Cass. crim., 30 octobre 2013, n° 12-85.618
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Rapporteur :
Mme Labrousse
Avocat général :
M. Bonnet
Avocat :
SCP Waquet, Farge et Hazan
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article préliminaire et des articles 435 à 457, 513, 591 et 593 du code de procédure pénale, violation des droits de la défense, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a refusé de renvoyer l'affaire pour permettre l'audition des témoins cités par le prévenu ;
" aux motifs que trois des témoins cités n'ont pas comparu et ont fait chacun connaître par lettre adressée à la cour, qu'ils étaient étrangers aux faits reprochés à M. X..., précisant qu'ils n'avaient été « témoins de rien dans cette affaire » ; que Mme Y..., fille et soeur de MM. Bernard et Patrice Z..., a fait connaître pareillement qu'elle était étrangère aux faits et qu'elle refusait d'être mise en présence de M. X..., qui n'avait eu de cesse de la harceler depuis leur séparation ; que vu l'article 513 du code de procédure pénale, l'audition des nouveaux témoins cités par le prévenu n'est pas utile aux débats, dès lors que ces derniers sont étrangers aux faits reprochés au prévenu et, s'agissant de Mme Y..., que celle-ci a été entendue au cours de l'enquête ; qu'il n'y a pas lieu de faire procéder, dans ces conditions, à un supplément d'information ni de renvoyer l'affaire ; que la demande de renvoi sera donc rejetée ;
" alors que les témoins régulièrement cités par le prévenu doivent être entendus dans les règles prévues aux articles 435 à 457 du code de procédure pénale, sauf si le ministère public s'y oppose parce que ces témoins ont déjà été entendus par le Tribunal ; qu'en rejetant la demande de renvoi pour procéder à l'audition de témoins qui n'ont pas été entendus par le tribunal et qui sont concernés par les faits reprochés à M. X..., en présupposant que l'audition desdits témoins qui n'ont pas comparu n'est pas utile aux débats et qu'ils sont étrangers aux faits reprochés, lors même que ces témoins n'ayant pas été entendus par le Tribunal devaient être entendus par la cour, si le prévenu le demandait dans l'intérêt de sa défense, l'arrêt attaqué a méconnu le sens et la portée des textes susvisés, et violé les droits de la défense " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que le prévenu, poursuivi du chef d'introduction et modification frauduleuses de données dans un système de traitement automatisé, a fait citer devant la cour d'appel quatre témoins ; que trois d'entre eux n'ont pas comparu et ont précisé dans un courrier adressé à la juridiction qu'ils n'avaient été " témoins de rien dans cette affaire ", Mme Ghislaine Y..., fille et soeur des parties civiles, qui avait entretenu une liaison avec le prévenu, ajoutant qu'elle refusait d'être mise en présence de ce dernier, qui n'avait eu de cesse de la harceler depuis leur séparation ;
Attendu que, pour refuser de faire droit à la demande de renvoi du prévenu aux fins de permettre l'audition des témoins non comparants, l'arrêt énonce que ces auditions ne sont pas utiles aux débats dès lors que les témoins sont étrangers aux faits reprochés au prévenu et que Mme Ghislaine Y...a déjà été entendue au cours de l'enquête ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a, sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées au moyen, justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 122-1 du code pénal, 434, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, excès de pouvoir ;
" en ce que l'arrêt a rejeté la demande d'expertise médicale de M. X...;
" aux motifs que M. X...produit aux débats devant la cour un certificat médical établi par son médecin traitant, le 21 février 2009, établissant qu'il a été suivi depuis août 2000, pour une dépression associée à un état psychotique sévère, en lien avec une rupture sentimentale ; qu'il a fait l'objet d'une prise en charge par des psychiatres et été placé en arrêt de travail, puis en invalidité pendant un an en 2003, et que depuis quelques mois, son état semblait s'être stabilisé ; que si ce certificat médical, dont se prévaut tardivement et pour la première fois en cause d'appel M. X..., atteste d'un suivi médical en relation avec une dépression subie en 2000, il ne fait cependant pas mention de l'existence de troubles ayant pu affecter, à la date des faits, les facultés de discernement du prévenu et justifiant de faire droit à la mesure d'expertise médicale qu'il sollicite ; que sa demande sera en conséquence rejetée ;
" alors qu'il appartient aux seuls juges du fond d'apprécier si le prévenu était atteint, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique de nature à abolir ou à altérer son discernement au vu d'une expertise médicale, cet élément étant de nature à influer sur l'appréciation de l'étendue de la responsabilité du prévenu, le médecin traitant se bornant à décrire un état pathologique qui est susceptible d'entraîner, au plan juridique, des conséquences de la nature de celles décrites par l'article 122-1 du code pénal ; qu'en l'espèce, la cour qui constate qu'un certificat médical en date du 21 février 2009 attestait notamment d'un état psychotique sévère, semblant s'être stabilisé depuis quelques mois, et qui rejette néanmoins la demande d'expertise médicale en considérant que le certificat ne fait pas mention de troubles ayant pu affecter, à la date des faits (commis de septembre 2007 à mai 2008), les facultés de discernement du prévenu, n'a pas exercé les pouvoirs qui lui sont dévolus, et n'a pas déduit les conséquences qui s'évinçaient de ses propres constatations, violant ainsi les textes et principes susvisés " ;
Attendu que l'opportunité d'ordonner un supplément d'information est une question de fait qui ne relève pas du contrôle de la Cour de cassation ;
Que le moyen ne peut donc être admis ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-3, 323-3 du code pénal, 333-5 du même code, 593 du code de procédure pénale, des articles 6, 7, 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 8 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, 4, 5, 6 et 16 de ladite Déclaration, 34 de la Constitution, du principe de légalité des débats et des peines et des impératifs de prévisibilité et de sécurité juridique ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X...coupable d'introduction frauduleuse de données dans un système de traitement automatisé et de modifications frauduleuses de données ;
