CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 6 octobre 2021, n° 21/07697
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Saturnimmag (SCS)
Défendeur :
Mandataires Juridiques Associes (Selafa), Des Rosiers (SAS), Eram (SAS), LBMB Notaires (SCP)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bala
Conseillers :
Mme Gil, Mme Goury
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte reçu le 22 décembre 2016 par maître Cécile M., notaire associé à Paris avec la participation pour assister le promettant de maître Olivier B.-M., notaire associé de la société LBMB, la société Des Rosiers a consenti une promesse synallagmatique de vente sous diverses conditions à la société Saturnimmag d'un immeuble à destination commerciale sis [...], au prix de 6.000.000 euros. Cet immeuble était donné à bail à la société Dagi.
La société Des Rosiers s'engageait à résilier le bail en cours conclu avec la société Dagi et à la signature concomitante par la société Dagi d'un nouveau bail d'une durée de 10 ans dont six années fermes au loyer annuel de 501.000 euros et se portait fort que la société Lilnat s'engage à garantir à première demande les obligations de la société Dagi. (La société Lilnat, elle-même contrôlée à hauteur de 99,56 % par la société Eram, détient 50 % du capital social des sociétés Des Rosiers et Dagi).
Par acte reçu le 23 février 2017 par les mêmes notaires, la vente a été réitérée. Le même jour a été signé un bail par acte sous seing privé entre la société Saturnimmag et la société Dagi. Le 22 février 2017 la garantie autonome à première demande avait été consentie par la société Lilnat.
Les parties sont convenues dans l'acte de vente de séquestrer une somme de 1.000.000 euros entre les mains de maître Olivier B.-M. afin de garantir que la venderesse obtienne un permis de construire régularisant l'usage commercial d'une partie de la surface vendue.
La société Lilnat a été placée en redressement judiciaire le 4 mai 2017, par jugement du tribunal de commerce de Bobigny avec pour mandataire judiciaire la société Mandataires Juridiques Associés (ci-après la société MJA). Par jugement du 26 juin 2017, le tribunal a arrêté un plan de cession. Le 3 août 2017, la- société Dagi a été mise en liquidation judiciaire.
Par actes d'huissier du 21 août 2017, la société Saturnimmag a assigné les sociétés Lilnat, MJA, Des Rosiers, Eram, LPMB et maître Olivier B.-M. devant le tribunal judiciaire de Paris notamment pour obtenir la nullité de la vente pour dol, la restitution du prix de vente par appréhension de la somme séquestrée et la condamnation solidaire des sociétés Des Rosiers, et Eram, formant subsidiairement une demande de dommages-intérêts pour perte de chance de négocier un prix de vente inférieur.
Par jugement en date du 11 mars 2021, le tribunal judiciaire de Paris a statué comme suit :
Déboute la société Saturnimmag de ses demandes tendant à :
-Prononcer la nullité de la vente ;
-Condamner in solidum les sociétés Des Rosiers et Eram à lui restituer une somme de 5.000.000 euros ;
-Ordonner à Olivier B.-M. de lui remettre la somme séquestrée de 1.000.000 euros ;
-Ordonner la publication du jugement au service de publicité foncière ;
-Subsidiairement, condamner in solidum les sociétés Des Rosiers et Eram à lui verser une indemnité de 1.700.000 euros pour perte de chance de négocier le prix d'acquisition à la baisse ;
-Très subsidiairement, ordonner une expertise afin d'estimer la différence de valeur existant entre le bien vendu avec la garantie par la société Eram des engagements de la société Dagi et le même bien après défaillance des sociétés Dagi et Lilnat ;
-En tout état de cause, condamner in solidum les sociétés Des Rosiers et Eram à lui verser une somme de 150.000 euros en réparation de son préjudice consécutif à l'inoccupation prolongée du bien et une somme de 126.798,73 euros hors taxe au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Ordonne, en tant que de besoin, à Olivier B.-M. de remettre à la société Des Rosiers la somme de 1.000.000 euros séquestrée entre ses mains ;
Condamne la société Saturnimmag à verser à la société Des Rosiers les intérêts légaux sur le capital séquestré de 1.000.000 euros à compter du 8 mars 2018 ;
Déboute la société Des Rosiers de sa demande tendant à :
-La condamnation de la société Saturnimmag à lui verser une somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la société Eram de sa demande tendant à :
-Condamner la société Saturnimmag à lui verser une somme de 75.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la société Lilnat de sa demande tendant à :
-Condamner la société Saturnimmag à lui verser une somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Ordonne l'exécution provisoire du jugement ;
Condamne la société Saturnimmag aux dépens et accorde à maître Gilbert M. le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile ;
Par déclaration en date du 20 avril 2021, la société Saturnimmag a interjeté appel de ce jugement.
