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Décisions

Cass. crim., 18 janvier 1988, n° 87-80.298

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ledoux

Rapporteur :

M. Tacchella

Avocat général :

M. Galand

Avocats :

SCP Nicolas, Masse-Dessen et Georges, MM. Vuitton, Roger

Metz, du 26 nov. 1986

26 novembre 1986

Vu les mémoires produits, tant en demande qu'en défense ;

I.- Sur le pourvoi de X... François et sur le moyen unique de cassation par lui proposé et pris de la violation de l'article 405 du Code pénal, des articles 388 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et insuffisance de motifs :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable d'escroquerie au préjudice de Henri Z... et en répression, l'a condamné à une peine de 6 mois d'emprisonnement avec sursis et 20 000 francs d'amende et l'a condamné à payer à la partie civile solidairement avec Y..., jugé coupable de recel, la somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

" aux motifs que le 28 avril 1980, Y... cédait à Z... la totalité de ses parts sous la condition résolutoire que la situation comptable au 30 avril 1980 ne laissât point apparaître une perte supérieure à 200 000 francs ; qu'un état a été dressé à cette date par un expert-comptable qui révélait une perte de 254 506, 80 francs ; que bien que cette perte fût supérieure à celle fixée par l'accord ci-dessus Z... concluait l'achat des parts de Y... suivant acte du 19 mai 1980 ; que cependant à la clôture de l'exercice le 30 juin 1980 la perte était au minimum de 357 000 francs ; que l'expert-comptable confirme n'avoir eu à sa disposition pour dresser l'état litigieux du 30 avril 1980 que des bilans clients-fournisseurs établis par les services de la société ; que le demandeur, sauf à prétendre n'avoir été qu'un simple agent de transmission, ne conteste pas avoir remis lui-même au comptable les documents destinés à établir l'état litigieux dont dépendait la cession des parts de Y... et où l'actif serait surévalué et où seraient omis au passif des postes importants et nombreux ; qu'en produisant à Z... un état ainsi truqué faisant apparaître une situation financière de la société le demandeur a fait naître chez ce dernier l'espoir chimérique d'un redressement encore possible et l'a amené ainsi à conclure l'achat des parts de Y... ; que Z... était certes conscient de ce que la situation financière de la société n'était pas florissante puisqu'il a pris la précaution de subordonner la réalisation de l'achat des parts de Y... à la condition expresse que le passif n'excédât point une certaine somme ; qu'il importe peu qu'il ait finalement accepté le dépassement de ce plafond au demeurant limité et sans aucune mesure avec le passif réel ; que le maquillage de l'état du 30 avril 1980 a donc été déterminant dans l'acquisition des parts dont se débarrassait Y... ; que le demandeur ne peut prétendre avoir ignoré les manoeuvres frauduleuses dont il est l'auteur matériel puisqu'il a fourni les documents destinés à établir un état fictif qui ne pouvait profiter qu'à lui-même et à Y..., son beau-père ;

" alors que, d'une part, ni le fait d'avoir transmis au comptable chargé d'établir l'état de la situation de la société des pièces comptables dont il n'est pas constaté qu'elles aient été son oeuvre ni qu'elles aient été fausses mais simplement qu'elles étaient insuffisantes pour faire apparaître la situation réelle, ni le fait d'avoir produit ensuite à Z... l'état ainsi établi à partir de ces pièces insuffisantes ne suffisent à caractériser les manoeuvres frauduleuses constitutives de l'escroquerie distincte du dol civil ; qu'en effet celles-ci supposent l'organisation d'une mise en scène et non la simple production d'un document inexact ;

" alors, surtout, que la cour d'appel ne pouvait en toute hypothèse caractériser la manoeuvre par la seule transmission des documents à l'expert comptable sans relever l'omission volontaire de transmettre les pièces manquantes et la connaissance par X... du caractère fictif de l'état communiqué à Z..., seules susceptibles de constituer une manoeuvre frauduleuse ;

" alors que, de seconde part, la juridiction correctionnelle étant saisie in rem l'arrêt attaqué ne pouvait déclarer le demandeur coupable au motif que les manoeuvres prétendument frauduleuses par lui commises avaient fait naître chez la partie civile l'espoir chimérique d'un redressement encore possible de la société ; qu'en effet, il n'avait été renvoyé devant la juridiction correctionnelle que pour le fait distinct d'avoir commis des manoeuvres frauduleuses dans le but de persuader l'existence d'un crédit imaginaire ;

" qu'en toute hypothèse, faute d'avoir précisé les éléments de preuve sur lesquels il se fondait pour affirmer qu'à la date où les manoeuvres frauduleuses auraient été prétendument accomplies l'espoir d'un redressement de la société était chimérique, l'arrêt attaqué a insuffisamment motivé sa décision ;