" aux motifs que M. X...a expressément reconnu au cours de l'enquête et lors des débats devant le tribunal, et à l'audience de la cour, qu'il avait créé une nouvelle adresse e-mail sur la messagerie Hotmail en utilisant le nom et prénom de Ghislaine Z... et qu'à partir de cette adresse, il avait adressé une vingtaine de messages et de la publicité sur la messagerie de MM. Bernard et Patrice Z... ; qu'outre ces faits qu'il a reconnus et qu'il revendique, l'enquête a aussi démontré qu'entre septembre 2007 et mai 2008, MM. Bernard et Patrice Z... avaient vu leurs codes d'accès confidentiels à leur compte internet modifiés à de multiples reprises, et ont été informés par l'opérateur Orange des modifications successives de leur adresse mail qui avaient été réalisées à leur insu ; que si M. X...persiste à dénier sa responsabilité dans les modifications successives des codes d'accès et des adresses mail des consorts Z..., en affirmant qu'il en avait eu l'idée mais que les modifications avaient été faites par l'un de ses collègues de travail, force est de constater qu'il s'est abstenu de fournir très opportunément l'identité de ce tiers et qu'il a lui-même revendiqué ces modifications dans un mail adressé à M. Z... à partir de la messagerie Hotmail qu'il avait créée au nom de Ghislaine Z..., en écrivant précisément sous la prétendue signature de Ghislaine Z... :
« c'est moi avec les modifications de mots de passe à répétition et aussi modifications de vos comptes de messagerie à mon frère Patrice (A.... B...) et à toi Papa (bernard. Z...) » ;
qu'il en résulte la preuve suffisante que M. X...a introduit, modifié ou supprimé frauduleusement, à l'insu des consorts Z..., des données dans un système de traitement automatisé ayant ainsi pour effet notamment de modifier leurs codes d'accès à internet et leurs comptes de messagerie ; qu'outre ces modifications, M. X...a pareillement revendiqué dans un mail adressé à partir de la messagerie Hotmail créée au nom de Ghislaine Z..., M. Bernard Z... le 18 mai 2008, être à l'origine du dégroupage de la ligne téléphonique de M. Patrice Z... ainsi que de celle de M. Bernard Z..., en écrivant ainsi :
« Voilà, je maintiens ma promesse, je vous ai mis en dégroupage total ¿ A Patrice le dégroupage total n'était pas aussi abusif que cela car c'est moi qui a demandé à France Telecom en donnant toutes les informations de la ligne téléphonique ainsi que le numéro de compte client pour la migration de sa ligne téléphonique. Toi aussi Papa à Plozevet tu es aussi en dégroupage total ¿ et j'ai également demandé le dégroupage total à Bièvres en 18MO avec la livebox ¿
A j'oubliais à Bièvres, ton alarme téléphonique est incompatible avec l'adsl nu, comme tu étais ingénieur à la Thomson pour toi Papa cela ne devrait pas poser de problème ¿
Je te répète Papa je te demande la maison de Bièvres car sinon après le dégroupage total j'envoie un courrier pour une vérification de ton patrimoine pour te déclarer à l'Impôt Solidarité Fortune (ISF). N'oublie pas que je vote socialiste.
Ta fille Ghislaine » ;
que ces messages précis de revendication adressés à M. Bernard Z..., à partir des deux adresses IP dont M. X...a reconnu être l'utilisateur, suffisent à imputer à celui-ci l'entière responsabilité des dégroupages des lignes téléphoniques auxquels il a procédé en s'introduisant ou en modifiant dans le système informatique, à l'insu des abonnés, les conditions de leur abonnement ; qu'il se déduit en conséquence de l'ensemble de ces éléments la preuve suffisante de la culpabilité de M. X...dans les termes de la prévention ;
" 1°) alors que, selon l'article 111-3 du code pénal et les dispositions conventionnelles susvisées, nul ne peut être puni pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi ; que ne saurait, en raison de son imprécision, servir de fondement à une poursuite du chef d'« introduction frauduleuse de données dans un système de traitement automatisé, modifications frauduleuses de données », l'article 323-3 du code pénal qui ne fixe pas le champ d'application de la loi, ni ne définit le délit en des termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire, et n'édicte aucune obligation claire et accessible, pénalement sanctionnée, et est, comme tel, insusceptible de fonder la condamnation de M. X...; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes et principes susvisés ;
" 2°) alors que les dispositions de l'article 323-3 du code pénal sont contraires aux règles à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi obligeant le législateur à fixer le champ d'application de la loi et à définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis ; qu'en conséquence, la déclaration d'inconstitutionnalité du texte dont s'agit, qui sera prononcée après renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel posée par mémoire distinct, privera l'arrêt attaqué de tout fondement juridique ;
" 3°) alors que, en outre, dans ses conclusions en cause d'appel, visées le 10 novembre 2011, qui ne semblent pas avoir été examinées par la cour d'appel qui n'y fait aucunement référence, M. X...faisait valoir que les faits reprochés et reconnus par lui ne sauraient recevoir aucune qualification pénale textuellement prévue ; qu'en ne s'expliquant pas sur ce point, la cour d'appel a privé sa décision de motifs " ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable d'introduction et modification frauduleuses de données dans un système de traitement automatisé, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fait une exacte application de l'article 323-3 du code pénal, qui n'est pas contraire au principe de la légalité des infractions, a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen, dont la deuxième branche est devenue inopérante, par suite de l'arrêt rendu le 10 avril 2013 par la Cour de cassation et ayant dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité, ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.