CA Nancy, 5e ch. com., 24 juin 2015, n° 14/03053
NANCY
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Lorraine (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Meslin
Conseillers :
Mme Soulard, M. Lafosse
Vu l'appel déclaré le 6 novembre 2014 par Mme X contre le jugement prononcé le 2 octobre précédent par le tribunal de commerce de Briey, dans l'affaire qui l'oppose à la société coopérative à capital et personnel variables Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Lorraine (la Caisse.) ;
Vu le jugement entrepris ;
Vu, enregistrées chronologiquement, les ultimes e-conclusions présentées le :
- 29 janvier 2015 par Mme X, appelante,
- 18 mars 2015 par la Caisse, intimée ;
Vu l'ensemble des éléments et pièces du dossier.
SUR CE
La Cour se réfère au jugement entrepris pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions initiales.
Il suffit de rappeler les éléments constants suivants, tirés des écritures d'appel des parties.
1. données analytiques, factuelles et procédurales, du présent litige
La Caisse a, selon acte sous seing privé du 27 février 2003, consenti à la société en nom collectif Maison de la Presse, un prêt n° 86288360101 d'un montant de 76 000 euros remboursable sur 84 mois et portant intérêts au taux annuel révisable de 7, 40 %, destiné à l'acquisition d'un fonds de commerce de débit de tabac, articles fumeurs, papeterie, bimbeloterie, confiserie, jeux et presse sis <adresse>.
Selon l'historique des paiements, les échéances n'étaient plus réglées à bonne date dès mars 2003 et ont définitivement cessé de l'être à compter de février 2007.
Mme Monique H., seule exploitante du fonds, ayant pris la décision de cesser toute activité, la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Thionville a par jugement du 13 septembre 2007, prononcé la liquidation judiciaire de la société empruntrice.
La Caisse a suivant lettre recommandée avec accusé de réception du 18 octobre 2007, déclaré sa créance entre les mains de Maître Christine G. ès qualités de liquidateur de la société précitée, laquelle a le 28 avril 2011, délivré un certificat d'irrécouvrabilité.
La Caisse a, sur le fondement de l'article L. 221-1 du code de commerce, vainement mis par lettre recommandée du 2 mai 2011 avec accusé de réception, Mme X ès qualités d'associée, en demeure de lui régler les sommes dues par la société défaillante.
Par actes extrajudiciaires des 12 et 31 juillet 2012, la Caisse a finalement fait assigner, ès qualités d'associées de la société Maison de la Presse et au visa des articles 1134, 1153, 1315 et 1905 du code civil ainsi que de l'article L. 221-1 du code de commerce, Mme Monique C. épouse H., Mme Caroline G. et Mme X devant le tribunal de commerce de Briey en paiement solidaire, sous exécution provisoire, de 60 793, 51 euros outre, les intérêts au taux contractuel de 12,40 % l'an sur la somme de 55 114, 59 euros à compter du 26 juin 2012, date du décompte au titre du prêt n° 86288360 101, une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.
Par jugement du 2 octobre 2014, le tribunal de commerce de Briey a énoncé sa décision sous forme de dispositif dans les termes suivants :
- rejette l'exception d'incompétence soulevée par Madame H.,
- condamne solidairement Madame H., Madame X et Madame G. à payer à la Caisse de Crédit Agricole de Lorraine la somme de 55 115, 59 euros avec intérêts au taux majoré de 12, 40 % à compter du 26 juin 2012,
- déboute la Caisse de Crédit Agricole de Lorraine du surplus de ses prétentions,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire du présent jugement,
- condamne les défenderesses solidairement aux dépens.
Cette décision a été signifiée à Mme X par acte extrajudiciaire du 14 octobre 2014 selon les modalités de tiers présent à domicile
Mme X a déclaré appel de cette décision.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 28 avril 2015 et l'affaire a été renvoyée à l'audience tenue en formation de juge rapporteur du 5 mai 2015 pour y être plaidée.
A cette audience, les débats ont été ouverts et l'affaire a été mise en délibéré à l'audience de ce jour.
2. Prétentions et Moyens des Parties
Vu les articles 455 et 954 du code de procédure civile.
La Cour renvoie aux écritures de chaque partie pour une connaissance approfondie de la synthèse argumentative de leur position dont l'essentiel sera développé lors de l'analyse des prétentions et moyens articulés.
Les parties récapitulent leurs demandes sous forme de dispositif dans les termes suivants.