Saisi par assignation en date du 28 avril 2021, par ordonnance du 17 juin 2021, le premier président de la Cour d'appel de Paris a jugé la société Saturnimmag irrecevable a' solliciter l'arrêt de l'exécution provisoire de la disposition du jugement entrepris ordonnant a' Me Olivier B.-M. de remettre a' la société Des Rosiers la somme de 1.000.000 euros séquestrée entre ses mains ; il a débouté la société Saturnimmag de sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire pour le surplus ; et faisant droit a' la demande formée par la société Saturnimmag sur le fondement de l'article 917, alinéa 2, du code de procédure civile, il a fixé au lundi 28 juin 2021 la date a' laquelle l'affaire serait appelée par priorité devant la chambre 3 du pôle 5 de la cour d'appel de Paris ;
MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 28 juin 2021, la société Saturnimmag, appelante, demande à la Cour de :
Vu l'article 917, alinéa 2 du Code de procédure civile Vu les articles 1104, 1132, 1133, 1134, 1137, 1138, 1178 et 1240 et suivants du Code civil, Vu les articles 1341-1 et 1341-2 du Code civil, Vu le jugement du 11 mars 2021 dont appel, Vu les pièces versées au débat,
-Dire et juger recevable et bien fondée la société Saturnimmag en son appel et y faisant droit ;
-Débouter la Société des Rosiers de ses moyens d'irrecevabilité parfaitement inopérants, la Cour étant saisie des prétentions formulées dans les assignations délivrées, sur autorisation du premier président, aux intimés défaillants ;
-Juger que le consentement de la société Saturnimmag à la vente litigieuse et à ses accessoires a été vicié par la réticence dolosive des sociétés Société Des Rosiers et Eram ;
En conséquence,
-Infirmer le jugement dont appel ;
-Prononcer la nullité pour dol de la vente intervenue le 23 février 2017 entre les sociétés Saturnimmag et Société Des Rosiers ;
-Condamner in solidum la Société Des Rosiers et la société Eram a' restituer la somme de 6 millions d'euros au titre du prix de la vente annulée ;
-Dire que les sommes a' restituer a' la société Saturnimmag seront actualisées au jour de la décision a' intervenir, augmentées des intérêts capitalisés sur les sommes initialement versées par la demanderesse, en application des dispositions visées aux articles 1341.1 alinéa 1 et 1343.2 du Code Civil ;
-Ordonner la publication de la décision a' intervenir au Service des impôts fonciers ;
À titre subsidiaire,
- Prononcer la nullité de la vente pour cause d'erreur sur les qualités substantielles de la vente intervenue le 23 février 2017 et des droits transmis a' cette occasion ;
- Condamner in solidum la Société Des Rosiers et la société Eram a' restituer aux mêmes conditions la somme de 6 millions d'euros au titre du prix de la vente annulée augmentée des intérêts capitalisés ;
- Condamner en tout état de cause la société Eram a' garantir la société Société Des Rosiers de l'exécution des condamnations mise a' sa charge ;
À titre plus subsidiaire,
-Condamner in solidum les sociétés Société Des Rosiers et Eram a' verser a' la société Saturnimmag une somme de 1.700.000 ' en réduction du prix de vente et a' titre de dommages et intérêts au titre de la perte de chance de négocier a' la baisse le prix de vente du bien et, subsidiairement, en réduction du prix de la vente ;
À titre infiniment subsidiaire,
Dans l'hypothèse ou' la Cour s'estimerait insuffisamment informée sur la valorisation de l'écart entre la valeur d'acquisition du bien aux conditions attractives et sécurisées initialement envisagées dans l'acte de vente et celle résultant de la défaillance du preneur et de son garant, désigner tel expert qu'il lui plaira pour donner son avis sur ce point ;
En toute hypothèse,
- Condamner in solidum les sociétés Société Des Rosiers et Eram à verser a' la société Saturnimmag une somme de 150.000 ' en réparation de son préjudice subi ;
- Condamner in solidum les sociétés Société Des Rosiers et Eram a' verser a' la société Saturnimmag la somme de 126.798 ' HT sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner in solidum les sociétés Société Des Rosiers et Eram a' supporter les entiers dépens de première instance et d'appel.
- Débouter toutes parties de toutes demandes contraires aux présentes.
La société Saturnimmag soutient que le projet de conclusions joint en pièce n°51 et notifié le 7 juin 2021 faisait mention de « l'infirmation du jugement » et que la Cour n'est saisie que de l'assignation délivrée à l'ensemble des intimés pour l'instance du 28 juin à 14h00 et des prétentions qui y sont visées.
Elle affirme que les sociétés Société Des Rosiers et Eram, lui ont dissimulé des éléments déterminants de son consentement lors de la vente. Elle leur reproche par exemple d'avoir passé sous silence au moment des pourparlers que la société Lilnat et les magasins TATI rencontraient des difficultés financières qui ont conduit le groupe Eram à ouvrir le 25 novembre 2016 une procédure judiciaire de mandat ad hoc, un mois avant la signature de la promesse de vente. L'appelante prétend aussi que lui a été dissimulée la fragilité du preneur, la société Dagi, déclarée en liquidation judiciaire le 3 août 2017, soit 5 mois après la vente, alors qu'elle était présentée par Eram comme « l'un des meilleurs magasins en terme de chiffre d'affaires ».
Elle prétend que ces réticences dolosives avaient pour but de la rassurer faussement sur la solidité de son investissement et sur la garantie offerte par la société Eram. Elle souligne que la fourniture d'une garantie autonome n'était pas un « souhait » exprimé mais une condition déterminante de son consentement. Elle observe qu'en l'espèce la garantie offerte a été donnée sur la base d'informations erronées lui laissant entendre que la garantie de la société Lilnat offrait une sécurité équivalente à celle de la maison mère, ce qui n'était pas le cas.
L'appelante affirme que le premier juge a considéré à tort que l'inefficacité de la garantie était parfaitement prévisible au jour de la conclusion du compromis, du fait des comptes publiés par la société Lilnat, dans la mesure où le résultat déficitaire depuis 2013 ne représentait que 4% par an, tout comme la baisse du chiffre d'affaires, ce qui ne permettait pas d'en déduire une inefficacité évidente de la garantie au jour de la signature du compromis. Elle considère en outre que l'existence d'informations publiques ne dispensait pas le vendeur de son obligation d'information et de loyauté vis-à-vis de son cocontractant, fut-il professionnel, alors qu'en l'espèce le vendeur et la société Eram n'ont fait état à aucun moment d'une quelconque difficulté liée à la garantie offerte et plus encore, au mépris de leur loyauté, ont cherché à rassurer l'appelante sur la prétendue fiabilité de la garantie.
