CA Lyon, ch. soc. A, 7 avril 2021, n° 18/05347
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Maison Lejaby (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Doat
Conseillers :
Mme Rocci, Mme Laville
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société Maison Lejaby est spécialisée dans la confection et la distribution de lingerie.
Après avoir été successivement rachetée par le groupe américain WARNACO, puis le groupe autrichien PALMERS TEXTIL AG, la société LEJABY a été placée en redressement judiciaire le 27 octobre 2011, et, enfin, cédée, le 18 janvier 2012, à Monsieur Z et, plus récemment, à la société TRIANA, actuel actionnaire majoritaire.
La société Lejaby, qui n'avait conservé qu'un seul établissement sur le lieu de son siège historique sis à Rillieux-la-Pape, s'est récemment établie à Caluire-et-Cuire et emploie, à ce jour, environ 120 personnes.
Elle applique les dispositions de la convention collective des industries de l'habillement du 17 février 1958.
Après avoir engagé Mme X en qualité d'ouvrière coupe suivant une succession de contrats à durée déterminée conclus entre le 11 juin 1991 et le 9 décembre 1991, la société Lejaby a engagé Mme X suivant contrat à durée indéterminée, en qualité d'ouvrière à compter du 23 juillet 1992.
Par décision du 23 novembre 2010, la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées a fait droit à la demande de Mme X de reconnaissance du statut de travailleur handicapé pour la période du 1er novembre 2010 au 31 octobre 2015.
Mme X ayant informé la société Lejaby de son classement en invalidité de catégorie 1 au mois de mars 2012, les parties sont convenues de nouvelles modalités de collaboration dans le cadre d'un avenant au contrat de travail du 16 avril 2012 prévoyant l'exécution d'un travail à mi-temps de 17 heures 50 par semaine, soit une base de 75,83 heures par mois moyennant une rémunération fixe de 724,75 euros bruts outre une indemnité différentielle de 47,77 euros bruts.
A compter du 13 avril 2016, la société Lejaby a engagé une procédure d'information et de consultation de son comité d'entreprise sur le projet de confier ses activités logistiques à un prestataire externe, la société XPO Supply Chain France.
C'est dans ces conditions que Mme X et les 17 autres salariés affectés à la plate-forme logistique se sont vu proposer le transfert volontaire de leur contrat de travail au sein de la société XPO, sur son site de la Plaine de l'Ain (01).
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 juillet 2016, le conseil de Mme X informait la société Lejaby que sa cliente refusait la proposition de transfert de son contrat de travail au sein de la société XPO Supply Chain France.
Par lettre recommandée du 25 août 2016, Mme X refusait une seconde proposition, à temps partiel.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 27 septembre 2016, la société Lejaby informait Mme X de la suppression de son poste et lui proposait un poste de vendeuse à Paris.
Mme X refusait cette proposition par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 septembre 2016, pour des raison médicales et matérielles.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 13 octobre 2016, la société Lejaby a convoqué Mme X le 20 octobre 2016 à un entretien préalable en vue d'une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement.
Mme X a refusé le contrat de sécurisation professionnelle qui lui a été remis par lettre du 20 octobre 2016.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 2 novembre 2016, la société Lejaby a notifié à Mme X son licenciement pour motif économique dans les termes suivants :
" Le 16 et 22 septembre 2016, la société La Maison Lejaby a mené une procédure d'information et de consultation du Comité d'entreprise sur le projet de réorganisation de
l 'activité logistique et de ses conséquences sur l'emploi ainsi que sur le projet de licenciement économique de moins de 10 personnes.
