CJUE, 5e ch., 10 novembre 2022, n° C-494/21
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Eircom Limited
Défendeur :
Commission for Communications Regulation, Vodafone Ireland Limited, Three Ireland (Hutchison) Limited, Three Ireland Services (Hutchison) Limited
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
E. Regan
Juges :
D. Gratsias (rapporteur), M. Ilešič, I. Jarukaitis , Z. Csehi
Avocat général :
P. Pikamäe
Avocats :
J. Whelan, J. O’Connell, J. Newman, R. Byrne, M. D. Dodd, B. Kennedy
LA COUR (cinquième chambre),
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive « service universel ») (JO 2002, L 108, p. 51).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Eircom Limited, désignée, au cours de l’année 2003, en tant que seul opérateur pour la fourniture du service universel en Irlande, à la Commission for Communications Regulation (Autorité de régulation dans le domaine des télécommunications, Irlande) (ci-après la « commission de régulation »), au sujet du refus de cette dernière d’accorder à Eircom un financement visant à couvrir la charge prétendument injustifiée que représenterait, pour cette société, le coût net supporté au titre de ses obligations de service universel.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les considérants 4, 18 et 21 de la directive « service universel » sont ainsi libellés :
« (4) Garantir un service universel (c’est-à-dire fournir un ensemble minimal de services déterminés à tous les utilisateurs finals à un prix abordable) peut entraîner la fourniture de certains services à certains utilisateurs à des prix qui s’écartent de ceux découlant de conditions normales du marché. Toutefois, l’indemnisation des entreprises désignées pour fournir ces services dans ces circonstances ne saurait entraîner une quelconque distorsion de la concurrence, à condition que ces entreprises désignées soient indemnisées pour le coût net spécifique encouru et que ce coût net soit recouvré par un moyen neutre du point de vue de la concurrence.
[...]
(18) Les États membres devraient, lorsqu’il y a lieu, établir des mécanismes de financement du coût net afférent aux obligations de service universel dans les cas où il est démontré que ces obligations ne peuvent être assumées qu’à perte ou à un coût net qui dépasse les conditions normales d’exploitation commerciale. Il importe de veiller à ce que le coût net découlant des obligations de service universel soit correctement calculé et que les financements éventuels entraînent un minimum de distorsions pour le marché et les entreprises, et sont compatibles avec les dispositions des articles [107 et 108 TFUE].
[...]
(21) Lorsqu’une obligation de service universel représente une charge excessive pour une entreprise, il y a lieu d’autoriser les États membres à établir des mécanismes efficaces de couverture des coûts nets. L’une des méthodes de couverture des coûts nets afférents aux obligations du service universel est le prélèvement sur des fonds publics. Il est également envisageable de compenser les coûts nets établis en mettant l’ensemble des utilisateurs à contribution de manière transparente par le biais de taxes prélevées sur les entreprises. Les États membres devraient être en mesure de financer les coûts nets des différents éléments du service universel par des mécanismes divers et/ou de financer les coûts nets de certains éléments ou de tous ces éléments soit par l’un des mécanismes soit par une combinaison des deux. Dans le cas d’une mise à contribution des entreprises, les États membres devraient veiller à ce que la méthode de répartition du prélèvement s’appuie sur des critères objectifs et non discriminatoires et respecte le principe de proportionnalité. Ce principe n’empêche pas les États membres d’exempter de contribution les nouveaux arrivants dont la part de marché n’est pas encore significative. Les mécanismes de financement devraient avoir pour but d’assurer la participation des acteurs du marché au seul financement des obligations de service universel, et non à des activités qui ne seraient pas directement liées à la fourniture du service universel. Les mécanismes de couverture devraient, dans tous les cas, respecter les principes du droit communautaire et, en particulier dans le cas de mécanismes de répartition du financement, ceux de la non discrimination et de la proportionnalité. [...] »
4 L’article 1er de cette directive, intitulé « Champ d’application et objectifs », dispose, à son paragraphe 1 :
« Dans le cadre de la directive 2002/21/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive “cadre”) (JO 2002, L 108, p. 33)], la présente directive a trait à la fourniture de réseaux et de services de communications électroniques aux utilisateurs finals. Elle vise à assurer la disponibilité, dans toute la Communauté de services de bonne qualité accessibles au public grâce à une concurrence et à un choix effectif et à traiter les cas où les besoins des utilisateurs finals ne sont pas correctement satisfaits par le marché. »
5 L’article 3 de ladite directive, intitulé « Disponibilité du service universel », énonce, à son paragraphe 2 :
« Les États membres déterminent l’approche la plus efficace et la plus adaptée pour assurer la mise en œuvre du service universel, dans le respect des principes d’objectivité, de transparence, de non-discrimination et de proportionnalité. Ils s’efforcent de réduire au minimum les distorsions sur le marché, en particulier lorsqu’elles prennent la forme de fournitures de services à des tarifs ou des conditions qui diffèrent des conditions normales d’exploitation commerciale, tout en sauvegardant l’intérêt public. »
6 L’article 8 de cette directive, intitulé « Désignation d’entreprises », prévoit :
« 1. Les États membres peuvent désigner une ou plusieurs entreprises afin de garantir la fourniture du service universel défini aux articles 4, 5, 6 et 7 et, le cas échéant, à l’article 9, paragraphe 2, de façon que l’ensemble du territoire national puisse être couvert. Les États membres peuvent désigner des entreprises ou groupes d’entreprises différents pour fournir différents éléments du service universel et/ou pour couvrir différentes parties du territoire national.