Elle soutient que la société Eram a eu un rôle actif et prépondérant à toutes les étapes du processus contractuel, au-delà de simples « prestations support ». Elle se fonde sur la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle, l'article 1199 du code civil n'interdit pas au cocontractant de mettre en cause une société mère précisément lorsque celle-ci s'est rendue coupable d'une immixtion trompeuse dans la gestion d'une opération contractuelle d'une de ses filiales (Cass. Com., 3 février 2015, n°13-24.895 ; Cass. Com., 12 juin 2012, n°11.16.109). L'appelante retient en l'espèce qu'au stade des pourparlers, la négociation a été dirigée de manière continue et active par le Directeur du Patrimoine d'Eram, Monsieur Sylvain B. et que c'est encore lui qui a ratifié le compromis de vente et l'acte de vente définitif. C'est bien l'appartenance de la société Lilnat au groupe Eram qui a décidé l'appelante à acquérir le local.
En conséquence, elle prétend que la responsabilité de la société Eram est engagée sur le fondement de l'article 1138 du code civil et subsidiairement, de l'article 1240 du code civil.
Elle considère que la responsabilité de la société Société Des Rosiers est également engagée du fait des manoeuvres et réticences dolosives commises à l'égard de son cocontractant sur le fondement des articles 1137, 1138 et 1178 du code civil.
Elle demande donc la condamnation in solidum de la Société Des Rosiers en sa qualité de vendeur et de la société Eram, en sa qualité de « tiers de connivence », à lui restituer au principal la somme de 6 millions d'euros correspondant au prix de vente, assortie des intérêts au taux légal à compter de la vente intervenue.
Subsidiairement, la société appelante considère qu'elle a acquis le bien litigieux dans la conviction erronée de la viabilité économique de l'activité du preneur et du bénéfice d'une garantie efficace contre le risque de défaillance de sa part dans les six premières années du bail, et plus largement par erreur sur les qualités essentielles du cocontractant. Elle invoque l'erreur sur la substance de la chose vendue en s'appuyant sur un arrêt de la Cour de cassation (Cass. 3° civ., 5 novembre 2020, n° 19-21.575) qui considère que constitue une erreur sur la substance de nature a' entrainer la nullité d'un contrat de vente, l'erreur de la rentabilité économique d'une opération contractuelle.
Sur la responsabilité quasi délictuelle pour défaut d'information loyale et sur le point de l'immixtion fautive de la société Eram, la société appelante reproche au premier juge d'avoir manqué à son devoir de motivation. Elle maintient à titre subsidiaire sa prétention sur le fondement de la responsabilité des sociétés Société Des Rosiers et Eram en application des articles 1112-1 et 1240 du code civil.
Elle soutient qu'elle a perdu une chance de négocier dans des conditions normales le prix de vente à la baisse, puisque le prix se justifiait par le schéma économique particulièrement attractif et sécurisé de l'opération. Elle ajoute qu'il résulte d'un rapport du 20 février 2018 du Cabinet M.-G., que l'écart entre la valeur d'acquisition du bien aux conditions attractives et sécurisées initialement envisagées dans l'acte de vente et celle résultant de la défaillance du preneur et de son garant s'établit a' la somme de 1.700.000 '.
Elle justifie ainsi sa demande de condamnation in solidum des sociétés Société Des Rosiers et Eram au paiement d'une somme de 1.700.000' à titre de dommages et intérêts correspondant à la perte de chance d'acquérir le local pour un prix inférieur, correspondant a' la valeur économique réelle de ce bien, et subsidiairement en réduction de prix du même montant. Elle demande à la Cour, si elle s'estime insuffisamment informée sur la valorisation de l'écart entre la valeur d'acquisition et celle résultant de la défaillance du preneur et de son garant, de désigner un expert.
La société appelante souligne que depuis maintenant presque trois ans, le local n'a pas trouvé preneur, et ce même au prix du loyer antérieurement pratiqué. En outre, le local étant vide, il fait régulièrement l'objet de squats ce qui entraîne des frais importants évalués à 123.024,06 '. Elle demande la condamnation in solidum des sociétés Société Des Rosiers et Eram à lui verser une somme de 150.000' à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi qui est distinct de la restitution du prix.
Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 25 juin 2021, la société Eram, intimée, demande à la Cour de :
Vu les articles 1102, 1112-1, 1132 et suivants, 1137, 1138 et 1139 du Code civil,
Vu l'article L. 611-15 du Code de commerce,
Vu le jugement du Tribunal judiciaire de Paris du 11 mars 2021,
Vu l'ensemble des pièces communiquées,
' Constater que la société Eram est un tiers au contrat de vente de l'immeuble commercial du 23 février 2017 et au contrat de bail commercial du 23 février 2017 ;
' Constater que la société Eram n'a commis aucune manoeuvre dolosive à l'encontre de Saturnimmag ;
' Juger que la société Eram n'a commis aucune faute à l'occasion de la vente de l'immeuble commercial du 23 février 2017 et de la conclusion du contrat de bail commercial du 23 février 2017 ;
En conséquence,
- Confirmer le jugement du Tribunal judiciaire de Paris du 11 mars 2021 ;
' Débouter la société Saturnimmag de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société Eram ;
' Condamner la société Saturnimmag à payer à la société Eram la somme de 100.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
La société Eram rappelle qu'elle est un tiers à l'acte de vente et qu'aucune immixtion de sa part dans la gestion de sa filiale Lilnat ou a fortiori dans celle de la Société Des Rosiers ne peut lui être reprochée, n'ayant pas agi au-delà des activités de support intra groupe, lesquelles n'ont nullement créé une apparence propre à faire croire à l'appelante qu'elle se substituait à elles dans la conclusion ou l'exécution du contrat.
En outre, elle fait valoir que ni la promesse synallagmatique de vente du 22 décembre 2016 ni la documentation contractuelle du 23 février 2017 n'indiquent que l'appartenance de Lilnat ou Dagi au groupe Eram aurait été une condition essentielle et déterminante au consentement de l'appelante, étant précisé qu'aucune référence à un lien capitalistique direct ou indirecte entre Lilnat ou Dagi et Eram n'y figure.