Au cours de ces réunions d 'information et de consultation, ont été exposées les raisons économiques qui nous contraignent à mettre en oeuvre une procédure de licenciement collectif pour motif économique au sein de la Société LA MAISON LEJABY SAS et qui sont les suivantes :
Après une période de mutation profonde, marquée par une refonte de son organisation ainsi
Qu’un abaissement significatif de ses charges, la société Maison Lejaby est entrée dans une nouvelle phase de son redéploiement à la fin de l'année 2015 : la société a en effet mis en oeuvre un plan de croissance ambitieux sur les 4 prochaines années qui devrait lui permettre de retrouver à terme l'équilibre économique. Les perspectives qui s'ouvrent à elle, constituent également un défi important à relever et une mutation profonde de son mode d 'organisation, en particulier sur le plan logistique.
Le plan de développement pour Maison Lejaby sur les 4 prochaines années prévoit ainsi un doublement du chiffre d'affaires par rapport à 2015 ainsi qu'une évolution fondamentale sur le segment du Retail, se caractérisant par l'ouverture de plusieurs boutiques en propre, la forte montée en puissance du e.commerce (10 % du chiffre d'affaires à horizon 2020) ainsi que l'accélération des partenariats avec les détaillants et les grands magasins (ouverture de corners à l 'export). De plus, cette stratégie va s'accompagner d 'une offre "produit" élargie se traduisant par une croissance significative du nombre de références à gérer en stocks.
Cette évolution de Maison Lejaby, qui verra à terme l'activité Retail devenir son coeur de métier est aujourd'hui rendue indispensable au maintien de la compétitivité : en effet, la forte diminution du chiffre d'affaires constatée ces dernières années sur son réseau de distribution historique (chute de l'activité wholesale liée à la disparition en France et en Europe du réseau de détaillants indépendants) doit impérativement être compensée par une montée en puissance de son propre réseau de distribution.
La baisse du chiffre d'affaires importante depuis 2012, s'est en effet accompagnée de pertes importantes au niveau de la société, s'élevant à plus de 18M€.
Ce plan stratégique, entraînant une évolution profonde de la distribution de Maison Lejaby, aura de profondes répercussions sur sa logistique :
- une augmentation forte des volumes traites : + 110 % de pièces expédiées à horizon 2020 par rapport à 2015 avec de très fortes variations saisonnières (une fluctuation comprise entre - 43 % et + 49 % par rapport à la moyenne mensuelle pour les flux en expédition),
- un accroissement significatif des opérations de VAS, lié au poids grandissant du réseau Grands magasins, boutiques en propre, e-commerce, et de nouvelles zones export très exigeantes en termes de spécificité (marché américain),
- un accroissement des retours de marchandises à traiter, conséquence directe de l'orientation Retail prise par la société (poids des stocks déportés).
Dans le même temps, la nouvelle orientation stratégique de Maison Lejaby sur le Retail va également entraîner une plus grande exigence en termes de service Clients, indispensable à la réussite de cette activité en lien directe avec le consommateur forte réactivité sur les délais de livraison, amélioration du taux de service, en particulier sur le e-commerce).
Ce besoin d'une plus grande flexibilité au niveau logistique, tant en termes de gestion de capacité que de service, est donc devenu un enjeu majeur pour Maison Lejaby et l'une des clés de la réussite de son business plan.
Or la société n'est pas en mesure de relever de manière autonome l'enjeu logistique majeur associé à cette nouvelle stratégie et ce, pour plusieurs raisons :
- le déménagement forcé du siège historique de la société à compter du 1er septembre 2017 (résiliation du bail par le nouveau propriétaire), impose également des contraintes techniques et financières incompatibles avec le maintien d'une solution interne pour sa logistique : en effet, cette dernière relève d'un cahier des charges complexe : un bâtiment de plus de 4 500 m2 - évolutif dans le temps, et sur la base d'un loyer comparable au siège actuel, un haut niveau d'investissements en matériel pour assurer l’efficacité de la chaîne logistique, de moyens informatiques capables de gérer l'éloignement de la base logistique avec le nouveau siège. La mise en oeuvre d'un chantier aussi lourd, qui plus est sur un calendrier très court (novembre 2016), est jugée aujourd’hui comme difficile et risquée pour l'entreprise.
