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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 26 octobre 2022, n° 20/17292

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

35 Courtage Auto (SAS)

Défendeur :

Carabosse (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Lignières

Avocats :

Me Cordier , Me Audren , Me Autier

T. com. Rennes, du 15 oct. 2020, n° 2019…

15 octobre 2020

FAITS ET PROCEDURE

La société 35 Courtage Auto a pour activité le commerce de voitures et de véhicules automobiles légers, au sein de son établissement local de [Localité 4], sous le nom commercial « Garage Bervas ».

La société Carabosse a pour activité l'entretien et la réparation de véhicules automobiles légers.

A compter de la fin de l'année 2012, et jusqu'en septembre 2018, la société Carabosse s'est vu confier le nettoyage et la préparation des véhicules vendus par la société 35 Courtage Auto, à l'enseigne Garage Bervas, en vue de leur livraison au client.

Le 5 septembre 2018, M. [M], qui se rendait à l'enseigne Garage J.Bervas pour le compte de la société Carabosse dont il est l'associé, s'est vu attribuer un nouvel espace de travail, à proximité de celui qu'il avait l'habitude d'occuper. N'acceptant pas cet emplacement, pour lui inadapté, et plaidant que son travail nécessitait un espace suffisant et la lumière naturelle, M. [M] a quitté les lieux.

Le 7 septembre 2018, la société 35 Courtage Auto, a sollicité une société tierce à toutes fins de préparation des véhicules destinés à la vente, en remplacement de la société Carabosse.

Le 15 février 2019, par lettre recommandée, la société Carabosse a mis en demeure la société 35 Courtage Auto de l'indemniser de son préjudice du fait de la rupture brutale des relations commerciales.

N'obtenant pas de réponse, la société Carabosse a, par acte du 15 juillet 2019, assigné la société 35 Courtage Auto en réparation de la rupture brutale des relations commerciales devant le tribunal de commerce de Rennes.

Par jugement du 15 octobre 2020, le tribunal de commerce de Rennes a :

Dit qu'il existait des relations commerciales établies entre les sociétés Carabosse et SAS 35 Auto-Courtage, à l'enseigne Garage Bervas,

Dit que la société 35 Courtage Auto, à l'enseigne Garage Bervas, ne justifie pas de la force majeure pour s'exonérer de ses obligations envers la société Carabosse,

Jugé que la rupture de la relation commerciale établie a été brutale,

Fixé la durée du préavis dont la société Carabosse aurait dû bénéficier à six mois,

Condamné la société 35 Courtage Auto, à l'enseigne Garage Bervas, à payer à la société Carabosse la somme de 36.475, 38 € à titre de dommages et intérêts, assortie des intérêts au taux légal à compter du jour de la signification du présent jugement,

Débouté la société Carabosse de ses autres demandes fondées sur la réparation de la désorganisation et de la brutale perte de chiffre d'affaires,

Condamné la société 35 Courtage Auto, à l'enseigne Garage Bervas, à payer à la société Carabosse la somme de 2.500 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamné la société 35 Courtage Auto, à l'enseigne Garage Bervas, qui succombe aux entiers dépens de l'instance,

Débouté la société 35 Courtage Auto, à l'enseigne Garage Bervas, de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision et, ce, sans caution,

Liquidé les frais de greffe à la somme de 73,22 € tels que prévus aux articles 695 et 701 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue au greffe le 9 octobre 2020, la société 35 Courtage Auto a interjeté appel de ce jugement.

Vu les dernières conclusions de la société 35 Courtage Auto, déposées et notifiées le 23 juin 2022 par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu l'article L. 442-6 du Code de commerce dans sa version antérieure au 26 avril 2019, les articles 4, 32-1 du Code de procédure civile ; 1240 du Code civil ;

Déclarer l'appel interjeté par la SAS 35 Courtage Auto recevable et bien fondé ;

Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Rennes, en ce qu'il a :

*Débouté la société Carabosse de ses autres demandes fondées sur la réparation de la désorganisation et de la brutale perte de chiffre d'affaires,

Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Rennes pour le surplus, et notamment en ce qu'il a :

- Dit que la société SAS 35 Courtage Auto, à l'enseigne Garage Bervas, ne justifiait pas de la force majeure pour s'exonérer de ses obligations envers la société Carabosse,

- Jugé que la rupture de la relation commerciale établie a été brutale,

- Fixé la durée du préavis dont la société Carabosse aurait dû bénéficier à six (6) mois.

- Condamné la SAS 35 Courtage Auto, à l'enseigne Garage Bervas, à payer à la société Carabosse la somme de 36.475,38 € à titre de dommages et intérêts, assortie des intérêts au taux légal à compter du jour de la signification du présent jugement,

- Condamné la SAS 35 Courtage Auto, à l'enseigne de Garage Bervas, à payer à la société Carabosse la somme de 2.500 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamné la SAS 35 Courtage Auto, à l'enseigne de Garage Bervas, aux entiers dépens de l'instance,

- Débouté la SAS 35 Courtage Auto, à l'enseigne Garage Bervas, de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,

- Liquidé les frais de greffe à la somme de 73,22 euros tels que prévus aux articles 695 et 701 du Code de procédure civile.