Mme X demande qu'il plaise à la Cour de :
- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,
- vu l'article L. 221-1 du code de commerce,
- vu les pièces versées,
- dire et juger que Madame X en sa qualité d'associée en nom, ne saurait être tenue d'une somme supérieure à celle admise au passif de la liquidation judiciaire de la SNC Maison de la Presse,
- en conséquence,
- dire et juger que le Crédit Agricole n'est pas légitime à solliciter la condamnation de Madame X à lui régler une somme au titre de l'indemnité de résiliation,
- dire et juger que le Crédit Agricole n'est pas légitime à solliciter la condamnation de Madame X à supporter des intérêts au taux contractuel majoré de cinq points,
- vu l'article L. 313-4 du code monétaire et financier,
- vu les pièces versées,
- dire et juger que le taux effectif global mentionné aux conditions particulières est erroné,
- en conséquence,
- annuler la stipulation d'intérêts contractuels,
- dire et juger que le Crédit Agricole ne peut revendiquer que l'application du taux légal, à charge pour lui de produire un décompte réactualisé,
- à défaut de production du décompte réactualisé, dire et juger que le Crédit Agricole ne peut revendiquer que le capital échu et impayé, soit la somme de 34 653, 85 euros,
- vu l'article L. 237-13 du code de commerce,
- vu l'article 1384 du code civil,
- vu les pièces versées,
- dire et juger que le Crédit Agricole de Lorraine a commis une négligence fautive en assignant tardivement les 12 et 31 juillet 2012, alors qu'elle aurait pu le faire dès le mois de septembre 2007,
- dire et juger que cette faute se trouve à l'origine du propre préjudice subi par le Crédit Agricole et qu'elle cause à Madame X un préjudice financier puisque le montant de sa dette s'en trouve substantiellement aggravé,
- condamner le Crédit Agricole à régler à Madame X une somme de 20 460, 74 euros à titre de dommages et intérêts, somme correspondant aux intérêts de retard décomptés par la banque,
- ordonner la compensation des créances réciproques,
- condamner le Crédit Agricole à payer à Madame X une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.
La Caisse prie pour sa part la Cour de :
- vu le bordereau de pièces justificatives,
- vu les articles 1134, 1153, 1315 et 1905 du code civil,
- vu l'article L. 221-1 du code de commerce,
- déclarer Madame Véronique X recevable mais mal fondée en son appel,
- l'en débouter,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Briey du 2 octobre 2014,
- y ajoutant,
- condamner Madame Véronique X à payer à la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel de Lorraine la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître François C., avocat aux offres de droit.
CELA ETANT EXPOSE
La Cour statue à titre principal, sur le mérite d'une action en remboursement d'un solde de prêt professionnel demeuré impayé, exercée par un organisme bancaire prêteur de deniers, contre les associés d'une société en nom collectif, débitrice principale déclarée en liquidation judiciaire le 13 septembre 2007, et à front renversé, sur l'exacte consistance de la dette ainsi que sur la responsabilité délictuelle de la Caisse pour avoir causé à l'associée en nom poursuivie, un préjudice constitué par le cours des intérêts dès lors qu'elle aurait attendu sans raison, l'imminence de la prescription de sa créance pour former sa demande.
Sur la consistance de la dette litigieuse alléguée par la Caisse
Mme X expose à l'appui de sa demande de réformation : - que solidaires et indéfiniment garants des dettes sociales, les associés d'une société en nom collectif ne sont pas pour autant co-débiteurs solidaires de celles-ci de sorte que toute remise de dette consentie à la société, profite à l'associé en nom ; - que la déclaration de créance valant par ailleurs, action en justice et l'admission de la créance sociale au passif de la liquidation judiciaire ayant pour effet d'en fixer le montant, le créancier ne peut solliciter de l'associé en nom, une somme supérieure à celle admise dans le cadre des opérations de liquidation judiciaire ; - que la Caisse n'était donc pas, dans les circonstances précises de cette espèce, en droit de solliciter sa condamnation au paiement d'une quelconque somme au titre de l'indemnité contractuelle de résiliation qu'elle n'avait pas estimé devoir déclarer ; - que par ailleurs, par sa déclaration de créance, le Crédit Agricole avait limité le taux des intérêts à échoir au taux contractuel de base, à savoir au taux révisable initial de 5, 55 % sans mentionner la majoration de cinq points ; - que cette majoration ne peut donc aujourd'hui, lui être opposée ; - que le taux effectif global mentionné dans les conditions particulières du contrat de crédit apparaissant par ailleurs erroné au regard des caractéristiques du crédit et des frais accessoires, directement liés à l'octroi d'un crédit, la stipulation des intérêts réclamés doit en l'espèce, être annulée et les intérêts au taux légal seuls appliqués ; - qu'à défaut de décompte réactualisé, le Crédit agricole ne saurait dans ces conditions, être déclaré fondé à réclamer, en l'état des pièces produites, que les sommes dues au titre du capital soit 34 653, 85 euros (capital emprunté : 76 000 euros - capital remboursé : 41 346, 15 euros).
La Caisse répond : - que la partie adverse n'a jamais contesté les sommes réclamées devant les premiers juges, s'étant bornée à réclamer des explications sur les remboursements du prêt ainsi que sur l'affectation des fonds résultant de la vente de l'habitation principale des époux H. ; - que le montant déclaré dans le cadre d'une déclaration de créance entre les mains du liquidateur, ne saurait concerner que le seul débiteur principal ; - que quoi qu'il en soit, Mme X est mal venue de contester à hauteur de Cour, les intérêts mis à bon droit à sa charge par les premiers juges ; - que ces derniers ont également à raison, réduit le montant de l'indemnité contractuelle à 1 euro.
Vu les articles 1134, 1153, 1315 et 1905 du code civil, ensemble l'article L. 221-1 du code de commerce dont il ressort notamment que les associés en nom collectif qui ont tous la qualité de commerçant, répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales sans être les co obligés de la société dont ils sont les associés et que par suite, tout associé qui s'est acquitté d'une dette sociale en qualité de débiteur subsidiaire, dispose non seulement, d'un recours contre la société pour se faire rembourser l'intégralité de la somme versée au créancier mais également, d'un recours contre ses coassociés pour leur part dans la dette lorsqu'il a payé les dettes sociales au-delà de sa part contributive.
La déclaration de créance équivalant à une demande en justice et valant, dans les circonstances de cette espèce, mise en demeure au sens de l'article L. 221-1 alinéa 2 du code de commerce de la société débitrice principale déclarée en liquidation judiciaire, c'est à bon droit que l'appelante, débitrice subsidiaire du passif social vis à vis des tiers, conclut à la réformation du jugement entrepris dès lors qu'il est exact, que la déclaration de créance ne porte au titre du prêt litigieux que sur un principal de 35 979, 50 euros au taux de 5, 55 % et dès lors par ailleurs, qu'elle ne saurait, pas plus qu'une caution, être condamnée à payer personnellement partie de la créance non déclarée.
Faute de justifier par quelque document que ce soit, du taux d'intérêt réclamé à la date de la déclaration de créance valant mise en demeure, la Caisse ne sera enfin déclarée fondée à obtenir que les seuls intérêts au taux légal à compter du 26 juin 2012.
Sur la responsabilité de la Caisse et la demande de compensation de Mme X
Cette dernière expose : - que la partie adverse a à l'évidence, fait preuve de négligence et de passivité dans le recouvrement de sa créance et a ainsi, contribué à la réalisation de son propre préjudice et ce, de manière d'autant plus incompréhensible, qu'elle avait, en 2009 et donc aussitôt qu'elle a eu connaissance de la procédure de liquidation judiciaire frappant la société précitée, manifesté son intention de régler la dette ; - que cette carence lui a nécessairement occasionné un préjudice dès lors, qu'elle se trouve exposée à devoir régler une somme artificiellement supérieure ; - qu'elle est ainsi, en droit d'obtenir la condamnation du Crédit Agricole à lui verser 20 460, 74 euros à titre de dommages-intérêts ainsi que la compensation à due concurrence de cette créance avec la somme réclamée.
La Caisse répond : - que sa demande, non frappée de prescription, n'est pas tardive ; - qu'au demeurant, toute action envers des associés en nom ne peut être engagée qu'après que l'action contre la société ait été vaine ; - qu'elle se devait d'attendre l'issue de la procédure collective et à tout le moins, la délivrance d'un certificat d'irrécouvrabilité pour pouvoir exercer son recours ; - que sa demande a par ailleurs, été précédée de pourparlers' et l'échec de ces derniers ne peut lui être imputé à faute ; - qu'une demande de dommages-intérêts pour procédure tardive ne peut prospérer à son encontre.
Il est établi par les documents présentés au dossier et les éléments discutés par les parties que la déclaration de créance de la Caisse valant mise en demeure a été formalisée le 18 octobre 2007.
Cette mise en demeure s'étant avérée vaine au sens des articles L.221-1 et R.221-10 du code de commerce dès le 27 octobre suivant et l'assignation des associés n'ayant été délivrée contre Mme X que le 12 juillet 2012, c'est à bon droit que, faute d'une raison légitime justifiée par son adversaire, cette dernière se prévaut du préjudice subi du fait du cours des intérêts entre ces deux dates.
La Caisse sera ainsi condamnée à lui verser la somme non contestée de 20 460, 74 euros à titre de dommages et intérêts venant se compenser à due concurrence avec les sommes dues au titre du prêt.
Sur les autres demandes
Vu l'article 696 du code de procédure civile.
La Caisse qui succombe à titre principal à hauteur d'appel, supportera les dépens de cette seconde instance.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Statuant en audience publique et par arrêt contradictoire
INFIRME le jugement en toutes ses dispositions pour ce qui concerne Mme X sauf en ce qu'il l'a condamnée aux dépens de première instance.
Statuant de nouveau du chef des dispositions réformées et y ajoutant :
CONDAMNE Mme X à payer à la société coopérative à capital et personnel variables Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Lorraine la somme de trente cinq mille neuf cent soixante dix neuf euros cinquante centimes (35 979, 50 €) avec intérêts au taux légal à compter du 26 juin 2012.
CONDAMNE la société coopérative à capital et personnel variables Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Lorraine à verser à Mme X une somme de vingt mille quatre cent soixante euros soixante quatorze centimes (20 460, 74 €) à titre de dommages et intérêts.
ORDONNE la compensation de ces créances respectives à due concurrence.
CONDAMNE la société coopérative à capital et personnel variables Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Lorraine aux entiers dépens d'appel.
Vu l'article 700 du code de procédure civile, CONDAMNE la société coopérative à capital et personnel variables Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Lorraine à verser à Mme X, une indemnité de deux mille euros (2 000 €) à titre de frais irrépétibles d'appel.