- D'autre part, la logistique de Maison Lejaby doit s'adapter aux évolutions technologiques rapides dans ce domaine pour rester compétitive, d'autant plus dans le cadre de son évolution sur la retaille ; ses principaux concurrents, ont en effet massivement investi dans des solutions logistiques avancées, leur permettant de délivrer leurs produits dans les délais de plus en plus courts et avec une qualité de service importante. Il est important de souligner à ce sujet, qu'à la concurrence traditionnelle des grandes marques de lingerie, s'est ajoutée depuis quelques années, celle de "purplayers" internet (comme Amazon...) dont le succès s'explique en grande partie par les solutions logistiques mises en oeuvre (flexibilité poussée à l'extrême). Maison Lejaby n'a pas aujourd'hui la capacité financière et la maîtrise technique lui permettant de faire face à cette concurrence en l'état actuel des choses.
En faisant le choix de l'externalisation, elle va au contraire pouvoir s'appuyer sur un spécialiste de la logistique dans la structure organisationnelle et la propension à investir dans des solutions technologiques innovantes, va lui permettre de répondre à cette exigence de flexibilité et sauvegarder sa compétitivité.
Vous n'avez pas accepté le transfert de votre contrat au sein de la société XPO Logistics Supply Chain France.
C'est dans ce contexte et pour ces raisons économiques que votre poste de travail est supprimé au sein de la Maison Lejaby et que votre licenciement économique a été envisagé.
Afin d 'éviter votre licenciement, nous avons procédé à des recherches de reclassement et nous vous avons proposé par courrier du 27 septembre 2016, un poste de vendeuse, que vous avez refusé.
En l 'absence de reclassement interne désormais disponible au sein de la Société, nous nous voyons contraints par la présente de vous notifier votre licenciement pour le motif économique préalablement exposé (...)."
Par acte du 20 mars 2017, Mme X a saisi le conseil des prud'hommes de Lyon de demandes de dommages-intérêts :
- pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à défaut de justification de la réalité du motif économique et en raison du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement,
- au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail,
- au titre du non-respect de l'obligation d'indiquer au salarié les critères d'ordre retenus pour procéder au licenciement.
Mme X sollicitait par ailleurs la condamnation de la société Lejaby à lui remettre les documents de rupture du contrat de travail rectifiés, le certificat de travail, l'attestation Pôle Emploi, le solde de tout compte, sous astreinte de 30 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir, ainsi qu'une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement rendu le 3 juillet 2018, le conseil de prud'hommes de Lyon a :
- pris acte de l'abandon de la demande portant sur l'absence d'information du salarié sur les critères d'ordre retenus pour procéder au licenciement
- jugé que la raison économique du licenciement de Mme X est justifiée
- jugé que la recherche de reclassement n'a pas été menée loyalement par l'employeur en conséquence,
- déclaré que le licenciement de Mme X produit les mêmes effets qu'un licenciement sans cause réelle et sérieuse en conséquence,
- condamné la SAS Maison Lejaby à verser à Mme X la somme de 11 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- fixé le salaire mensuel moyen de Mme X à 787,20 euros
- ordonné à la Maison Lejaby de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage éventuellement versées à Mme X du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé par le conseil, et dans la limite de trois mois d'indemnité en application de l'article L. 1235-4 du code du travail
- condamné la Maison Lejaby à verser à Mme X la somme de 1 250 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- débouté Mme X de ses autres demandes plus amples ou contraires
- débouté la SAS Maison Lejaby de sa demande reconventionnelle au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné la SAS Maison Lejaby aux entiers dépens de l'instance, y compris les éventuels frais d'exécution forcée du présent jugement.
La cour est saisie de l'appel interjeté le 20 juillet 2018 par la SAS Maison Lejaby.
