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Décisions

Cass. crim., 30 mai 2001, n° 00-85.611

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. COTTE

CHAMBERY, du 10 mai 2000

10 mai 2000

Vu les mémoires produits ;

I. Sur le pourvoi de Jean-Joseph A... :

Attendu qu'aucun moyen n'est produit par ce demandeur ;

II. Sur les autres pourvois :

Sur le premier moyen de cassation proposé pour Bernard B...et Alain Z..., pris de la violation des articles 437 de la loi du 24 juillet 1966, 121-3 et 321-1 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, excès de pouvoir, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Bernard B...et Alain Z...coupables de recel d'abus de biens sociaux et les a condamnés pénalement et civilement ;

" aux motifs que la fourniture gratuite à des élus de chasses en Afrique du Sud ou en Pologne, qui n'entre certainement pas dans l'objet social de l'entreprise Jean Lefebvre, entreprise de travaux publics, ne correspond pas davantage à son intérêt social, comme la promotion de son image, car ces chasses organisées à grands frais n'étaient destinées qu'à un nombre limité de personnes, savoir des personnalités de l'Isère et de la Haute-Savoie, ces dernières ayant toutes un lien avec Bernard B...; qu'on ne peut pas ne pas établir la corrélation entre ces séjours de chasses ainsi offerts et le choix du " groupement " pour la réalisation de chantiers pour le compte du département, dans la mesure où ce " groupement " a été régulièrement choisi dans la totalité des marchés d'enrobés à la fois depuis 1989 par le Conseil général de la Haute-Savoie, dont Bernard B...était le président, et depuis 1986 par le SELEQ 74, également présidé par Bernard B...; que cet usage des fonds sociaux pour entretenir des élus à l'occasion de voyages de chasses, même s'il ne s'agit pas de sommes démesurées eu égard au bilan de l'entreprise, exposait la société à un risque anormal de sanctions pénales importantes, comme la fermeture d'établissement ou la fermeture de l'entreprise ; que, s'il est bien exact que ces invitations officielles à des séjours de chasses étaient connues de tous, comme le prétendent MM. B..., Z... et A... (mais peut-être pas de tous les contribuables de Haute-Savoie...) et effectuées en toute transparence et " régularité " (on peut admettre qu'ils n'avaient pas connaissance de certaines fausses mentions sur les factures de la société Kuoni, transformant lesdits séjours de chasses en séminaires), il n'en demeure pas moins que l'élément intention de recel est établi dans la mesure où ils ne pouvaient ignorer, en raison du prix des différents séjours, du petit nombre d'invités, tous décideurs politiques départementaux, et parce que le Conseil général traitait régulièrement avec l'entreprise Jean Lefebvre pour des sommes importantes, qu'il s'agissait d'opérations destinées à s'attirer leurs faveurs ; que MM. B... et Z..., qui, en qualité d'élus devraient normalement manifester une attention accrue dans ce domaine, ne pouvaient ignorer que le budget de ces séjours de chasses, même s'ils ne pouvaient en avoir qu'une idée globale et approximative, se retrouverait d'une manière ou d'une autre inclus dans le montant des prestations de cette entreprise facturé au Conseil général, et supporté immanquablement en fin de compte par le contribuable ;

" alors que, d'une part, la Cour, qui, pour considérer que les chasses offertes par l'entreprise Jean Lefebvre étaient constitutives d'abus de biens sociaux, a retenu qu'elles étaient contraires à l'intérêt de cette entreprise à raison non pas de leur coût mais d'un prétendu risque de poursuites pénales déduit de l'hypothèse d'une éventuelle corrélation entre ces cadeaux et l'obtention des marchés d'enrobés dans le département de Haute-Savoie depuis plusieurs années par le groupement dont faisait partie l'entreprise Jean Lefebvre, autrement dit d'un délit de corruption purement hypothétique et dont elle n'était au demeurant aucunement saisie, n'a pas, en l'état de ces motifs hypothétiques et entachés d'excès de pouvoir, caractérisé l'existence d'un abus de biens sociaux, préalable indispensable pour que puisse être légalement justifiée la déclaration de culpabilité pour recel prononcée à l'encontre de Bernard B...et Alain Z...;