" alors que, de troisième part, la renonciation à se prévaloir d'une clause résolutoire contenue dans une cession déjà conclue ne saurait s'analyser comme la remise d'obligations, promesses, quittances ou décharges au sens de l'article 405 du Code pénal ; que dès lors la cour d'appel qui constate que la cession a été conclue le 28 avril 1980 sous la condition résolutoire que la situation comptable au 30 avril 1980 ne laissât point apparaître une perte supérieure à 200 000 francs ne pouvait retenir comme constituant l'infraction la présentation postérieure d'un état, lequel n'a pu déterminer la partie civile à souscrire la cession d'actions antérieurement conclue mais l'a tout au plus conduite à ne pas se prévaloir de la condition résolutoire stipulée " ;

Attendu que pour déclarer X... coupable d'escroquerie commise au préjudice d'Henri Z... l'arrêt attaqué relate que le 19 mai 1980, le prévenu, alors gérant de la SARL Germi, avait, par une convention en date de ce jour, obtenu dudit Z... qu'il acceptât de se porter acquéreur, et pour le prix de 40 000 francs, de 400 parts de cette société dont le propriétaire était Bruno Y..., beau-père du gérant de la SARL, sous la condition résolutoire que la situation de l'entreprise, telle qu'elle lui était présentée au vu d'un bilan provisoire arrêté au 30 avril 1980 ne fît pas apparaître finalement une perte supérieure à 200 000 francs ;

Que les juges du second degré précisent que cette situation comptable, matérialisée par un état conforme certifié par un expert étranger à la société, s'était révélée fausse, X... n'ayant transmis à cet expert que partie des documents comptables, et lui ayant célé les pièces et factures d'où il résultait qu'à la date du 30 avril 1980, le passif social réel de l'entreprise atteignait au minimum 357 000 francs ;

Que de ces constatations la cour d'appel a conclu que X... avait sciemment usé à l'encontre de son cocontractant Z... de manoeuvres frauduleuses, et que celles-ci, confortées par un tiers de bonne foi, avaient été déterminantes de l'acquisition par Z... des titres qui lui étaient proposés ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel, contrairement aux griefs du moyen, a justifié en tous ses éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel le délit d'escroquerie dont X... a été déclaré coupable ;

Que dès lors le moyen ne saurait être accueilli ;

II.- Sur le pourvoi de Bruno Y... :

Sur le premier moyen de cassation proposé et pris de la violation des articles 3, 460 et 461 du Code pénal, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Y... coupable de recel et l'a condamné de ce chef ;

" aux motifs que celui-ci a sciemment profité de l'escroquerie commise par X... en devenant titulaire de la créance du prix d'achat de ses parts ;

" alors que d'une part, un droit de créance ne peut, indépendamment de la détention matérielle de titre, constituer la chose, objet du recel ;

" alors que d'autre part, et en tout état de cause, dès lors, comme l'ont relevé les premiers juges, ce qui n'a pas été dénié par l'arrêt, que Z... n'a jamais payé les parts que lui a cédées Y..., celui-ci n'a jamais profité du produit de l'escroquerie retenue à l'encontre de X...; qu'ainsi, le délit de recel, pour lequel la tentative n'est pas incriminée, n'était pas caractérisé " ;

Sur le second moyen de cassation proposé et pris de la violation des articles 460 et 461 du Code pénal, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Y... coupable du délit de recel et l'a condamné de ce chef ;

" aux motifs que celui-ci a sciemment profité de l'escroquerie commise par X... en devenant titulaire de la créance du prix d'achat de ses parts ;

" alors que, ayant constaté qu'il n'était pas démontré que le demandeur ait participé aux manoeuvres frauduleuses, l'arrêt attaqué devait exposer en quoi celui-ci avait sciemment profité desdites manoeuvres ; il ne pouvait se borner sur ce point à une simple affirmation, insuffisante à caractériser la mauvaise foi requise comme élément constitutif de délit de recel " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que Y..., titulaire des parts sociales dont Z... s'est porté acquéreur, a été poursuivi comme coauteur de l'escroquerie imputée à X... ;

Attendu que pour requalifier la prévention d'escroquerie en celle de recel du même délit, l'arrêt attaqué énonce que s'il n'est pas établi avec certitude que Y... ait personnellement participé aux manoeuvres frauduleuses et à la confection des faux bilans, dont Z... avait été la victime, il n'en demeurait pas moins qu'il était l'associé majoritaire de la SARL Germi, qu'il restait le principal intéressé à la transaction et qu'il n'ignorait rien de la situation financière gravement déficitaire de la personne morale au jour de l'acte constatant la promesse de paiement de la totalité de ses parts sociales ; qu'ainsi les faits par lui commis constituaient un recel conscient, puisqu'il était devenu titulaire de la créance du prix de cession desdites parts ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a, contrairement aux griefs des deux moyens, justifié les éléments tant intentionnel que matériels du délit de recel d'escroquerie ;

Qu'en effet en matière de recel d'escroquerie il n'importe que le prix des parts cédées n'ait pas été payé, dès lors que la remise, élément de l'escroquerie, n'a pas porté sur des fonds, mais sur l'obligation souscrite par la victime de payer le prix des parts au cédant, laquelle constituait par elle-même un élément d'actif dont le patrimoine du prévenu s'était enrichi ;

Que dès lors les moyens ne sauraient être accueillis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.