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Décisions

CA Paris, 3e ch. A, 14 janvier 1997, n° 94-008839

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Saada

Défendeur :

Caillaud

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Besançon

Conseillers :

M. Perie, M. Carre-Pierrat

Avoués :

SCP d'Auriac Guizard, SCP Barrier Monin

Avocats :

Me Smadja, Me Tollitte

T. com. Paris, 4e ch. sect. 2, du 11 mar…

11 mars 1994

La Cour statue sur l'appel interjeté par Mme Marie- Hélène DESSAILLY du jugement rendu le 11 mars 1994 par le Tribunal de grande instance de Paris (46me chambre - 2eme section) qui l’a déboutée de ses demandes à l'égard de M. Serge CAILLAUD et qui l'a condamnée à lui payer la somme de 20.000 francs au titre de l’article 700 du NCPC.

II est renvoyé aux énonciations du jugement pour un exposé complet des faits de la cause et aux conclusions des parties pour la connaissance de leurs moyens et demandes devant la Cour.

II suffit de rappeler que M. CAILLAUD propriétaire de 4850 parts sociales sur les 5000 composants le capital social de la société en nom collectif CAILLAUD et Cie, a proposé à Mme DESSAILLY d'exercer les fonctions de directeur du développement et des opérations financières au sein de cette société.

Son engagement a été concrétisé par :

une lettre d’embauche qui prévoyait :

* une rémunération fixe d'un montant annuel de 600.000 francs ;

*un intéressement au résultat correspondant à 10% du résultat net consolidé avant impôts de la société et de ses filiales ;

* le paiement des frais de mission et de réception.

un acte sous seing privé du 23 octobre 1991 aux termes duquel M. CAILLAUD promettait de céder à Madame DESSAILLY qui l'acceptait, 500 parts sociales représentant 10% du capital de la société CAILLAUD et Cie dans les conditions suivantes :

* un droit d'option en faveur de Mme DESSAILLY jusqu'au 30 juin 1992 ;

* un prix de cession de 5.000 francs ;

*la transformation de la SNC en société anonyme, avant le 30 juin 1992 ;

* l'affectation d’aucun droit sur les parts sociales en faveur de tiers, ni d'aucun gage, nantissement ou saisie quelconque et l'engagement qu' il n'existait aucun obstacle ou empêchement d'aucune sorte à leur cession avec la plénitude des droits y attachés en faveur de la bénéficiaire.

un engagement irrévocable de M. CAILLAUD d’acheter les actions détenues par Mme DESSAILLY, moyennant un prix de cession de 1.500.000 Francs payable 500.000 Francs comptant, 500.000 Francs un an après le règlement comptant, 500.000 Francs deux ans après le règlement comptant, tous frais, honoraires, droits et taxes relatifs à cette cession lui incombant.

une lettre annexe du 23 octobre 1991, précisant que la SNC devait être transformée en société anonyme avant le 30 juin 1992.

Mme DESSAILLY, ayant pris ses fonctions le 1er Janvier 1992, a adressé une lettre à M. CAILLAUD le 29 juin 1992, dans laquelle elle constatait que les conditions prévues par la promesse du 23 octobre 1991 n'ayant pas été remplies de son fait, elle ne pouvait lever l'option dont elle bénéficiait.

Mme DESSAILLY a alors saisi le Tribunal de grande instance de Paris aux fins de :

* voir constater que par son comportement fautif, M. CAILLAUD a empêché l'exécution de la promesse de cession qu'il avait consentie sur 500 titres du capital social de la société CAILLAUD et Cie et consécutivement l'exécution de la promesse de rachat qu'il avait lui-même souscrit sur ces mêmes titres pour le prix de 1.500.000 Francs ;

* prononcer, en tant que de besoin, aux torts exclusifs de M. CAILLAUD la résiliation des conventions ;

* le condamner à lui payer la somme de 1.495.000 francs à titre de dommages et intérêts, ainsi que la somme de 50.000 francs sur le fondement de l’article 700 du NCPC.

Le tribunal pour rejeter la demande de Mme DESSSAILLY a estimé qu'elle ne rapportait pas la preuve que, par un comportement fautif, M. CAILLAUD aurait empêché l’exécution de la promesse de cession de 500 parts sociales de la société CAILLAUD et Cie, devenue caduque le 30 juin 1992 à défaut d'avoir levé l’option dont elle bénéficiait.

Mme DESSAILLY, appelante, conclut à l'infirmation du jugement déféré et reprend ses différentes demandes formulées devant les premiers juges.

Elle fait valoir que M. CAILLAUD n'a pas respecté les engagements qu'il avait pris à son égard concernant d'une part la transformation de la SNC CAILLAUD et Cie en société anonyme et d’autre part qu’il n'a pas satisfait à la condition suivant laquelle les parts sociales cédées devaient être libres de tout gage ou nantissement.