Elle précise que c'est Lilnat elle-même, représentée par son président qui a seule, décidé et sollicité la désignation d'un mandataire ad hoc à son bénéfice, conformément à l'article L. 611-13 alinéa 1er du code de commerce. Elle ajoute que le mandataire ad hoc n'est nullement intervenu « en vue de la cession de Lilnat » mais plutôt pour rechercher toute solution de nature à assurer la pérennité de leurs activités. Elle soutient qu'il ressort de l'article L. 611-15 du code de commerce interprété par la jurisprudence que le débiteur en difficulté ou ses actionnaires ne jouissent d'aucune liberté de lever la confidentialité d'un mandat ad hoc, étant d'ordre public absolu. En conséquence, elle prétend qu'il ne saurait lui être reproché d'avoir respecté un texte d'ordre public et de ne pas avoir révélé la désignation de Maître Laurent Le G. en qualité de mandataire ad hoc de sa filiale Lilnat.
Elle observe qu'au demeurant, au stade des négociations et de la promesse de vente, le mandataire ad hoc avait été informé, alors que rien n'indiquait que le magasin de Nîmes ne figurerait pas dans le périmètre de la reprise envisagée.
De plus, elle fait valoir que le groupe Marne & Finance et la société appelante qui en dépend ne pouvaient ignorer les difficultés dans laquelle se trouvaient Lilnat et Dagi, comme d'autres entreprises du secteur de la distribution, à partir de la crise économique de 2008, suivie d'une série de facteurs exogènes défavorables. Elle ajoute qu'elles avaient accès aux principaux agrégats financiers de la société Lilnat dont il ressortait une baisse du chiffre d'affaires. Elle en déduit que la société acquéreuse ne démontre aucune réticence dolosive intentionnelle.
Sur le moyen nouveau tiré d'une erreur, vice du consentement, la société Eram soutient que l'erreur sur la rentabilité économique d'une opération ne saurait être de nature à vicier le consentement du cocontractant (Cass. 3e civ., 31 mars 2005, n° 03-20.096). Elle ajoute qu'ayant acquis en connaissance du refus de la société Eram d'accorder une garantie d'exploitation, se contentant de la garantie autonome de la société Lilnat en toute connaissance de cause, elle n'a nullement été induite en erreur sur les garanties qu'elle a obtenues, et ne saurait en tout état de cause imputer une telle erreur à la société Eram qui a été parfaitement claire sur son refus de délivrance d'une quelconque garantie. Elle observe que la nullité du contrat ne peut entraîner que des restitutions entre les parties, ces dernières devant être remises dans l'état où elles se trouvaient avant la conclusion du contrat, mais ne permet pas la condamnation d'un tiers au contrat de vente à restituer un prix de la vente qu'il n'a pas perçu.
S'agissant du manquement au devoir d'information, la société Eram rappelle n'être qu'un tiers aux conventions visées et qu'il ne saurait lui être reproché d'avoir respecté un texte d'ordre public lui interdisant de révéler la désignation d'un mandataire ad hoc ; elle ajoute que l'article 1112-1 du code civil a le caractère d'ordre public signifiant seulement que les parties ne peuvent limiter ou exclure contractuellement le devoir d'information précontractuelle ; que l'appartenance de Lilnat au groupe Eram n'était pas une condition essentielle et déterminante du consentement de la société appelante ; que dans la promesse synallagmatique de vente et de sa réitération, rien n'indiquait que le magasin de Nîmes ne figurerait pas dans le périmètre des magasins repris et que, postérieurement au plan de cession, la société appelante serait confrontée à la liquidation judiciaire de son locataire.
La société Eram, fait observer que la société appelante n'apporte pas la moindre justification sérieuse de l'existence et du quantum de son prétendu préjudice. Elle ajoute que cette dernière ne dit rien sur les discussions qu'elle a pu avoir avec les locataires potentiels de l'Immeuble Commercial ainsi que sur les raisons pour lesquelles les pourparlers n'auraient pas abouti, et que les conséquences des défaillances de sécurité du site et des squats survenus ne sauraient raisonnablement être imputées à Eram.
Dans leurs dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 28 juin 2021, maître Olivier B.-M. et la SCP LBMB, intimés, demandent à la Cour de :
- Mettre hors de cause Maître Olivier B.-M. et la SCP LBMB, aucune demande n'étant formulée à leur encontre,
- Débouter toute partie qui formulerait des demandes contre Maître Olivier B.-M. et la SCP LBMB
- Condamner tout succombant au paiement de la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles,
- Condamner tout succombant aux dépens de l'instance.
Ils font valoir qu'ils doivent être mis hors de cause au motif qu'aucune demande n'a été formulée à leur encontre et précisent qu'en exécution provisoire du jugement, le séquestre s'est libéré des fonds entre les mains de la société des Rosiers le 16 avril 2021, soit antérieurement à la délivrance de l'assignation en date du 28 avril 2021.
Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 27 juin 2021, la Société Des Rosiers, intimée, demande à la Cour de :
Vu les articles 917 et s. Du code de procédure civile
Vu les conclusions d'appel produites par l'appelante en pièce n°51 devant le Premier président, au soutien de la demande de fixation de l'affaire par l'appelante
Vu l'assignation délivrée aux intimés
Vu l'article 954 al.3 du cpc,
- Juger que la Cour n'est saisie que dans la limite des prétentions formulées au dispositif des conclusions précitées produites par Saturnimmag en pièce n°51 devant le premier président,
- Juger que ces conclusions ne tendent ni à l'infirmation ni à l'annulation du jugement,
Vu les articles 542 et 954,
- Confirmer le jugement en toutes ses dispositions.
En tout état de cause,
- Débouter la société Saturnimmag de l'ensemble de ses demandes.
- Confirmer le jugement en toutes ses dispositions.
Vu l'article 700 du code de procédure civile
- Condamner la société Saturnimmag à payer à la Société des Rosiers la somme de 100.000' au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Elle rappelle que le recours à la procédure à jour fixe a pour conséquence d'une part d'obliger l'appelant à saisir la Cour par voie d'assignation et non plus par la voie ordinaire, et d'autre part d'enfermer l'appelant dans les limites des conclusions d'appel présentées au soutien de sa demande, le débat étant figé au jour de la demande de fixation prioritaire par les conclusions jointes à cette demande, rendant ainsi irrecevable toute prétention postérieure nouvelle qui ne serait pas une réplique aux conclusions des intimés.
