiller à ce qu’aucune disposition nationale autre que celles visées à l’article 22, paragraphe 1, de cette directive ne s’applique aux recours en dommages et intérêts dont une juridiction nationale avait été saisie avant le 26 décembre 2014, date d’adoption de ladite directive.
30 Dès lors, afin de déterminer l’applicabilité temporelle des dispositions de la directive 2014/104, en premier lieu, il convient d’établir si la disposition concernée constitue une disposition substantielle ou non, étant précisé que cette question doit être appréciée, en l’absence de renvoi au droit national à l’article 22 de cette directive, au regard du droit de l’Union et non pas au regard du droit national applicable (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks, C 267/20, EU:C:2022:494, points 38 et 39).
31 À cet égard, premièrement, il importe de relever que l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de ladite directive vise à conférer aux juridictions nationales la possibilité d’enjoindre à la partie défenderesse ou à une tierce partie, à certaines conditions, de produire des preuves pertinentes qui se trouvent en leur possession.
32 En ce qu’elle oblige les États membres à doter ces juridictions de pouvoirs particuliers dans le cadre de l’examen des litiges portant sur les recours en dommages et intérêts tendant à l’indemnisation du préjudice subi en raison des infractions au droit de la concurrence, cette disposition vise à remédier à l’asymétrie de l’information qui caractérise, en principe, ces litiges au détriment de la personne lésée, ainsi que cela est rappelé au considérant 47 de la directive 2014/104, et qui rend plus difficile pour cette personne l’obtention des informations indispensables pour intenter un recours en dommages et intérêts (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks, C 267/20, EU:C:2022:494, points 55 et 83).
33 Deuxièmement, puisque l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2014/104 a précisément pour objectif de permettre à la partie demanderesse à de tels litiges de compenser le déficit d’information qui est le sien, il conduit, certes, à mettre à la disposition de cette partie, lorsqu’elle s’adresse à cette fin au juge national, des atouts qu’elle ne possédait pas. Il n’en demeure pas moins que, ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général au point 57 de ses conclusions, l’objet de cet article 5, paragraphe 1, premier alinéa, ne porte que sur les mesures procédurales applicables devant les juridictions nationales, conférant à celles-ci des pouvoirs particuliers en vue d’établir les faits dont se prévalent les parties dans le cadre des litiges portant sur les recours en dommages et intérêts pour de telles infractions et n’affecte donc pas directement la situation juridique de ces parties, en ce que cette disposition ne porte pas sur les éléments constitutifs de la responsabilité civile extracontractuelle.
34 En particulier, il n’apparaît pas que l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2014/104 établisse de nouvelles obligations de fond pesant sur l’une ou l’autre des parties à ce type de litiges, ce qui permettrait de considérer cette disposition comme étant substantielle, au sens de l’article 22, paragraphe 1, de cette directive (voir, par analogie, arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks, C 267/20, EU:C:2022:494, point 83).
35 Il convient dès lors de conclure que l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2014/104 ne figure pas au nombre des dispositions substantielles de cette directive, au sens de l’article 22, paragraphe 1, de celle-ci, et qu’il fait partie, par conséquent, des autres dispositions visées à l’article 22, paragraphe 2, de ladite directive, étant, en ce qui le concerne, une disposition procédurale.
36 En second lieu, le recours au principal ayant été, en l’occurrence, introduit le 25 mars 2019, soit après le 26 décembre 2014 et après la date de transposition de la directive 2014/104 dans l’ordre juridique espagnol, l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive est applicable ratione temporis à un tel recours en vertu de l’article 22, paragraphe 2, de ladite directive, de telle sorte qu’il y a lieu de répondre sur le fond à la juridiction de renvoi.
Sur le fond
37 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2014/104 doit être interprété en ce sens que la mention qui y est faite de la production des preuves pertinentes en la possession de la partie défenderesse ou d’un tiers porte uniquement sur les documents en leur possession qui existent déjà ou également sur ceux que la partie à laquelle la demande de production de preuves est adressée devrait créer ex novo, en agrégeant ou en classant des informations, des connaissances ou des données en sa possession.