" alors que, d'autre part, la Cour n'a pas davantage caractérisé l'intérêt personnel, direct ou indirect, du directeur de l'agence d'Annecy de l'entreprise Jean Lefebvre dans l'organisation de ces voyages destinés, selon elle, à faciliter l'obtention des marchés d'enrobés par le groupement dont faisait partie l'entreprise Jean Lefebvre, ni légalement justifié de l'existence de l'abus de biens sociaux, ni par conséquent de l'existence d'un recel provenant de ce délit ;

" et alors qu'enfin, la Cour, qui, tout en ne contestant pas le caractère public de ces invitations officielles, lesquelles concernaient nombre de décideurs politiques autres que Bernard B...et Alain Z..., a néanmoins retenu leur mauvaise foi en leur faisant ainsi grief de ne pas avoir pris en considération le fait que le coût de ces invitations serait supporté en fin de compte par le contribuable, ce qui est le cas des frais généraux d'une entreprise, n'a pas, en l'état de ces motifs entachés d'insuffisance, justifié l'élément intentionnel nécessaire pour que soit constitué le délit de recel " ;

Sur le premier moyen de cassation proposé pour Bernard C..., pris de la violation des articles 437-3, 463 de la loi du 24 juillet 1966, Code de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 388, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Bernard C... coupable du délit d'abus de biens sociaux et l'a condamné à diverses peines ;

" aux motifs que " la fourniture gratuite à des élus de chasse en Afrique du Sud ou en Pologne, qui n'entre certainement pas dans l'objet social de l'entreprise Jean Lefebvre, entreprise de travaux publics, ne correspond pas davantage à son intérêt social, comme la promotion de son image, ainsi que l'allèguent les prévenus, car ces chasses organisées à grands frais (entre 8 000 francs à 50 000 francs par personne selon les séjours) n'étaient destinées qu'à un nombre limité de personnes, savoir de personnalités de l'Isère et de la Haute-Savoie, ces dernières ayant toutes un lien avec Bernard B..., puisque Alain Z..., conseiller général, est son médecin et a été invité sur sa demande, et Jean-Joseph A..., chargé des relations commerciales à EDF, qui s'occupait notamment des travaux d'électrification du SELEQ 74, est un ami proche ;

"...... qu'on ne peut pas établir la corrélation entre ces séjours de chasses ainsi offerts notamment à Bernard B..., et le choix du " groupement " pour la réalisation de chantiers pour le compte du département, dans la mesure où ce " groupement " a été régulièrement choisi dans la totalité des marchés d'enrobés à la fois depuis 1989 par le Conseil général de la Haute-Savoie, dont Bernard B...était le président, et depuis 1986 par le SELEQ 74 (syndicat d'équipements d'électricité) également présidé par Bernard B...(cf. déclarations D..., Commissaire à la direction départementale de la concurrence et de la consommation de la Haute-Savoie, notamment D 82/ 1) ;

"...... que cet usage des fonds sociaux pour entretenir des élus à l'occasion de voyages de chasse, même s'il ne s'agit pas de sommes démesurées eu égard au bilan de l'entreprise, exposait la société à un risque anormal de sanctions pénales importantes, comme la fermeture d'établissement ou la fermeture de l'entreprise ;

"...... que Bernard C..., qui a pu ainsi entretenir des relations privilégiées avec les décideurs politiques du département de la Haute-Savoie dans son intérêt personnel, et qui n'ignorait pas (ou ne pouvait ignorer en raison de sa qualité de chef d'agence) que certaines des factures de la société Kuoni ne faisaient pas apparaître la réalité de la prestation, avait donc parfaitement conscience de l'illicéité du but poursuivi, d'autant que, en raison de l'ambiance qui existait à Grenoble ", pour le voyage en Pologne du 16 au 19 septembre 1994, il avait été demandé à chacun des participants de payer ce voyage " (arrêt attaqué, page 5 2, 3, 4 et 5) ;