En l'espèce, elle expose que la demande de fixation prioritaire a été formée le 7 juin 2021 par l'appelante, visant des conclusions au fond qui étaient jointes à la demande en pièce 51, et que postérieurement à l'ordonnance présidentielle du 17 juin 2021, la société appelante a notifié des conclusions le 21 juin 2021 par le RPVA, soit par voie ordinaire, qui doivent être écartées des débats.
Elle soutient que l'assignation délivrée par acte du 23 juin 2021 contient certes dans son dispositif une prétention tendant à l'infirmation du jugement, qui cependant ne figurait pas au dispositif des conclusions présentées en pièce n°51 au premier président, de sorte qu'il s'agit d'une prétention nouvelle, irrecevable.
Rappelant que la Cour n'est saisie que dans la limite du dispositif des conclusions par application de l'article 954 al 3 du code de procédure civile, elle prétend qu'elle n'est donc valablement saisie en l'espèce d'aucune prétention tendant à l'infirmation du jugement, ce qui doit conduire à la confirmation en application des dispositions des articles 542 et 954 du code de procédure civile.
La Société Des Rosiers évoque des éléments de contexte et remarques diverses : elle expose dépendre du Groupe HGD de la famille D. qui était l'autre actionnaire égalitaire à 50 % au capital de la société venderesse et son dirigeant, lequel avait un intérêt propre à la vente autant que l'autre actionnaire Lilnat, pour expliquer que le groupe Eram n'est pas derrière un montage dans son seul intérêt.
Ensuite, elle précise qu'il résulte des pièces produites que la société appelante s'est exclusivement rapprochée d'une société ICC et de son représentant M. Douglas R., manifestement très proche, en raison de l'usage des prénoms dans les échanges de courriels. Elle expose que la Société Des Rosiers s'est contentée de vendre un bien immobilier occupé en l'état d'un bail dont l'acquéreur réclamera le renouvellement sous certaines modalités.
Puis, elle prétend que la lettre adressée par Marne & Finance à M. Douglas R. de la société ICC datée du 11 mai 2016 n'est en aucun cas une « offre d'achat » dès lors qu'elle mentionne le souhait de « poursuivre l'étude d'une acquisition ». Elle ajoute que cette lettre révèle l'intention de Marne & Finance d'obtenir une garantie particulière, avant d'avoir abandonné le projet d'acquisition.
De plus, elle fait observer que rien ne permet à la cour de s'assurer de la conformité de la pièce n°2 à l'original dans la mesure où des passages devraient être surlignés de bleu ce qui n'est pas le cas, prétendant qu'elle ne peut servir de base à une décision de justice.
Quant à la pièce n°14, elle soutient que compte tenu de la loyauté des débats, l'appelante devrait produire l'autre courriel auquel le courriel répond manifestement.
Quant à la pièce n°3, elle prétend que la société appelante mêle volontairement la définition de « la condition essentielle et déterminante » au sens juridique du terme, et la liste des « conditions essentielles » du projet de nouveau bail, alors qu'il faut les distinguer.
Au stade de l'examen de l'assignation, elle fait valoir que Marne & Finance est entrée en relation avec son agent pour manifester son intérêt à acquérir le bien de la Société Des Rosiers dans le cadre, selon ses propres termes, du déploiement de ses capitaux ; que son souhait était d'acquérir le bien avec une garantie d'exploitation du Groupe Eram explicitée par Marne & Finance dans son courriel à l'agent du 13 juin 2016 ; que cette garantie d'exploitation a été refusée ; et notamment que la promesse synallagmatique de vente ne comportait pas à titre de condition déterminante la fourniture de quelque garantie que ce soit par la Société Des Rosiers, conformément au cadre fixé à la vente par celle-ci dans sa lettre du 6 juin 2016, et à la procuration donnée par HGD pour la représenter lors de la signature.
Enfin, elle souligne qu'aucune pièce n'est produite au débat sur les études de marché auxquelles se doit et procède habituellement tout professionnel sérieux de l'immobilier commercial, le dossier de l'appelante se limitant exclusivement aux échanges de courriels des 13 et 15 juin 2016.
Au fond, elle souligne que l'appelante ne situe pas dans le temps le moment où le prétendu dol aurait été commis alors qu'elle fait reposer sa demande sur deux moments distincts, à savoir la période de mai - juin 2016 et la période postérieure au 25 novembre 2016, date du jugement ayant décidé du mandat ad hoc pour Lilnat.
Elle ajoute que l'appelante ne démontre pas qui aurait agi au sein d'Eram de manière dolosive d'une part, ni quelle serait la connivence avec la Société Des Rosiers. Elle prétend n'avoir écrit qu'une seule lettre datée du 6 juin 2016 à l'agence TRIPLE A qui ne peut constituer une manoeuvre dolosive dans la mesure où la venderesse avait parfaitement le droit de fixer les conditions auxquelles elle était disposée à vendre, et qu'elle est antérieure de plus de cinq mois au mandat ad hoc.
Elle affirme qu'ayant donné procuration à un notaire, ou à M. B. ou encore à tout clerc pour signer la promesse synallagmatique, ceci exclut toute possibilité de connivence dans la mesure où le notaire aurait pu représenter la Société Des Rosiers à la signature et l'acte aurait été signé de la même manière. Elle allègue que Eram n'a jamais représenté la
Société Des Rosiers, cette dernière étant uniquement représentée par sa présidente HGB dont il n'est pas démontré qu'elle aurait obtenu des informations sur l'existence d'un mandat ad hoc concernant Lilnat.