2. Lorsque les États membres désignent des entreprises pour remplir des obligations de service universel sur tout ou partie du territoire national, ils ont recours à un mécanisme de désignation efficace, objectif, transparent et non discriminatoire qui n’exclut a priori aucune entreprise. Les méthodes de désignation garantissent que la fourniture du service universel répond au critère de la rentabilité et peuvent être utilisées de manière à pouvoir déterminer le coût net de l’obligation de service universel, conformément à l’article 12.»
7 L’article 12 de la directive « service universel », intitulé « Calcul du coût des obligations de service universel », énonce :
« 1. Lorsque les autorités réglementaires nationales estiment que la fourniture du service universel, telle qu’elle est énoncée dans les articles 3 à 10, peut représenter une charge injustifiée pour les entreprises désignées comme fournisseurs de service universel, elles calculent le coût net de cette fourniture.
À cette fin, les autorités réglementaires nationales :
a) calculent le coût net de l’obligation de service universel, compte tenu de l’avantage commercial éventuel que retire une entreprise désignée pour fournir un service universel, conformément aux indications données à l’annexe IV, partie A, ou
b) utilisent le coût net encouru par la fourniture du service universel et déterminé par mécanisme de désignation conformément à l’article 8, paragraphe 2.
2. Les comptes et/ou toute autre information servant de base pour le calcul net des obligations de service universel effectué en application du paragraphe 1, point a), sont soumis à la vérification de l’autorité réglementaire nationale ou d’un organisme indépendant des parties concernées et agréé par l’autorité réglementaire nationale. Le résultat du calcul du coût et des conclusions de la vérification sont mis à la disposition du public. »
8 L’article 13 de cette directive, intitulé « Financement des obligations de service universel », est ainsi libellé :
« 1. Lorsque, sur la base du calcul du coût net visé à l’article 12, les autorités réglementaires nationales constatent qu’une entreprise est soumise à une charge injustifiée, les États membres décident, à la demande d’une entreprise désignée :
a) d’instaurer un mécanisme pour indemniser ladite entreprise pour les coûts nets tels qu’ils ont été calculés, dans des conditions de transparence et à partir de fonds publics, et/ou
b) de repartir le coût net des obligations de service universel entre les fournisseurs de réseaux et de services de communications électroniques.
2. En cas de répartition du coût net comme prévu au paragraphe 1, point b), les États membres instaurent un mécanisme de répartition géré par l’autorité réglementaire nationale ou un organisme indépendant de ses bénéficiaires, sous la surveillance de l’autorité réglementaire nationale. Seul le coût net des obligations définies dans les articles 3 à 10, calculé conformément à l’article 12, peut faire l’objet d’un financement.
3. Un mécanisme de répartition respecte les principes de transparence, de distorsion minimale du marché, de non-discrimination et de proportionnalité, conformément aux principes énoncés dans l’annexe IV, partie B. Les États membres peuvent choisir de ne pas demander de contributions aux entreprises dont le chiffre d’affaires national est inférieur à une limite qui aura été fixée.
4. Les éventuelles redevances liées à la répartition du coût des obligations de service universel sont dissociées et définies séparément pour chaque entreprise. De telles redevances ne sont pas imposées ou prélevées auprès des entreprises ne fournissant pas de services sur le territoire de l’État membre qui a instauré le mécanisme de répartition. »
9 L’annexe IV de cette directive, intitulée « Calcul, le cas échéant, du coût net des obligations de service universel et mise en place d’un mécanisme de couverture ou de répartition des coûts conformément aux articles 12 et 13 », comprend une partie A, elle-même intitulée « Calcul du coût net », qui dispose :
« On entend par “obligations de service universel” : les obligations qu’un État membre a imposées à une entreprise pour qu’elle fournisse un réseau et un service dans une zone géographique donnée en y appliquant, le cas échéant, des tarifs par péréquation en échange de la fourniture de ce service ou en offrant des tarifs spéciaux aux consommateurs ayant de faibles revenus ou des besoins sociaux spécifiques.
Les autorités nationales envisagent tous les moyens possibles pour inciter les opérateurs (désignés ou non) à remplir leurs obligations de service universel de manière rentable. Le coût net correspond à la différence entre le coût net supporté par une entreprise désignée lorsqu’elle fournit un service universel et lorsqu’elle n’en fournit pas. [...] Il convient de veiller à évaluer correctement les coûts que l’entreprise désignée aurait évités si elle avait eu le choix de ne pas remplir d’obligations de service universel. Le calcul du coût net doit évaluer les bénéfices, y compris les bénéfices immatériels, pour l’opérateur de service universel.
Le calcul se fonde sur les coûts imputables aux postes suivants :
i) éléments de services ne pouvant être fournis qu’à perte ou à des coûts s’écartant des conditions normales d’exploitation commerciale.