" alors que Bernard C... avait fait l'objet d'un non-lieu définitif du chef de trafic d'influence ; qu'il était définitivement acquis aux débats qu'il n'était " pas établi que les voyages avaient été à l'origine du choix du " groupement " pour la réalisation d'importants chantiers pour le compte du département " (ordonnance de renvoi page 5 4) ; qu'en déclarant Bernard C... coupable d'abus de biens sociaux car il ne pouvait pas ne pas être établi une " corrélation entre les séjours de chasse ainsi offerts notamment à Bernard B..., et le choix du groupement pour la réalisation de chantiers pour le compte du département et que " cet usage des fonds sociaux... exposait la société à un risque anormal de sanctions pénales importantes comme la fermeture d'établissement ou la fermeture de l'entreprise, la cour d'appel, qui a réintroduit dans le débat le délit de trafic d'influence, a méconnu une décision définitive, l'étendue de sa saisine et violé les textes susvisés " ;

Sur le second moyen de cassation proposé pour Bernard C..., pris de la violation des articles 437-3, 463 de la loi du 24 juillet 1966, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Bernard C... coupable du délit d'abus de biens sociaux et l'a condamné à diverses peines ;

" aux mêmes motifs que ceux précédemment cités ;

" alors que, se rendant coupable d'abus de biens sociaux ceux " qui, de mauvaise foi, auront fait, des biens et du crédit de la société, un usage qu'ils savaient contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou une entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement " ; que Bernard C..., salarié de la société Jean Lefebvre, s'il entretenait, grâce aux voyages litigieux, des relations privilégiées avec les décideurs politiques du département de la Haute-Savoie, ne pouvait le faire dans son intérêt personnel mais dans celui de son employeur ; qu'en estimant que Bernard C... avait agi " à des fins personnelles ", la cour d'appel n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales qui en découlaient " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Bernard C..., directeur de l'agence d'Annecy de la société Entreprise Jean Lefèbvre sud-est, qui travaillait régulièrement avec le conseil général de Haute-Savoie, a invité à des chasses en Afrique du sud et en Pologne, courant 1991, 1992 et 1993, diverses personnalités, dont Bernard B..., président de la collectivité territoriale précitée et deux de ses relations, Alain Z..., conseiller général et médecin de l'intéressé, et Jean-Joseph A..., un ami personnel, chargé des relations commerciales à EDF ; que les frais de ces voyages, facturés sous l'intitulé " séminaires " par la société Kuoni qui les organisait, ont été intégralement pris en charge par la société Jean Lefèbvre ;

Attendu que les susnommés ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel d'Annecy, Bernard C... du chef d'abus de biens sociaux, pour avoir fait des biens ou du crédit de la société précitée un usage qu'il savait contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles, en réglant diverses factures de voyage à son profit ou au profit de tiers, les trois autres du chef de recel de ce délit ;

Attendu que, pour déclarer Bernard C... coupable d'abus de biens sociaux, l'arrêt attaqué relève notamment que cet usage de fonds sociaux pour entretenir des relations privilégiées avec des décideurs politiques de Haute-Savoie était fait dans l'intérêt personnel du chef de l'agence d'Annecy, qui participait aux chasses, et exposait la société à un risque anormal de sanctions pénales importantes ; qu'il ajoute que Bernard C... n'ignorait pas que certaines des factures de Kuoni ne faisaient pas apparaître la réalité de la prestation et qu'il avait conscience de l'illicéité du but poursuivi ;

Que, pour déclarer Bernard B...et Alain Z...coupables de recel d'abus de biens sociaux, l'arrêt retient que ces élus ne pouvaient ignorer, en raison du prix des différents séjours, du petit nombre d'invités, tous décideurs publics départementaux et parce que le conseil général traitait régulièrement avec l'entreprise Jean Lefèbvre pour des sommes importantes, qu'il s'agissait d'opérations destinées à s'attirer leurs faveurs ; que l'arrêt relève également que le budget de ces séjours de chasse se retrouve d'une manière ou d'une autre inclus dans le montant des prestations de cette entreprise facturé au conseil général et supporté en fin de compte par le contribuable ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, procédant de son pouvoir souverain d'appréciation, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que les moyens ne peuvent être accueillis ;

Sur le second moyen de cassation proposé pour Bernard B..., pris de la violation des articles 121-3 et 432-14 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré constitué le délit de favoritisme reproché à Bernard B...et l'a condamné pénalement et civilement ;