Elle conteste que « la présence d'un locataire » ait été un « élément essentiel » du consentement de l'acquéreur à la vente. Elle ajoute qu'en l'absence d'une garantie d'exploitation expressément refusée à l'acquéreur, les faits invoqués dans l'assignation sont sans conséquence sur la validité de la vente et ne peuvent fonder l'action en nullité introduite par dol.
Pour répondre au moyen de nullité tiré de l'erreur, vice du consentement, la société intimée soutient que le seul droit qu'elle ait transmis a consisté dans le droit de propriété dont il n'est pas allégué qu'elle en ait été évincée ni que ce droit ait été grevé de quelque charge non révélée. Quant aux qualités essentielles du cocontractant, elle fait observer le manque de précision quant à ce contractant dont elle ignore l'identité. Soumettant l'hypothèse que c'est elle, elle prétend ne pas savoir quelle qualité essentielle de celle-ci a pu faire défaut ou être source d'erreur.
De plus, elle expose que l'éventuelle défaillance du preneur était un aléa nécessairement accepté au sens de l'article 1133 du code civil dans la mesure où l'appelante a cherché à s'en garantir ce qui exclut l'erreur sur ce que l'appelante appelle « la viabilité » du preneur.
Quant à ériger la garantie de LILAT en qualité essentielle de la « prestation » de la Société DES Rosiers, elle souligne que la remise de la lettre de garantie à première demande était une modalité du bail.
Enfin, concernant son devoir d'information, elle soutient qu'elle ne peut se voir reprocher la moindre faute dès lors qu'elle ignorait les informations prétendument importantes qui auraient manqué à l'acquéreur et portant sur la situation de Lilnat d'une part, et qu'un obstacle légal d'ordre public l'empêchait de savoir quoi que ce soit d'autre part.
La SELAFA Mandataires juridiques associés (MJA) en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Lilnat, n'est pas représentée par un avocat, ayant été régulièrement assignée à comparaître par acte extrajudiciaire du 22 juin 2021 remis au siège social à une personne habilitée à le recevoir.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur la saisine de la Cour
La Cour a en premier lieu été saisie par une déclaration d'appel de la société Saturnimmag enregistrée au greffe le 20 avril 2021 qui tendait à la réformation ou à l'annulation du jugement du 11 mars 2021.
La société DES Rosiers a constitué avocat le 25 mai 2021.
Au fond, la société appelante a déposé au greffe le 7 juin 2021 des pièces et des conclusions, tendant à l'infirmation du jugement.
Par acte délivré le 28 avril 2021, la société Saturnimmag a par ailleurs saisi le premier président, aux fins de voir arrêter l'exécution provisoire attachée au jugement rendu le 11 mars 2021.
Par ordonnance du 17 juin 2021, le premier président a déclaré irrecevable la demande d'arrêt de l'exécution provisoire de la disposition du jugement ordonnant au notaire de remettre à la société DES Rosiers la somme séquestrée, et l'a déclarée non fondée pour le surplus.
Faisant toutefois application des dispositions de l'article 917 al2 du code de procédure civile, dont se prévalait par ailleurs la société Saturnimmag par voie de conclusions, il a fixé au 28 juin 2021 à 14 heures la date à laquelle l'affaire enregistrée sous le n° RG 21/07697 serait appelée par priorité.
Il résulte de ce qui précède que la Cour était déjà saisie du litige par la déclaration d'appel et que la fixation prioritaire de l'affaire à une audience de la chambre à laquelle elle avait déjà été distribuée n'a pas entraîné la création d'un nouveau lien d'instance.
De même, dans ce cas, l'assignation à comparaître au jour fixé, signifiée aux intimés, n'a pas constitué une nouvelle saisine de la Cour préalablement saisie.
Il s'en déduit en premier lieu que la Cour demeurait saisie des conclusions de la société appelante notifiées par le RPVA aux parties constituées le 7 juin 2021.
La société Saturnimmag ayant notifié des conclusions le 21 juin 2021, la société DES Rosiers a notifié des conclusions d'intimée le 27 juin 2021 en prétendant à la confirmation du jugement entrepris au motif que la Cour ne serait saisie que dans la limite des prétentions formulées au dispositif des conclusions produites en pièce n°51 dans le cadre de l'instance devant le premier président, lesquelles ne tendaient ni à l'infirmation ni à l'annulation du jugement ; il en résulte que les conclusions en réplique aux conclusions de l'intimée, également récapitulatives, notifiées le 28 juin 2021, sont recevables.
La Cour, en renvoyant l'affaire en formation collégiale à l'audience du 7 septembre 2021, s'est par là même assurée que toutes les parties ont bénéficié d'un temps suffisant pour assurer leur défense sur les éléments de procédure régulièrement soumis au contradictoire.
La Cour est ainsi saisie par les conclusions de l'appelante tendant à la réformation du jugement.
Sur le moyen tiré du dol
Aux termes de l'article 1130 du code civil, « L'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes.
Leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné. »
Aux termes de l'article 1137 du même code, dans sa rédaction applicable au contrat litigieux, « Le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manoeuvres ou des mensonges.
Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie. »
Cette dernière disposition est à rapprocher des termes de l'article 1112-1 du code civil.
L'action étant dirigée notamment contre la société Eram, tiers au contrat de vente, il convient de rappeler les termes de l'article 1138 du code civil : « Le dol est également constitué s'il émane du représentant, gérant d'affaires, préposé ou porte-fort du contractant.
Il l'est encore lorsqu'il émane d'un tiers de connivence. »
• Les circonstances et la qualité des personnes
La pièce la plus ancienne relative aux pourparlers, communiquée par l'appelante, est la lettre adressée le 11 mai 2016 par la société Marne & Finance sous la signature du directeur des participations, à monsieur Douglas R. (ICC). Elle révèle que le projet d'offre d'acquisition du bien immobilier s'inscrit dans une stratégie d'investissement du groupe Marne & Finance, qui est un professionnel averti. Cette lettre illustre que ce groupe cherche à réaliser un investissement qui repose sur une étude préalable expressément mentionnée, l'amenant à formuler une offre très précise d'acquisition du bien immobilier, avec des conditions détaillées de la situation locative, des conditions générales, de la production de nombreuses pièces ; le groupe candidat acquéreur demandait un « engagement de poursuite d'exploitation et de location du groupe Eram en cas de défaillance de Tati sur les six premières années ».