Elle soutient que son préjudice est constitué par la perte du bénéfice qui devait résulter pour elle de l'exécution de l'ensemble des conventions signées le 23 octobre 1991.

M. CAILLAUD, intimé, demande à la Cour de confirmer la décision déférée et de condamner Mme DESSAILLY à lui payer la somme de 1.000.000 de francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, ainsi qu'une indemnité de 20.000 francs au titre des frais de première instance en application de l'article 700 du NCPC et, sur le même fondement, une indemnité complémentaire de 30.000 francs.

II estime n'avoir commis aucune faute de nature à avoir empêcher l'exécution de la promesse de cession des parts sociales consentie à Mme DESAIILLY.

II fait valoir que Mme DESSAILLY a été engagée en raison de la connaissance qu'elle avait acquise de la société en participant dès le mois d'octobre 1991, en sa qualité de conseil en recrutement au sein du cabinet CERA, à l'étude de la consolidation des prêts et des montages financiers des sociétés du groupe ; qu'elle a donc conclu les conventions litigieuses en parfaite connaissance de la situation financière du groupe et qu'elle n'a été engagée que pour assainir cette situation financière ; que les deux promesses de vente et de rachat des titres s'inscrivaient donc dans la perspective d'un redressement de la situation financiers du groupe, dont il avait été convenu que Mme DESSAILLY profiterait.

II souligne qu'en quelques mois loin d'avoir réussi à assainir la situation d'endettement du groupe CAILLAUD, elle l'a, au contraire, aggravée ; qu'elle a dû, en conséquence, être licenciée.

II prétend qu'au moment où la promesse de cession a été consentie, la transformation de la SNC en SA avait été seulement envisagés ; que d'ailleurs la transformation de la SNC en SA ne dépendait pas de sa seule volonté, mais était soumise aux conditions posées par l'article 72-1 de la loi du 24 juillet 1966, conditions qui, compte tenu de la situation financiers de la SNC, n'étaient pas réunies à l’époque; que cette promesse n'a pas été intégrée dans un système de « stock option », mais a été consentie à titre individuel.

II indique enfin que Mme DESAILLY ne saurait pas davantage soutenir que la promesse de cession a été subordonnée à la condition que les parts cédées aient été libres de tout gage ou nantissement ; que la seule obligation qui pesait sur lui était de pouvoir, dès qu'une demande de levée d'option régulière lui aurait été notifiée, livrer et remettre à Mme DESSAILLY les parts sociales dont la cession avait été promise, libres de tout gage ou nantissement.

SUR CE, LA COUR, sur le fond :

Considérant qu'il est acquis comma n'étant pas contestés par les parties que :

Mme DESSAILLY a engagé par la société CAILLAUD et Cie en qualité de directeur du développement et des opérations financières ; qu'elle a pris ses fonctions le 1er janvier 1992 ;

les conditions de son engagement et de sa rémunération ont été définies par :

* une lettre d'embauche, non datée,

* un acte sous seing privé du 23 octobre 1991, aux termes duquel M. CAILLAUD a consenti à Mme DESSAILLY l'engagement de lui céder 500 parts sociales de la société CAILLAUD et Cie, moyennant le prix de 5.000 francs, à charge pour celle-ci de lever la promesse avant le 30 juin 1992,

* une lettre de M. CAILLAUD du 23 octobre 1991 adressée à l'appelante, aux termes de laquelle il a pris l'engagement irrévocable de lui acheter « tous les titres dont elle est propriétaire dans le capital social de la société », moyennant le prix de 1.500.000 francs,

* Mme DESSAILLY n'a pas levé l'option qui lui a été consentie par M. CAILLAUD avant le 30 juin 1992 ;

* Mme DESSAILLY a fait l'objet le 28 septembre 1992 d'un licenciement, dont le caractère abusif a été reconnu et sanctionné par un arrêt de cette même cour du 16 février 1996 ;

Considérant qu'il résulte de la combinaison des articles 1134 et 1184 du code civil que, les conventions légalement formées tenant lieu de loi à ceux qui les ont faites et devant être exécutées de bonne foi, une condition résolutoire est toujours sous-entendue pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement ;

Qu'il résulte de l'examen de l'ensemble des actes signés par les parties et des lettres échangées entre elles, en vue de concrétiser les conditions de l'embauche de Mme DESSAILLY que, comme le reconnait l'intimé dans ses écritures, l'engagement pris de l’associer au capital social en lui assurant une plus value importante à très brève échéance, "à titre d'accessoire et de complément de sa rémunération", a été déterminante pour l'appelante ;

Qu'il incombait donc à M. CAILLAUD de lui permettre de lever le bénéfice de son option avant le 30 juin 1992 ;

