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Décisions

Cass. crim., 13 avril 2022, n° 20-83.524

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

M. Wyon

Avocat général :

M. Petitprez

Avocats :

SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SAS Hannotin Avocats, SCP Delamarre et Jehannin, SCP Le Griel, SCP Nicolaý, de Lanouvelle, SCP Piwnica et Molinié, SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, SCP Spinosi

Paris, du 10 mars 2020

10 mars 2020

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. À la suite d'une enquête de la Commission des opérations de bourse, devenue ultérieurement l'[5], ainsi que d'une enquête puis d'une information judiciaire, un certain nombre de dirigeants du groupe [2], société cotée sur le premier marché d'Euronext-[Localité 7], et ayant pour objet le conseil en innovation et en stratégie de produits, fabrication et recherche et développement, se sont vus reprocher d'avoir eu recours à des irrégularités comptables, dans le but de majorer artificiellement le chiffre d'affaires et le résultat du groupe, en enregistrant en comptabilité un chiffre d'affaires inexistant, et en s'abstenant de comptabiliser certaines provisions.

3. Par décision du 29 mars 2007, le collège des sanctions de l'[3], pour manquements à la bonne information du public, a infligé à MM. [N], [C] et [E] une sanction pécuniaire d'un million d'euros, à M. [X] une sanction de 500 000 euros, et à la société [2] une sanction de 1,5 millions d'euros. La cour d'appel de Paris a confirmé ces sanctions par arrêt définitif du 27 mai 2008.

4. À l'issue de l'information judiciaire, la société [2], ainsi que, notamment, MM. [C], [E], [X], [N] et [L] ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel, des chefs de diffusion d'informations fausses ou trompeuses, faux et usage, et présentation de comptes annuels inexacts.


5. Par jugement du 30 mars 2017, le tribunal correctionnel a prononcé leur relaxe.

6. Ce jugement a été frappé d'appel par le ministère public, par certains prévenus, ainsi que par des parties civiles.

Déchéance du pourvoi de M. [V]

7. M. [V] n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son avocat, un mémoire exposant ses moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de le déclarer déchu de son pourvoi par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen proposé pour M. [X], le troisième moyen proposé pour M. [X] pris en ses deuxième et troisième branches, le quatrième moyen proposé pour M. [N], le deuxième moyen pris en sa première branche et le troisième moyen proposés pour la société [2]

8. Les moyens et les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen et le deuxième moyen pris en sa seconde branche proposés pour la société [2], le premier moyen proposé pour M. [X], les premier et deuxième moyens proposés pour M. [N]

Énoncé des moyens

9. Le premier moyen proposé pour la société [2] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé le jugement en ce qu'il avait constaté l'extinction de l'action publique pour les délits de présentation de comptes inexacts et de faux et usage de faux par application du principe non bis in idem et a constaté que la cour était saisie des délits de présentation de comptes inexacts et de faux et usages de faux, alors :

« 1°/ que lorsqu'un prévenu est mis en cause dans le cadre de poursuites administratives puis de poursuites pénales pour des faits qui, tout en pouvant être décrits distinctement, procèdent concrètement, de manière indissociable, d'une action unique caractérisée par une même intention coupable, le juge pénal ne peut accueillir les poursuites pénales postérieures aux poursuites administratives, l'action publique étant éteinte ; qu'il en va ainsi y compris quand les intérêts socialement protégés par les manquements administratifs puis par les infractions pénales peuvent apparaître comme étant différents ; qu'au cas présent, la cour d'appel a considéré qu'en présence de poursuites pénales faisant suite à une notification des griefs du collège de l'Autorité des marchés financiers, elle pourrait valablement statuer sur l'action publique dès lors que les intérêts sociaux protégés par la poursuite pénale, d'un côté, et par la notification des griefs, de l'autre, seraient différents ; qu'en statuant ainsi, quand la notification des griefs par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers emporte légalement extinction de l'action publique, la cour d'appel, qui a méconnu la règle selon laquelle les manquements administratifs aux droit des marchés financiers sont sanctionnés par d'authentiques décisions à caractère pénal, qu'il n'y a pas lieu de distinguer, au regard de la règle du non-cumul des poursuites, des décisions prises par le juge pénal sur l'action publique, a violé l'article 4 du protocole n° 7 additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, le principe non bis in idem, ensemble le principe selon lequel les sanctions prononcées par la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers constituent des sanctions à caractère pénal et l'article L. 465-3-6, IX, du code monétaire et financier ;

2°/ qu'à supposer, par extraordinaire, que l'interdiction du cumul de poursuites administratives puis pénales soit subordonnée à la prise en considération des intérêts socialement protégés par les manquements administratifs et les infractions pénales, il reste que les intérêts sociaux protégés par les manquements et infractions en question doivent être appréciés concrètement, le juge pénal placé face à une situation de succession de poursuites administratives puis pénales devant caractériser les intérêts protégés par les poursuites effectivement exercées ; qu'au cas présent, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que le manquement d'abus de marché a été sanctionné par la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers, puis par la cour d'appel de Paris et la Cour de cassation, afin de stigmatiser une atteinte à l'exacte et loyale information des porteurs et en tenant compte du mode opératoire promu par les dirigeants du groupe pour affecter cette information (enregistrement en comptabilité comme « produits constatés d'avance » de « factures à établir », avec, en annexe, dans certains cas, des fiches expliquant le chiffre d'affaires escompté) ; que ce but singulier visé par le Collège de l'Autorité des marchés financiers, au stade des poursuites administratives, ne se distingue pas du but effectivement visé par le ministère public devant le juge correctionnel, le parquet ayant uniquement appréhendé les choses « dans le sens inverse » en décrivant l'enregistrement d'un chiffre d'affaires fictif sous l'onglet « factures à établir », d'où découlait une comptabilité inexacte, laquelle, après consolidation et divulgation au marché sous forme d'information financière, faussait l'information donnée au marché ; qu'il n'a jamais été question, au stade des poursuites pénales, de protéger les intérêts des fournisseurs, des banquiers ou de toute autre partie prenante du groupe susceptible de pâtir, en théorie, des « factures à établir » inexactes ; de sorte qu'en se focalisant sur ces atteintes sociales potentielles non spécifiquement considérées en l'espèce, pour en déduire que les poursuites administratives puis pénales auraient eu des objectifs sociaux différents, la cour d'appel, qui a négligé la circonstance que les poursuites pénales étaient ici toutes entières orientées vers la stigmatisation d'une atteinte au marché, a violé les textes précités ;

3°/ que lorsqu'une même personne est suspectée d'avoir réalisé des écritures comptables inexactes, qualifiées de faux et usage, pour établir une comptabilité inexacte, envisagée sous la qualification de présentation de comptes inexacts, cela afin de fausser le marché par la présentation audit marché d'informations trompeuses appréhendables à la fois pénalement et « administrativement » ([3]), la question de savoir si les trois infractions et le dernier manquement peuvent être poursuivis successivement ou ensemble ne dépend pas de la confrontation de la matérialité et de l'intérêt socialement protégé attachés à la première infraction (le faux) aux éléments constitutifs et aux intérêts protégés par la dernière infraction ou le dernier manquement de la chaîne (avoir faussé le marché) ; qu'il convient, premièrement, de constater que le manquement administratif a été dûment poursuivi et sanctionné, deuxièmement que l'infraction de diffusion d'informations trompeuses au marché ne peut plus être poursuivie, à la fois parce que l'action publique est éteinte par application de la loi du 21 juin 2016 et parce que cette infraction constitue un exact décalque, au plan pénal, du manquement administratif déjà sanctionné, troisièmement que cette information trompeuse consistant in specie en une comptabilité inexacte, la poursuite de ce dernier chef s'avère elle aussi impossible, quatrièmement que la comptabilité étant inexacte du fait de l'intégration, au titre des « produits », d'un chiffre d'affaires constaté d'avance consistant en des « factures à établir » elles-mêmes inexactes, aucune poursuite du chef desdites « factures à établir » ne peut, non plus, être engagée ; qu'au cas présent, en envisageant distinctement et abstraitement chacune des infractions poursuivies, et en faisant abstraction du manquement administratif déjà sanctionné comme de l'infraction pénale dont il n'est pas contesté qu'elle ne pouvait être poursuivie, pour retenir une approche « explosée » et abstraite de ce qui est pourtant, de façon constante et non contestée, une chaîne de maillons étroitement entremêlés allant de l'enregistrement de produits fictifs à la fausse information donnée au marché – soit une action unique composée de faits indissociables et caractérisée par une même intention coupable –, la cour d'appel ne s'est pas mise en mesure de répondre à la question posée, de savoir si le cumul ou la succession de poursuites était légalement admissible, violant de plus fort les textes et principes précités ;