38 En ce qui concerne la portée des termes « en [...] possession » figurant à l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2014/104, il importe, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, de tenir compte non seulement des termes de la disposition du droit de l’Union devant être interprétée, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 28 avril 2022, Nikopolis AD Istrum 2010 et Agro – eko 2013, C 160/21 et C 217/21, EU:C:2022:315, point 30 ainsi que jurisprudence citée).
39 En premier lieu, le libellé de cette disposition amène à considérer que, ainsi que la juridiction de renvoi le fait observer et qu’il est relevé au point 24 du présent arrêt, elle ne concerne, s’agissant d’une demande de production de preuves adressée par la partie demanderesse à la juridiction nationale concernée, que les preuves préexistantes.
40 En deuxième lieu, en ce qui concerne le contexte de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2014/104, premièrement, il y a lieu de tenir compte de la définition du terme « preuves » figurant à l’article 2, point 13, de cette directive. En effet, la portée de ce terme conditionne ce qui se trouve « en [la] possession » du défendeur ou d’un tiers, au sens de la première disposition.
41 Or, selon l’article 2, point 13, de la directive 2014/104, ledit terme vise « tous les moyens de preuve admissibles devant la juridiction nationale saisie, en particulier les documents et tous les autres éléments contenant des informations, quel qu’en soit le support ». Outre le fait que le mot « preuves » est en soi un mot général, cette définition conforte, quant à la nature des preuves dont la production peut être ordonnée par cette juridiction nationale, l’acception large de ce terme « preuves » résultant de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive. À cet égard, aucune distinction n’est faite, dans ladite définition, en fonction du caractère préexistant ou non des preuves dont la production est demandée. Il s’ensuit que les preuves visées à cette dernière disposition ne correspondent pas nécessairement à des « documents » préexistants, ainsi que la juridiction de renvoi le laisse supposer dans sa question préjudicielle.
42 Cette conclusion est corroborée par les considérants 28 et 39 de la directive 2014/104, qui font respectivement mention « des preuves existant indépendamment de la procédure engagée par une autorité de concurrence » et « des preuves autres que celles en [l]a possession » de l’auteur de l’infraction, « telles que les preuves déjà acquises au cours de la procédure ou celles détenues par d’autres parties ou des tiers », rappelant ainsi la diversité des preuves concernées, en particulier s’agissant des personnes qui les détiennent.
43 Deuxièmement, il convient de relever que l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2014/104 se compose de deux phrases. La première prévoit qu’un demandeur, ayant étayé la plausibilité de sa demande de dommages et intérêts en présentant des données factuelles et des « preuves raisonnablement disponibles » suffisantes, peut obtenir de la juridiction nationale qu’il a saisie qu’elle enjoigne au défendeur ou à un tiers de produire des « preuves pertinentes qui se trouvent en leur possession », sous réserve des conditions énoncées au chapitre II de cette directive, intitulé « Production de preuves ». La seconde énonce que le défendeur doit pouvoir demander à cette juridiction d’enjoindre au demandeur ou à un tiers de produire « des preuves pertinentes ». Il importe ainsi de relever une différence de rédaction entre la première et la seconde phrase de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2014/104, puisque seule cette première phrase mentionne les termes « qui se trouvent en leur possession ».
44 Le considérant 14 de la directive 2014/104 est particulièrement instructif concernant la ratio legis de ces deux phrases, puisqu’il énonce que, « [d]ans bien des cas, les preuves nécessaires pour démontrer le bien-fondé d’une demande de dommages et intérêts sont détenues exclusivement par la partie adverse ou des tiers et ne sont pas suffisamment connues du demandeur, ou celui-ci n’y a pas accès », raison pour laquelle il ne saurait être fait peser « des exigences juridiques strictes faisant obligation aux demandeurs d’exposer précisément tous les faits de l’affaire au début de l’instance et de produire des éléments de preuve bien précis à l’appui de leur demande » sans empêcher indûment l’exercice effectif du droit à réparation garanti par le traité FUE.