La société Des Rosiers, répondant expressément à une offre d'acquisition du groupe Marne & Finance en date du 11 mai, formule une offre de vente au profit de la société Marne & Finance ou de toute société filiale, par lettre du 6 juin 2016 à l'adresse de monsieur B. (Triple A) et qui ne comporte aucune garantie d'exploitation locative.
Monsieur Douglas R. (ICC), par un message à son client le 13 juin 2016, se réfère à des messages et courriers non produits, mais illustrant que les pourparlers ont intéressé la société Eram, destinataire de l'offre d'acquisition, dont cet intermédiaire précise qu'elle ne délivrera aucune garantie.
De même, il répond le 15 juin 2016 au courriel de son client du même jour, au sujet des garanties recherchées, qu'il ne sera pas possible d'obtenir du groupe Eram, ni une garantie d'exploitation locative, ni une garantie locative.
Il résulte de ce qui précède que les sociétés Des Rosiers, Saturnimmag, appartiennent à des groupes de sociétés importants, de sorte que le contrat de vente qu'elles ont conclu a été négocié en amont après des études et des échanges de nature à éclairer le consentement de l'acquéreur.
• Les manoeuvres ou dissimulations intentionnelles
L'appelante n'invoque que des dissimulations d'éléments d'information déterminants pour son consentement, qu'elle impute tout à la fois à la société des Rosiers et à la société Eram. Il convient d'examiner ces éléments, de s'interroger le cas échéant sur leur caractère déterminant, et de rechercher pour chacune des personnes mises en cause le caractère intentionnel de leur dissimulation.
• Les difficultés financières de la société Dagi.
L'appelante invoque des difficultés financières de cette société, qui ont conduit à une procédure de liquidation ouverte le 3 août 2017. Or elle ne produit aucun document, sinon sa déclaration de créance et la lettre du mandataire du 10 novembre 2017 l'informant de la décision de ne pas poursuivre le bail résilié le jour même. Aucun jugement ni aucune pièce de la procédure collective n'est produite, ni aucun document comptable, de sorte que la preuve de l'origine des difficultés n'est pas démontrée. Il n'est donc pas démontré ni même prétendu que les informations données par monsieur Sylvain B., directeur du patrimoine du groupe Eram à monsieur Vincent C. du groupe Marne & Finance, par message du 6 janvier 2017, seraient trompeuses. Il en résulte à l'inverse que les informations recherchées sur le chiffre d'affaires réalisé par le magasin « Tati Nîmes » ont été données. Le groupe acquéreur avait la possibilité de solliciter les bilans pour une analyse financière, et à défaut ne démontre pas une quelconque dissimulation d'information sur cette société. D'ailleurs, l'acquéreur, visiblement intéressé par la rentabilité locative du site, était en mesure de procéder à des études de marché.
• Les difficultés financières de la société Lilnat et le mandat ad hoc
La société Lilnat a été placée en redressement judiciaire le 4 mai 2017 par le jugement du tribunal de commerce de Bobigny dont les motifs révèlent que « Eu égard aux difficultés économiques rencontrées par les sociétés du pôle Agora, parmi lesquelles la société Société Lilnat, le président du tribunal de commerce de Bobigny a été saisi le 25 novembre 2016 d'une requête en vue de la désignation de maître Le G. en qualité de mandataire ad hoc de la société. Ce jugement révèle que cette désignation est intervenue, suivie d'une procédure de conciliation qui a été décidée par ordonnance du 18 avril 2017 dans le but de l'organisation d'une cession partielle ou totale des entreprises du Pôle Agora ou de leurs actifs.
Le jugement du 26 juin 2017 révèle que la démarche commune des trois sociétés du Pôle Agora visait à mettre en oeuvre une solution de restructuration. Le Groupe Eram avait initié une recherche de partenaires avec l'aide des banques Natixis Partners et Oddo pour accompagner la mise en oeuvre d'un plan de redressement et Financer la croissance du BFR outre d'éventuelles pertes intercalaires, le groupe ayant assuré par diverses avances la recapitalisation de la société Lilnat pour compenser les pertes et assurer son fonctionnement ; La société Prospheres avait été désignée en qualité de présidente des sociétés Agora Distribution, Vetura et Lilnat, et elle avait fait procéder à une revue de l'ensemble des sociétés du groupe Agora, dont l'EBITDA prévisionnel revu à la baisse mettait en évidence une baisse de la profitabilité.
Le tribunal a observé à juste titre que les comptes publiés par la société Lilnat font apparaître un résultat déficitaire de plus de 10.000.000 euros depuis l'exercice 2013 pour un chiffre d'affaires en baisse passant de 247.532.000 euros en 2013 à 214.641.000 euros en 2015, soit une réduction de 13,29 % en 3 ans ; et que ces informations étant publiques, elles ne peuvent être l'objet d'une dissimulation intentionnelle.
La société Des Rosiers, par ailleurs non concernée directement par la procédure de mandat ad hoc de sa société mère, n'était nullement tenue d'attirer l'attention du groupe Marne & Finance sur ce mandat couvert en outre par une obligation de confidentialité, et dont sa propre connaissance n'est pas démontrée.
La société Eram, concernée par l'orientation stratégique du groupe, mais qui n'est pas partie à la procédure de règlement amiable initiée par la société Lilnat directement, n'avait aucune obligation, alors qu'elle n'a fait que répondre aux demandes d'information du groupe Marne & Finance, de lui dévoiler à l'occasion de la vente d'un immeuble commercial par l'une de ses sous-filiales, les orientations stratégiques du groupe dans lesquelles cette procédure s'inscrivait. La société Eram qui n'a pas la qualité de vendeur, n'avait d'ailleurs aucune obligation d'information à l'égard de la société Saturnimmag.