Cette catégorie peut comprendre des éléments de services tels que l’accès aux services téléphoniques d’urgence, à certains téléphones payants publics, à la fourniture de certains services ou équipements destinés aux handicapés, etc. ;
ii) utilisateurs finals ou groupes d’utilisateurs finals particuliers qui, compte tenu du coût de la fourniture du réseau et du service mentionnés, des recettes obtenues et de la péréquation géographique des prix imposée par l’État membre, ne peuvent être servis qu’à perte ou à des coûts s’écartant des conditions commerciales normales.
Cette catégorie comprend les utilisateurs finals ou les groupes d’utilisateurs finals auxquels un opérateur commercial ne fournirait pas de services s’il n’avait pas une obligation de service universel.
Le calcul du coût net de certains aspects spécifiques des obligations de service universel est effectué séparément, de manière à éviter de compter deux fois les bénéfices directs ou indirects et les coûts. Le coût net global des obligations de service universel pour une entreprise correspond à la somme des coûts nets associés à chaque composante de ces obligations, compte tenu de tout bénéfice immatériel. La vérification du calcul incombe à l’autorité réglementaire nationale. »
10 L’article 1er, paragraphes 1 et 7, de la directive 2009/136/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009, modifiant la directive 2002/22, la directive 2002/58/CE concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques et le règlement (CE) no 2006/2004 relatif à la coopération entre les autorités nationales chargées de veiller à l’application de la législation en matière de protection des consommateurs (JO 2009, L 337, p. 11), intitulé « Modifications de la directive [2002/22] (directive ‘service universel’) », dispose :
« La directive [2002/22] (directive “service universel”) est modifiée comme suit :
1. L’article 1er est remplacé par le texte suivant :
“Article premier
Objet et champ d’application
1. Dans le cadre de la directive [2002/21] (directive “cadre”), la présente directive a trait à la fourniture de réseaux et de services de communications électroniques aux utilisateurs finals. Elle vise à assurer la disponibilité, dans toute la Communauté, de services de bonne qualité accessibles au public grâce à une concurrence et à un choix effectifs et à traiter les cas où les besoins des utilisateurs finals ne sont pas correctement satisfaits par le marché. Elle contient aussi des dispositions relatives à certains aspects des équipements terminaux, y compris des dispositions destinées à faciliter l’accès des utilisateurs finals handicapés.
[...]”
[…]
7. À l’article 8, le paragraphe suivant est ajouté :
“3. Lorsqu’une entreprise désignée conformément au paragraphe 1 a l’intention de céder une partie substantielle ou la totalité de ses actifs de réseau d’accès local à une entité juridique distincte appartenant à un propriétaire différent, elle en informe à l’avance et en temps utile l’autorité réglementaire nationale, afin de permettre à cette dernière d’évaluer les effets de la transaction projetée sur la fourniture d’accès en position déterminée et de services téléphoniques en application de l’article 4. L’autorité réglementaire nationale peut imposer, modifier ou supprimer des obligations particulières conformément à l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2002/20/CE (directive ‘autorisation’).”
[…] »
11 L’article 4 de la directive 2009/136, intitulé « Transposition », prévoit, à son paragraphe 1, premier alinéa :
« Les États membres adoptent et publient, au plus tard le 25 mai 2011, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive. Ils communiquent immédiatement à la Commission [européenne] le texte de ces dispositions. »
12 Il convient d’observer que les modifications apportées par l’article 1er, paragraphes 1et 7, de la directive 2009/136 à l’article 1er, paragraphe 1, et à l’article 8 de la directive « service universel » n’emportent pas de conséquences pour la réponse à la question posée par la juridiction de renvoi.
Le droit irlandais
13 L’European Communities (Electronic Communications Networks and Services) (Universal Service and Users’ Rights) Regulations 2011 [règlement des Communautés européennes relatif aux réseaux et service de communications électroniques (service universel et droits des usagers) de 2011] (S.I. no 337, ci-après le « règlement national “service universel” »), contient un article 11, intitulé « Calcul du coût des obligations de service universel », qui prévoit :
« (1) Lorsqu’une entreprise désignée comme ayant une obligation [de service universel] souhaite obtenir un financement pour les coûts nets afférents à l’exécution de cette obligation, elle peut soumettre au régulateur une demande écrite en vue d’obtenir un tel financement.
(2) Toute demande présentée en vertu du paragraphe 1 est accompagnée des informations à l’appui de cette demande qui peuvent être raisonnablement exigées par le régulateur aux fins du paragraphe 3. Les données peuvent se rapporter à toute période susceptible d’être fixée par le régulateur.
(3) En s’appuyant sur les informations, y compris celles soumises au titre du paragraphe 2, qu’il juge suffisantes pour permettre de procéder à la détermination visée au présent paragraphe, le régulateur détermine si une obligation visée au paragraphe 1 peut représenter une charge injustifiée pour l’entreprise concernée.
(4) Lorsque le régulateur détermine qu’une obligation visée au paragraphe 1 peut représenter une charge injustifiée, il calcule le coût net de l’exécution de cette obligation sur la base :
a) du coût net, compte tenu de l’avantage commercial éventuel que retire l’entreprise, calculé conformément aux indications données à l’annexe 2, partie A ;
ou
b) le cas échéant, du coût net déterminé par une méthode de désignation conformément à l’article 7, paragraphe 3.
(5) Une entreprise désignée visée au paragraphe 1 fournit les informations qui sont raisonnablement exigées par le régulateur aux fins du paragraphe 4.