" aux motifs que l'appel d'offre relatif aux marchés de l'enrobé prévoyait qu'il se ferait selon deux solutions auxquelles les entreprises soumissionnaires devaient souscrire, une solution dite A comprenant la fabrication des enrobés sans la fourniture des granulats, et une solution dite B comportant la fabrication des enrobés et la fourniture des granulats ; que la commission d''appel d'offres, dans sa réunion du 24 janvier 1994, décidait d'éliminer l'offre de l'entreprise Buisson-Chappuy qui, à cette date, ne disposait pas de centrale de fabrication d'enrobés sur place, retenait la solution de type A (sans fourniture de granulats) et choisissait le groupement SCREG-COLAS-LEFEBVRE qui était le moins disant, en autorisant le président du conseil général à signer le marché avec ce groupement, ce qui fut fait le 1er avril 1994 ; qu'entre-temps, le Conseil général, pour des raisons techniques et de simplification comptable, décida de modifier ledit marché et de retenir en définitive la solution de type B ; que la commission permanente réunie le 28 mars 1994 sous la présidence de Bernard B...décida de modifier les conditions de ce marché en retenant la solution de type B à compter de l'année 1995 en rappelant que le groupe SCREC-COLAS-LEFEBVRE avait été le moins disant pour les deux solutions, et en autorisant le président à signer le marché avec ce groupement ; que la commission permanente motivait sa décision en visant l'avis d'une commission d'appel d'offres qui, dans sa réunion du 24 mars 1994, aurait souhaité cette modification, alors qu'il est apparu de l'information que cette commission, qui s'est effectivement réunie sous la présidence de M. X..., n'a curieusement rédigé aucun compte rendu écrit, M. X... ayant déclaré aux enquêteurs qu'il ne s'était pas posé le problème de la rédaction d'un procès-verbal ; qu'à la date de cette modification, l'entreprise Buisson-Chappuy aurait valablement pu soumissionner car elle avait obtenu l'autorisation d'exploiter une centrale d'enrobés et qu'ainsi les motifs retenus pour rejeter son offre, qui étaient justifiés au début de l'année 1994, ne l'étaient plus quelques mois plus tard ; que, dans ces conditions, le remplacement de la solution de type A par la solution de type B à la faveur d'un simple renouvellement de marché, même si cette option avait été prévue dans la procédure initiale d'appel d'offres, apparaît comme non conforme aux modes normaux de passation des marchés publics, dans la mesure où, à la fois, ce renouvellement implique un " bouleversement de l'économie du marché initial " (le rapport de la chambre régionales des comptes Rhône-Alpes chiffrant à 31 % l'augmentation de la commande départementale) et que le groupement SCREG-COLAS-LEFEBVRE n'était pas forcément moins disant eu égard à l'agrément que venait de recevoir l'entreprise Buisson-Chappuy ; qu'en ce qui concerne l'élément intentionnel de l'infraction, il n'est pas indifférent de relever que le " groupement " ainsi bénéficiaire de ce renvouvelement de marché comprenait en son sein l'entreprise Jean Lefebvre dispendieuse de séjours de chasses au bénéfice du président du Conseil général et de son entourage ; qu'ainsi, par réformation du jugement déféré, Bernard B...sera donc retenu dans les liens de la prévention de ce chef ;

" alors que, d'une part, les dispositions de l'article 432-14 du Code pénal incriminant le délit de favoritisme n'ayant pas pour vocation de sanctionner toutes les irrégularités susceptibles d'avoir été commises à l'occasion de la passation de marchés publics mais uniquement celles procédant de la violation d'une disposition législative ou réglementaire ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public, l'arrêt infirmatif attaqué, qui prétend retenir à ce titre une modification ayant entraîné " un bouleversement de l'économie du marché initial ", avec, selon le rapport de la chambre régionale des comptes, une augmentation de 31 % du montant de la commande départementale et une absence de certitude fondée sur un motif totalement erroné que le groupement SCREG-COLAS-LEFEBVRE ait été le moins disant au moment de cette modification, n'a pas, faute de caractériser de manière précise la violation aux dispositions législatives ou réglementaires exigée par l'article 432-14, mis la chambre criminelle en mesure d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision ni, par conséquent, justifié de sa décision retenant le délit de favoritisme ;