Enfin, si le magasin Tati de Nîmes n'a finalement pas fait partie du périmètre de la reprise du groupe CPG-GIFI qui a porté sur 72 fonds de commerce de l'entreprise qui a fait l'objet du plan de cession arrêté par le tribunal de commerce, qui était saisi de plusieurs offres présentant un périmètre de reprise différent, cela aurait été possible et aurait eu d'autres conséquences pour le propriétaire des murs.
Il résulte de ce qui précède que la fragilité de la garantie de la société Lilnat n'était pas inconnue de la société acquéreuse qui s'en est contentée devant l'impossibilité d'obtenir une garantie quelconque de la société Eram. L'appelante ne démontre pas avoir été victime d'une quelconque fausse information ni de dissimulation intentionnelle par son vendeur d'éléments d'information déterminants de son consentement, ni par un tiers de connivence, alors qu'il a été répondu à toutes ses interrogations et que la procédure de mandat ad hoc est couverte par une obligation de confidentialité.
Sur le moyen tiré de l'erreur
Aux termes des articles 1132 et 1133 du code civil, « L'erreur de droit ou de fait, à moins qu'elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu'elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant. Les qualités essentielles de la prestation sont celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté.
L'erreur est une cause de nullité qu'elle porte sur la prestation de l'une ou de l'autre partie.
L'acceptation d'un aléa sur une qualité de la prestation exclut l'erreur relative à cette qualité. »
La société Saturnimmag prétend en premier lieu avoir consenti à la vente « dans la conviction erronée de la viabilité du preneur appartenant au groupe Eram ». Mais cela ne concerne nullement une qualité de la prestation ou du cocontractant, la société Des Rosiers, qui a parfaitement exécuté ses obligations nées du contrat de vente et délivré l'immeuble. Il convient de relever que l'acte de vente porte sur des biens immobiliers qui étaient précédemment loués à la société Dagi, par un bail qui a été résilié avant la réitération de la vente, conformément à la promesse de sorte que la société Saturnimmag a elle-même consenti un nouveau bail conforme à ses attentes et sans intervention de la société Des Rosiers.
Elle prétend deuxièmement avoir consenti à la vente par erreur sur le bénéfice d'une garantie efficace pour couvrir le risque d'exploitation en cas de défaillance du preneur sur les six premières années du bail. Or il a déjà été exposé que lui avait été expressément refusée, au stade des pourparlers, une garantie couvrant le risque d'exploitation d'où il résulte qu'elle ne démontre pas l'erreur alléguée, laquelle serait inexcusable compte tenu de ce refus explicite et de la délivrance par la société Lilnat, non d'une garantie d'exploitation mais d'une garantie autonome à première demande pour le paiement de sommes dues par la société locataire.
L'appelante ne démontre pas de ce fait que son consentement a été vicié par une erreur sur les qualités essentielles de la prestation due ou celles du contractant, au sens du texte susvisé.
Il peut enfin être observé que l'appréciation des risques de son opération d'investissement semble avoir été faussée par l'absence d'études préalables suffisantes, et par l'excès de confiance de l'acquéreur dans les informations données, non par la société venderesse ou la société Eram comme le prétend faussement la société Saturnimmag, mais par l'agent immobilier avec lequel elle était en relation pour son projet d'investissement.
Sur la demande de dommages-intérêts
L'action en responsabilité contre la société Des Rosiers a pour fondement l'article 1112-1 du code civil selon lequel : « Celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.
Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation.
Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.
Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie.
Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.
Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. »
A l'égard de la société Eram, la société Saturnimmag se prévaut des dispositions de l'article 1240 du code civil selon lequel ' Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.'
C'est par des motifs pertinents qu'il convient d'adopter que le premier juge a rejeté cette prétention, à défaut de preuve d'un manquement à l'obligation d'information.
Il convient d'y ajouter que la société Eram, tiers au contrat, n'était tenue d'aucune obligation d'information, ne pouvant se voir reprocher une immixtion dans la gestion de sa sous-filiale qui a directement formulé l'offre de vente le 6 juin 2016 et négocié le contrat ; et que la société des Rosiers ne peut se voir reprocher d'avoir négligé d'informer l'acquéreur « de la défaillance imminente » du preneur et du garant, alors qu'il lui aurait été impossible de prévoir ni prédire que sa société mère Lilnat ferait l'objet d'une procédure collective, ni la société locataire dépendant du même groupe.
La société Saturnimmag n'est donc pas fondée en sa demande de dommages-intérêts en réparation d'une perte de chance ou des frais engagés à l'occasion de cet investissement immobilier.
Sur les demandes annexes.
La société Saturnimmag qui succombe en ses prétention doit supporter les dépens en application de l'article 696 du code de procédure civile.
En équité, et par application de l'article 700 du code de procédure civile, elle doit être condamnée à payer aux intimés qui en ont fait la demande au titre des frais exposés, non compris dans les dépens, les sommes précisées au dispositif ci-après.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt réputé contradictoire, en dernier ressort,
Dit n'y avoir lieu d'écarter les conclusions de la société Saturnimmag notifiées par le RPVA, ou de les déclarer irrecevables,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 11 mars 2021,
Y ajoutant,
Déboute la société Saturnimmag de toutes ses autres prétentions,
Condamne la société Saturnimmag à payer à Maître Olivier B.-M. et la SCP LBMB, conjointement, une somme de 2000' pour les frais irrépétibles exposés à l'occasion de l'instance d'appel,
Condamne la société Saturnimmag à payer à la société Des Rosiers une somme de 10.000' pour les frais irrépétibles exposés à l'occasion de l'instance d'appel,
Condamne la société Saturnimmag à payer à la société Eram une somme de 10.000' pour les frais irrépétibles exposés à l'occasion de l'instance d'appel,
Condamne la société Saturnimmag aux dépens de l'instance d'appel.