(6) Lorsque le régulateur détermine qu’une obligation visée au paragraphe 1 ne représente pas une charge injustifiée, il notifie cette détermination ainsi que les motifs de celle-ci à l’entreprise concernée dès que cela est raisonnablement possible après avoir établi cette détermination.
[...] »
14 L’article 12 du règlement national « service universel », intitulé « Financement des obligations de service universel », énonce :
« (1) Lorsque le régulateur juge, sur la base du calcul du coût net prévu à l’article 11, que le coût net de l’exécution d’une obligation [de service universel] représente une charge injustifiée pour une entreprise, il répartit le coût net de l’obligation de service universel entre les fournisseurs de réseaux et de services de télécommunications électroniques.
(2) Le régulateur instaure un mécanisme de répartition géré par lui-même ou par un organisme indépendant des entreprises désignées, l’organisme en question se trouvant sous la surveillance du régulateur. Seul le coût net des obligations [de service universel], calculé conformément à l’article 11, peut faire l’objet d’un financement.
(3) Un mécanisme de répartition instauré conformément au paragraphe 2 respecte les principes de transparence, de distorsion minimale du marché, de non-discrimination et de proportionnalité [...] Le régulateur peut choisir de ne pas demander de contributions aux entreprises dont le chiffre d’affaires national vérifié est inférieur à tout montant que le régulateur peut fixer de temps à autre, compte tenu des éventuels points de vue qui sont partagés avec lui dans le cadre d’éventuelles consultations menées conformément à l’article 26.
[...] »
15 Le 31 mai 2011, la commission de régulation a publié la décision 04/11, composée d’une série de décisions numérotées qui énoncent les principes et les méthodes de calcul des coûts nets et des recettes de l’obligation de service universel, les principes et les méthodes de calcul des autres recettes de cette obligation ainsi que l’approche à adopter pour déterminer si le prestataire de service universel a été soumis à une charge injustifiée en raison des coûts nets.
16 Les décisions numérotées 38 à 41 sont ainsi libellées :
« 38. Pour qu’une charge injustifiée pèse sur un [prestataire de service universel], trois conditions cumulatives doivent être réunies :
i. il doit exister un coût net direct, vérifiable et vérifié ;
ii. les bénéfices de l’[obligation de service universel] ne doivent pas excéder le coût net (à savoir, un coût net positif est constaté) ;
iii. Ce coût net positif est a) substantiel comparé aux frais administratifs d’un mécanisme de répartition et b) entraîne un désavantage concurrentiel significatif pour un [prestataire de service universel].
39. Si le coût net positif est relativement faible, [l’autorité réglementaire] déterminera, sur la base des coûts vérifiés de l’[obligation de service universel], si le financement de l’[obligation de service universel] est ou non justifié, en tenant compte des coûts administratifs de l’établissement et de l’exploitation d’un mécanisme de répartition (par rapport au coût net positif de l’[obligation de service universel]) et en tenant compte du caractère disproportionné de ces coûts par rapport à tout transfert net vers un [prestataire de service universel].
40. Si le coût net positif n’est pas relativement faible, [l’autorité réglementaire] évaluera si ce coût net affecte ou non de manière significative la rentabilité d’un [prestataire de service universel] et/ou sa capacité à obtenir un taux de rendement équitable du capital investi ; et
41. Si le coût net positif affecte de manière significative la rentabilité d’un [prestataire de service universel], [l’autorité réglementaire] évaluera si un tel coût net affecte ou non de manière significative la capacité d’un [prestataire de service universel] à être en concurrence à armes égales avec ses concurrents dans le futur. »
Le litige au principal et la question préjudicielle
17 Eircom est l’opérateur historique monopolistique dans le marché irlandais de télécommunications. Cette entreprise a été désignée par la commission de régulation comme étant l’unique fournisseur de service universel au cours de l’année 2003. Selon la juridiction de renvoi, Eircom reste, à ce jour, le seul opérateur en Irlande fournissant l’accès en des points déterminés ainsi que des services vocaux et de téléphones publics payants.
18 À la suite des demandes de financement des coûts nets de l’obligation de service universel présentées par Eircom sur le fondement de l’article 11 du règlement national « service universel » et visant à ce que, conformément à l’article 12 de ce règlement national, le coût des obligations de service universel soit partagé entre les différents opérateurs présents sur le marché, la commission de régulation a adopté, le 18 avril 2019, cinq décisions (ci-après les « décisions litigieuses ») par lesquelles elle a considéré que le coût net supporté par Eircom, au titre de ses obligations de service universel entre l’année 2010 et l’année 2015, ne constituait pas une charge injustifiée pesant sur celle-ci. Par conséquent, la commission de régulation a, par les décisions litigieuses, refusé de recourir au mécanisme de répartition visé à cet article 12.
19 Saisie d’un recours contre les décisions litigieuses, la juridiction de renvoi a constaté qu’il ressort de celles-ci que la commission de régulation a effectué le calcul selon lequel, sur les cinq années concernées, le coût net des obligations de service universel pesant sur Eircom se situait juste en dessous de 43 millions d’euros. Le bénéfice avant intérêts et impôts de cette entreprise sur la période examinée en ce qui concerne ses activités de lignes fixes a été de 1,397 milliard d’euros.