" et alors que, d'autre part, l'irrégularité incriminée par l'article 432-14 du Code pénal devant avoir été commise en vue de procurer à autrui un avantage injustifié, la Cour qui, sans aucunement répondre aux arguments péremptoires des conclusions de Bernard B...faisant valoir que l'information avait établi que non seulement les membres de la commission d'appels d'offres réunie le 24 mars 1994 avaient bien décidé de modifier leur choix pour retenir la solution B, que le commissaire de la DDCCRF avait déclaré que la mise en concurrence avait bien été effective, qu'il n'y avait eu aucune réserve du contrôle de la légalité et que la chambre régionale des comptes Rhône-Alpes avait écarté la possibilité que le libre jeu de la concurrence ait été faussé, a prétendu retenir la possibilité que, lors de cette modification, l'entreprise Buisson-Chappuy ait pu être moins disante parce qu'elle venait d'obtenir l'autorisation d'exploiter une centrale d'enrobés, s'est ainsi fondée sur un motif dépourvu de toute pertinence dans la mesure où la fabrication d'enrobés était un élément commun aux deux solutions A et B et que la modification présentement contestée consistait à avoir substitué à la solution A la solution B comportant la fourniture de granulats, élément étranger au changement intervenu dans l'activité de l'entreprise Buisson-Chappuy, de sorte qu'en l'état de ce défaut de réponse à conclusions et de cette insuffisance de motifs, la Cour n'a aucunement caractérisé l'intention chez Bernard B...de porter atteinte à la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public " ;

Attendu que Bernard B...est également poursuivi pour avoir, courant 1994 et 1995, étant investi d'un mandat électif public, en l'espèce président du conseil général, procuré au groupement d'entreprises constitué de deux filiales de la société Bouygues et de la société Jean Lefèbvre, un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics ;

Que, pour le déclarer coupable de ce délit, l'arrêt rappelle tout d'abord que le conseil général de Haute-Savoie a lancé en 1993 un appel d'offres pour un marché " d'enrobés " destiné à l'entretien, l'extension et l'amélioration des réseaux routiers du département, chacune des entreprises soumissionnaires devant s'engager sur les deux options proposées : fabrication des enrobés sans fourniture des granulats (option A) ou avec fourniture de ceux-ci (option B) ; que la commission d'appel d'offres, réunie le 24 janvier 1994, a écarté la candidature de la société Buisson-Chappuy, qui ne disposait pas à cette date d'une centrale de fabrication d'enrobés sur place, retenu l'option A et choisi le groupement précité qui était le moins disant ;

Que la commission permanente du conseil général, présidée par Bernard B..., a décidé le 28 mars 1994, au vu de l'avis de la commission d'appel d'offres qui s'était réunie le 24 mars 1994, de retenir en définitive l'option B à compter de 1995 et a autorisé son président à signer le marché avec le groupement pour un prix compris entre 20 082 727 F TTC et 80 330 896 F TTC, au lieu du montant initialement prévu, compris entre 12 927 876 F HT et 51 711 507 F HT ;

Attendu que l'arrêt énonce que la commission d'appel d'offres n'a curieusement rédigé aucun compte rendu écrit pour cette modification, tandis qu'elle rédigeait un procès-verbal pour les neuf autres affaires examinées ; qu'à la date de la modification du marché, l'entreprise Buisson-Chappuy aurait pu valablement soumissionner car elle avait obtenu du préfet de Haute-Savoie l'autorisation d'exploiter une centrale d'enrobés, et qu'ainsi les motifs retenus pour rejeter son offre n'étaient plus alors justifiés ;

Que les juges du second degré en concluent que le remplacement de la solution de type A par la solution de type B, à la faveur d'un simple renouvellement de marché, même si cette option avait été prévue dans la procédure initiale d'appel d'offres, apparaît comme non conforme aux modes normaux de passation des marchés publics, dans la mesure où, à la fois, ce renouvellement implique un bouleversement du marché initial, la commande du département augmentant de 31 %, et où le groupement retenu n'était pas forcément moins disant eu égard à l'agrément que venait de recevoir l'entreprise Buisson-Chappuy ;

Que l'arrêt relève également, quant à l'élément intentionnel, que le groupement bénéficiaire du renouvellement du marché comprenait en son sein l'entreprise Jean Lefèbvre, qui avait offert des séjours de chasse au président du conseil général et à son entourage ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, procédant de l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause, contradictoirement débattus, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;