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Décisions

Cass. crim., 20 juin 2006, n° 05-86.491

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. COTTE

Cass. crim. n° 05-86.491

19 juin 2006

Sur le moyen unique de cassation, proposé par la société civile professionnelle Boullez, pour Alain Y..., pris de la violation des articles L. 226-13 et L. 226-21 du code pénal, des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Alain Y... coupable de violation du secret professionnel, et de détournement d'informations nominatives de leur finalité, dans le cadre d'un système de traitement automatisé, et, en répression, l'a condamné à une peine d'emprisonnement de dix mois avec sursis, ainsi qu'à la privation de ses droits civiques et civils pendant trois ans ;

"et aux motifs propres qu'Alain Y... a reconnu avoir abusé de sa fonction de policier en consultant les fichiers informatiques STIC et FPR pour rechercher des informations sur des francs-maçons ou des candidats franc-maçons, mais a affirmé en dernier lieu l'avoir fait de sa propre initiative et n'avoir rien révélé à quiconque des informations ainsi recueillies ; que, cependant, comme l'ont relevé les premiers juges, Alain Y... a reconnu avoir consulté à de nombreuses reprises le fichier STIC et le fichier FPR et avoir communiqué verbalement le contenu des informations ainsi découvertes lors de son audition par les services de police ; que ses déclarations, faites au cours de trois auditions, sont confortées par la découverte à son domicile d'une fiche informatique issue du fichier FPR concernant André A..., et par la concordance soulignée par les premiers juges entre les recherches opérées par Alain Y... dans les fichiers informatiques sur des personnes précises comme Gouverneur et B... et les investigations menées sur ces personnes par la GLNF au niveau provincial et établissent la réalité de la divulgation de ces informations ; que les policiers sont soumis au secret professionnel et que ce secret couvre toutes les informations parvenues à leur connaissance dans l'exercice (y compris abusif) de leurs fonctions ou à l'occasion de ces fonctions ; qu'il faut souligner le caractère renouvelé des déclarations faites par Alain Y... en enquête préliminaire, s'agissant d'un policier ayant déjà une longue professionnelle et ayant nécessairement conscience de la portée de ses déclarations dans le cadre d'une procédure de police judiciaire ; qu'il convient pour ces motifs de déclarer Alain Y... coupable détournement d'informations de leur finalité par l'usage des informations obtenues consultation des fichiers STIC et de confirmer le jugement, dont la Cour adopte les motifs, en ce qu'il a déclaré Alain Y... coupable des faits de détournement de leur finalité des informations obtenues par consultation du fichier FPR et des faits de violation du secret professionnel ;

"et aux motifs adoptés qu'en outre Alain Y... est poursuivi pour violation du secret professionnel ; qu'il est indéniable qu'Alain Y... a consulté le STIC pour des personnes ne faisant nullement l'objet d'une enquête de police dont il aurait été chargé ; qu'Alain Y... ne le nie donc pas ; que l'infraction qui lui est reprochée n'est néanmoins constituée que si l'information ainsi recueillie a été transmise hors du cadre professionnel ; que le premier élément à retenir sur ce plan est constitué par ses propres déclarations ; qu'en effet, Alain Y..., policier de son état, parfaitement informé de l'importance de ses déclarations, a été entendu à trois reprises durant sa garde à vue ; que, lors de sa première audition (D 14) il affirme : "Je n 'ai jamais fourni à quiconque les résultats imprimés de mes recherches, et n'ai jamais fourni que verbalement le résultat de mes recherches" (p. 2) ; que, lors de sa deuxième audition (D 18), il confirmera : " je ne tirai aucune bénéfice financier ou d'aucune autre sorte des recherches effectuées. Je maintiens que je n 'ai jamais remis à qui que ce soit de mon association les impressions de recherches STIC effectuées. Toutefois il est exact que j'en ai parfois communiqué verbalement le contenu lorsqu'il s 'agissait de cas qui méritaient discussion à un niveau plus élevé que le mien." ; que lors de sa troisième audition (D 24) , informé des dénégations de Bernard X..., il confirme une seconde fois ses propos et ajoute des précisions: " si la personne est défavorablement connue je l'indique verbalement au grand secrétaire M. C... ou éventuellement au Grand Porte Glaive M. Z..., fonctionnaire de la Police Judiciaire en retraite. Je confirme et cela me paraît évident, que j'ai bien eu des conversations avec Bernard X... dans lesquelles je lui indiquais les antécédents relevés au STIC de certaines candidatures." ; que si, par la suite, devant le magistrat instructeur, Alain Y... est revenu quelque peu sur ces déclarations ( "je pense qu'il y a eu confusion " dit-il D 45-page 4), il n'en demeure pas moins que ses aveux, trois fois signés, y compris après qu'il ait eu connaissance des dénégations de Bernard X..., pèsent d'un poids extrêmement lourd ; que le tribunal insiste encore sur le fait que la fonction d'Alain Y... lui permettait d'avoir une conscience très nette des propos qu'il tenait durant sa garde à vue ; que le fait qu'il les démente un mois plus tard ne les efface nullement ;

"1. alors qu'il résulte de l'article 226-21 du code pénal que le détournement d'informations nominatives informatisées est réprimé pour autant que leur finalité est déterminée par une disposition législative ou réglementaire ; qu'en sanctionnant la consultation par Alain Y... des informations contenues dans le fichier STIC avant que sa finalité ait été définie par le décret du 5 juillet 2001, la cour d'appel a violé les dispositions précitées ;

"2. alors que le respect des droits de la défense interdit au juge répressif de se déterminer sur la seule considération des aveux du prévenu, lors de sa garde à vue, hors de la présence de son avocat, sans tenir compte des précisions qu'il a pu apporter à ses déclarations, devant le juge d'instruction" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'Alain Y... est poursuivi pour avoir, courant 2000, alors qu'en sa qualité de gardien de la paix il était détenteur d'informations à caractère secret et nominatives, détourné ces informations de leur finalité en transmettant à une loge maçonnique des données recueillies dans des fichiers de police ; qu'il a fait valoir que le fichier du système du traitement des infractions constatées (STIC) qu'il lui était reproché d'avoir consulté à des fins personnelles n'avait pas d'existence légale à la date des faits ;

Attendu que, pour écarter ce moyen de défense, l'arrêt retient qu'avant sa création par le décret du 5 juillet 2001, le STIC, qui regroupe les informations déjà contenues dans les fichiers nationaux informatisés de la police nationale, avait une existence de fait ;

Attendu que, par ailleurs, pour déclarer le prévenu coupable de violation du secret professionnel et de détournement d'informations nominatives, l'arrêt retient qu'Alain Y... a abusé de sa fonction de policier en consultant le fichier informatique STIC et celui des personnes recherchées (FPR) pour y puiser, sur des francs-maçons ou des candidats francs-maçons, des informations qu'il a divulguées ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen, qui, en sa seconde branche, se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Sur le moyen unique de cassation, proposé par Me Spinosi, pour Bernard X... pris de la violation des articles 321-1 et 226-13 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de recel de violation du secret professionnel et l'a condamné à une peine d'un an d'emprisonnement avec sursis et à l'interdiction des droits civils et civiques ;

"aux motifs que Bernard X... nie les faits de recel de violation du secret professionnel qui lui sont reprochés, affirmant être totalement étranger aux faits reprochés à Alain D... et Alain Z..., soulignant qu'aucun élément ne le met en cause de manière incontestable" ; que, comme l'ont souligné les premiers juges, Bernard X... a été désigné par Alain D... lors de l'enquête préliminaire comme le destinataire des informations recueillies sur les fichiers STIC et FPR et est également mis en cause par Roger E... comme lui ayant demandé d'envoyer des fiches de candidatures à Alain Z... pour se renseigner sur les antécédents des candidats ; que les rapprochements faits par la police entre les consultations du fichier STIC par Alain D... et les décisions prises sur les sanctions disciplinaires contre des membres de la GLNF et sur les candidatures à l'entrée dans la GLNF ont mis en évidence la coïncidence existant entre les dates de consultation et celles des décisions prises, les premières précédant les secondes de quelques jours ; que ces faits démontrent un lien entre la collecte d'informations et les décisions prises ; que ces informations aient été demandées à Alain D... et Alain Z... ne relève pas du hasard mais d'un choix délibéré, motivé par leur qualité de policier et leur accès à des informations secrètes du fait de leurs fonctions et est révélateur de la mise en place d'un système ; que Bernard X... avait donc connaissance du fait que les informations recueillies étaient le fruit de la violation du secret professionnel par ces deux policiers et en a fait usage dans ses responsabilités au sein de l'organisation provinciale de la GLNF ; qu'il s'est ainsi rendu coupable de recel ; qu'il importe peu à cet égard que la pratique institutionnelle des instances provinciales soit en décalage par rapport à son règlement ; que le motif invoqué, qui était d'éviter l'entrée dans la GLNF de personnes ayant des antécédents judiciaires, ne saurait être accepté, une telle préoccupation ne répondant pas aux raisons d'intérêt public justifiant la protection des informations personnelles contenues dans les fichiers de police, ni aucun autre intérêt supérieur juridiquement protégé " ;

"alors que, d'une part, l'information étant par essence du domaine de l'immatériel et ne pouvant à elle seule constituer le produit d'un crime ou d'un délit, elle ne peut être, en tant que telle qu'étrangère au recel ; qu'une information quelle qu'en soit la nature ou l'origine, échappe aux prévisions de l'article 321-1 du code pénal faute d'être assimilable à une "chose" ou au "produit" d'une l'infraction qui ne saurait être que de nature économique ou matérielle ; que dès lors la cour d'appel ne pouvait retenir le prévenu dans les liens de la prévention, sans constater la transmission par MM. D... et Z... de copies fiches de renseignement provenant des fichiers STIC ou FPR ;

"alors qu'en tout état de cause, pour caractériser le recel visé dans l'article 321-1 alinéa 2 du code pénal, il incombe aux juges du fond de constater la réalité d'un profit pour le receleur ;

qu'à défaut d'avoir relevé l'existence, pour le prévenu, d'un bénéfice quelconque de la prétendue transmission d'information en violation du secret professionnel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

"alors qu'au surplus, le recel suppose la connaissance de l'origine délictuelle ou criminelle de la chose recelée ; que la cour d'appel ne pouvait sans se contredire affirmer que le prévenu savait que les informations fournies par deux policiers provenaient de la violation du secret professionnel lorsqu'elle n'a pas constaté que des informations issues du STIC ou du FPR avaient été transmises par les deux policiers au prévenu ou à Roger E..., qui les auraient répercutées à ce dernier ;

"alors qu'enfin, les fonctionnaires sont tenus au secret professionnel en ce qui concerne les informations parvenues à leur connaissance dans l'exercice de leur profession et auxquelles la loi attribue un caractère confidentiel dans un intérêt général et d'ordre public ; que le fichier STIC n'ayant reçu une reconnaissance légale, conformément à l'article 15 (devenu l'article 31) de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, que par un décret n° 2001-583 du 5 juillet 2001, la Cour d'appel ne pouvait, sans violer l'article 226-13 du code pénal, retenir que l'existence même de ce fichier, qui avait été soumis à la CNIL pour avis, le rendait confidentiel" ;

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de recel de violation du secret professionnel, l'arrêt et le jugement qu'il confirme énoncent que Bernard X... a été désigné comme le destinataire des informations recueillies par les deux policiers sur les fichiers STIC et FPR et que les rapprochements entre la consultation de ces fichiers et les sanctions disciplinaires contre les membres de la grande loge nationale de France (GLNF) ou le refus de candidats démontrent le lien entre la collecte d'information et les décisions prises; que les juges ajoutent que le prévenu avait connaissance du fait que les informations recueillies étaient le fruit de la violation du secret professionnel et qu'il en a fait usage dans ses responsabilités au sein de l'organisation provinciale de la GLNF, le motif invoqué ne répondant pas aux raisons d'intérêt public ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui a caractérisé les agissements du prévenu ayant, en connaissance de cause, pris des mesures disciplinaires ou de rejet de candidatures en utilisant des informations, soumises au contrôle de la CNIL, ne pouvant être utilisées que dans un intérêt public, qu'il savait couvertes par le secret professionnel, et qui a ainsi tiré bénéfice du produit du délit commis par Alain Y... et Alain Z..., a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;