Par conclusions notifiées le 8 avril 2019, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé, la SAS Maison Lejaby demande à la cour de réformer le jugement entrepris, de débouter Mme X de l'intégralité de ses demandes et la condamner aux entiers dépens, ainsi qu'au paiement de la somme de 3.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées le 16 octobre 2019, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé, Mme X demande à la cour de :
1- Sur l'exécution déloyale du contrat de travail par la société Maison Lejaby:
- condamner la société Maison Lejaby à lui payer la somme de 4 873.50 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de l'exécution déloyale du contrat de travail.
2 -Sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse :
- dire que le licenciement intervenu pour motif économique par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 2 novembre 2016 est dépourvu de cause réelle et sérieuse
- condamner la société Maison Lejaby à lui payer la somme de 19 508.45 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
3-En tout état de cause
- condamner la société Maison Lejaby à lui payer la somme de 1 624.50 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect loyal de la mise en oeuvre de l'obligation de la priorité de réembauchage
- condamner la société Maison Lejaby à lui remettre les documents de rupture du contrat de travail rectifiés, certificat de travail, attestation Pôle Emploi, solde de tout compte, sous astreinte de 30 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir
- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir dans toutes ses dispositions
- condamner la société Maison Lejaby à lui verser la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner la même aux entiers dépens de l'instance.
Mme X soutient que la société Maison Lejaby a manqué à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail en lui proposant en parfaite connaissance de cause de son handicap, une modification du contrat de travail incompatible avec son état de santé et ses contraintes personnelles. Ce manquement lui a causé un préjudice direct et certain.
Mme X expose que la société Maison Lejaby ne rapporte pas, en l'état, la preuve de la réalité du motif économique ayant présidé à son licenciement, ni la preuve que la réorganisation du groupe était nécessaire pour sauvegarder la compétitivité de son secteur d'activité.
Elle soutient que l'employeur a manqué à son obligation loyale de tentative de reclassement.
L'ordonnance de clôture a été rendue le14 janvier 2021.
MOTIFS
- Sur la demande de dommages-intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail :
Il résulte des pièces versées aux débats que la société Maison Lejaby a décidé, après consultation de ses représentants du personnel, de confier ses activités logistiques à un prestataire externe, la société XPO Supply Chain France.
La société Maison Lejaby a ainsi proposé à la signature de Mme X, d'une part, un projet de convention de transfert tripartite entre les deux sociétés et la salariée prévoyant que le contrat n'était pas rompu mais transféré à la société XPO Supply Chain sans remise en cause de l'équilibre du contrat initial, d'autre part, un projet de contrat de travail à durée indéterminée entre la société XPO Supply Chain France et la salariée prenant effet à compter du 1er novembre 2016, en qualité de préparatrice de commandes, statut ouvrier, pour un horaire de 151h67.
Le poste proposé en vertu de ce contrat de travail était situé sur l'un des sites de la société XPO Supply Chain France, à la plaine de l'Ain (01) et comportait par ailleurs l'acceptation d'une mobilité dans l'exercice des fonctions.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 juillet 2016, Mme X a fait connaître son refus par son conseil, lequel a opposé à l'employeur le statut de travailleur handicapé de sa cliente pour décliner une proposition ne tenant compte ni du fait que Mme X ne pouvait accepter un travail à temps plein, ni de l'éloignement du poste proposé, à plus de 30 kilomètres de son domicile et de son lieu de travail jusqu'alors, alors même qu'elle n'est pas titulaire du permis de conduire.
Par courrier du 20 juillet 2016, la société Maison Lejaby a fait une nouvelle proposition à Mme X portant sur le même poste, mais à temps partiel à raison de 17h50 par semaine, soit une base de 75,83 heures par mois, moyennant une rémunération mensuelle brute de 764,47 euros.
Par courrier du 25 août 2016, le conseil de Mme X a confirmé le refus de cette nouvelle proposition par sa cliente soulignant que si le temps partiel proposé répondait aux exigences médicales de la salariée, en revanche, la proposition de rémunération était inférieure à la rémunération préalablement perçue, la clause de mobilité et l'éloignement du poste inacceptables.