20 Dans chacune des décisions litigieuses, la commission de régulation se serait appuyée sur un Unfair burden report (rapport sur la charge injustifiée) établi à sa demande par un cabinet de consultants. Selon ces rapports, pour ce qui est des conditions visées à la décision 38, un coût net positif pèserait sur Eircom pour chacune des années considérées, les bénéfices résultant, pour cette entreprise, de ses obligations de service universel n’excéderaient pas le coût net de ces dernières et le coût net positif serait substantiel comparé aux frais administratifs d’un mécanisme de répartition.
21 Il ressort de ces rapports que, pour ce qui est de l’appréciation exigée par la décision 40, la rentabilité d’Eircom et sa capacité à obtenir un taux de rendement équitable du capital investi n’ont pas été affectées de manière significative par le coût net de ses obligations de service universel au cours de la période pertinente.
22 Le critère de référence utilisé dans lesdits rapports et validé par la commission de régulation pour évaluer la capacité d’Eircom à obtenir un taux de rendement équitable aurait consisté à comparer une mesure du rendement des capitaux investis (ci-après le « RCI ») de rendements financiers d’Eircom avec le coût moyen pondéré du capital, coût qui aurait été préalablement déterminé par la commission de régulation. À titre indicatif, en ce qui concerne les activités de téléphonie fixe d’Eircom, en tenant compte du coût net de ses obligations de service universel, le RCI aurait dépassé le coût moyen pondéré du capital pour chaque année examinée. Eu égard aux constatations y afférentes, il ressortirait des mêmes rapports que, s’agissant de la période sur laquelle portaient les demandes de financement d’Eircom, la charge du coût net pesant sur cette société n’était pas excessive compte tenu de la capacité de celle-ci à la supporter.
23 Selon la juridiction de renvoi, le cabinet de consultants susmentionné a déclaré que, par conséquent, dans le cadre de l’élaboration des rapports relatifs à la période examinée, il n’avait pas évalué, au titre de la décision 41, si le coût net des obligations de service universel pesant sur Eircom avait eu un impact sur la capacité de celle-ci à être, dans le futur, en concurrence à armes égales avec ses concurrents sur le marché concerné.
24 Par les décisions litigieuses, la commission de régulation aurait, toutefois, considéré que l’absence d’effet significatif sur la rentabilité d’Eircom et sa capacité à obtenir un taux équitable de RCI démontraient que le coût net de ses obligations de service universel n’avait pas créé un désavantage concurrentiel significatif pour cette entreprise. Cette commission de régulation a donc jugé qu’il n’était pas nécessaire de procéder à un examen des distorsions de concurrence tel qu’énoncé par cette décision 41.
25 La juridiction de renvoi constate que tant lesdits rapports que les décisions litigieuses se concentrent sur les seules caractéristiques d’Eircom, ni la commission de régulation ni ledit cabinet de consultants n’ayant procédé à une évaluation de la position des concurrents d’Eircom sur le marché.
26 Elle relève également que, pour la période couvrant les années 2010 à 2014, la part du marché d’Eircom, en ce qui concerne la souscription de clients de téléphonie fixe, aurait chuté de 74,5 à 47,2 %, alors que l’un des concurrents d’Eircom aurait, par exemple, augmenté sa part de marché national de 5 à 21,7 % au cours de cette période. Il résulterait d’une analyse du marché effectuée au cours de l’année 2014 par la commission de régulation, dans le cadre d’une enquête réalisée auprès des ménages au cours de l’année 2013, à Dublin (Irlande), que la part de marché de ce concurrent aurait été de 42 %, contre 44 % pour Eircom.
27 La juridiction de renvoi souligne, à cet égard, qu’il n’est pas contesté qu’une caractéristique du marché concurrentiel des télécommunications est que les prestataires de service qui ne sont pas chargés d’obligations de service universel « profitent d’avoir des clients raccordés au réseau qui, sinon, resteraient non desservis (“externalités positives”) ou que constitue aussi une caractéristique reconnue de tels marchés concurrentiels que tous les prestataires de service peuvent, en théorie, sélectionner uniquement les centres géographiques plus rentables ».
28 Dans ces conditions, la juridiction de renvoi constate qu’il existe, entre les parties, un désaccord sur la portée de l’arrêt de la Cour du 6 octobre 2010, Base e.a. (C 389/08, EU:C:2010:584), et l’application des critères qui en ressortent concernant l’appréciation de l’existence d’une charge injustifiée dans un cas comme celui d’Eircom, dans lequel une seule entreprise est chargée d’obligations de service universel.
29 Plus particulièrement, selon la juridiction de renvoi, Eircom considère que cet arrêt doit être lu en tenant compte du contexte législatif de l’affaire y ayant donné lieu et que la capacité relative d’une entreprise chargée d’obligations de service universel à supporter les coûts nets de ces dernières doit être appréciée en tenant compte non seulement de ses caractéristiques propres, mais aussi de celles de ses concurrents. En l’absence d’une telle évaluation, il existerait un risque significatif que tous les opérateurs bénéficient des externalités positives d’une telle entreprise, mais que seule celle-ci en supporte le coût, alors que sa situation n’est pas significativement meilleure par rapport à celle de ses concurrents.
