Cass. crim., 14 mai 1998, n° 97-82.442
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. SCHUMACHER
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, 460 et 461 du Code pénal, 175, 176, 179 et 591 du Code de procédure pénale, violation de la loi ;
"en ce que la Cour a rejeté l'exception de nullité de l'ordonnance de renvoi ;
"aux motifs que Gérard A... a été mis en examen pour des faits de corruption passive et renvoyé devant le tribunal correctionnel sous la prévention de recel d'abus de biens sociaux ;
qu'il n'y a là ni irrégularité de procédure, ni cause de nullité;
qu'il appartient, en effet, au juge d'instruction, au terme de l'information, de dire s'il existe des charges suffisantes contre la personne mise en examen d'avoir participé aux faits poursuivis, de relever en quoi ces faits caractérisent les éléments constitutifs d'une infraction et de donner aux faits leur qualification juridique, le juge d'instruction n'étant pas tenu par la qualification initiale et pouvant la modifier jusqu'à l'ordonnance de renvoi où il doit choisir une qualification définitive, que le prévenu, qui a été entendu sur les faits qui lui sont reprochés même s'il peut regretter avoir ignoré les qualifications envisagées, ne peut donc arguer d'une quelconque nullité ;
"alors, d'une part, que les garanties fondamentales d'une bonne justice, et notamment le principe du contradictoire, commandent que le juge d'instruction ne puisse requalifier les faits dont il est saisi sans procéder à une nouvelle mise en examen permettant à la personne concernée de faire valoir ses droits au regard de la qualification nouvellement retenue ;
"alors, d'autre part, qu'en requalifiant les faits dont il était saisi en recel d'abus de biens sociaux, le juge d'instruction a introduit de nouveaux faits dans le champ de la prévention et ne pouvait donc, sans violer le principe de la saisine in rem, se dispenser de solliciter un réquisitoire supplétif" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, que Gérard A..., qui a bénéficié de commissions occultes provenant de détournements de fonds commis au préjudice de la société Sotuma France pour un montant de 266 000 francs, a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour recel d'abus de biens sociaux après requalification des faits initialement poursuivs pour corruption passive ;
Attendu que, pour rejeter l'exception de nullité de l'ordonnance de renvoi, la cour d'appel se prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en cet état et dès lors que la requalification critiquée n'a pas ajouté aux faits compris dans la saisine du juge d'instruction ni privé le demandeur de la possibilité de préparer efficacement sa défense comme le prévoit l'article 6.3b de la Convention européenne des droits de l'homme, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, 460, 461 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale et violation de la loi ; "en ce que la Cour a déclaré Gérard A... coupable du délit de recel d'abus de biens sociaux et a statué sur les intérêts civils ;
"aux motifs que la société Soutuma France a été constituée le 11 janvier 1992, avec pour objet social la maintenance industrielle spécialisée dans la chaudronnerie et la soudure;
que le 6 avril 1993, l'entreprise était déclarée en redressement judiciaire et, le 4 mai 1993, en liquidation judiciaire;
qu'après 14 mois d'activité, le bilan faisait apparaître une insuffisance d'actif de plus de six millions de francs;
qu'une information était ouverte après que le représentant des créanciers ait signalé au Parquet l'existence de prélèvements importants et non justifiée par ceux qu'il désignait comme les gérants de fait, Jean-Claude Z... et M. X..., et d'autres irrégularités susceptibles de recevoir une qualification pénale;
que Jean-Claude Z... reconnaît avoir été gérant de fait;
qu'il admet avoir effectué plusieurs retraits sur le compte de la société et opéré des virements sur son propre compte;
que son compte courant présentait un solde débiteur de 349 431,48 francs;
que les dépôts en espèces d'origine sociale pour un montant de 277 250 francs, dont 191 250 francs ont pu être relevés;
que les virements effectués sur le compte de Jean-Claude Z... ont été chiffrés à plus de 785 000 francs;
que, certes, tous ces virements ne peuvent recevoir la qualification d'abus de biens sociaux mais pour beaucoup ne sont pas justifiés;
qu'il est exact que l'entreprise a été en rupture de chéquiers et que Jean-Claude Z... a payé fournisseurs et employés par le truchement de son compte, mais outre que la concordance n'existe pas toujours, il est reconnu par le prévenu que des prélèvements étaient masqués par l'établissement de faux frais de déplacement, notamment aux secrétaires, et que les sommes portées sur les fiches de salaires n'étaient pas intégralement payées;
que, par ailleurs, la comptable a évoqué des paiements pour des contraventions s'élevant à 37 000 francs environ, un train de vie dispendieux, et il est établi que le gérant était un client assidu du casino;
qu'enfin, le mandataire judiciaire estime que les cessions de matériel dont se prévaut Jean-Claude Z... ont été surévaluées pour justifier des débits en compte-courant;
que le prévenu a également reversé partie des sommes qu'il avait prélevées à des tiers;
qu'il ne peut sérieusement discuter que ces opérations étaient contraire à l'intérêt social;
que les abus de biens sociaux sont donc bien constitués;
que sur les sommes que Jean-Claude Z... obtenaient à partir des abus de biens sociaux, des fonds étaient prélevés et remis notamment à Gérard A..., directeur d'exploitation de la société Lacamod et à Jean-Claude B..., directeur commercial de la société VMD, par l'intermédiaire de M. X...;
que les parties sont d'accord sur la réalité de ces versements mais en discutent le caractère délictueux ;
que, cependant, la culpabilité du receleur n'implique pas la connaissance précise en l'espèce de délit par lequel les fonds recelés ont été obtenus;
qu'il suffit qu'il ait eu connaissance de l'origine frauduleuse de ces fonds;
que cette circonstance est bien remplie en l'espèce, puisque les sommes étaient remises en espèces, et n'apparaissaient que pour un montant minoré et tardivement sur les déclarations fiscales de Gérard A... ;
"alors, d'une part, que le caractère anormal des modalités de règlement d'une dépense ne suffit pas à établir que celle-ci a été engagée pour un intérêt étranger à la société;
que la cour d'appel ne pouvait donc pas déduire l'abus de biens sociaux du simple fait que le retrait de certaines sommes n'était pas justifié;
que ce faisant, elle a en outre inversé la charge de la preuve et violé la présomption d'innocence ;
"alors, d'autre part, que la cour d'appel ne pouvait retenir le délit de recel d'abus de biens sociaux sans établir la correspondance entre les sommes perçues par Gérard A... et celles ayant prétendument fait l'objet d'un abus de biens sociaux" ;
Attendu que, pour déclarer Gérard A... coupable du recel d'une partie des fonds provenant des détournements imputés aux gérants de fait de la société Sotuma France, les juges énoncent que les prélèvements effectués au préjudice de la société ont été dissimulés par divers artifices comptables, et qu'ils ont été reversés à Gérard A... dans des conditions qui ne pouvaient lui laisser ignorer leur provenance frauduleuse ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs qui procèdent de son appréciation souveraine des faits, et dès lors que les fonds sociaux prélevés de manière occulte par les dirigeants l'ont été nécessairement dans leur intérêt personnel direct ou indirect, sauf à établir la preuve, non rapportée en l'espèce, de leur utilisation dans le seul intérêt de la société, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;