4°/ que le principe non bis in idem et la règle dégagée sur son fondement selon laquelle des faits a priori distincts, ou susceptibles d'être décrits distinctement, ne peuvent être poursuivis ni cumulativement, ni successivement, dès lors qu'ils procèdent d'une même intention d'ensemble, au point de constituer une action unique, s'appliquent par construction à des faits différents ; s'il s'était uniquement agi de dire qu'en présence d'un fait unique passible de plusieurs qualifications, le juge doit retenir la qualification spéciale la plus spécifiquement adaptée, le principe de légalité des délits et des peines combiné à la maxime specialia generalibus derogant y auraient pourvu ; qu'au cas présent, la cour d'appel a posé en règle que, selon elle, « l'analyse de la CEDH [?] vise des faits similaires », et qu'elle s'est ensuite intéressée à la question de savoir si les « éléments matériels » des différentes infractions en cause étaient « identiques » ou « indissociablement liés » ; qu'en statuant ainsi, cependant que l'édifice jurisprudentiel fondé sur le principe non bis in idem a précisément pour objet d'éviter le cumul ou la succession de poursuites pour des faits a priori distincts, la cour d'appel a violé les textes et principes précités ;

5°/ que lorsque le juge envisage les faits objets de poursuites successives ou cumulatives et passibles de qualifications juridiques distinctes, afin de vérifier si, par application du principe non bis in idem et de la jurisprudence construite sur son fondement, la personne mise en cause peut échapper à tout ou partie de la seconde vague de poursuites dirigées contre elle, il doit procéder à une appréciation concrète des faits de la cause, sans se référer à une description abstraite de ce que peut être, potentiellement, l'élément matériel de chacune des infractions en discussion ; qu'au cas présent, la cour d'appel s'est attachée à établir que les différentes qualifications visant la société exposante pourraient correspondre à des faits distincts, en s'attachant à la « nature » des délits en cause, mais sans rechercher si le faux et usage spécifiquement reproché à la société exposante (ayant consisté à avoir enregistré en comptabilité des « factures à établir »), la présentation de comptabilité inexacte qui était reprochée aux autres coprévenus (ayant consisté à présenter la comptabilité intégrant lesdites « factures à établir ») et la diffusion au marché d'informations trompeuses (la comptabilité inexacte en question) ne constituaient pas trois faits, sinon identiques, du moins très étroitement imbriqués ; qu'en adoptant ainsi une approche artificiellement séquentielle des faits de la cause, la cour d'appel, qui n'a pas retenu une approche « in concreto » contrairement à ce qu'elle annonçait, a violé de plus fort les textes et principes précités. »

10. Le deuxième moyen proposé pour la société [2], pris en sa seconde branche, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé le jugement entrepris du chef de la constatation de l'extinction de l'action publique pour les délits de présentation de comptes inexacts, de faux et usages de faux, par application du principe non bis in idem, et après avoir constaté que la cour était saisie des délits de présentation de comptes inexacts et de faux et usage de faux, a déclaré un certain nombre de dirigeants de la société [2] coupables de complicité de faux et usage, pour finalement déclarer [2] coupable des délits de faux et d'usage de faux, alors :

« 2°/ que la cour d'appel a retenu que le faux serait ici constitué par « l'inscription comptable » des « factures à établir » inexactes ; que le fait pénalement sanctionné se confondait alors avec la présentation de comptabilité inexacte (fait dont la société exposante n'était pas poursuivie) comme avec la diffusion au marché d'informations trompeuses (fait pour lequel la société exposante avait déjà été sanctionnée, au visa du manquement administratif correspondant) ; qu'en décrivant ainsi un ensemble de faits imbriqués voire identiques, sans en tirer la conséquence que la poursuite dont elle était saisie ne pouvait prospérer, la cour d'appel a violé les textes précités, ensemble l'article 4 du protocole n° 7 additionnel à la CEDH et le principe non bis in idem. »

11. Le premier moyen proposé pour M. [X] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré ce dernier coupable des chefs de présentation de comptes sociaux inexacts, complicité de faux et usage de faux, et l'a condamné à une peine d'un an d'emprisonnement avec sursis, alors :

« 1°/ qu'en vertu du principe non bis in idem, les faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le prévenu, à deux condamnations de nature pénale, fussent-elles concomitantes ou successives, et fussent-elles pénales ou rendues par une autorité administrative ; que M. [X] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour diffusion d'informations fausses ou trompeuses sur les perspectives et la situation des sociétés du groupe [2], pour présentation aux actionnaires des comptes sociaux inexactes de différentes sociétés du groupe, et pour faux en créant de fausses factures à établir et de fausses pièces justificatives et usage ; que le tribunal correctionnel après avoir constaté que l'action publique concernant les faits de diffusion d'informations fausses ou trompeuses, a dit que les autres faits poursuivis sous les qualifications de présentation de comptes sociaux inexacts et faux ne pouvaient plus être poursuivis dès lors qu'ils avaient déjà donné lieu à une condamnation par l'Autorité des marchés financiers confirmée par la cour d'appel ; que, sur appel du ministère public et des parties civiles, la cour d'appel qui a constaté n'être saisie que des faits de présentation de comptes sociaux inexacts et faux et usage a, infirmant le jugement entrepris, dit que l'action publique était recevable, dès lors que l'interdiction de prononcer deux déclarations de culpabilité portant sur des faits indivisibles s'appliquait uniquement dans des poursuites pénales simultanées et qu'en présence de deux procédures, l'une pénale et l'autre mixte, le cumul était possible lorsque les intérêts protégés étaient distincts ; qu'en l'état de tels motifs, quand le législateur n'ayant pas prévu la complémentarité des procédures successives portant sur les faits constitutifs des mêmes infractions, il lui appartenait de rechercher si les manquements constatés par l'[3] étaient indivisibles des faux et de la présentation infidèle des comptes sociaux, la cour d'appel a méconnu le principe interdisant de poursuivre sous plusieurs qualifications des faits indivisibles, corollaire du principe de nécessité des délits et des peines, garanti par l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

2°/ qu'en vertu de l'article 4 du protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme, nul ne peut être poursuivi pour des faits qui sont identiques ou essentiellement les mêmes que ceux qui étaient visés dans l'acte de poursuites ou qui ont été retenus dans une première décision, devenue définitive, serait-elle rendue par une autorité administrative, si la sanction qu'elle prononce est de nature pénale ; que, la seule exception concerne les procédures parallèles qui ont été organisées de manière à être complémentaires ; que, pour rejeter l'application du principe non bis in idem, la cour d'appel estime que les faits dont elle est saisie ne sont pas les mêmes que ceux visés dans la procédure ayant abouti à la condamnation par l'[3], confirmée par la cour d'appel de Paris, leurs éléments constitutifs étant distincts des manquements à l'article 632-1 du règlement de l'[3], sur le fondement duquel cette autorité a condamné les prévenus ; que dès lors qu'elle relevait par ailleurs que l'[3] avait condamné les personnes auxquelles elle avait notifié ses griefs, dont M. [X], pour des manquements à l'article 632-1 du règlement général de l'[3] par la dissimulation de la situation réelle, en présentant des comptes sociaux inexacts et en produisant de fausses pièces justificatives, soit les mêmes faits que ceux dont elle était saisie et pour lesquels le législateur n'a prévu aucune complémentarité des procédures, la cour d'appel a méconnu l'article 4 du protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme ;

3°/ que selon l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les faits ayant déjà donné lieu à une condamnation définitive, ne peuvent donner lieu à de nouvelles poursuites ; que ce principe s'applique à toute procédure intervenant dans la matière pénale ; que la Charte ne comporte aucune possibilité de réserve d'interprétation, même si elle est inspirée de l'article 4 du protocole n° 7 ; qu'il est de même de l'article 14,§ 7, du Pacte international sur les droits civils et politiques ; que dès lors, en considérant que les faits en cause devant elle n'étaient pas les mêmes en raison de la différence de leurs éléments constitutifs pour exclure l'application du principe non bis in idem, quand elle avait fait état de la décision de l'[3] qui pour caractériser les manquements aux obligations en matière de diffusion d'information sur la situation des groupe, avait pris en compte les faits de présentation de comptes sociaux infidèles et de faux, la cour d'appel a méconnu l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux, le droit de l'Union s'appliquant aux marchés financiers et l'article 14, § 7, du Pacte international sur les droits civils et politiques. »