30 Pour sa part, la commission de régulation considère, selon la juridiction de renvoi, qu’il ressort dudit arrêt que, pour apprécier si le coût net des obligations de service universel pesant sur un opérateur constitue une charge injustifiée, il convient de se concentrer sur la capacité de cet opérateur à supporter ce coût à la lumière de ses caractéristiques propres. L’appréciation de l’existence d’une charge injustifiée sur le fondement d’une analyse du marché ne serait pas une exigence qui ressortirait soit du cadre réglementaire soit de la jurisprudence de la Cour.
31 Dans ces conditions, la High Court (Haute Cour, Irlande) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Dans des circonstances dans lesquelles :
i) le marché des télécommunications a été libéralisé et plusieurs prestataires de services de télécommunications opèrent sur ce marché ;
ii) un prestataire de service [...] a été choisi par l’autorité [de régulation] nationale (ci-après l’“ARN”) pour remplir les obligations de service universel [...] ;
iii) il a été établi par l’ARN qu’il existe un coût net positif lié à l’exécution des [obligations de service universel] ; et
iv) il a été établi par l’ARN que le coût net [des obligations de service universel] est substantiel comparé aux coûts administratifs d’établissement d’un mécanisme de partage du coût net [des obligations de service universel] entre les acteurs du marché ;
si, en vertu de ses obligations au titre de la directive [“service universel”], l’ARN est tenue d’examiner si le coût net [des obligations de service universel] est excessif au vu de la capacité du [prestataire de service universel] de le supporter, compte tenu de l’ensemble des caractéristiques [de celui-ci], notamment du niveau de ses équipements, de sa situation économique et financière et de sa part de marché (ainsi qu’évoqué au point 42 de l’arrêt [du 6 octobre 2010, Base e.a. (C 389/08, EU:C:2010:584)]), les directives permettent-elles à l’ARN de procéder à cet examen en prenant en considération exclusivement les caractéristiques/la situation du [prestataire de service universel] ou bien exigent-elles d’examiner les caractéristiques/la situation du [prestataire de service universel] par rapport à ses concurrents sur le marché concerné ? »
Sur la question préjudicielle
32 Il convient de relever, à titre liminaire, que, même si, sur le plan formel, la juridiction de renvoi n’a pas formulé sa question préjudicielle en se référant à des dispositions particulières de la directive « service universel », cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, qu’elle y ait fait ou non référence dans l’énoncé de ses questions. Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2021, Governor of Cloverhill Prison e.a., C 479/21 PPU, EU:C:2021:929, point 39 ainsi que jurisprudence citée).
33 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 12 et 13 de la directive “service universel” doivent être interprétés en ce sens qu’ils imposent à l’ARN compétente, aux fins d’apprécier si le coût net des obligations de service universel représente une charge injustifiée pour un opérateur chargé de telles obligations, d’examiner les caractéristiques propres à ce dernier, en tenant compte de sa situation par rapport à celle de ses concurrents sur le marché concerné.
34 Il y a lieu, à cet égard, de rappeler que la directive « service universel » vise à créer un cadre réglementaire harmonisé qui garantisse, dans le secteur des communications électroniques, la fourniture d’un service universel, à savoir d’un ensemble minimal de services déterminés à tous les utilisateurs finals à un prix abordable. Selon l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive, l’un des objectifs de celle-ci consiste à assurer la disponibilité, dans toute l’Union européenne, de services de bonne qualité accessibles au public grâce à une concurrence et à un choix effectifs (arrêt du 6 octobre 2010, Base e.a., C 389/08, EU:C:2010:584, point 32 ainsi que jurisprudence citée).
35 En vertu de l’article 3, paragraphe 2, de la directive « service universel », les États membres déterminent l’approche la plus efficace et la plus adaptée pour assurer la mise en œuvre du service universel, dans le respect des principes d’objectivité, de transparence, de non-discrimination et de proportionnalité, et ils s’efforcent de réduire au minimum les distorsions sur le marché, tout en sauvegardant l’intérêt public (arrêt du 6 octobre 2010, Base e.a., C 389/08, EU:C:2010:584, point 33 ainsi que jurisprudence citée).
36 Comme l’énonce le considérant 4 de la directive « service universel », le fait de garantir un service universel peut entraîner la fourniture de certains services à certains utilisateurs finals à des prix qui s’écartent de ceux découlant de conditions normales du marché. C’est la raison pour laquelle le législateur de l’Union a prévu, ainsi qu’il ressort du considérant 18 de cette directive, que les États membres devraient, lorsqu’il y a lieu, établir des mécanismes de financement du coût net afférent aux obligations de service universel dans les cas où il est démontré que ces obligations ne peuvent être assumées qu’à perte ou à un coût net qui dépasse les conditions normales d’exploitation commerciale (arrêt du 6 octobre 2010, Base e.a., C 389/08, EU:C:2010:584, point 34 ainsi que jurisprudence citée).
37 Ainsi, conformément à l’article 12, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive « service universel », les ARN, lorsqu’elles estiment que la fourniture du service universel, telle qu’elle est énoncée aux articles 3 à 10 de cette directive, peut représenter une charge injustifiée pour les entreprises désignées comme étant des fournisseurs de service universel, doivent calculer le coût net de cette fourniture.