Au dernier état de la relation contractuelle, Mme X percevait un salaire de base de 765,08 euros outre une indemnité différentielle de 47,77 euros, soit un salaire mensuel total de 812, 85 euros, tandis que la seconde proposition de contrat prévoyait une rémunération mensuelle brute de 764, 47 euros. Il en résulte une différence trop peu importante pour être significative de conditions de rémunération moins favorables.
En ce qui concerne l'éloignement du poste, il résulte d'un courrier de la société Maison Lejaby du 20 juillet 2016 qu'elle a proposé à Mme X de bénéficier de la navette mise à la disposition du personnel, uniquement pour le trajet aller. Par ailleurs, le projet d'externalisation des activités présenté aux instances représentatives du personnel le 27 avril 2016, prévoyait une enveloppe globale d'accompagnement de mesures d'aide au déménagement, à l'acquisition d'un véhicule ou au passage du permis, au covoiturage, ainsi qu'une prime de mobilité afin d'accompagner le transfert des salariés sur le site de la plaine de l'Ain.
Il en résulte que le projet de transfert d'un certain nombre de contrats de travail à la société XPO Supply Chain France a été accompagné de mesures précises destinées à compenser l'éloignement géographique des personnels et Mme X, qui n'a formulé aucune demande au titre des dites mesures, ne saurait tirer argument du fait qu'aucune proposition ne lui aurait été faite à titre personnel, lesdites mesures ayant vocation à bénéficier à tous les personnels.
Enfin, l'engagement figurant dans le projet de transfert, d'accepter tout changement du lieu de travail, sur les sites existants ou à venir, dans un rayon de 50 kms n'est pas en soi constitutif d'une exécution déloyale du contrat de travail, nonobstant le statut de travail handicapé de Mme X qui n'explique pas en quoi cette clause de mobilité serait incompatible avec son statut particulier.
Il résulte au contraire des éléments du débat que Mme X a le statut de travailleur handicapé depuis le 1er novembre 2010, que son poste de travail au sein de la société Maison Lejaby a été aménagé en conséquence et que la salariée n'a jamais élevé le moindre grief relatif à la prise en compte de sa qualité de travailleur handicapé jusqu'à la proposition de transfert.
Dans ces conditions, il ne résulte pas des débats que la proposition de transfert de contrat à la société XPO Supply Chain France serait caractéristique d'une exécution déloyale du contrat de travail.
Il convient en conséquence de débouter Mme X de sa demande de dommages-intérêts à ce titre et de réparer l'omission du jugement qui n'a pas statué sur ce point dans ses motifs.
- Sur le licenciement :
Aux termes de l'article L.1233-2 du code du travail, tout licenciement pour motif économique doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.
Selon l'article L. 1233-3, alinéa 1er, du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 (entrée en vigueur le 1er décembre 2016), applicable à la date de la notification du licenciement en litige, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.
La cause économique d'un licenciement s'apprécie au niveau de l'entreprise, ou si celle-ci fait partie d'un groupe, au niveau du secteur d'activité du groupe dans lequel elle intervient.
Une réorganisation peut constituer une cause économique de licenciement si elle est indispensable à la sauvegarde la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient.
Il revient à l'employeur de justifier, lorsqu'elle est contestée, de la délimitation du secteur d'activité dont il relève.
En l'espèce, Mme X conteste la cause réelle et sérieuse de son licenciement en soulevant d'une part, l'absence de motif économique (1°), d'autre part, le manquement à l'obligation de reclassement (2°).
1°) Sur le motif économique :
Mme X soutient que la société Maison Lejaby fait partie d'un groupe de sociétés et que les motifs économiques doivent être appréciés au regard du groupe dont relèvent notamment les sociétés du même secteur d'activité telles que la société "l'Exception", ainsi que la société "Lyl" qui exploite sous l'enseigne "Pull In" et vend de la lingerie féminine.
La société Maison Lejaby soutient qu'elle développe historiquement et exclusivement une expertise de corsetier à travers le savoir-faire de ses propres ateliers de création, tandis que la société Lyl développe une large gamme de textile pour hommes, femmes et enfants et est tournée vers le marketing et le commercial. Elle conclut que :
- les produits délivrés par les sociétés Maison Lejaby et Lyl ne sont pas les mêmes
- la clientèle ciblée n'est pas identique
- les réseaux et modes de distribution diffèrent
- les deux sociétés ne se rapportent pas au même marché.
En ce qui concerne la société "L'Exception", la société Maison Lejaby soutient, au visa des articles L. 233-1, L. 233-3 I et II et L. 233-6 du code de commerce, que cette société ne peut être intégrée au groupe au sein duquel doit être apprécié le motif économique du licenciement de Mme X dès lors que la groupe Impala n'y détient, via la société Triana, qu'une simple participation.
La cause économique d'un licenciement s'apprécie au niveau de l'entreprise ou, si celle-ci fait partie d'un groupe, au niveau du secteur d'activité du groupe dans lequel elle intervient. Le périmètre du groupe à prendre en considération à cet effet est l'ensemble des entreprises unies par le contrôle ou l'influence d'une entreprise dominante dans les conditions définies à l'article L. 2331-1 du code du travail, sans qu'il y ait lieu de réduire le groupe aux entreprises situées sur le territoire national.
L'article L. 2331-1 du code du travail définit le groupe comme étant formé par une entreprise appelée entreprise dominante, dont le siège social est situé sur le territoire français, et des entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1 aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce, étant précisé que le groupe de sociétés retenu en droit du travail pour circonscrire le périmètre diffère du groupe de reclassement.
En l'espèce, il résulte l'organigramme versé aux débats par la société Maison Lejaby, arrêté au 30 juin 2017, qu'elle est détenue à 96,57% par la société Triana, elle-même contrôlée à 100% par la SAS Impala qui est une holding française contrôlant des entreprises dans le domaine de l'énergie, de l'industrie et des marques, notamment. Il apparaît en outre que la société Triana détient 43,7% de la société "l'Exception" et que la société Impala détient 70% de la société "Pull In".
La société Maison Lejaby ne conteste pas son appartenance à un groupe de sociétés dès lors qu'elle met en évidence les liens capitalistiques existant entre les sociétés sus-visées et il est constant que la charge de définir les contours du groupe auquel il appartient, repose sur l'employeur et non sur le salarié.
En ce qui concerne la société "L'Exception" détenue par la société Holding Impala à 43,7%, via la société Triana, la société Maison Lejaby évoque une simple participation au regard de ce pourcentage, mais ne précise cependant pas comment est réparti le reste des parts sociales de cette société.
En l'état des éléments du débat, cette participation de 43,7% ne permet pas d'affirmer que la société "L'Exception" ne serait pas sous le contrôle ou sous la domination de la Holding Impala, via la société Triana. En effet, à défaut pour la société Lejaby d'établir qu'un autre associé détiendrait seul, une participation supérieure dans la société "L'Exception", il existe, en l'état des pièces versées aux débats une présomption de contrôle de la société "L'Exception" par la Holding Impala, via la société Triana, qui n'est combattue par aucun élément contraire.
Il n'existe donc aucune raison d'exclure la société "L'Exception" du groupe de sociétés se trouvant sous le contrôle de la Holding Impala, auquel appartient la société Maison Lejaby.
La société Maison Lejaby appartenant à un groupe de sociétés, les circonstances économiques doivent être appréciées au niveau de secteur d'activité commun au sien et à celui des entreprises du groupe auquel elle appartient.
Le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits, biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.
Par ailleurs, il appartient à l'employeur de justifier, lorsqu'elle est contestée, de la délimitation du secteur d'activité dont il relève, de sorte que la société Maison Lejaby ne peut reprocher à Mme X de ne pas rapporter la preuve que les conditions d'application définies à l'article L. 2331-1 du code du travail sus-visé sont remplies, cette preuve lui incombant.
La société Maison Lejaby soutient que la société "Lyl"qui commercialise les produits sous la marque "Pull In", ne se situe pas sur le même marché qu'elle, mais la cour constate d'une part, que la société Maison Lejaby ne verse aucun élément relatif à la société "Lyl" ou "Pull In", d'autre part, qu'il est constant que les produits "Pull In" distribués par la société Lyl, sont, pour l'essentiel, des sous-vêtements. Il s'agit donc pour ces sociétés d'une activité de vente de textiles, notamment des sous-vêtements, et force est de constater que si la société Maison Lejaby est la seule à pouvoir se prévaloir d'une expertise spécifique historique de corsetier, ce savoir-faire particulier ne la situe cependant pas nécessairement dans un secteur d'activité distinct de celui de la société "Lyl".
En ce qui concerne la société "l'Exception", Mme X produit une pièce n°22 qui est la page d'accueil de la boutique en ligne de la société "L'Exception" laquelle offre de la lingerie de différents créateurs dont la Maison Lejaby, et illustre ainsi de façon péremptoire, que les deux sociétés ont le même secteur d'activité, la société "L'Exception" proposant, notamment, des produits de la société Maison Lejaby.
Le secteur d'activité économique se définissant notamment par la nature des produits, biens ou services délivrés, force est de constater que des sous-vêtements relèvent, indépendamment des techniques de fabrication, d'une même nature de produits.
Si le secteur d'activité se définit également par la clientèle qu'il cible ou encore par les réseaux et modes de distribution qu'il utilise, la société Maison Lejaby ne précise pas en quoi les clientèles et réseaux de distribution des sociétés Maison Lejaby, "Lyl" et l'Exception diffèrent.
Il en résulte que les sociétés Maison Lejaby, "Lyl" ou "Pull In" et "l'Exception" appartiennent à un même groupe au sens des articles L. 233-1 aux I et II, L. 233-3 et L. 233-16 du code de commerce, et à l'intérieur de ce groupe, au même secteur d'activité, de sorte que les difficultés économiques évoquées à l'appui du licenciement doivent s'apprécier au niveau de ce secteur d'activité.
S'il est constant en l'espèce que la société Maison Lejaby a justifié de ses propres difficultés économiques par la production :
- de ses comptes de résultats pour les exercices 2013, 2014 et 2015
- de son projet d'externalisation de ses activités logistiques
- de l'autorisation de l'inspection du travail pour procéder au licenciement de Mme X, déléguée du personnel, elle ne produit en revanche aucun élément sur la situation des sociétés "Lyl" ou "Pull In" et "L'Exception", de sorte qu'elle ne justifie pas à l'appui du licenciement de Mme X, des difficultés économiques de son secteur d'activité au sein du groupe.
Le motif économique n'étant pas justifié au niveau du secteur d'activité du groupe, le licenciement de Mme X sera déclaré sans cause réelle et sérieuse. La demande au titre du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement est par conséquent sans objet et le jugement déféré sera infirmé en ce sens.
- Sur les dommages-intérêts :
En application des articles L.1235-3 et L.1235-5 du code du travail, Mme X ayant eu une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise occupant habituellement 11 salariés au moins, peut prétendre, en l'absence de réintégration dans l'entreprise, à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, dont il n'est pas contesté qu'il est habituellement de plus de 11 salariés, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme X âgée de 58 ans lors de la rupture, de son ancienneté de vingt-quatre années et trois mois, des difficultés pour retrouver un emploi lié à son statut de travailleur handicapé, la cour estime que le préjudice résultant pour cette dernière doit être fixé à la somme de 13 000 euros, sur la base d'un salaire mensuel de 812, 25 euros.
Le jugement déféré qui a alloué à Mme X la somme de 11 000 euros sur la base d'un salaire mensuel moyen de 787,20 euros sera infirmé en ce sens.