Considérant qu'en ne réalisant pas avant cette date la transformation de la forme sociale de la société CAILLAUD et Cie, à laquelle il s'était engagé, il a privé Mme DESSAILLY de toute possibilité d'exercer son droit d'option ;

Qu'en effet, c'est à juste titre que Mme DESSAILLY fait valoir qu'en se portant acquéreur des 500 parts sociales de la société CAILLAUD et Cie, loin de lui procurer le complément de rémunération escompté, cette opération aurait eu pour conséquence, en raison de la forme sociale de la société, de lui faire répondre indéfiniment et solidairement des dettes sociales ;

Que la transformation de la forme sociale de la société CAILLAUD et Cie était donc un préalable nécessaire à la mise en oeuvre du droit d'option dont elle bénéficiait ;

Que M. CAILLAUD n'est pas fondé à soutenir que la transformation de la forme sociale de la société n'était qu'une simple éventualité ;

Qu'en effet les actes souscrits par l'intimé et ses lettres sont parfaitement explicites quant à la portée de son engagement, dès lors qu'à différentes reprises il fait référence au fait que « la SNC CAILLAUD et Cie (qui) sera transformée en société anonyme avant le 30 juin 1992 » ;

Considérant que c'est tout aussi vainement qu'il allègue que Mme DESSAILLY aurait eu une parfaite connaissance de la situation financière de la société CAILLAUD et Cie, en raison de ses précédentes fonctions, et qu'elle aurait nécessairement mesuré le risque encouru en signant l'acte sous seing privé du 31 octobre 1992, d'autant qu'elle aurait, du fait de son attitude, participe à la dégradation financière de la société ;

Considérant en effet qu'il est établi par l'ensemble des pièces versées aux débats, et, comme l'a d'ailleurs retenu l'arrêt de la chambre sociale de cette Cour du 16 février 1996, que Madame DESSAILLY n'a pu appréhender que progressivement, après sa prise de fonction, la situation gravement détériorée de la société, encore aggravée par des travaux très important commandé par M. CAILLAUD, réalisés en 1992, sans aucun apport financier ;

Que la situation financière de la société CAILLAUD et Cie, en 1992, due aux seules décisions du gérant et non imputable à l'appelante, ne pouvait donc être prise en compte par elle au mois d'octobre 1991 ;

Considérant dès lors qu'en s'abstenant de transformer la forme sociale de la société CAILLAUD et Cie avant le 30 juin 1992, conformément aux engagements souscrits, M. CAILLAUD n'a pas permis à Mme DESSAILLY de lever le bénéfice de son option dans les conditions initialement convenues entre les parties ;

Qu'il convient en conséquence de prononcer la résolution de l'acte sous seing privé du 31 octobre 1991 aux torts exclusifs de M. CAILLAUD ;

Considérant que la résolution de cet acte a pour conséquence de priver de tout effet l'engagement pris par M. CAILLAUD d'acquérir "les actions détenues par Mme DESSAILLY", moyennant un prix de 1.500.000 francs,

Que le préjudice subi par Mme DESSAILLY, qui est certain, est directement lié au comportement fautif de M. CAILLAUD ;

Considérant que Mme DESSAILLY a fait une juste appréciation de son préjudice ;

Qu'en effet celui-ci est constitué par la différence entre le prix de vente des actions dont elle aurait dû être propriétaire, fixé à 1.500.000 francs et leur prix d'achat de 5.000 francs, soit 1.450.000 francs ;

Qu'il convient en conséquence d'infirmer le jugement déféré et de condamner M. CAILLAUD à payer à Mme DESSAILLY la somme de 1.450.000 francs à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi ;

sur la procédure abusive :

Considérant que M. CAILLAUD qui succombe dans ses prétentions, n'est pas fondé ci solliciter des dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Qu'il sera dès lors débouté de sa demande ;

sur les frais et dépens :

Considérant qu'il ne parait pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais irrépétibles au sens de l'article 700 du NCPC ;

Considérant qu'en raison du sens du présent arrêt, M. CAILLAUD doit supporter les dépens de première instance et d'appel ;

PAR CES MOTIFS :

INFIRME le jugement déféré ;

STATUANT à NOUVEAU :

PRONONCE la résolution de l'acte sous seing privé en date du 23 octobre 1991, aux torts exclusifs de M. Serge CAILLAUD ;

CONDAMNE M. Serge CAILLAUD à payer à Mme Marie- Hélène DESSAILLY la somme de 1.450.000 francs à titre de dommages et intérêts ;

REJETTE toute demande autre, plus ample ou contraire ;

CONDAMNE M. Serge CAILLAUD aux dépens de première instance et d'appel ;

ADMET la SCP D'AURIAC GUIZARD, avoué, au bénéfice de l'article 699 du NCPC.