Cass. crim., 18 février 1991, n° 90-82.288
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tacchella
Rapporteur :
M. Gondre
Avocat général :
M. Libouban
Avocats :
Me Choucroy, Me Odent
Sur le pourvoi du procureur général :
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation présenté par le procureur général près la cour d'appel de Paris et pris de la violation des articles 10-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967 modifiée par la loi du 23 décembre 1970 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a relaxé les prévenus ;
" aux motifs qu'il ressort de l'analyse des mécanismes mis en place par lesdits prévenus pour réaliser les opérations qui leur sont reprochées qu'à l'évidence ceux-ci n'ont joué que sur l'évolution du marché obligataire avant de procéder au rachat de titres de cette nature dans des conditions leur permettant de réaliser à leur seul profit une marge bénéficiaire et qu'il n'apparaît pas qu'ils aient, de quelque manière que ce soit, tiré avantage d'informations privilégiées sur la marche technique, commerciale et financière des sociétés en cause ;
" alors qu'il résulte des autres constatations de l'arrêt attaqué, et de celles du jugement qu'il adopte, que les prévenus, employés des agents de change chargés par les émetteurs du rachat des titres à amortir, connaissaient, grâce aux instructions reçues desdits émetteurs, le cours et le nombre des titres envisagés au rachat, la date d'application, la fréquence ou la permanence des périodes de rachat et les limites d'intervention ;
" que ces dernières constatations révèlent que la connaissance qu'avaient les prévenus des décisions financières des sociétés émettrices ne résultait pas de leurs observations et analyses personnelles du marché mais des informations privilégiées dont ils disposaient à titre professionnel et qui portaient sur la marche financière des sociétés émettrices ;
" qu'il s'ensuit que les infractions poursuivies résultaient bien des faits constatés par les juges d'appel qui ne pouvaient donc, sans se contredire ou s'en expliquer autrement, statuer ainsi qu'il l'ont fait " ;
Vu les articles précités ;
Attendu, d'une part, que l'article 10-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967, dans sa rédaction issue de la loi du 23 décembre 1970, punit notamment toutes personnes disposant, à l'occasion de l'exercice de leur profession ou de leurs fonctions, d'informations privilégiées sur la marche technique, commerciale et financière d'une société, qui auront réalisé sur le marché boursier, soit directement soit par interposition de personnes, une ou plusieurs opérations en exploitant lesdites informations avant que le public en ait connaissance ;
Attendu, d'autre part, que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du jugement dont il adopte l'exposé des faits, que Jean X..., Jean-Laurent Y... et Jean-François Z..., commis d'agents de change, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel pour avoir exploité en 1982 des informations privilégiées sur le marché boursier, directement ou par personne interposée ; que les opérations qui leur sont reprochées sont liées à des demandes de rachats d'obligations en bourse par les émetteurs qui désiraient bénéficier, en vue de l'amortissement de leur emprunt, d'un cours inférieur au prix de remboursement ;
Attendu que, pour relaxer les prévenus et infirmer le jugement, qui relevait que les susnommés avaient utilisé les instructions des émetteurs concernant le nombre d'obligations à racheter, la date d'application et les limites d'intervention pour acquérir des titres et les céder avec profit en s'intercalant entre le porteur et l'emprunteur, la cour d'appel observe que l'article 10-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967, dans sa rédaction résultant de la loi du 23 décembre 1970, ne réprimait que l'exploitation d'informations privilégiées " sur la marche technique, commerciale et financière d'une société ", et que c'est la loi du 3 janvier 1983, postérieure aux faits, qui, en modifiant l'article susvisé, a incriminé l'exploitation d'informations portant " sur les perspectives d'évolution d'une valeur mobilière " ;
Qu'elle analyse les mécanismes mis en place et souligne que les titres acquis par l'un des commis d'agent de change étaient représentés le lendemain ou les jours suivants à un cours supérieur à celui de leur achat, dans les limites indiquées par l'émetteur ; qu'elle en déduit que les prévenus n'ont joué que sur l'évolution du marché obligataire pour réaliser à leur profit une marge bénéficiaire et qu'ils n'ont pas tiré avantage d'informations sur la marche d'une société, au sens des dispositions répressives alors applicables ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte de ses propres énonciations que les prévenus, lorsqu'ils ont spéculé sur le marché obligataire, connaissaient les conditions de rachat des titres par les sociétés émettrices, et donc les décisions prises pour la marche financière de ces sociétés, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a méconnu les principes susrappelés ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
1° Sur les pourvois de X... Jean et Y... Jean-Laurent :
DECLARE les pourvois IRRECEVABLES ;
2° Sur le pourvoi du procureur général :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions l'arrêt de la cour d'appel de Paris, en date du 26 février 1990, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon.