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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 26 octobre 2022, n° 20/17089

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Body And Clothes (SARL)

Défendeur :

Amazon France Services (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Lignieres, Mme Depelley

Avocats :

Me Smadja, Me Boccon Gibod, Me André

CA Paris n° 20/17089

25 octobre 2022

Vu le jugement rendu le 26 octobre 2020 par le tribunal de commerce de Paris qui :

- n'a pas fait droit aux fins de non recevoir soulevées par la société Amazon France Services,

- a débouté la société Body & Clothes de ses demandes au titre d'une rupture brutale des relations commerciales établies et pour actes de parasitisme ainsi que de sa demande subsidiaire au titre d'une rupture brutale des relations commerciales établies sur un fondemant délictuel,

- a débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

- a condamné la société Body & Clothes aux dépens et à payer la somme de 2.500 € à la société Amazon France Services au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu l'appel relevé par la société Body & Clothes et ses dernières conclusions du 23 février 2021 par lesquelles elle demande à la cour, au visa des articles 480 et 32 du code de procédure civile, des articles L 420-2, L 442-6-1 5° et suivants du code de commerce ainsi que des articles 1240, 1355 et suivants du code civil, de :

1) déclarer recevable et bien fondé son appel, y faisant droit infirmer le jugement et la décharger de l'ensemble des condamnations prononcées contre elle en principal, intérêts, frais et accessoires,

2) statuant à nouveau :

- constater que la société Amazon France Services a activement concouru à l'exécution du contrat litigieux et a par conséquent qualité à se défendre dans le cadre du présent litige,

- condamner la société Amazon France Services à lui verser :

la somme de 166 482 € au titre de la réparation de l'ensemble de ses préjudices du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies,

sans délai, la somme de 20 000 € au titre de la réparation du préjudice subi du fait d'actes parasitaires dont elle a été victime,

3) en toute hypothèse :

- condamner la société Amazon France Services à lui verser la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir, nonobstant caution ou bénéfice de garantie ;

Vu les dernières conclusions du 8 juin 2022 de la société Amazon France Services qui demande à la cour, au visa des articles 1355 du code civil ainsi que des articles 480 et 122 du code de procédure civile, de :

1) à titre principal :

- réformer le jugement en ce qu'il a rejeté ses fins de non recevoir,

- statuant à nouveau, la déclarer bien fondée en ses fins de non recevoir, juger la société Body & Clothes irrecevable à agir à son encontre et, dès lors, rejeter l'ensemble de ses demandes,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Body & Clothes aux dépens et à lui payer la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

2) à titre subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu'il a :

- débouté la société Body & Clothes de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- condamné la société Body & Clothes aux dépens et à lui payer la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

3) en tout état de cause :

- condamner la société Body & Clothes à lui payer la somme supplémentaire de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Matthieu Boccon-Gibot, Lexavoué conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;

SUR CE LA COUR

La société Body & Clothes, fondée le 12 décembre 2008, est spécialisée dans la vente de cosmétiques; elle expose distribuer à titre exclusif sur le territoire européen des produits de beauté en provenance des Etats Unis sous les marques Kerarganic et Vera Lucia Nanokeratine.

Par courriel du 31 août 2010, la société Amazon France services lui a proposé d'établir un partenariat commercial, lui permettant de vendre ses produits sur le site Amazon.fr.

A une date non précisée, la société Body & Clothes a signé un contrat « Amazon Services Europe Business Solutions » lui permettant de vendre ses produits sur la plateforme Amazon; il y est mentionné que le service Vendre sur Amazon est exploité par la sarl Amazon Services Europe.

Le 1er octobre 2016, la société Amazon Services Europe a annoncé à la société Body & Clothes la clôture de son compte vendeur sur la plateforme au motif que le taux de retard des commandes par elle expédiés était de 11%, dépassant le plafond de 4 % toléré.

Se plaignant d'une résiliation du contrat qu'elle estimait intervenue au mépris de ses droits, la société Body & Clothes a, le 23 mai 2017, fait assigner devant le tribunal de commerce de Paris : la société Amazon Payments Europe SCA ayant son siège social à Luxembourg, la société Amazon Services Europe SARL, ayant son siège social à Luxembourg et la société Amazon France Services SAS ayant son siège social en France; celles-ci ont soulevé l'incompétence de la juridiction saisie.

Par jugement du 18 novembre 2019, devenu définitif, le tribunal de commerce de Paris :

- s'est déclaré incompétent pour trancher le litige opposant la société Body & Clothes à la société Amazon Payments Europe et à la société Amazon Services Europe, en invitant la société Body & Clothes à mieux se pouvoir,

- s'est déclaré compétent dans le litige opposant la société Body & Clothes à la société Amazon France Services SAS et a renvoyé l'affaire à une audience ultérieure pour conclusions au fond.

Par le jugement déféré, rendu le 26 octobre 2020, le tribunal a rejeté les fins de non-recevoir soulevées par la société Amazon France Services et a débouté la société Body & Clothes de toutes ses demandes au titre d'une rupture brutale de relations commerciales établies et d'actes parasitaires.

Sur les fins de non recevoir soulevées par la société Amazon France Services :

La société Amazon France Services invoque en premier lieu l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du 18 novembre 2019 ; elle allègue :

- d'une part, qu'il a alors été définitivement jugé qu'elle était étrangère au contrat, le tribunal ayant jugé qu'il « n'existe pas de clause attributive de compétence dans les relations que Body & Clothes prétend avoir eues avec Amazon France Services »,

- d'autre part, qu'il y a identité de parties, d'identité, d'objet et de cause comme prescrit par l'article 1355 du code civil et l'article 480 du code de procédure civile, la société Body & Clothes formulant les mêmes prétentions, à savoir son indemnisation calculée sur la perte de marge brute escomptée en 2017 en raison de la rupture brutale du contrat par Amazon France Services, sur le fondement du même texte : l'article L442-6-1 5° du code de commerce.

Mais la société Body & Clothes réplique à juste raison que dans le dispositif du jugement rendu le 18 novembre 2019, le tribunal n'a statué que sur les exceptions d'incompétence soulevées par les défenderesses et que, se déclarant compétent pour statuer sur les demandes formées à l'encontre de la société Amazon France Services, il a renvoyé l'examen du fond du litige à une audience ultérieure.

En conséquence, la société Amazon France Services est mal fondée en son exception d'irrecevabilité tirée d'une autorité de la chose jugée.

En second lieu, la société Amazon France Services soutient :

- d'une part, que la société Body & Clothes ne justifie pas d'un intérêt direct et personnel à agir pour la défense des intérêts de la marque Kerarganic ou de toute autre marque, que ce soit sur le fondement de la contrefaçon ou de la concurrence déloyale,

- d'autre part, qu'elle n'a pas qualité passive à agir s'agissant du référencement des produits.

L'intimée fait valoir que c'est à tort que le tribunal a refusé d'examiner ces fins de non recevoir au motif qu'elles correspondraient précisément aux demandes de la société Body & Clothes et que seul un débat au fond permettrait d'en déterminer le bien fondé ou non ; elle expose :

- que le tribunal a retenu que la société Body & Clothes ne produisait aucun élément de nature à justifier qu'elle soit toujours concessionnaire des marques, justifiant son droit d'agir et qu'il n'a pas tiré les conséquences légales de cette constatation, la demande de la société Body & Clothes ne pouvant être examinée, faute d'être recevable,

- que devant la cour, la société Body & Clothes ne justifie toujours pas être titulaire d'une licence d'utilisation de marque à titre exclusif, ni être autorisée, à titre exclusif, à distribuer une ou des marques,

- que s'agissant du référencement des produits, le référencement naturel est opéré directement par les outils d'indexation du moteur de recherche Google, le référencement payant est géré par la société Amazon Europe Core, l'activité d'Amazon France Services étant parfaitement étrangère au référencement des produits.

Mais il apparaît que la société Body & Clothes demande des dommages intérêts en faisant valoir qu'elle commercialisait à titre exclusif via le site internet plusieurs produits de beauté sous les marques Kerarganic et Vera Lucia Nanokeratine, lesquels ont continué à être référencés et utilisés par la société Amazon France Services malgré la rupture des relations entre les parties, lui causant de graves préjudices.

Reprochant des agissements fautifs à la société Amazon France Services, la société Body & Clothes justifie d'un intérêt direct et personnel à agir à son encontre. Pour statuer sur le grief tiré de la poursuite du référencement des produits, il est nécessaire d'examiner le fond du litige et de déterminer le rôle exact de la société Amazon France Services.

Les exceptions d'irrecevabilités soulevées par la société Amazon France Services doivent donc être rejetées.

Sur la demande de la société Body & Clothes en paiement de la somme de 166 482 € pour rupture brutale de la relation commerciale établie :

La société Body & Clothes soutient qu'il existait une relation commerciale établie entre elle et la société Amazon France Services. Elle en veut pour preuve sept courriels qui lui ont été adressés au nom de cette société par des personnes se présentant comme « account managers » entre le 31 août 2010 et le 17 janvier 2020 ainsi que des courriels des 16 mars 2012 et 23 octobre 2012 échangés en vue du réglement amiable du litige; de plus elle se référe à un jugement rendu le 2 septembre 2019 par le tribunal de commerce de Paris qui a dit qu'en dépit de l'absence de contrat conclu entre des vendeurs tiers et la société Amazon France Services, cette dernière était directement impliquée dans les relations entre la société Amazon Europe Services et les vendeurs tiers pour l'ouverture de leurs comptes, la prospection de ceux-ci pour des services optionnels et le fonctionnement de leurs comptes, pour en déduire que la société Amazon France Services était un partenaire commercial de la société Amazon Europe Services « avec qui elle est associée dans une action de développement de la place du marché, ce qui l'a conduit à des relations avec des vendeurs tiers et qu'elle a ainsi participé aux pratiques dénoncées par le Ministre. »

La société Amazon France Services réplique à juste titre que la société Body & Clothes ne peut valablement s'appuyer sur la décision du 2 septembre 2019 qui, rendue en matière de déséquilibre significatif sur le fondement de l'article L 442-6-1 2° du code de commerce, ne peut être transposée à un différend fondé sur l'article L 442-6-1 5° du code de commerce qui nécessite, notamment, la démonstration d'une relation commerciale établie entre l'auteur de la rupture et la victime de la rupture.

Il convient d'analyser les courriels au vu desquels la société Body & Clothes entend démontrer l'existence d'une relation commerciale établie avec la société Amazon France Services.

- le courriel du 31 août 2010, cité plus haut, constitue un démarchage en vue de l'établissement d'un partenariat commercial avec le site www.amazon.fr,

- dans le courriel du 4 novembre 2010, la société Amazon France Services donne des conseils à la société Body & Clothes pour améliorer la visibilité de ses produits sur la plateforme,

- par courriels du 6 mars 2012, puis du 23 octobre 2012, la société Amazon France Services présente à la société Body & Clothes le service "Expédié par Amazon" en énonçant ses avantages et modalités, mais sa proposition n'a pas été acceptée,

- par courriel du 29 février 2016, la société Amazon France Services informe la société Body & Clothes qu'elle est éligible à une gestion de compte dédiée, lui demandant de répondre si elle était interessée, mais la société Body & Clothes n'y a apporté aucune réponse,

- par courriel du 23 mars 2016, la société Amazon France Services propose à la société Body & Clothes ses compétences logistiques pour livrer ses produits à l'étranger et l'invite à visiter l'un de ses centres de distribution à [Localité 5].

- dans un courriel du 20 septembre 2016, la société Amazon France Services écrit à la société Body & Clothes qu'elle souhaite échanger avec elle sur l'opportunité de réduire ses frais de port Expédié par Amazon et de développer son compte avant la période cruciale de fin d'année, lui demandant une date pour échanger à ce sujet dans la semaine,

- par courriel du 3 juillet 2018, la société Amazon France Services propose à la société Body & Clothes une solution d'accompagnement et de développement de son compte vendeur sur la plateforme,

- dans un courriel du 17 janvier 2020, après clôture du compte de la société Body & Clothes et alors que le litige était déjà en cours, la société Amazon France Services a contacté la société Body & Clothes afin de faire le point sur son ancien compte désormais inactif et lui a proposé de revendre sur Amazon.

Il ne résulte pas de ces courriels, renfermant des propositions commerciales qui sont restées sans suite, l'existence d'un courant d'affaires régulier, significatif et stable caractérisant une relation commerciale établie avec la société Amazon France Services.

La société Body & Clothes ne démontre en aucune façon les entretiens qu'elle aurait eu avec les « account managers » de la société Amazon France Services aux fins de la former aux nouvelles techniques de promotion et de vente de ses produits et d'élaborer une stratégie destinée à augmenter ses ventes sur la plateforme.

L'extrait K Bis du registre du commerce et des sociétés mentionne que l'activité exercée par la société Amazon France Services consiste en des prestations de services administratifs, comptables, financiers et juridiques ainsi que des prestations de service d'assistance pour la promotion des ventes.

Le tribunal a exactement retenu que la société Amazon France Services jouait le rôle d'une société support de la société Amazon Services Europe, signataire du contrat, dont les domaines d'intervention étaient principalement destinés en interne, comme services juridiques, comptables et administratifs, la seule prestation tournée vers le client consistant à lui proposer des services additionnels payants et qu'en l'espèce, la société Body & Clothes n'avait souscrit aucun de ces services.

La société Body & Clothes, qui ne démontre pas l'existence de relations commerciales établies avec la société Amazon France Services, doit donc être déboutée de sa demande de dommages-intérêts fondée sur l'article L 442-6-1 5° du code de commerce.

Sur la demande de la société Body & Clothes en paiement de la somme de 20 000 € pour préjudice subi du fait d'actes parasitaires :

Au soutien de cette demande, la société Body & Clothes expose :

- que via le site Amazon elle commercialisait des produits de beauté sous les marques Kerarganic et Vera Lucia Nanokeratine,

-qu'elle est titulaire d'un contrat de distribution exclusive des produits des marques concernées, l'autorisant à les commercialiser à titre exclusif en France et de manière plus générale sur le territoire européen,

- qu'après la clôture de son compte, le référencement de ses produits n'a pas été supprimé du moteur de recherche Google,

- qu'ainsi tout consommateur à la recherche de ses produits continuait d'être orienté vers la plateforme alors qu'aucun des produits n'était plus accessible à la vente, les clients se trouvant directement orientés vers des produits concurrents,

- en utilisant les noms de produits exclusivement distribués par elle, la société Amazon France Services a créé une confusion dans l'esprit de sa clientèle et provoqué son détournement,

- que son image a été entachée, sa clientèle ayant pu légitimement croire que la société Amazon France Services continuait à commercialiser les produits de Body & Clothes sur sa plateforme.

Mais la société Body & Clothes appuie ses prétentions sur :

-un constat dressé le 15 février 2017, dans lequel l'huissier de justice relève qu'en effectuant une recherche avec les mots clés Kerarganic dans la barre de navigation du moteur de recherche Google apparaît sur la première page et en dernière position un lien permettant d'aller sur la page intitulée « lissage kerarganic sur Amazon- lissage kerarganic à petits prix » et qu'il n'a trouvé aucun résultat sur le site Amazon pour « lissage Kerarganic »,

- quatre documents : le premier intitulé Exclusive distribution agreement, portant la date du 1er août 2009, dépourvu de signature, le deuxième intitulé Distribution agreement portant la seule signature de la représentante de la société Body & Clothes, le troisième intitulé Exlusive distributor ageement ni daté, ni signé, le quatrième intitulé Distribution agreement non signé concernant la marque Kerarganic.

Ces seules pièces ne suffisent pas à justifier que la société Body & Clothes aurait été, au moment des faits, titulaire d'une licence d'utilisation des marques Kerarganic et Vera Lucia Nanokeratine, ni qu'elle aurait été autorisée à distribuer ces marques à titre exclusif.

De plus, la société Body & Clothes ne démontre pas que la société Amazon France Services, dont l'activité est étrangère au référencement des produits, aurait commis une faute à l'origine du préjudice dont elle se plaint.

En conséquence, sa demande de dommages-intérêts pour acte parasitaire sera rejetée.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

La société Body & Clothes qui succombe doit supporter les dépens de première instance et d'appel.

Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme supplémentaire de 8 000 € à l'intimée et de débouter l'appelante de sa demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

Rejette les fins de non recevoir soulevées par la société Amazon France Services,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant, condamne la société Body & Clothes à payer à la société Amazon France Services la somme de 8 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,

Condamne la société Body & Clothes aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.