En conséquence, statuant à nouveau

Débouter la société Carabosse de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

Condamner la société Carabosse à verser à la société 35 Courtage Auto la somme de 5.000 € pour procédure abusive ;

Condamner la société Carabosse à verser à la société 35 Courtage Auto la somme de 8.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner la société Carabosse aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions de la société Carabosse, déposées et notifiées le 15 juin 2022 par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu l'article L. 442-6, 5° du Code de Commerce ;

Vu l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

Déclarer la société Carabosse recevable et bien fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Dit qu'il existait des relations commerciales établies entre les parties ;

- Dit que la société 35 Courtage Auto à l'enseigne Garage J. Bervas ne justifie pas de la force majeure pour s'exonérer de ses obligations envers la société Carabosse ;

- Jugé que la rupture de la relation commerciale établie avait été brutale ;

- Fixé la durée du préavis dont la société Carabosse aurait dû bénéficier à 6 mois ;

- Condamné la SAS 35 Courtage Auto, à l'enseigne de Garage J. Bervas, à payer à la société Carabosse la somme de 36 475, 38 € à titre de dommages et intérêts, assortie des intérêts au taux légal à compter du jour de la signification du présent jugement ;

- Condamné la SAS 35 Courtage Auto à l'enseigne de Garage J. Bervas à payer à la société -Carabosse la somme de 2 500 € par application des dispositions de l'article 70 du Code de Procédure Civile

- Condamné la société 35 Courtage Auto à l'enseigne Garage J. Bervas qui succombe aux entiers dépens de l'instance ;

- Débouté la SAS 35 Courtage Auto à l'enseigne Garage J. Bervas de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Carabosse de ses autres demandes fondées sur la réparation de la désorganisation et de la brutale perte de chiffre d'affaires ;

Statuant à nouveau

- Condamner le Garage J. Bervas à verser à la société Carabosse la somme de 7 500 € pour indemnisation de son préjudice au titre de la désorganisation subite de son entreprise et de la chute brutale de son chiffre d'affaires du fait des agissements du Garage J. Bervas ;

- Condamner le Garage J. Bervas à verser à la société Carabosse la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner la même aux entiers dépens de l'instance.

La clôture a été pronconcée par ordonnance du 28 juin 2022.

La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies.

Les parties ne contestent pas le caractère établi des relations commerciales qu'elles entretenaient mais s'opposent sur l'imputabilité de la rupture.

*Sur l'imputabilité de la rupture.

Il n'est pas contesté qu'à compter du 5 septembre 2018, plus aucun flux d'affaires ne s'est opéré entre les parties.

La société 35 Courtage Auto fait valoir que c'est la société Carabosse qui est à l'origine de la rupture dans la mesure où son représentant a quitté volontairement les locaux de l'enseigne Garage J.Bervas le 5 septembre 2018, sans se rapprocher ensuite d'elle pour effectuer le travail sur les véhicules en cours. Ce départ a conduit à l'intervention urgente d'une autre entreprise à compter du 7 septembre 2018.

La société Carabosse réplique que c'est la société 35 Courtage Auto qui a mis fin de manière unilatérale aux relations entre les parties. Le directeur du garage J.Bervas, enseigne de la société 35 Courtage Auto, a annoncé, lors d'un entretien oral avec M. [M] l'interruption immédiate de leurs relations commerciales. Cette interruption n'aurait pas été précédée d'un préavis, de motifs, de reproche ou contestation formulés à l'encontre de la société Carabosse en six années de sous-traitance. Elle souligne le fait que la société 35 Courtage Auto n'a attendu que deux jours pour chercher un nouveau sous-traitant, ce qui démontre que c'est elle qui souhaitait se défaire de toute relation commerciale.

Réponse de la Cour,

Il ressort des pièces versées aux débats par la société 35 Courtage Auto (notamment pièces n° 1 à 3) que la personne représentant la société Carabosse a quitté son poste de travail le 5 septembre 2018 à la suite d'une mésentente sur l'espace de travail et que la société 35 Courtage Auto a procédé au remplacement de la société Carabosse dès le 7 septembre 2018.

Alors que le flux d'affaires était continu depuis 2012 et sans incident particulier, la société 35 Courtage a très rapidement procédé au remplacement de son partenaire sans justifier l'avoir invité à reprendre ses missions ou tenté d'obtenir des explications sur le motif de son départ du 5 septembre, accréditant l'allégation de la société Carabosse d'une rupture orale de la relation commerciale établie de la part de la société 35 Courtage Auto. Par ailleurs, celle-ci n'a pas répondu à la mise en demeure de la société Carabosse du 15 février 2019 suivant.

En conséquence, la rupture des relations commerciales établies entre les parties est imputable à la société 35 Courtage Auto.

*Sur la brutalité de la rupture

La société Carabosse fait valoir qu'elle se trouve dans une situation de forte dépendance économique vis-à-vis de la société 35 Courtage Auto, la part de son chiffre d'affaires réalisé avec le Garage J. Bervas ayant atteint 70 % de son chiffre d'affaires global pour les exercices de 2016, 2017 et 2018 (pièces n° 1 et 2). Elle estime qu'elle aurait dû bénéficier d'un préavis de 6 mois.

La société 35 Courtage Auto réplique que la société Carabosse est à l'origine de la rupture brutale des relations commerciales établies ce qui l'a contrainte à trouver en urgence une autre personne pour effectuer les tâches confiées à cette dernière, se trouvant ainsi dans une situation de force majeure.

Réponse de la Cour,

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou son insuffisance. Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

Il n'est pas contesté que la relation commerciale a débuté entre les parties à partir de 2012 et qu'elle a pris fin début septembre 2018, soit près de 6 années, et que le chiffre d'affaires réalisé par la société Carabosse avec la société 35 Courtage Auto représentait près de 70 % de son chiffre d'affaires au cours des dernières années de collaboration. Toutefois, la société Carabosse n'apporte aucun élément permettant d'apprécier les difficultés qu'elle a pu rencontrer à se réorganiser ou de la spécificité de sa prestation.

En l'état de ces éléments, la Cour estime qu'un préavis de 4 mois était nécessaire mais suffisant. La société 35 Courtage Auto qui ne démontre pas s'être trouvée en situation de force majeure, par le seul fait du départ inopiné du représentant de la société Carabosse le 5 septembre 2018, ne pouvait rompre la relation sans préavis et a engagé de ce fait sa responsabilité sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.

*Sur l'évaluation du préjudice

La société Carabosse fait valoir qu'elle a été privée de son principal client sans préavis. Elle sollicite la réparation de son préjudice à hauteur de 28.975,38 € de marge moyenne outre une indemnité de 7.500€ en réparation de la désorganisation de sa société et de la perte brutale du chiffre d'affaires.

La société 35 Courtage Auto réplique qu'elle n'est pas à l'origine de la rupture et que la société Carabosse ne justifie pas de la réalité de son préjudice, tant en ce qui concerne la marge moyenne annuelle qu'en ce qui concerne la désorganisation et la perte du chiffre d'affaires qu'elle aurait subi. Elle insiste sur le fait que la société Carabosse n'a pas produit les comptes de 2018.

Réponse de la Cour,

Seul est indemnisable le préjudice résultant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même.

Il est constant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.

La société Carabosse se borne à produire ses comptes annuels de 2013 à 2017 sans expliciter le montant de la perte de marge réclamé.

En l'état, pour évaluer le préjudice, la Cour retient à partir des soldes intermédiaires de gestion pour les exercices 2015 à 2017, les éléments de calcul suivant :

- une marge moyenne annuelle de 73 892 € sur coûts variables estimée à partir de la marge/valeur ajoutée sur les exercices 2015 à 2017 (92 322 pour l'année 2015 + 69 341 pour l'année 2016 + 60 013 pour l'année 2017, soit un total de 221 676/3),

- une marge moyenne mensuelle arrondie de 6157 euros, rapportée à 70 % du chiffre d'affaires, soit une moyenne de marge mensuelle avec la société 35 Couratage Auto arrondie à 4310 euros (6 157 x 0.70),

- soit une perte de marge sur 4 mois de 17 240 euros.

Ainsi, la Cour évalue le préjudice matériel de la société Carabosse, à savoir la perte de la marge dont elle pouvait escompter bénéficier pendant la durée de 4 mois de préavis qui aurait dû lui être accordé, à la somme de 17 240 €. La société 35 Courtage Auto sera condamnée à verser cette somme au titre de dommages-intérêts à la société Carabosse.

La société Carabosse, qui ne produit pas ses comptes sur l'exercice 2018 ni autre élément permettant de démontrer l'existence d'un préjudice lié à une désorganisation, sera déboutée de sa demande à ce titre.

En conséquence, le jugement sera infirmé sur le montant des indemnités allouées en réparation du préjudice de la société Carabosse à la suite de la rupture brutale de la relation commerciale imputable à la société 35 Courtage Auto.

Sur la demande reconventionnelle au titre de la procédure abusive.

Le sens de la décision rendue conduit à débouter la société 35 Courtage Auto de sa demande au titre d'une procédure abusive.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société 35 Courtage Auto aux dépens de première instance et à payer à la société Carabosse la somme de 2 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société 35 Courtage Auto, succombant partiellement, sera condamnée aux dépens d'appel.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société 35 Courtage Auto sera déboutée de sa demande et condamnée à verser à la société Carabosse la somme de 4 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné la société 35 Courtage Auto à payer à la société Carabosse la somme de 36.475,38 € à titre de dommages et intérêts,

Statuant à nouveau du chef infirmé, y ajoutant,

Condamne la société 35 Courtage Auto, à payer à la société Carabosse la somme de 17 240 € de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie,

Déboute la société Carabosse de sa demande au titre d'une désorganisation de son activité,

Déboute la société 35 Courtage Auto de sa demande au titre de la procédure abusive,

Condamne la société 35 Courtage Auto aux entiers dépens,

Condamne la société 35 Courtage Auto à payer la somme de 4 000 euros à la société Carabosse au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande.