Cass. crim., 1 février 1988, n° 86-95.678
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ledoux
Rapporteur :
M. Souppe
Avocat général :
M. Robert
Avocat :
SCP Rouvière, Lepitre et Boutet
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement dont il fait sien l'exposé des faits, que Alain X... était le gérant de la société à responsabilité limitée dite " Société de distribution pour les économies d'énergie " (SDEE) ; que Jacqueline A... et Jacques B... son époux étaient respectivement, la femme président du conseil d'administration et le mari directeur général de la société anonyme " Cabinet Jacques B... " (CJP) ayant pour objet social notamment l'exercice de la profession de conseil de gestion de patrimoines et qui à ce titre proposait à sa clientèle des placements de capitaux ; que de février 1983 à février 1984 la société CJP a remis à la SDEE des fonds pour un montant total de plus de 2 000 000 de francs ; que ces avances sans contrepartie destinées à combler le passif de la société SDEE, accumulé par la gestion frauduleuse de X..., ont été effectuées non seulement par prélèvements sur le patrimoine propre de la société CJP dont la situation s'est ainsi trouvée compromise, mais également au moyen des capitaux à elle confiés par certains de ses clients et détournés à leur préjudice ou par elle obtenus à l'aide de manoeuvres frauduleuses ; que les mouvements de fonds entre les deux sociétés ont été réalisés notamment à concurrence de 350 000 francs environ par l'intermédiaire de Michel Y... avocat, conseil de la SDEE, qui les a fait transiter par son compte professionnel à la Carpal, avant de les transmettre aux créanciers de sa cliente ; que Jacques B... et Jacqueline A..., épouse B..., ont été poursuivis et condamnés notamment pour abus des biens de la société CJP, abus de confiance et escroquerie au préjudice de divers clients ; que Michel Y... a été déclaré coupable de recel d'abus de biens sociaux et condamné solidairement avec les époux B... à des réparations civiles au profit des victimes des abus de confiance et des escroqueries retenus à la charge de ces coprévenus ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation proposé et pris de la violation des articles 513, alinéa 1, 593 du Code de procédure pénale :
" en ce qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué qu'à l'audience du 12 juin 1986 à laquelle l'affaire a été appelée, le président a interrogé les prévenus sur leur identité ; que Me Bermann a alors déposé des conclusions pour le prévenu Y... sur des exceptions de nullité ; que M. le bâtonnier de la Servette ayant présenté ses observations sur ce point pour Y..., les parties civiles ont déclaré ne pas avoir d'observations à présenter ; que le substitut général ayant requis sur ces exceptions, Me Bermann a présenté son argumentation ; que la Cour s'est alors retirée pour délibérer, la Cour joignant l'incident au fond, le président Carlioz a fait le rapport ;
" alors que le rapport prescrit par l'article 513 de Code de procédure pénale est une formalité substantielle dont l'accomplissement constitue un préliminaire indispensable avant tout débat soit qu'il y ait lieu de juger le fond du procès, soit qu'il s'agisse de prononcer sur une nullité de procédure ou sur une question préjudicielle ; qu'en l'espèce le rapport devait être fait avant que les parties ne soient entendues sur les nullités invoquées, notamment les avocats de Me Y... et avant les réquisitions du ministère public ; qu'il en résulte que l'arrêt qui indique que les magistrats se sont retirés pour délibérer sur les nullités avant que le président ait fait le rapport, est entaché d'une nullité substantielle " ;
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué qu'à l'audience de la cour d'appel de Lyon le 12 juin 1986, après que le président eut interrogé les prévenus sur leur identité, des conclusions ont été déposées par le prévenu Y..., reprenant diverses exceptions tirées de la nullité de la procédure ; que son défenseur a présenté ses observations ; que les conseils des parties civiles ont été invités à formuler les leurs ; que le ministère public a été entendu et enfin le second conseil du prévenu ; que l'audience ayant été suspendue pour délibérer, à la reprise des débats la cour d'appel a joint l'incident au fond ; que le président a fait alors le rapport, donné lecture des pièces de la procédure et interrogé trois des prévenus ; que les parties civiles comparant en personne à la barre ont été entendues en leurs demandes ; qu'à l'audience du 13 juin à laquelle les débats ont été continués, les deux derniers prévenus dont Michel Y... ont été interrogés ; qu'après dépôt des conclusions des diverses parties civiles, le ministère public a été entendu en ses réquisitions et qu'enfin les avocats de Michel Y... ont déposé des conclusions qu'ils ont développées dans leurs plaidoiries ; que la cause a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu à l'audience du 25 septembre 1986 ;
Attendu qu'en procédant ainsi, la cour d'appel n'a nullement méconnu les dispositions de l'article 513 du Code de procédure pénale ; qu'en effet, dès lors que les juges d'appel, par application de l'article 459 du Code de procédure pénale, joignent au fond l'exception de nullité dont ils sont régulièrement saisis, conformément à l'article 385 du même Code, avant toute défense au fond, le rapport fait après cette décision porte nécessairement, comme les débats qui le suivent, à la fois sur l'incident et sur le fond ; d'où il suit que le moyen doit être rejeté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 56, 56-1, 92, 94, 95, 104 et 105 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que la cour d'appel a tenu pour réguliers les procès-verbaux de transport et de saisie pratiqués par le juge d'instruction au cabinet de Me Y... ;
" aux motifs que le bâtonnier en exercice de l'Ordre des avocats a été avisé par le juge d'instruction de son intention de se transporter dans le cabinet d'un de ses confrères pour y effectuer une perquisition ; qu'il appartenait au bâtonnier de se présenter à l'heure et au lieu indiqués par le juge d'instruction ; que celui-ci pouvait d'autant moins retarder le début de ses opérations qu'il était dans l'ignorance des intentions réelles du bâtonnier qui avait indiqué au téléphone qu'il viendrait " dès qu'il le pourrait " ; que c'est donc du seul fait du bâtonnier que celui-ci n'a pas assisté aux opérations dès leur début ; qu'au surplus il n'a été procédé à aucune saisie de documents hors de la présence du bâtonnier ; que, de surcroît, c'est spontanément que sans attendre l'arrivée du bâtonnier que Michel Y... présenté au juge d'instruction le " livre relatif à son compte Carpal " dont il a également expliqué le maniement ; qu'il est encore constant que le procès-verbal coté D. 335 rapporte sous la forme indirecte les propos tenus par Michel Y... au cours des opérations de perquisition et de saisie à son cabinet ; qu'il est tout aussi constant que les propos que le juge d'instruction s'est contenté de recueillir sans les solliciter se rapportent à la nature ou à l'usage des documents consultés ;
" alors, d'une part, que dans la mesure où il n'est pas contesté que dès l'arrivée du juge d'instruction dans son cabinet Me Y... avait pris contact téléphoniquement avec le bâtonnier en exercice et que celui-ci lui avait indiqué qu'il viendrait " dès qu'il le pourrait ", ce qui s'est produit, le magistrat instructeur ne pouvait sans violer les dispositions légales, entreprendre sa perquisition sans attendre l'arrivée du bâtonnier et ce, en dépit de ce que Me Y... aurait accepté spontanément de présenter son compte Carpal, d'en expliquer le maniement et de présenter également des dossiers relatifs à la SDEE " ;
" alors, d'autre part, que des charges suffisantes pesant sur Me Y... au moment où le juge d'instruction a procédé à la perquisition à son cabinet, l'existence de ces charges résultant des propos mêmes du magistrat instructeur tels que rapportés au procès-verbal de transport, Me Y... ne pouvait être entendu en ses explications en qualité de témoin et sans avoir été inculpé ; qu'il en allait d'autant plus ainsi que dès le 27 juin 1984 dans le cadre de l'instruction Me Y... était gravement mis en cause par plusieurs inculpés, que le 29 juin suivant le juge d'instruction avait, sur commission rogatoire, demandé à un officier de police judiciaire d'entendre l'intéressé qui, convoqué le 5 décembre suivant, s'y était refusé, l'officier de police judiciaire précisant alors dans son procès-verbal " que la responsabilité pénale de Me Y... pourrait être engagée " ;
Et sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 57, 96, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que la cour d'appel a tenu pour réguliers le transport et la perquisition effectués au domicile de la mère de Me Y... sis... à Lyon (9e) ;
" aux motifs que cette adresse avait été donnée par Michel Y... lors de la perquisition, comme étant son domicile personnel où se trouvaient certains dossiers concernant la SDEE pouvant porter trace de règlements effectués à des créanciers, qu'il possédait la clé de ce local ; que s'il n'est pas contesté qu'à cette adresse se trouve également le domicile de la mère de l'intéressé, il n'en demeure pas moins que le seul local visité au cours de ce transport constituait une annexe du cabinet Y... ; qu'il résulte que la présence de Mme Y... n'était pas obligatoire dans le cadre d'une visite qui ne concernait pas les locaux constituant son domicile exclusif ; qu'il n'y a donc pas eu atteinte aux intérêts de Michel Y... " ;
" alors, d'une part, que si le local sis ... à Lyon (9e) contenait des dossiers du cabinet de Me Y..., il n'en demeurait pas moins qu'il s'agissait du domicile personnel de la mère de l'intéressé ; qu'il en résultait que le transport et la perquisition en ce lieu ne pouvaient être effectués qu'en présence de celle-ci ou de deux témoins ; qu'en leur absence la mesure d'instruction ne pouvait être tenue pour régulière " ;
" alors, d'autre part, que la cour d'appel ne pouvait tenir pour réguliers le transport et la perquisition au domicile de la mère de Me Y... en affirmant que ce dernier en possédait la clé, que le seul local visité était celui renfermant les documents appartenant à l'avocat et que la présence de Mme Y... n'était pas obligatoire puisque les locaux visités ne constituaient pas son domicile exclusif, ces affirmations ne résultant aucunement du procès-verbal de transport dont les termes n'excluent pas que la mesure d'instruction se soit déroulée dans les locaux occupés par la mère de Me Y... ;
" alors enfin que des charges graves pesant sur Me Y..., celui-ci ne pouvait être amené à présenter des documents qui ont été saisis dès lors que l'intéressé n'était pas encore inculpé et n'était pas assisté personnellement d'un avocat " ;
Les moyens étant réunis ;
Sur la première branche du deuxième moyen :
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure auxquelles il se réfère que le juge d'instruction avant de se transporter au cabinet de Michel Y..., avocat, pour y procéder à une perquisition, a prévenu le bâtonnier en exercice dès le 12 décembre 1984 en lui fournissant toutes indications utiles pour permettre à ce dernier d'assister à ces opérations prévues pour le lendemain ; qu'au jour dit, avant l'arrivée sur les lieux du bâtonnier, dont les intentions restaient encore incertaines, le juge d'instruction s'est borné à recevoir les explications spontanées de l'avocat concerné sur le maniement du livre relatif à son compte Carpal ; que l'examen et la consultation des documents se rapportant à ce compte et des dossiers intéressant la société SDEE en cause, n'ont été effectués que postérieurement, en présence du bâtonnier ; qu'il en a été de même de leur mise sous scellés et de la photocopie de certaines pages dudit compte ;
Attendu qu'en cet état, et alors que, au demeurant, les dispositions de l'article 56-1 du Code de procédure pénale visé au moyen, résultant de la loi du 30 décembre 1985, n'étaient pas en vigueur à la date de l'acte critiqué, la Cour de Cassation est en mesure de s'assurer que, conformément aux prescriptions de l'article 96 dernier alinéa du Code de procédure pénale seul applicable en l'espèce, ont été provoquées toutes mesures utiles pour que soit assuré le respect du secret professionnel ;
Sur la seconde branche du deuxième moyen et sur la troisième branche du troisième moyen :
Attendu que pour répondre aux conclusions du prévenu Y..., qui invoquait non point l'irrégularité du procès-verbal de perquisition au cours duquel cet avocat aurait été entendu en qualité de témoin et non pas d'inculpé, mais le caractère tardif de son inculpation intervenue seulement à l'issue de ces opérations, l'arrêt attaqué relève que les conditions dans lesquelles cet avocat avait été mis en cause précédemment, imposaient au juge d'instruction de procéder notamment au cabinet et au domicile de l'intéressé à des investigations complémentaires qui ont permis à ce magistrat de trouver confirmation des allégations antérieures et ainsi de disposer d'un ensemble d'indices suffisamment graves et concordants pour justifier, à partir de ce moment là seulement, l'inculpation immédiate, laquelle de ce fait est intervenue dans des conditions excluant toute atteinte aux droits de la défense ;
Attendu que par l'ensemble de ces constatations et énonciations, les juges du fond ont justifié la décision au regard des dispositions de l'article 105 du Code de procédure pénale ;
Sur les deux premières branches du troisième moyen :
Attendu qu'en l'état des constatations et énonciations contenues dans les motifs reproduits au moyen lui-même et qui, souverainement déduites des éléments de conviction soumis aux débats contradictoires ne sont, contrairement à ce qu'allègue le demandeur, nullement en contradiction avec les pièces de la procédure, la Cour de Cassation est en mesure de s'assurer que des circonstances dans lesquelles a été opérée la perquisition critiquée, il n'est résulté aucune atteinte aux intérêts de Michel Y... ; qu'il s'ensuit que les moyens réunis en aucune de leurs branches ne sauraient être accueillis ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6-3 b de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 175 (ordonnance du 23 décembre 1958), 179, 485, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
" en ce que la cour d'appel a refusé d'annuler l'ordonnance de soit-communiqué du 7 novembre 1985 et de la citation qui en est résultée ;
" aux motifs que l'ordonnance de soit-communiqué a été rendue le 7 novembre 1985 avec avis aux conseils des inculpés ; que le réquisitoire définitif est intervenu le même jour 7 novembre ; que l'ordonnance de règlement a été rendue le 8 novembre 1985 ; que Michel Y... n'est pas fondé à soutenir que son conseil n'a pas disposé d'un délai raisonnable pour présenter des observations alors que lors du dernier interrogatoire au fond, le 23 octobre 1985, Me Bermann n'était pas présent, le prévenu n'ayant pas fait d'observations ; qu'à l'automne 1985 le conseil de Y... ne pouvait ignorer les perspectives prochaines de règlement du dossier ; qu'il lui appartenait de prévenir le magistrat instructeur de son départ à l'étranger ou de lui adresser ses observations avant ; que si Me Bermann n'a pas été en mesure de présenter ses observations qu'il n'avait pas cru devoir formuler tout au long de la procédure, ce n'est pas en raison du bref délai écoulé entre les deux ordonnances, mais du seul fait de sa propre carence ; que les télégrammes adressés le 8 novembre 1985 au juge d'instruction et au procureur de la République les informant de l'absence de Me Bermann jusqu'au 13 novembre sont parvenus à destination après l'intervention de l'ordonnance de règlement et de l'envoi des lettres recommandées ; qu'il n'y a pas eu atteinte aux droits de la défense, Me Bermann ayant toute latitude soit devant le Tribunal, soit devant la Cour de développer toutes observations,
" alors, d'une part, que selon les dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, tout inculpé a droit notamment de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; que dès lors l'arrêt qui constate qu'il ne s'est écoulé que 24 heures entre l'ordonnance de soit-communiqué et l'ordonnance de renvoi, délai qu'il qualifie lui-même de bref, ne pouvait sans violer ces dispositions considérer que les droits de la défense n'avaient pas été méconnus ;
" alors, d'autre part, que la cour d'appel ne pouvait tenir la procédure pour régulière en estimant que le prévenu avait eu tout le temps nécessaire durant l'instruction pour déposer des observations dès lors que l'avis destiné aux parties et à leurs conseils pour les informer de l'ordonnance de soit-communiqué a pour objet précisément de leur permettre de présenter de telles observations, de déposer toutes notes ou demandes utiles auxquelles il devra être répondu dans l'ordonnance de renvoi ; qu'il s'agit là d'une garantie fondamentale des droits de la défense, peu important qu'antérieurement l'inculpé n'ait pas présenté d'observations ; qu'en l'espèce, l'ordonnance de soit-communiqué, le réquisitoire définitif et l'ordonnance de renvoi, dont il convient de relever l'identité propre, ayant été rendus dans une affaire particulièrement complexe avant même que ne parvienne au magistrat instructeur le télégramme de Me Y... ont été manifestement pris de façon hâtive en méconnaissance des droits du prévenu, ce qui entraîne la nullité " ;
Attendu que pour rejeter l'exception reprise au moyen les juges relèvent qu'un délai de vingt-quatre heures s'est écoulé entre l'ordonnance de soit-communiqué, régulièrement notifiée et l'ordonnance de règlement ;
Attendu qu'en statuant ainsi et alors que le grief tiré d'une prétendue violation de l'article 6-3 b de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, n'a pas été repris devant les juges du second degré et se trouve dès lors irrecevable, la cour d'appel n'a nullement méconnu les textes visés au moyen, lequel ne saurait être accueilli ;
Sur le cinquième moyen de cassation, pris de la violation des articles 437-3 de la loi du 24 juillet 1966, 381, 460 du Code pénal, 485, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que, requalifiant les faits, la cour d'appel a déclaré Michel Y... coupable de recel de la somme de 350 000 francs qu'il savait provenir des abus de biens sociaux commis par les époux B... et l'a condamné en répression à la peine de 4 mois d'emprisonnement assortie du sursis simple et à une amende de 40 000 francs ;
" aux motifs que Michel Y..., avocat de la SDEE ne pouvait ignorer les difficultés de trésorerie de cette société et son endettement croissant puisque son rôle était précisément de représenter cette société devant le tribunal de commerce de Lyon à l'occasion de nombreuses assignations en paiement dont elle faisait l'objet ; que donc le prévenu, avocat de son état, et parfaitement au fait de la situation financière désespérée de la SDEE pouvait d'autant moins ignorer que les prélèvements de fonds opérés par la société " CJP " à destination de la SDEE n'avaient aucune contrepartie commerciale et constituaient à l'évidence des abus de biens sociaux ; qu'une lettre adressée le 23 mai 1984 à son cabinet l'éclairait définitivement, pour autant qu'il ait été lui-même d'une opinion contraire, sur la volonté du gérant de la SDEE de refuser toute prise de majorité à 100 % dans cette société par les époux B... ; qu'il ne saurait sérieusement prétendre n'avoir retiré aucun profit personnel des faits qui lui sont reprochés, dès lors qu'il ressort du scellé n° 11 qu'il a perçu de la SDEE, du 23 mars au 27 juillet 1983 et du 30 mars au 14 juin 1984, respectivement 32 200 francs et 39 700 francs ; qu'il avait donc un intérêt à la poursuite des agissements délictueux dès lors qu'il en retirait un bénéfice substantiel ; qu'ainsi Michel Y... qui n'ignorait rien de la détérioration de la situation financière de la SDEE pas plus que de l'absence de toute contrepartie aux fonds versés par la SA " CJP " s'est bien rendu coupable du délit de recel en recevant des fonds dont il connaissait l'origine frauduleuse " ;
" alors que ledit délit de recel d'abus de biens sociaux ne pouvait être caractérisé à l'encontre de Me Y... qui s'est limité dans un rôle de défenseur de la SDEE, sans que soit constaté qu'il n'ignorait pas les agissements délictueux des époux B... au détriment de la société " CJP " dont il n'était pas le mandataire et n'avait aucune connaissance de la situation financière, l'absence de contrepartie commerciale pour la " CJP " aux fonds apportés à la SDEE étant insuffisante à établir la connaissance par l'avocat des agissements des époux B... et de la provenance délictueuse des fonds, d'autant plus que l'arrêt constate qu'à partir de 1983, Mme B... s'est comportée en dirigeant de fait de la SDEE " ;
Attendu que par l'ensemble des constatations et énonciations de l'arrêt attaqué, telles que reproduites par le moyen lui-même, et qui sont déduites d'une appréciation souveraine des éléments de conviction contradictoirement débattus, la cour d'appel a sans insuffisance caractérisé l'élément intentionnel, seul remis en cause par le demandeur, du délit retenu à la charge de ce dernier, et a donné une base légale à sa décision ;
Qu'ainsi le moyen ne peut qu'être rejeté ;