45 Par conséquent, en se référant aux preuves « en [la] possession » du défendeur ou d’un tiers, le législateur de l’Union fait avant tout un constat factuel, illustrant l’asymétrie de l’information à laquelle il entend remédier, ainsi que M. l’avocat général l’a souligné au point 72 de ses conclusions, et c’est également ce constat qui explique l’absence de réitération des termes « qui se trouvent en leur possession » dans la seconde phrase de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2014/104. En effet, dès lors que cette seconde phrase est relative à une demande de production de preuves présentée cette fois par la partie défenderesse et que, « [d]ans bien des cas, les preuves nécessaires [...] ne sont pas suffisamment connues du demandeur », il eût été contradictoire de postuler que ces preuves fussent « en [la] possession » de ce dernier. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle cette disposition se borne à exiger de lui des « preuves raisonnablement disponibles suffisantes », au vu du peu d’éléments dont il dispose généralement lors de l’introduction d’un recours en dommages et intérêts.
46 À ce dernier égard, le considérant 15 de la directive 2014/104, tout en rappelant, à nouveau, que la raison d’être de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive tient à ce que les litiges ayant trait au droit de la concurrence se caractérisent par une asymétrie de l’information entre les parties concernées, indique, d’une part, que, afin de résoudre une telle difficulté, « il y a lieu de veiller à ce que les demandeurs disposent du droit d’obtenir la production des preuves qui se rapportent à leur demande, sans avoir à désigner des éléments de preuve précis » et, d’autre part, que « ces moyens devraient aussi être accessibles aux défendeurs dans les actions en dommages et intérêts, de sorte qu’ils puissent demander aux demandeurs de produire des preuves ».
47 Il ressort ainsi de ce considérant que le législateur de l’Union a mis l’accent, ainsi que M. l’avocat général l’a souligné au point 76 et dans la note en bas de page 27 de ses conclusions, sur le « rapport entre la preuve demandée et la demande de dommages et intérêts », ce qui est primordial pour la juridiction nationale concernée afin qu’elle puisse se prononcer utilement sur la demande de production de preuves qui lui est présentée, dans le respect du principe de l’égalité des armes entre les parties au litige dont elle est saisie.
48 Dans le même sens, mais de manière plus nette encore, le considérant 16 de la directive 2014/104 exprime la nécessité, pour la juridiction nationale saisie, d’ordonner « la production d’éléments de preuve bien précis » ou de « catégories de preuves », lesquelles devraient être identifiées par référence à des caractéristiques communes de leurs éléments constitutifs, tels que, par exemple, s’agissant de documents, « la période durant laquelle ils ont été établis ».
49 Ainsi, la lecture de ces considérants éclaire le libellé de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2014/104 et met en évidence que la référence faite, à cette disposition, aux preuves pertinentes en la possession du défendeur ou d’un tiers se borne à refléter, ainsi qu’il est rappelé au point 44 du présent arrêt, le constat que ceux-ci détiennent effectivement, « [d]ans bien des cas », de telles preuves, ces dernières, comprises de façon générique, pouvant être regroupées, ainsi qu’il est rappelé au point précédent du présent arrêt, en « catégories de preuves » ou porter seulement sur des « éléments de preuve ». Autrement dit, l’emploi des termes « qui se trouvent en leur possession » vise à rendre compte d’une situation de fait à laquelle le législateur de l’Union entend remédier.
50 Troisièmement, cette analyse est corroborée par la lecture de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2014/104 à la lumière des paragraphes 2 et 3 de cet article, ce paragraphe 2 énonçant l’exigence de spécificité de la demande de production de preuves, tandis que le paragraphe 3 dudit article rappelle l’application en la matière du principe de proportionnalité.
51 Ainsi, l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2014/104 exige des juridictions nationales qu’elles limitent la production de preuves à « certains éléments de preuves ou [...] catégories pertinentes de preuves, circonscrites de manière aussi précise et étroite que possible, sur la base de données factuelles raisonnablement disponibles dans la justification motivée ».
52 L’article 5, paragraphe 3, sous b), de cette directive énonce, pour sa part, que les juridictions nationales saisies sont tenues de prendre en considération, afin de limiter « la production des preuves à ce qui est proportionné », notamment, « l’étendue et le coût de la production de preuves, en particulier pour les éventuels tiers concernés, y compris afin d’éviter toute recherche non spécifique d’informations dont il est peu probable qu’elles soient pertinentes pour les parties à la procédure ».
