Cass. crim., 22 juin 1988, n° 87-81.836
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ledoux
Rapporteur :
M. Malibert
Avocat général :
M. Galand
Avocats :
SCP Michel et Christophe Nicolay, Me Delvolvé
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Bernard
contre un arrêt de la cour d'appel d'AMIENS, 4ème chambre, en date du 23 février 1987 qui, pour abus de biens sociaux, l'a condamné à 2 ans d'emprisonnement dont un avec sursis et 40 000 francs d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 437-3° de la loi du 24 juillet 1966, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt partiellement infirmatif attaqué a déclaré le demandeur coupable d'abus de biens de la société PAA BEVE à concurrence de 890 817,80 francs ;
"aux motifs, d'une part, qu'il résulte du rapport des experts comptables que la société PAA BEVE a consenti à DIFPAA deux avances de trésorerie, à savoir 66 000 francs par chèque du 30 octobre 1981, et 72 000 francs par chèque du 30 novembre 1981 ; qu'à l'évidence, si ces créances étaient conformes aux intérêts de DIFPAA, elles étaient contraires à ceux de PAA BEVE, celle-ci ayant, au départ, une situation financière précaire ;
"alors que l'abus de biens sociaux n'est constitué que pour autant que l'acte litigieux soumet l'actif social à un risque de pertes sans contrepartie ; qu'en l'espèce, les juges du fond n'ont pu estimer que les avances de trésorerie faites par PAA BEVE à DIFPAA étaient contraires à l'intérêt social, sans rechercher si la circonstance que la seconde se soit contractuellement engagée à écouler 50 % de la production de la première n'était pas de nature à constituer la contrepartie exclusive de toute atteinte à l'intérêt social ;
"aux motifs, d'autre part, que la procédure de facturation prévue par l'accord PAA BEVE - DIFPAA n'évait pas été respectée et qu'en fait il avait été établi une facture par livraison, mais que six livraisons facturées par DIFPAA à ses clients n'avaient pas été facturées par PAA BEVE à DIFPAA ; que les dates des facturations par DIFPAA à ses clients se situant du 11 février au 3 août 1982 alors que X... n'était plus directeur commercial depuis le 19 janvier, ces défauts de facturation ne peuvent lui être imputés, faute de preuve formelle qu'ils proviennent d'instructions par lui données avant son départ au service comptable de PAA BEVE ; que, par contre, en sa qualité de directeur général de cette société, X... devait veiller à ce que les livraisons qu'elle avait faites lui soient payées au moins au fur et à mesure de la vente effective de la marchandise par DIFPAA à ses clients et, à tout le moins, en fin de mois aux termes de l'accord sous seing privé du 2 octobre 1981, qu'il résulte, sur ce point, des constatations des experts, que DIFPAA avait reçu de ses clients, en décembre 1981, 64 576 francs et, en janvier, 185 770,14 francs ; que s'il existe un doute en ce qui concerne janvier, en raison de la démission de X... le 19 dudit mois, il y a lieu de le retenir dans les liens de la prévention pour décembre, les sommes correspondantes n'ayant finalement été réglées à PAA BEVE sous contrainte de l'administrateur judiciaire, qu'à partir de février 1982 ; que ces retards au paiement des livraisons, s'ils favorisaient DIFPAA, étaient manifestement contraires aux intérêts de PAA BEVE ;
"alors que la circonstance, à la supposer établie, qu'une société cliente, au sein de laquelle un dirigeant social détient des intérêts, ait tardé à régler des livraisons, si elle peut donner lieu à un litige d'ordre commercial, ne saurait, à elle seule, être qualifiée d'abus de biens sociaux" ;
Attendu que pour déclarer X... coupable d'abus des biens de la SA PAA BEVE dont il était le directeur général, dans le cadre des relations de cette dernière avec la SARL DIFPAA dont il était le gérant, la cour d'appel retient à son encontre en premier lieu le fait d'avoir émis sur les comptes de la SA PAA BEVE et à l'ordre de la SARL DIFPAA les 30 octobre et 30 novempbre 1981, deux chèques de 66 000 francs et 72 000 francs sous couvert d'avances de trésorerie ; que les juges énoncent que ces avances conformes aux intérêts de la seconde société étaient contraires à ceux de la première, "celle-ci ayant dès le départ une situation financière précaire due au fait que la première échéance de remboursement de l'usine de Braine à la SA SITPA était d'un montant supérieur à celui de son capital nominal, au demeurant libéré seulement du quart" ; que s'agissant du fait pour X... d'avoir tardé à établir à l'ordre de la SARL DIFPAA une facture d'un montant de 60 268,78 francs dont elle était redevable à l'égard de la SA PAA BEVE et alors qu'elle même avait été payée par son client, les juges exposent que "ces retards au paiement des livraisons, s'ils favorisaient DIFPAA, étaient manifestement contraires aux intérêts de PAA BEVE" ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations qui caractérisent en tous ses éléments constitutifs le délit prévu par l'article 437-3° de la loi du 24 juillet 1966, la cour d'appel a donné une base légale à sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 437-3 de la loi du 24 juillet 1966, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt partiellement infirmatif attaqué a déclaré le demandeur coupable d'abus des biens de la société PAA BEVE à concurrence de 890 817,80 francs ;