Sur le sixième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 2 et 3 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que sur l'action civile, la cour d'appel a condamné solidairement Me Y... avec les époux B... ainsi que MM. X... et Z... à payer des dommages-intérêts à diverses parties civiles du chef d'abus de biens sociaux ;
" alors, d'une part, que la requalification des faits par la cour d'appel tant au regard du délit principal que du délit de recel, en abus de biens sociaux ne pouvait entraîner la condamnation des prévenus à des dommages-intérêts envers les parties civiles simples créancières de la société " CJP ", le délit d'abus de biens sociaux et le recel du délit ne pouvant causer de préjudice direct qu'à la société ou à ses actionnaires ;
" alors qu'en tout état de cause, Me Y... n'ayant, à la suite de la requalification des faits, été déclaré coupable que de recel d'abus de biens sociaux de la société " CJP ", il ne pouvait, par voie de conséquence, être condamné solidairement avec les autres prévenus à verser des dommages-intérêts à des parties civiles simples créanciers de ladite société, dès lors qu'ils n'avaient pas qualité à agir " ;
Attendu que Michel Y..., déclaré coupable de recel des sommes provenant d'abus de biens sociaux commis par les époux B... au préjudice de la société CJP qu'ils dirigeaient, a été condamné solidairement avec ses coprévenus à des réparations civiles au profit de diverses victimes des abus de confiance et des escroqueries également imputés auxdits époux B... ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que les fonds abusivement prélevés sur le patrimoine social de la société CJP comme ceux détournés ou escroqués au détriment de ses clients, ont été utilisés aux mêmes fins, savoir le règlement des dettes de la société SDEE ;
Attendu qu'en cet état la solidarité prononcée à l'encontre du prévenu Y... touchant le paiement des dommages-intérêts est justifiée en vertu des dispositions de l'article 55 du Code pénal ; qu'en effet ce texte s'applique aux personnes condamnées pour des délits distincts quand ces infractions sont connexes ; qu'il en est ainsi lorsque, comme en l'espèce, il résulte des constatations des juges du fond que les faits poursuivis procédant d'une conception unique, sont déterminés par la même cause ou tendent au même but ;
Que dès lors le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme en ce qui concerne les deux demandeurs Z... et Y... ;
III.- Mais sur le pourvoi de Alain X... ;
Sur le moyen relevé d'office et pris de la violation de l'article 4 du Code pénal et de l'article 238 de la loi n° 85-99 du 25 janvier 1985 ;
Vu lesdits articles ;
Attendu qu'aux termes de l'article 4 du Code pénal, nulle contravention, nul délit, nul crime ne peuvent être punis de peines qui n'étaient pas prononcées par la loi avant qu'ils fussent commis ;
Attendu qu'après avoir condamné X..., déclaré coupable de banqueroute par détournement d'actif et recel d'abus de biens sociaux pour des faits commis courant 1982, 1983, 1984, à 3 ans d'emprisonnement dont 6 mois assortis du sursis avec mise à l'épreuve pendant 5 ans, les juges du second degré ont prononcé à son encontre la faillite personnelle et fixé la durée de cette sanction à 10 ans, en l'assortissant de mesures de publicité ;
Mais attendu qu'en ajoutant à la peine d'emprisonnement prononcée contre ce prévenu dans les limites des prévisions de l'article 402 du Code pénal, la sanction complémentaire de la faillite personnelle instituée par l'article 201, alinéa 1er, de la loi du 25 janvier 1985 ainsi que les mesures de publicité prévues par l'article 170 du décret du 27 décembre 1985, sanction et mesures qu'à la date des faits poursuivis, les juridictions répressives n'avaient pas le pouvoir de prononcer contre les condamnés du chef de banqueroute, la cour d'appel a méconnu le principe de la non-rétroactivité des lois ;
Que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs ;
I.- Sur les pourvois de Z... et de Y... :
REJETTE les pourvois ;
II.- Sur le pourvoi de X... :
CASSE ET ANNULE par voie de retranchement et sans renvoi l'arrêt de la cour d'appel de Lyon du 25 septembre 1986 mais dans ses seules dispositions prononçant la faillite personnelle du demandeur et ordonnant des mesures de publicité de cette sanction, toutes autres dispositions dudit arrêt étant expressément maintenues.