53 Or, une telle disposition suppose, implicitement, mais nécessairement, que le coût de la production de preuves puisse, le cas échéant, excéder significativement celui correspondant à la simple transmission de supports physiques, en particulier de documents, en la possession du défendeur ou d’un tiers.
54 En troisième lieu, il convient de vérifier si cette analyse est compatible avec la finalité de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2014/104.
55 Il importe de rappeler que le législateur de l’Union, en adoptant la directive 2014/104, est parti du constat que la lutte contre les comportements anticoncurrentiels à l’initiative de la sphère publique, c’est-à-dire de la Commission et des autorités de concurrence nationales, n’était pas suffisante pour assurer le plein respect des articles 101 et 102 TFUE et qu’il importait de faciliter la possibilité, pour la sphère privée, de concourir à l’accomplissement de cet objectif, ainsi que le considérant 6 de cette directive l’illustre.
56 Cette participation de la sphère privée à la sanction pécuniaire, et, dès lors, aussi à la prévention, de comportements anticoncurrentiels est d’autant plus souhaitable qu’elle est de nature non seulement à remédier au préjudice direct que la personne concernée allègue avoir subi, mais également aux préjudices indirects portés à la structure et au fonctionnement du marché, qui n’a pu déployer sa pleine efficacité économique, notamment au profit des consommateurs concernés (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2021, Sumal, C 882/19, EU:C:2021:800, point 36).
57 Pour rendre la chose possible et, dans le même temps, éviter un recours abusif à de telles procédures, la directive 2014/104 établit une mise en balance « des intérêts légitimes de l’ensemble des parties et tiers concernés », selon les termes de l’article 5, paragraphe 3, de cette directive.
58 À cet égard, le législateur de l’Union a pris soin, notamment à l’article 6, paragraphe 5, de ladite directive, de préserver les prérogatives de la Commission et des autorités de concurrence nationales, faisant en sorte que l’obligation de produire des preuves de leur part ou de celle des entreprises visées par une de leurs enquêtes n’y porte pas atteinte.
59 Atteindre l’objectif indiqué au point 55 du présent arrêt supposait la mise en œuvre d’outils de nature à remédier à l’asymétrie de l’information entre les parties au litige, puisque, par définition, l’auteur de l’infraction sait ce qu’il a fait et ce qui lui a été, le cas échéant, reproché et connaît les preuves qui ont pu, en pareil cas de figure, servir à la Commission ou à l’autorité de concurrence nationale concernée pour démontrer sa participation à un comportement anticoncurrentiel contraire aux articles 101 et 102 TFUE, alors que la victime du préjudice causé par ce comportement ne dispose pas de ces preuves.
60 C’est à la lumière de ces considérations relatives à la finalité de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2014/104 qu’il convient d’interpréter cette disposition.
61 Premièrement, il convient d’observer, d’un point de vue pratique, que le fait pour la partie demanderesse de se voir fournir seulement des documents bruts préexistants, possiblement très nombreux, ne correspondrait qu’imparfaitement à sa demande, alors que, au contraire, il est nécessaire d’appliquer cette disposition avec efficacité pour fournir aux parties lésées des outils de nature à compenser l’asymétrie de l’information entre les parties au litige.
62 Deuxièmement, exclure d’emblée la faculté de demander la production de documents ou d’autres éléments de preuve que la partie à laquelle la demande est adressée devrait créer ex novo conduirait, dans certains cas de figure, à la création d’obstacles rendant plus difficile la mise en œuvre des règles de concurrence de l’Union par la sphère privée, alors que, ainsi qu’il ressort du point 55 du présent arrêt, la facilitation de cette mise en œuvre constitue l’objectif premier de la directive 2014/104, illustré par le considérant 6 de cette dernière.
63 Une telle interprétation ne saurait être mise en cause au motif qu’elle perturberait l’équilibre entre l’intérêt du demandeur d’obtenir les informations pertinentes pour sa cause et l’intérêt de la personne qui se voit enjoindre de produire ces informations d’être préservée d’une « pêche aux informations », telle que décrite au considérant 23 de cette directive, et d’une charge excessive à cet égard.
64 En effet, il résulte notamment de l’article 5, paragraphes 2 et 3, de la directive 2014/104 que le législateur de l’Union a instauré un mécanisme de mise en balance des intérêts en présence, sous le contrôle strict des juridictions nationales saisies, lesquelles doivent effectuer, ainsi qu’il ressort des points 51 et 52 du présent arrêt, un examen exigeant de la demande dont elles sont saisies, en ce qui concerne la pertinence des preuves demandées, le lien entre ces preuves et la demande indemnitaire présentée, le caractère suffisant du degré de précision desdites preuves et la proportionnalité de celles-ci. C’est dès lors à ces juridictions qu’il revient d’apprécier si la demande de production de preuves réalisées ex novo à partir d’éléments de preuve préexistants en la possession du défendeur ou d’un tiers risque, compte tenu, par exemple, de son caractère excessif ou trop général, de faire peser une charge disproportionnée sur la partie défenderesse ou le tiers concerné, qu’il s’agisse du coût ou de la charge de travail que cette demande occasionnerait.
65 À cet égard, compte tenu des prérogatives dont la Commission et les autorités de concurrence nationales disposent en matière d’inspection et de communication de documents, il ne saurait être question de transposer les principes applicables à la lutte contre les comportements anticoncurrentiels à l’initiative de la sphère publique à cette lutte lorsque cette dernière intervient à l’initiative de la sphère privée.
66 Néanmoins, eu égard aux critères rappelés aux points 51 et 52 du présent arrêt, et dont les juridictions nationales saisies doivent veiller au respect, l’interprétation de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2014/104 ne saurait conduire à ce que les défenderesses au principal se substituent aux requérants au principal dans la tâche qui leur incombe de démontrer l’existence et l’étendue du préjudice subi. Ce raisonnement vaudrait, à plus forte raison, pour les procédures dans le cadre desquelles aucun comportement infractionnel n’a été, au préalable, sanctionné par la Commission ou par une autorité de concurrence nationale.
67 En outre, ainsi qu’il est rappelé au considérant 53 de cette directive, les dispositions de celle-ci doivent être mises en œuvre dans le respect des droits fondamentaux et des principes reconnus par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
68 Ainsi, dans ce cadre, les juridictions doivent tenir compte, en application du principe de proportionnalité, du caractère adéquat ou non de la charge de travail et du coût occasionné par la constitution ex novo de supports physiques, en particulier de documents, et prendre en considération l’ensemble des circonstances de l’affaire concernée, en particulier au regard des critères énumérés à l’article 5, paragraphe 3, sous a) à c), de ladite directive, telles que la période pour laquelle la production de preuves est demandée.
69 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2014/104 doit être interprété en ce sens que la mention qui y est faite des preuves pertinentes en la possession du défendeur ou d’un tiers vise également celles que la partie à laquelle la demande de production de preuves est adressée devrait créer ex novo, en agrégeant ou en classant des informations, des connaissances ou des données en sa possession, sous réserve du strict respect de l’article 5, paragraphes 2 et 3, de cette directive qui fait obligation aux juridictions nationales saisies de limiter la production de preuves à ce qui est pertinent, proportionné et nécessaire, en tenant compte des intérêts légitimes et des droits fondamentaux de cette partie.
Sur les dépens
70 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :
L’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne,
Doit être interprété en ce sens que :
La mention qui y est faite des preuves pertinentes en la possession du défendeur ou d’un tiers vise également celles que la partie à laquelle la demande de production de preuves est adressée devrait créer ex novo, en agrégeant ou en classant des informations, des connaissances ou des données en sa possession, sous réserve du strict respect de l’article 5, paragraphes 2 et 3, de cette directive, qui fait obligation aux juridictions nationales saisies de limiter la production de preuves à ce qui est pertinent, proportionné et nécessaire, en tenant compte des intérêts légitimes et des droits fondamentaux de cette partie.