38 Si les dispositions du second alinéa de l’article 12, paragraphe 1, ainsi que la partie A de l’annexe IV de la directive « service universel » fixent les règles selon lesquelles doit être calculé le coût net de la fourniture du service universel lorsque les ARN ont estimé que celle-ci peut représenter une charge injustifiée, il ne ressort ni de cet article 12, paragraphe 1, ni d’aucune autre disposition de cette directive que le législateur de l’Union ait entendu fixer lui-même les conditions dans lesquelles les ARN sont amenées à considérer, préalablement, que la fourniture du service universel peut représenter une telle charge injustifiée. En revanche, il ressort des dispositions de l’article 13 de la directive « service universel » que ce n’est que sur la base du calcul du coût net de la fourniture du service universel, tel que visé à l’article 12 de cette directive, que les ARN peuvent constater qu’une entreprise désignée comme étant un fournisseur de service universel est effectivement soumise à une charge injustifiée et que les États membres doivent alors décider, à la demande de cette entreprise, d’adopter des modalités d’indemnisation en raison de ce coût (arrêt du 6 octobre 2010, Base e.a., C 389/08, EU:C:2010:584, points 36 et 37).
39 S’agissant de la notion de « charge injustifiée », cette dernière n’est pas définie par la directive « service universel ». Or, ainsi que la Cour a déjà eu l’occasion de le constater dans son arrêt du 6 octobre 2010, Base e.a. (C 389/08, EU:C:2010:584, point 42), il ressort du considérant 21 de la directive « service universel » que le législateur de l’Union a entendu lier les mécanismes de couverture des coûts nets, que la fourniture du service universel peut engendrer pour une entreprise, à l’existence d’une charge excessive dans le chef de cette entreprise. Dans ce contexte, en estimant que le coût net du service universel ne représente pas nécessairement une charge excessive pour toutes les entreprises concernées, il a entendu exclure que tout coût net de fourniture du service universel ouvre automatiquement un droit à indemnisation. La Cour en a conclu que la charge injustifiée dont l’ARN doit constater l’existence avant toute indemnisation est la charge qui, pour chaque entreprise concernée, présente un caractère excessif au regard de sa capacité à la supporter compte tenu de l’ensemble de ses caractéristiques propres, notamment au niveau de ses équipements, de sa situation économique et financière ainsi que de sa part de marché.
40 Si, en l’absence de précision à cet égard dans la directive « service universel », il appartient à l’ARN de fixer, de manière générale et impersonnelle, les critères permettant de déterminer les seuils au-delà desquels, compte tenu des caractéristiques mentionnées au point précédent, une charge peut être considérée comme étant excessive, l’ARN ne saurait, toutefois, constater que la charge de la fourniture du service universel est injustifiée, pour l’application de l’article 13 de cette directive, qu’à la condition de procéder à l’examen particulier de la situation de chaque entreprise concernée au regard de ces critères (arrêt du 6 octobre 2010, Base e.a., C 389/08, EU:C:2010:584, point 43).
41 Si l’ARN constate qu’une ou plusieurs entreprises désignées comme étant des fournisseurs de service universel sont soumises à une charge injustifiée et si cette ou ces entreprises demandent à en être indemnisées, il appartient alors à l’État membre de mettre en place les mécanismes nécessaires à cette fin, conformément à l’article 13 de la directive « service universel » (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2010, Base e.a., C 389/08, EU:C:2010:584, point 44).
42 Eu égard à ce qui vient d’être rappelé, la Cour a conclu, dans son arrêt du 6 octobre 2010, Base e.a. (C 389/08, EU:C:2010:584, point 45), que les États membres ne sauraient, sans méconnaître les obligations résultant de la directive « service universel », constater que la fourniture du service universel constitue effectivement une charge injustifiée indemnisable sans avoir procédé au calcul du coût net qu’elle représente pour chaque entreprise à laquelle incombe cette fourniture ni apprécié si ce coût constitue une charge excessive pour ladite entreprise, ni, enfin, adopter un régime d’indemnisation dans lequel cette dernière serait sans rapport avec ledit coût net.
43 À cet égard, il convient d’emblée de constater que toute prise en compte de la part de marché du fournisseur de service universel implique que le processus de détermination du caractère éventuellement injustifié de la charge pesant sur ce fournisseur du fait de ses obligations de service universel comporte une composante comparative inhérente qui ne peut être ignorée par l’ARN. En effet, la simple constatation d’éléments tenant à la part du marché dudit fournisseur considérée isolément ne permet pas de tirer de conclusions utiles en l’absence de comparaison avec les parts de marché détenues par ses concurrents. Ces conclusions peuvent varier en fonction du nombre de concurrents présents sur le marché, des liens existant, le cas échéant, entre ces derniers ou, encore, des différents secteurs du marché concerné dans lesquels ces concurrents sont présents.
44 Par conséquent, ainsi que le relèvent Eircom, le gouvernement tchèque et la Commission, il ressort des dispositions pertinentes de la directive « service universel » que l’ARN compétente est amenée, dans le cadre de ce processus, à tenir compte de la situation du fournisseur de service universel par rapport à celle de ses concurrents sur le marché concerné.