 

12. Le premier moyen proposé pour M. [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception d'extinction de l'action publique et déclaré l'exposant coupable du délit de présentation de comptes inexacts, complicité de ce délit et complicité des délits de faux et usage, alors :

« 1°/ que des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elle concomitantes ; qu'il résulte de cette jurisprudence constante que le principe non bis in idem doit s'appliquer à toute déclaration de culpabilité de nature pénale, sans opérer de distinction entre les déclarations de culpabilité prononcées par le juge pénal et celles prononcées par d'autres autorités ; qu'a violé le sens et la portée de ce principe la cour d'appel qui, pour le dire inapplicable, a réduit son champ d'application aux seules déclarations de culpabilité prononcées par le juge pénal en énonçant que « l'argument, retenu par les premiers juges, du caractère indissociable des actions poursuivies, est inopérant car il ne s'applique qu'aux poursuites cumulatives, alors que les faits poursuivis relèvent de poursuites successives ;

2°/ que le principe non bis in idem tel que consacré par la chambre criminelle doit à tout le moins s'appliquer en matière boursière, au regard des spécificités de la procédure et des sanctions prononcées ; qu'a violé ce principe la cour d'appel qui a refusé de l'appliquer au bénéfice de l'exposant, qui avait été précédemment condamné par l'[3] du manquement de diffusion de fausse information à une sanction pécuniaire d'un million d'euros ;

3°/ qu'enfin, des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes ; que n'a pas justifié sa décision et a violé le principe non bis in idem la cour d'appel qui, pour écarter l'indissociabilité des faits, s'est bornée à se référer aux éléments constitutifs des qualifications juridiques en cause. »

13. Le deuxième moyen proposé pour M. [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception d'extinction d'action publique et a déclaré l'exposant coupable du délit de présentation de comptes inexacts, complicité de ce délit et complicité des délits de faux et usage, alors :

« 1°/ que la condition d'application du principe non bis in idem tenant à l'identité de faits tel qu'interprétée par la Cour européenne des droits de l'homme impose aux Etats de vérifier si les faits reprochés se réfèrent à la même conduite, et non de vérifier si les éléments constitutifs des infractions sont identiques ; c'est donc à tort que la cour d'appel a exclu l'application du principe non bis in idem en se fondant exclusivement sur l'absence d'identité entre les différents éléments constitutifs des infractions poursuivies ;

2°/ que la Cour européenne des droits de l'homme n'admet le cumul de poursuites pénales et administratives pour des faits identiques qu'en cas de lien matériel et temporel suffisant entre ces deux procédures ; en présence de deux procédures manifestement distinctes, ne relevant pas d'un système intégré de répression unique, c'est à tort que la cour d'appel a condamné pénalement M. [N] pour des faits de présentation de comptes inexacts, faux et usage de faux alors que ces derniers recouvraient en substance les mêmes comportements que ceux retenus par la Commission des sanctions de l'[3] pour le sanctionner sur le fondement du manquement de diffusion de fausse information. »

Réponse de la Cour

14. Les moyens sont réunis.

15. Pour infirmer le jugement en ce qu'il a constaté l'extinction de l'action publique pour les délits de présentation de comptes inexacts et de faux et usages de faux par application du principe ne bis in idem, et pour constater que la cour d'appel est saisie de ces délits, l'arrêt attaqué énonce, notamment, que l'argument, retenu par les premiers juges, du caractère indissociable des actions poursuivies, est inopérant, car il ne s'applique qu'aux poursuites cumulatives, alors que les faits poursuivis relèvent de poursuites successives, puisque les faits de diffusion d'informations trompeuses ont été sanctionnés par une autorité administrative indépendante, et que les faits de présentation de comptes infidèles et de faux relèvent de la compétence du seul juge pénal.

16. Les juges ajoutent que les intérêts protégés sont différents, puisqu'en effet la finalité des poursuites exercées par l'[3] est d'assurer la loyauté du marché et la protection des investisseurs, alors que le délit de présentation de comptes infidèles a pour finalité d'assurer la fiabilité des relations commerciales et financières des sociétés, protectrice des intérêts de leurs créanciers et de leurs actionnaires, sans distinguer entre sociétés accédant aux marchés financiers et sociétés non cotées, et que le délit de faux est une infraction de droit pénal général visant à assurer la sécurité des relations entre les personnes et notamment des relations contractuelles, entre elles et avec des tiers, sociétés ou administrations publiques.

17. Ils retiennent que la poursuite de ces délits a donc des finalités à la fois différentes et complémentaires à celle des manquements boursiers, dont il convient de souligner qu'ils ne concernent que les seules sociétés cotées.

18. Ils en concluent que, s'agissant de poursuites mixtes visant des intérêts protégés différents, il n'y a pas lieu d'appliquer le principe non bis in idem.

19. La cour d'appel relève qu'au surplus, les faits de diffusion d'informations trompeuses et les faits de présentation de comptes infidèles et de faux ne sont ni similaires, à défaut d'identité d'éléments matériels, ni même indissociablement liés.

20. Elle énonce que délit de diffusion d'informations trompeuses est un délit réprimant une diffusion publique mensongère, dont le support peut être comptable mais aussi extra-comptable, comme, en l'espèce, le taux d'intercontrat, qui n'est pas une donnée comptable, alors que le délit de présentation de comptes infidèles est un délit comptable, imputable aux seuls mandataires, qui ne se révèle que lors de la présentation aux actionnaires, et n'a pas un caractère public, même pour les sociétés cotées dont l'intégralité des comptes sociaux des filiales ne fait l'objet d'aucune publication.

21. Les juges retiennent également que les faits de diffusion d'informations fausses ou trompeuses, qui comportent notamment la diffusion d'informations comptables envers le marché, ne concerne que les comptes consolidés, alors que le délit de présentation de comptes inexacts concerne les seuls comptes sociaux, et qu'en outre l'ordonnance de renvoi vise la présentation aux actionnaires de comptes infidèles, pour les exercices clos au 31 décembre 2001, non seulement du groupe [2], mais aussi de certaines de ses filiales, à savoir les sociétés [8], [1], [6], [9] et [4], et incluent en outre les opérations Ilyad Value et ECG.

22. Ils ajoutent que le délit de faux est un délit de « fabrication », et diffère des deux autres, le faux n'étant ni nécessaire au délit de diffusion d'informations trompeuses, ni nécessaire à la présentation de comptes infidèles, dont la fausseté peut provenir d'éléments d'appréciation qui ne nécessitent pas la fabrication de faux.

23. Ils en concluent que le principe non bis in idem n'est pas applicable, et que l'extinction de l'action publique pour les délits de diffusion d'informations trompeuses est sans effet sur les délits de présentation de comptes inexacts et de faux.

24. C'est à tort que la cour d'appel s'est fondée, pour écarter l'application du principe ne bis in idem, sur le motif que les poursuites visaient des intérêts protégés différents.

25. Toutefois, l'arrêt n'encourt pas la censure.

26. Il résulte en effet des préventions ainsi que des constatations de la cour d'appel que les poursuites pénales du chef de présentation de comptes annuels inexacts, ainsi que celles de faux et usage, se fondent sur des faits différents en substance de ceux qui ont été sanctionnés par l'autorité administrative au titre des manquements en matière d'information du marché.

27. La notification des griefs par l'[3] pour diffusion d'informations fausses ou trompeuses, si elle entraîne l'extinction de l'action publique pour le délit de diffusion d'informations trompeuses, ne saurait donc avoir pour effet d'éteindre l'action publique pour les délits de faux et usage, et de présentation de comptes annuels inexacts.

28. D'où il suit que les moyens doivent être écartés.

Sur le troisième moyen proposés pour M. [N]

Énoncé du moyen

29. Le troisième moyen proposé pour M. [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré l'exposant coupable du délit de présentation de comptes inexacts, complicité de ce délit et complicité des délits de faux et usage, alors « que des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes ; qu'a violé le sens et la portée du principe non bis in idem la cour d'appel qui, pour les mêmes faits, a déclaré M. [N] doublement coupable des délits de présentation de comptes inexacts et de ceux de complicité de faux et usage. »

Réponse de la Cour

30. Le moyen, qui invoque pour la première fois devant la Cour de cassation la violation du principe ne bis in idem en cas de poursuites concomitantes, est irrecevable.

Mais sur le troisième moyen proposé pour M. [X] pris en sa première branche

Énoncé du moyen

31. Le troisième moyen proposé pour M. [X] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré celui-ci coupable de complicité de faux et d'usage de faux, commis en 2002 et l'a condamné à une peine d'emprisonnement d'un an avec sursis, alors :

 

 

« 1°/ qu'en cas de requalification, les juges doivent préalablement avertir les prévenus concernés pour leurs permettre d'exercer les droits de la défense ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a fait état de la possibilité d'une requalification uniquement au profit des prévenus qui n'étaient pas les mandataires sociaux des sociétés visées aux poursuites ; qu'en retenant la culpabilité de M. [X] directeur général délégué de la société [2] et président de la société [8], après requalification des faits de faux et usage de faux en complicité, sans avoir appelé les observations de la défense, la cour d'appel a méconnu l'article 388 du code de procédure pénale et 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire et 388 du code de procédure pénale :

32. S'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition que le prévenu ait été mis en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification envisagée.

33. Après avoir énoncé que la cour a mis dans le débat une requalification possible en complicité de présentation de comptes inexacts et de faux, concernant l'ensemble des prévenus pour les sociétés dont ils n'avaient pas la qualité de mandataire social, l'arrêt attaqué retient qu'il est établi que M. [X], en demandant la création de factures à établir à l'automne 2002 aux comptables des deux sociétés concernées, s'est rendu complice du délit de faux, requalifie les faits de faux et usage de faux pour les sociétés [8] et [2], qui lui étaient initialement reprochés, en complicité de faux et d'usage, et le déclare coupable de ces délits.

34. En prononçant ainsi, alors que M. [X], qui était directeur général d'[2], et président du conseil d'administration de la société [8], était mandataire social de ces sociétés, et qu'il ne résulte ni d'une autre mention de l'arrêt, ni des pièces de procédure, que le prévenu ait été invité à se défendre sur cette nouvelle qualification, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

35. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Et sur le quatrième moyen proposé pour M. [X] pris en ses deuxième et troisième branches, ainsi que sur le moyen soulevé d'office et mis dans le débat pour la société [2] et M. [N]

 

Énoncé du moyen

36. Le quatrième moyen proposé pour M. [X] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné solidairement M. [X] à verser à M. [F] [T] 23 406,50 euros au titre de son préjudice de perte de chance et 20 000 euros au titre de son préjudice moral et, à M. [J] [D], la somme de 1 997,50 euros au titre de son préjudice de perte de chance, alors :

« 2°/ qu'en vertu de l'article 3 du code de procédure pénale, les tribunaux répressifs ne sont compétents pour connaître de l'action civile en réparation du dommage né d'une infraction qu'accessoirement à l'action publique ; qu'il s'en déduit que, lorsqu'elle est saisie du seul appel de la partie civile formé à l'encontre d'un jugement ayant constaté l'extinction de l'action publique, la cour d'appel n'est compétente pour se prononcer sur la demande de réparation résultant de cette infraction ; que dès lors qu'elle constatait que, le parquet s'était désisté de son appel contre le jugement entrepris en ce qu'il avait constaté l'extinction de l'action publique concernant le délit de diffusion d'informations fausses ou trompeuses relatives aux marchés réglementés, la cour d'appel ne pouvait plus connaître de ces faits, pour indemniser les parties civiles ; qu'en prenant en compte les manquements aux obligations d'information sincères prononcés par l'[3], pour caractériser la faute dont les parties civiles pouvaient demander réparation, quand ces manquements portaient sur les mêmes faits que ceux pour lesquels l'action publique était éteinte, la cour d'appel a méconnu l'article 3 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'à tout le moins, lorsqu'elle est saisie du seul appel de la partie civile formé à l'encontre d'un jugement ayant constaté l'extinction de l'action publique et débouté l'intéressée de ses demandes, la cour d'appel n'est compétente pour prononcer sur le droit à réparation de la partie civile à partir et dans la limite des faits objets de la poursuite, que si elle a préalablement constaté que c'est à tort que les premiers juges ont déclaré l'action publique éteinte ; que, dès lors la cour d'appel qui a recherché une faute dans les limites de l'acte de poursuites portant notamment sur le délit de diffusion d'information fausse, sans s'être préalablement prononcée sur l'extinction de l'action publique retenue par les premiers juges, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 3 du code de procédure pénale :

37. Selon ce texte, les tribunaux répressifs ne sont compétents pour connaître de l'action civile en réparation du dommage né d'une infraction qu'accessoirement à l'action publique.

38. Il s'en déduit que, lorsqu'elle est saisie du seul appel de la partie civile formé à l'encontre d'un jugement ayant constaté l'extinction de l'action publique et débouté l'intéressée de ses demandes, la cour d'appel n'est compétente pour prononcer sur le droit à réparation de la partie civile à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite, que si elle a préalablement constaté que c'est à tort que les premiers juges ont déclaré l'action publique éteinte.

39. Pour statuer sur l'action civile, l'arrêt attaqué énonce, notamment, que le tribunal correctionnel, qui avait été saisi avant l'abrogation de la loi pénale, était compétent pour statuer sur les demandes des parties civiles, et que par l'effet dévolutif de l'appel, la cour est tenue de statuer sur les demandes des parties civiles sur le fondement de la diffusion d'informations trompeuses, quand bien même l'action publique de ce chef de prévention est éteinte.

40. Les juges ajoutent qu'en l'absence de toute condamnation pénale du chef de diffusion d'informations fausses ou trompeuses, la cour est tenue, en raison de la demande des parties civiles, de rechercher l'existence d'une faute civile, que les prévenus n'ont pas été relaxés pour cette infraction, l'absence de sanction pénale provenant de l'effet de l'abrogation de la loi, que les prévenus ont été définitivement sanctionnés par l'[3] à ce titre, et qu'il n'est pas contesté que la responsabilité des personnes physiques en qualité de dirigeants de la société [2], et celle de la personne morale, ont été démontrées s'agissant de la diffusion des informations fausses et trompeuses.

41. La cour d'appel retient que la sanction de l'[3], confirmée par la cour d'appel de Paris, a établi l'existence des manquements, et leur imputabilité aux dirigeants et à la personne morale, caractérisant, sans qu'il soit nécessaire de reprendre les motivations de la décision, l'existence d'une faute, qui peut être le fondement de l'action indemnitaire des parties civiles.

42. Elle conclut que l'ensemble des prévenus a commis une faute qui est en lien direct avec le préjudice des parties civiles, qu'il s'agisse d'une faute civile du chef de diffusion d'informations trompeuses ou d'une faute pénale du chef de présentation de comptes inexacts et de faux.

43. En se déterminant ainsi, sans s'être préalablement prononcée sur l'extinction de l'action publique concernant le délit d'informations fausses ou trompeuses ou de complicité de ce délit du fait de l'entrée en vigueur de l'article L. 465-3-6 IX du code monétaire et financier, issu de la loi du 21 juin 2016, retenue par les premiers juges, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

44. La cassation est par conséquent de nouveau encourue de ce chef.

Portée et conséquence de la cassation

45. La cassation sera limitée à la déclaration de culpabilité des chefs de complicité de faux et d'usage de faux, ainsi qu'aux peines concernant M. [X] et aux dispositions relatives aux intérêts civils concernant la société [2] ainsi que MM. [X] et [N].

46. Il apparaît par ailleurs d'une bonne administration de la justice, en application de l'article 612-1 du code de procédure pénale, d'ordonner que l'annulation sur les dispositions civiles de l'arrêt aura effet à l'égard de MM. [C], [E], et [L] qui ne se sont pas pourvus.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les moyens proposés pour les parties civiles, la Cour :

Sur le pourvoi formé par M. [V] :

Constate la déchéance du pourvoi ;

Sur les autres pourvois :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 10 mars 2020, mais en ses seules dispositions relatives à la déclaration de culpabilité de M. [X] des chefs de complicité de faux et d'usage de faux, aux peines prononcées contre lui, ainsi que sur les dispositions sur l'action civile concernant M. [X], la société [2], MM. [N], [C], [E] et [L], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil,

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.