- Sur la demande au titre du manquement de l'employeur quant à la priorité de réembauchage :
L'article L. 1233-45 du code du travail énonce que : "Le salarié licencié pour motif économique bénéficie d'une priorité de réembauche durant un délai d'un an à compter de la date de rupture de son contrat s'il en fait la demande au cours de ce même délai.
Dans ce cas, l'employeur informe le salarié de tout emploi devenu disponible et compatible avec sa qualification. En outre, l'employeur informe les représentants du personnel des postes disponibles.
Le salarié ayant acquis une nouvelle qualification bénéficie également de la priorité de réembauche au titre de celle-ci, s'il en informe l'employeur."
Mme X expose qu'elle a fait part à son employeur de son souhait de bénéficier de la priorité de réembauche par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 17 novembre 2016 et soutient qu'elle a reçu, le 12 juillet 2017, la proposition faite par l'employeur d'un poste d'opérateur de saisie de commande, alors que le délai qui lui était imparti expirait précisément le 12 juillet 2017.
Elle ajoute que la proposition de poste était imprécise en ce qu'elle n'indiquait même pas le lieu d'exercice.
La société Maison Lejaby indique en réponse que Mme X ne rapporte pas la preuve de ce qu'elle aurait reçu ladite proposition postérieurement à la date à laquelle elle devait donner sa réponse, et souligne qu'elle n'a, en tout état de cause, porté aucun intérêt à cette proposition de poste.
Il résulte des pièces versées aux débats que la société Maison Lejaby a, par lettre du 10 juillet 2017, proposé à Mme X, un poste d'opérateur de saisie de commandes en CDD du 17 juillet 2017 au 15 septembre 2017 en lui demandant une réponse avant le mercredi 12 juillet 2017.
Mme X joint à ce courrier un document portant le cachet de la poste à la date du 10 juillet 2017, mais la date de réception n'apparaît pas sur ce document.
S'il appartient à l'employeur de justifier de ce qu'il a effectivement mis la salariée, qui avait exprimé un an auparavant, son souhait de bénéficier de la priorité de réembauche, en situation d'exercer cette priorité, il ne résulte pas des débats que Mme X ait fait valoir une quelconque observation sur l'objet de la proposition ou sur le délai qui lui a été imparti, étant précisé qu'elle ne conteste pas avoir effectivement reçu cette proposition.
Dans ces conditions, il ne résulte pas des débats que la société Maison Lejaby ait manqué à ses obligations relatives à la priorité de réembauche, de sorte que Mme X sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts à ce titre.
- Sur le remboursement des indemnités de chômage :
En application de l'article L.1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d’indemnisation ; le jugement déféré sera confirmé de ce chef.
- Sur les demandes accessoires :
Il convient d'ordonner à la société Maison Lejaby de remettre à Mme X les documents de fin de contrat et attestation pôle emploi rectifiés, mais il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de condamnation sous astreinte, laquelle n'est pas justifiée par des circonstances particulières.
Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a mis à la charge de la société maison Lejaby les dépens de première instance et en ce qu'il a alloué à Mme X une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Maison Lejaby qui succombe en ses prétentions sera condamnée aux dépens d'appel.
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel dans la mesure énoncée au dispositif.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement
CONFIRME le jugement déféré sauf sur le montant des dommages-intérêts alloués à Mme X pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
STATUANT à nouveau sur ce chef et y ajoutant,
DEBOUTE Mme X de sa demande de dommages-intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail,
CONDAMNE la société Maison Lejaby à payer à Mme X la somme de 13.000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
ORDONNE à la société Maison Lejaby de remettre à Mme X un certificat de travail, une attestation destinée au Pôle Emploi et un bulletin de salaire conformes au présent arrêt dans un délai de deux mois à compter de sa signification,
CONDAMNE la société Maison Lejaby à payer Mme X la somme de 1.750 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel,
REJETTE toute demande contraire ou plus ample des parties,
CONDAMNE la société Maison Lejaby aux dépens d'appel.