45 En effet, comme il a été rappelé aux points 34 et 35 du présent arrêt, selon l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive, le principal objectif poursuivi par celle-ci consiste à assurer la disponibilité, dans toute l’Union, de services de bonne qualité accessibles au public grâce à une concurrence et à un choix effectifs. De plus, lors de la mise en œuvre du service universel, les États membres doivent, en vertu de l’article 3, paragraphe 2, de ladite directive, notamment s’efforcer de réduire au minimum les distorsions sur le marché, en particulier lorsqu’elles prennent la forme de fournitures de services à des tarifs ou à des conditions qui diffèrent des conditions normales d’exploitation commerciale, tout en sauvegardant l’intérêt public.
46 En outre, pour ce qui est, plus particulièrement, du calcul du coût net des obligations de service universel ainsi que de leur éventuel financement, le considérant 4 de cette même directive énonce que l’indemnisation des entreprises désignées pour fournir certains services à certains utilisateurs finals à des prix qui s’écartent de ceux découlant de conditions normales du marché ne saurait entraîner une quelconque distorsion de la concurrence, à condition que ces entreprises désignées soient indemnisées pour le coût net spécifique encouru et que ce coût net soit recouvré par un moyen neutre du point de vue de la concurrence.
47 Il en découle que l’évaluation de la situation concurrentielle sur le marché concerné fait partie intégrante des conditions d’application des articles 12 et 13 de la directive « service universel» (voir, en ce sens, arrêts du 19 juin 2008, Commission/France, C 220/07, non publié, EU:C:2008:354, points 45 et 46, ainsi que du 21 décembre 2016, TDC, C 327/15, EU:C:2016:974, point 49).
48 Par ailleurs, il convient de constater qu’une appréciation des caractéristiques propres à un fournisseur de service universel à la lumière de l’environnement concurrentiel dans lequel celui ci évolue est également conforme aux objectifs visés par la directive « service universel ».
49 Tel est le cas, tout particulièrement, s’agissant d’éléments qui portent sur la situation économique et financière d’un fournisseur de service universel. En effet, le simple constat selon lequel un tel fournisseur reste rentable malgré la charge qui pèse sur lui du fait du coût net de ses obligations de service universel ne permet pas de tirer des conclusions concernant les répercussions de ce coût net sur la capacité de ce fournisseur à concurrencer les autres opérateurs présents sur un marché évolutif. Il ne saurait être exclu que la charge que représente le coût net des obligations de service universel pour un tel fournisseur empêche ou rend plus difficile ou plus complexe le financement d’investissements dans de nouvelles technologies ou dans des marchés connexes, investissements que ses concurrents pourraient éventuellement être en mesure d’effectuer et qui sont susceptibles, de ce fait, de procurer, à ces derniers, des avantages concurrentiels importants.
50 Ainsi, c’est en tenant compte de la situation d’un fournisseur de service universel par rapport à celle de ses concurrents qu’il est possible à l’ARN d’apprécier si le coût net des obligations de service universel qui lui incombent constitue, en raison des distorsions de concurrence qui en résultent sur le marché concerné au détriment de ce fournisseur, une charge injustifiée pour ce dernier, au sens des articles 12 et 13 de la directive « service universel ».
51 À cet égard, ainsi qu’il a été rappelé au point 45 du présent arrêt, la disponibilité, dans toute l’Union, de services de bonne qualité accessibles au public grâce à une concurrence et à un choix effectifs constitue le principal objectif de la directive « service universel », selon l’article 1er, paragraphe 1, de cette dernière. Or, dans la mesure où la détérioration de la position concurrentielle d’un fournisseur de service universel en raison du caractère injustifié de la charge pesant sur celui-ci du fait de ses obligations de service universel porterait atteinte à une concurrence effective sur le marché concerné, une telle circonstance serait susceptible de compromettre les conditions de fourniture du service universel et, en dernière analyse, la réalisation de cet objectif.
52 Ainsi, conformément à la partie A de l’annexe IV de la directive « service universel », il convient d’évaluer, lors du calcul du coût net qui pèse sur le fournisseur du service universel, les coûts que l’entreprise désignée aurait évités si elle avait eu le choix de ne pas remplir d’obligations de service universel. C’est en rapport avec les conclusions qu’elle tire de ce processus que l’ARN doit tenir compte de la situation de ce fournisseur par rapport à celle de ses concurrents sur le marché concerné.
53 Dans le cadre de cette analyse, l’ARN, saisie d’une demande telle que celle visée à l’article 13 de la directive « service universel », doit également tenir compte de la portée de cette demande et des éléments invoqués par le fournisseur qui cherche à obtenir la révision des conditions de financement du coût net des obligations de service universel.
54 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que les articles 12 et 13 de la directive « service universel » doivent être interprétés en ce sens qu’ils imposent à l’ARN compétente, afin d’apprécier si le coût net des obligations de service universel représente une charge injustifiée pour un opérateur chargé de telles obligations, d’examiner les caractéristiques propres à ce dernier, en tenant compte de sa situation par rapport à celle de ses concurrents sur le marché concerné.
Sur les dépens
55 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
Les articles 12 et 13 de la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive « service universel »),
doivent être interprétés en ce sens que :
ils imposent à l’autorité de régulation nationale compétente, afin d’apprécier si le coût net des obligations de service universel représente une charge injustifiée pour un opérateur chargé de telles obligations, d’examiner les caractéristiques propres à ce dernier, en tenant compte de sa situation par rapport à celle de ses concurrents sur le marché concerné.