"aux motifs que les experts ont néanmoins relevé 26 facturations de ETEC à divers clients, de sacs de 25 kg de flocon représentant 27 540 Kg pour un montant TTC de 175 285,44 francs et qu'aucun élément ne faisant apparaître d'autres sources d'approvisionnement d'ETEC, ils en on conclu que ces marchandises provenaient du seul fournisseur, en l'espèce PAA BEVE et qu'en définitive, sauf éléments contraires, qui ne sont toujours pas apparus à ce jour, ces quantités correspondaient à des marchandises livrées par PAA BEVE et dont le conditionnement lui avait été facturé par ETEC, mais directement revendues par cette société en sac de 25 Kg, en sorte que la créance de PAA BEVE sur ETEC s'élève, sur ce point, à : son approvisionnement en flocons, impayé : 164 268,72 francs, son conditionnement payé mais non réalisé : 21 168 francs, soit 185 436,72 francs, caractérisant au dire des experts et à défaut de tout élément contraire un nouveau détournement de biens sociaux de PAA BEVE au profit de X... via ETEC ; que les experts ont encore relevé deux facturations d'ETEC à PAA BEVE, ne correspondant pas à des prestations réellement effectuées, l'une en date du 30 octobre 1981, pour location de deux chariots en vue des opérations de "déménagement" des machines de l'usine de Braine, alors que PAA BEVE disposait, parmi le matériel venant de SITPA, d'un nombre suffisant de chariots : 20 700 HT, l'autre, du 28 août 1981, pour "fourniture de matériaux et clichés pour conditionnement", ne correspondant à aucune fourniture d'importance comparable facturée à ETEC par ses propres fournisseurs : 118 855,96 francs ;
"alors que les premiers juges ayant, pour l'essentiel, écarté tout détournement de biens sociaux de PAA BEVE au profit de la société ETEC, en relevant que cette dernière avait tenu informée la société DIFPAA des prélèvements sur le stock et qu'il n'était pas établi que les prestations litigieuses n'aient pas été effectuées ou facturées à un prix excessif, la cour d'appel n'a pu, pour infirmer le jugement qui lui était déféré, s'abstenir de répondre à ces objections péremptoires" ;
Attendu que pour déclarer établi contre X... le délit d'abus de biens sociaux à l'occasion des relations de la SA PAA BEVE avec la SARL ETEC, dont son épouse était la gérante, la cour d'appel retient en premier lieu le non paiement par cette dernière de livraisons de produits pour une valeur de 164 268,72 francs ainsi que le paiement à son bénéfice de la somme de 21 168 francs correspondant au conditionnement, en réalité non effectué, de ces marchandises, et d'autre part deux facturations par la SARL ETEC à la SA PAA BEVE d'un montant total de 139 555,96 francs pour des prestations de services dont X... n'a pas pu établir qu'elles aient été effectivement fournies ;
Que dès lors, le moyen, qui se borne à remettre en question les faits et circonstances de la cause souverainement appréciés par les juges du fond, ne peut qu'être rejeté ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 437-3° de la loi du 24 juillet 1966, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré recevable la constitution de partie civile de la société VICO ;
"aux motifs que le droit à réparation du préjudice résultant d'une infraction nait du fait de celle-ci dans le patrimoine de la victime, que celle-ci soit une personne physique ou morale, et se transmet par toutes les causes juridiques qui entraînent transmission de la totalité de ce patrimoine, telles que succession, absorption ou fusion ; que la société Coopérative Agricole de Conditionnement de Vic-sur-Aisne "VICO" établit qu'elle a absorbé la société PAA BEVE par une convention de fusion-absorption approuvée par son assemblée générale extraordinaire du 15 octobre 1982 ; qu'elle a donc recueilli, dans le patrimoine de la société absorbée, le droit à réparation du préjudice causé par les agissements frauduleux de X... et régulièrement repris à son nom l'action judiciaire préalablement introduite par la société absorbée, qui s'était constituée partie civile au début de l'information ;
"alors que le cessionnaire ne peut jamais exercer l'action civile, qui lui a été cédée, devant le juge répressif, faute d'avoir été, lui-même, victime de l'infraction" ;
Attendu que pour écarter les conclusions du prévenu reprises au moyen, soulevant l'irrecevabilité de la constitution de partie civile de la société Coopérative Agricole de Conditionnement de Vic-sur-Aisne "VICO" qui du fait de l'absorption de la SA PAA BEVE ne pouvait être regardée que comme cessionnaire de la créance éventuelle en dommages-intérêts et qui, à ce titre, ne justifiait d'aucun préjudice direct et personnel et pour faire partiellement droit à cette demande, la cour d'appel énonce que cette partie civile a "recueilli dans le patrimoine de la société absorbée le droit à réparation du préjudice causé par les agissements frauduleux de X..." ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que par l'effet de la fusion, la société absorbante est substituée activement et passivement à titre universel, aux droits et obligations de la société absorbée, la cour d'appel a donné une base légale à sa décision sans encourir les griefs du moyen, lequel doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.